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[RP] A toi mon fils, où que tu sois,... Journal intime de Xm

Xmanfe1999
Après son long séjour chez les nonnes, Xm avait besoin d'action et elle décida qu'aujourd'hui elle se contenterait de remettre de l'ordre dans ses feuillets.

Elle s'installa à son écritoire et commença à trier les parchemins qui formaient maintenant une belle petite pile. Elle corrigeait ça et là une petite faute d'orthographe ou de grammaire en grommelant que dans ses voyages et en apprenant des langues étrangères elle avait un peu oublié les enseignements de sa mère et de son précepteur.

En mettant la dernière page sur la pile, un infime détail attira son attention: une empreinte...
Elle était à peine visible sur la marge, mais à y regarder avec plus d'attention, Xm - dont la myopie, si elle l'ennuyait pour tirer à l'arc lui donnait une excellente vue de près - Xm donc, distinguait nettement les crêtes et les volutes d'un pouce qui n'était pas le sien.
Xm, en y posant son propre pouce pour en comparer la taille, se rendit à l'évidence : cela ne pouvait pas être son empreinte... C'était un pouce d'homme, à n'en pas douter.


Qui cela peut-il bien être? s'interrogea-t-elle.

Son amant lausannois était parti pour un monde meilleur, et jamais son ami très cher ne se serait permis une telle intrusion dans sa vie privée...

Quoique? Xm, intriguée tripotait l'extrémité de sa plume, le regard lointain,.


Elle coinça délicatement un de ses longs et fins cheveux sur le coté de la pile de feuilles de manière à ce que tout lecteur clandestin ne puisse consulter son journal sans qu'elle s'en aperçoive. Resterait ensuite à découvrir qui pourrait avoir des taches d'encre sur les doigts...

Elle réfléchit un instant et se dit quelle ne prendrait son lecteur au piège que si elle l'appâtait avec la suite de son journal. Elle enleva donc le cheveu, et épuisée, alla se coucher.

Ah tant pis, soupira-t-elle en posant la chandelle sur la table de chevet, pour la nuit, je suis trop fatiguée ce soir pour aller m'entraîner en forêt ou pour écrire. Il faudra qu' "il" attende un peu.

Et elle s'endormit, oubliant de refermer le battant de la fenêtre qu'elle avait entrouvert pour aérer après son absence...
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Vive comme l'éclair
Insaisissable comme la lumière
Dure comme le fer
Et en amour comme à la guerre...
Xmanfe1999
Xm se réveilla en sursaut au milieu de la nuit. Elle était glacée dans son lit, malgré la peau de loup qui la couvrait. Le vent s'était levé en même temps que la lune et le battant de la fenêtre cognait avec obstination. Frissonnante dans ses vêtements de nuit, Xm se leva et s'enveloppa dans la fourrure pour aller rallumer la chandelle qu'un courant d'air avait éteinte.

La chandelle? mais où est ce fichu chandelier? s'exclama en jurant Xm, qui venait de se cogner le gros orteil au pied du lit.
Sautillant vers la table sur son autre pied, elle aperçut, à la faveur d'un rayon de lune qui s'était cachée jusque là derrière un nuage, le fameux chandelier, posé tel un trophée au beau milieu de sa pile de feuilles.


Le cœur de Xm cogna violemment dans sa poitrine. Ses yeux s'agrandirent dans le noir pour tenter de percer les ombres tapies dans les angles de la pièce.
Elle retint son souffle, le temps d'être sûre que sa voix ne trahirait pas son malaise d'être surprise la nuit, chez elle , à moitié nue et sans armes.


Qui est là? dit-elle d'un ton autoritaire. Montrez-vous!

Le battement sourd et irrégulier de la fenêtre agitée par le vent fut sa seule réponse.
Au dehors, le silence profond du milieu de la nuit était à peine troublé de temps à autre par un miaulement ou un hululement lointains.


Xm resta un moment à écouter la nuit, puis elle alla fermer la fenêtre.
Elle s'agenouilla ensuite devant la cheminée pour souffler sur les braises qui couvaient sous la cendre. Les flammes ranimées eurent tôt fait de donner suffisamment de lumière dans la pièce pour que Xm soit tout à fait rassurée. Elle était bien seule. Elle le regrettait presque. Celui qui se permettait d'entrer chez elle sans y être invité aurait fait connaissance avec sa compagne damasquine...
Cependant, un fil de laine pris dans le bois mal rabotté de l'encadrement de la fenêtre attira son regard et confirma ses soupçons.
Quelqu'un était bien entré chez elle.
Quelqu'un qui était vêtu de tissu de laine noire et qui devait maintenant avoir un accroc à sa culotte!


Ha ha! se dit Xm en riant. Voilà qui va être plus difficile à faire disparaître que des taches d'encre sur les doigts!

Xm décida néanmoins, au cas où elle se tromperait sur l'identité de son visiteur clandestin, de dormir désormais avec sa dague sous son oreiller et de mettre son épée en sécurité sous son matelas afin qu'une main malintentionnée ne puisse la retourner contre elle.

Malgré l'heure tardive, ou trop matinale, Xm ne se recoucha pas. Elle était bien trop réveillée pour réussir à se rendormir. Elle s'habilla et se fit chauffer un bol de soupe.

Autant me remettre au travail. Après tout il n'y a pas de meilleur moment pour écrire.
Elle ralluma le chandelier et s'assit à sa table . Bon, continuons...


Xm ricana en se rappelant sa première soirée à Strasbourg. Comme elle avait pu être stupide!

Après le désagréable intermède à la porte Nord, j'avais, une bonne partie de la journée, erré dans les rues animées de la ville, trainant ma mule maussade derrière moi.
La pauvre bête avait peut-être de la ressource mais comme aurait dit mon précepteur, "qui veut voyager loin ménage sa monture!" Je lui offrit quelques carottes en plus de son fourrage ordinaire et en croquai une moi même pour tromper ma faim. La soupe du bon curé était bien loin la fatigue de ma nuit sur les chemins commençait à se faire sentir.
Je décidai donc de me présenter à la porte de l'évêché pour demander asile pour la nuit.

Je n'eus aucun mal à en trouver la porte, derrière la Cathédrale, dans une ruelle sombre, éclairée dans cette fin de soirée de novembre par des pots à feu posés à terre. Les flammes courtes projetaient des ombres sur les hautes murailles du bâtiment.
Je cognai à la porte et le lourd heurtoir de bronze envoya des échos sinistres se répercuter dans les profondeurs du bâtiment. Pas de réponse. Je cognai à nouveau.
Je finis par entendre au bout d'un long moment des pas glissants sur le sol qui devait être dallé et une voix aigre maugréer:


Pour l'amour de Dieu un peu de patience! J'arrive! J'arrive!

La lourde porte de chêne clouté de cuivre s'entrouvrit en grinçant sur ses gonds énormes:

Qu'est ce que c'est?

Un homme maigre et chauve, vêtu d'une bure poussiéreuse et coiffé d'une calotte grise se tenait derrière le battant. Ses mains tordues de rhumatismes en agrippaient la lourde poignée, comme pour m'empêcher de m'en emparer. Le vieillard, courbé sous le poids des ans me considérait avec mauvaise humeur de sous ses sourcils broussailleux. Je frissonnais d'appréhension mais me résolu à parler:

Mon père, je suis de passage à Strasbourg et je cherche asile pour la nuit pour ma mule et pour moi.

Ses yeux noirs me dévisageaient avec méfiance et semblaient même lancer par intermittence des éclairs de malveillance.
La bouche sèche je poursuivis.

Je me nomme Wilfried Edelstein et je devais loger chez mon oncle l'orfèvre, mais...

A peine eus-je prononcé mon nom d'emprunt que les lueurs de malveillance se transformèrent en éclairs de fureur.

Un Juif???
La voix méchante vibrait de haine.
Et vous avez l'audace de venir demander asile à monseigneur! Seriez-vous devenu fou? Votre oncle a quitté la ville comme tous ceux de votre peuple à cette heure! N'avez-vous pas entendu le Grüsselhorn?

Je bredouillais, abasourdie: le... le Grüsselhorn???

Mais d'où sortez-vous donc, jeune insolent! Tous les juifs de Strasbourg doivent sortir de la ville à la sonnerie du cor! Allez-vous en avant que j'appelle le guet! Vous aurez de la chance si vous pouvez sortir sans vous faire arrêter!

Seigneur! J'aurais pu, à se moment, me jeter à terre et me cogner le front sur le sol de désespoir.
Dans ma naïveté j'avais emprunté le seul nom connu de moi comme étant celui d'un habitant de la ville et voilà qu'il s'agissait d'un orfèvre, mais d'un Juif, encore plus méprisé et indésirable parmi les hommes que la malheureuse pestiférée que j'étais supposée être
.

Je m'enfuis, la mule trottant derrière moi. J'étais prise au piège. Pourquoi le sergent du guet n'avait-il pas réagi quand je lui avait donné mon nom? était-il trop bête ou trop aveuglé par son désir immonde? Ou son silence cachait-il un dessein plus immonde encore?

Ces questions se pressaient dans ma tête et l'affolement m'empêchait de réfléchir.
J'avais besoin de manger. J'avais besoin d'un bain. J'avais besoin de dormir.
Je me précipitai vers la première auberge que je repérai au bruit et à la lumière : le Serpent Vert!!!!



Holà, encore une nuit sans dormir... se dit Xm en jetant un regard vers la fenêtre dont l'aube grisait lentement les contours.
Elle posa sa plume, reboucha son encrier. Se remit au lit pour quelques heures de repos bien mérité.

Inutile de remettre le cheveu en place, je sais maintenant qu'on vient m'espionner. Après tout, je m'en fiche. Je n'ai rien à cacher!
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Dure comme le fer
Et en amour comme à la guerre...
Xmanfe1999
Comme Xm se l'était dit quelques matins plus tôt dans la clairière, une aube avait succédé à une nuit, et une autre journée avait laissé la place à un nouveau crépuscule.
Xm rentrait chez elle après une nuit incroyable, le corps las mais l'esprit léger. Elle avait la sensation ineffable d'être en paix avec elle même et elle remercia l' Illuminé de lui avoir montré la voie. Quoiqu'il advienne maintenant elle accepterait son destin.


Assise à sa table, devant les feuillets accumulés, elle resta un moment rêveuse sans rien faire, les yeux perdus au delà de l'horizon, dans un monde auquel elle seule avait accès.

Puis sa main saisit presque machinalement l'encrier et en ôta le couvercle, elle vérifia en suite l'acuité de sa plume en traçant d'une main légère un cœur percé d'une flèche sur une nouvelle feuille.
Elle eut un instant l'envie folle d'y inscrire ses initiales secrètes, S.L , ainsi que celle de son bien aimé... mais elle chassa mentalement cette envie comme elle aurait chassé une guêpe qui l'aurait harcelée.
Décidément l'amour la rendait bien étrange...


Mieux valait revenir à des choses plus terre à terre. Comme la suite de cette incroyable aventure à Strasbourg...

Xm trempa sa plume dans son encrier et poursuivit son récit.

Le cœur battant j'arrivai à la porte de l'auberge du Serpent Vert.
Je jetai des regards angoissés autour de moi, persuadée que l'abominable frère portier avait alerté le guet et que les sergents ne tarderaient pas à surgir de l'ombre pour s'emparer de moi et me jeter au cachot ou me faire subir le sort réservé aux criminels dans cette ville.
J'avais remarqué en me promenant pendant la journée que de sinistres cages pendaient à de lourdes chaînes fixées à la rambarde d'un pont au dessus de l' Ill près de la grande boucherie et je ne savais que trop bien quel était leur usage, d'autant que le pont portait le nom de Schinbrück... le pont des supplices.
Je n'avais aucune envie de finir ma vie dans ce cloaque à ciel ouvert où tous les habitants déversaient leurs immondices.


Malgré ma peur, mon cerveau me soufflait d'entrer, mais avant cela je devais mettre ma mule à l'abri et me faire remarquer le moins possible.
Je contournai donc l'auberge et fis entrer l'animal fourbu dans l'écurie dont la porte était par bonheur encore ouverte. A en juger au nombre d'animaux présents dans les stalles, l'auberge devait être pleine, et je priai intérieurement qu'il reste une chambre pour me cacher jusqu'au matin. D'un autre coté, j'avais plus de chances de passer inaperçue que si elle avait été vide.

Je poussai la porte arrière du bâtiment et débouchai dans un couloir sombre donnant d'un côté sur l'escalier qui menait certainement au cellier et de l'autre sur la cuisine, où une grosse femme s'affairait devant une cheminée où ronflait un feu d'enfer.
Malgré le désordre de victuailles posées partout sur la table et les meubles autour de la pièce, il y régnait une propreté immaculée et une odeur qui me faisait saliver malgré moi.
Fascinée par la broche que tournait la femme je m'avançai malgré moi dans la pièce. La femme sursauta.


Ah! mein Herr, vous m'avez fait peur... Elle rit. Remarquez, il y a pas vraiment de quoi, épais comme vous êtes! Elle rit de plus belle.

Pardonnez-moi, dame, répondis-je, je ne voulais point vous effrayer. J'ai été attirée ici par le fumet délicieux de ce cochon de lait que vous rôtissez. Accepteriez-vous de m'en découper un morceau?

Allez donc vous installer à une table et je vous en servirai un bonne tranche avec une portion de choux, vous m'en direz des nouvelles!


Xm leva le nez de sa feuille. Des années après, elle avait encore en mémoire le parfum alléchant de la viande à la peau croustillante et du choux braisé. elle en avait encore l'eau à la bouche. Elle reprit sa tâche.

D'un geste, la cuisinière m'invitait à passer dans la salle de l'auberge, mais je reculais.

Non, je vous remercie dame, mais je me satisferai très bien de manger ici sur un coin de table, je vous prie. Je suis las et j'apprécie le calme et la chaleur de votre cuisine.

Je souriais, espérant que mes pauvres excuses ne ressemblaient pas trop à des prétextes.

Comme vous voudrez, messire, bougonna-t-elle.

La cuisinière débarrassa un coin de l'immense table qui occupait presque la moitié de l'espace et je pris un tabouret dans un coin de la pièce pour m'installer. Elle posa devant moi une écuelle débordante de viande, de choux aux lardons et de jus gras à l'odeur délicieuse.
Elle me donna également une tranche de pain frais un couteau et une cuiller et je m'apprêtais à attaquer mon repas quand elle se pencha vers moi.

Hopla, donnez-moi donc votre cape et votre chapeau messire, vous serez plus à l'aise.

Je tentai de reculer à nouveau mais j'étais coincée entre la table et le mur et la grosse femme me barrait le passage de son corps. Elle ôta la cape de mes épaules et saisit hardiment le bord de mon chapeau. Je n'eus pas le temps d'attraper sa main au vol, le mal était fait. Mes cheveux dégringolèrent en cascades sur mes épaules. J'étais pétrifiée.

La femme s'esclaffa: ça alors! Nun de puckel! si je m'attendais à ça! Voilà un bien joli damoiseau... ou ce serait-y une damoiselle??? Allons ne prenez pas cet air là, ma beauté. C'est-y que je vous ferais peur?

Elle riait, les poings sur les hanches.

J'ai beau couper le cou à bien des poulets tous les jours, je n'ai jamais fait de mal à une jolie poulette comme vous.

J'étais muette, la bouche ouverte, le sang glacé, incapable de réagir.

C'est-y que vous auriez perdu votre langue,matmassell? Je me doute bien qu' attifée comme vous l'êtes vous n'avez pas envie qu'on vous trouve. Si vous me racontiez ce qui vous amène dans ma cuisine. Après tout j'ai bien le droit de savoir qui mange mon cochon de lait et mes choux! Des fois que vous seriez une dangereuse brigande!

Elle se tapait les cuisses de ses larges mains, contente de son trait d'esprit.

Allons ma jolie, dites moi tout, il ne sera pas dit que la grosse Suzel ne donne plus asile à tous les chats perdus qu'elle trouve.

Elle m'assena une tape amicale dans le dos qui faillit me faire tomber de mon tabouret.
Je lui racontai tout, la peste, la forêt, le curé,l'Italie, le mire, le sergent du guet, le frère portier, la fuite, la peur la fatigue, ...


La joviale matrone ne riait plus, mais elle me considérait maintenant avec gravité et bonhommie.

Oh schatzele, faut pas vous en faire, la grosse Suzel va vous aider. Je vais vous préparer une belle chambre. Il nous en reste une pour les hôtes de marque, mais les personnes de qualité comme vous on en voit pas souvent. Je vais vous faire monter par l'escalier de service et je vous apporterai de quoi vous laver tout à l'heure.

Je recommençais à croire à ma bonne étoile. Pour la seconde fois en quelques jours une personne qui ne m'étais rien me portait secours alors que j'étais désespérée.

Vous savez, mickele, le sergent du guet que vous dites, là, je le connais. Dieu m'est témoin qu'il n'y a pas de pire seü sur la terre. Ah un porc, ça c'est vraiment ce qu'il est. Si je pouvais j'en ferais bien un chapelet de saucisses, mais il est tellement pourri qu'elles seraient immangeables!
Elle rit à nouveau à gorge déployée de sa plaisanterie.

Je vais vous dire, vous ne savez pas à quel point vous avez de la chance d'être tombée sur moi ce soir... J'ai entendu dire que son Éminence devait partit bientôt pour Rome pour rencontrer sa Sainteté à Rome...
J'ai comme une idée que le cuisinier de son Éminence pourrait avoir besoin d'un gâte-sauce pour le voyage. Monseigneur est si gourmand! Et il se trouve que le cuisinier de son Éminence est justement mon cousin. J'irais le voir demain.


La joie de la grosse Suzel était communicative, je ris à mon tour et j'attaquai mon assiette, bien qu'elle fut depuis longtemps froide, avec un appétit féroce.


Xm posa sa plume. Le soleil était en train de se lever. Elle alla entrouvrir la fenêtre avant de se coucher. Au moins la journée, personne n'oserait entrer.
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Xmanfe1999
Tard dans l'après midi, Xm s'était réveillée, de mauvaise humeur, pleine d' une étrange mélancolie.
Elle avait fait un rapide passage à la taverne, mais malgré l'arrivée inopinée de son amie Cerise, elle n'avait supporté de rester en compagnie, surtout que son ami était là et l'avait ouvertement ignorée...
Elle en avait été profondément blessée, même si elle n'avait rien voulu en montrer.
Elle était donc rentrée chez elle, et encore une fois elle se retrouva devant son écritoire, la plume en main, l'esprit ailleurs.


Où en étais-je? s'interrogea-telle? Ah, oui, le Serpent Vert, la grosse Suzel...

L'ombre d'un sourire apparut sur le visage de Xm quand elle se remit à écrire.

Après le solide repas que Suzel m'avait généreusement servi, Suzel me fit discrètement monter dans la plus belle chambre de l'auberge.
J'avais au passage jeté un œil à la salle de l'auberge et m'étais félicitée de ne pas y être entrée par la porte donnant sur la rue. Elle était pleine et les hommes attablés qui vidaient chope sur chope en parlant et riant bruyamment, étaient pour la plupart des soldats ou des sergents du guet... Mieux valait qu'ils ne m'aient pas vue.
Soulagée, j'entrai dans la chambre et ne put cacher ma surprise.
La chambre était belle, sinon luxueuse. Elle était grande et donnait sur la cour, ce qui donnait certes moins de charme à la vue, mais lui conférait un calme appréciable. Le parquet de chêne blond, ciré au point qu'on pouvait presque y voir son reflet, était couvert d'un magnifique tapis, tel que je n'en avais jamais vu.
Le lit, surmonté d'un baldaquin tendu de velours de soie rouge sombre était immense. J' aurais pu y dormir à l'aise par le travers. Une couverture de peaux de loups y était jetée comme dessus de lit.
Un grand miroir en pied, posé sur un socle de bronze occupait un angle de la pièce, près de la cheminée, où ronflait un feu de bûches énormes qui diffusaient dans la pièce une chaleur presque étouffante, mais qui me faisait l'effet d'un baume sur ses membres rompus de fatigue.
Mais, ce qui me ravit par dessus tout, luxe parmi les luxes de cette belle chambre, c'était une grande baignoire de cuivre qui trônait devant la cheminée, pleine d'une eau fumante à la surface de laquelle une main attentionnée avait jeté quelques poignées de pétales odorants...



Je me retournai pour remercier Suzel, mais celle-ci avait discrètement refermé la porte derrière moi et était sans doute déjà redescendue dans sa cuisine.

Abasourdie mais reconnaissante, je m'étais avancée vers la cheminée pour me chauffer. J' avais la sensation que le froid de la forêt ne pourrait jamais me quitter et je m'approchai des flammes aussi prêt que je pouvais le supporter sans me brûler.
Je surpris mon reflet dans la psyché et y découvrit la silhouette d'un damoiseau svelte et élancé, avec peut-être une croupe et des hanches un tantinet trop rondes et des épaules un peu trop étroites pour faire illusion très longtemps, mais qui étaient du plus bel effet dans ces vêtements d'homme ajustés.
Je déposai ma cape et mon chapeau sur le lit et à nouveau mes cheveux emmêlés tombèrent en une masse sombre dans son dos. Je m'approchai du miroir et remarquai mon visage souillé de poussière, mes vêtements froissés, mes cheveux sales et n'eus plus soudain qu'une seule envie, plonger dans cette eau brûlante et me débarrasser de la crasse qui me couvrait.
Face au miroir, je me débarrassai de mon pourpoint, de mes hautes bottes et des mes braies. Le blanchet eut tôt fait de rejoindre le reste des vêtements sur le sol et je me retrouvai en chemise. Retenue par un réflexe de pudeur, je la gardai sur moi et j'entrai dans l'eau avec précaution. L'eau était si chaude que je pouvais à peine le supporter mais toutes les fibres de mon corps réclamaient cette chaleur et je m'y laissai finalement glisser entièrement.
Je me laissai couler et me sentit soudain apaisée et détendue. La tête sous l'eau, j'entendais les bruits assourdis qui montaient de la salle de l'auberge en bas. Les chants, les rires, les braillements avinés de la troupe ne m'effrayaient plus. Je fermai les yeux et restai ainsi , les cheveux flottants autour de sa tête, aussi longtemps que je pus retenir ma respiration.
J' émergeai finalement, reprenant mon souffle dans une grande inspiration. Pour un peu, j' aurais crié comme le nouveau né tout juste sorti du ventre de sa mère.
Enfin détendue, je me laissai aller un moment contre le paroi de cuivre, que l'attentionnée Suzel avait pris soin de tapisser d'un grand drap blanc, pour que le métal chaud ne brûle pas la peau délicate de la baigneuse.
Saisissant sur un tabouret à côté de la baignoire un pain de savon, j'entrepris tout d'abord de me laver les cheveux... Le vieux curé avait raison, il faudrait que je me résolve à les couper, peut-être pas à l'écuelle, mais au moins à leur donner un aspect moins évidemment féminin... Je ne pouvais garder constamment le chapeau vissé sur la tête.
Je me rinçai les cheveux en plongeant encore une fois sous l'eau qui tiédissait.
Frissonnant malgré la chaleur de la pièce, je me mis debout dans la baignoire, pour me laver... La chemise mouillée collait à mes courbes voluptueuses. Je ne pus m'empêcher d'épier mon reflet.
Malgré la maternité et mes bientôt vingt-quatre étés, j'étais restée telle que mon époux m'avait connue pour notre nuit de noces huit ans plus tôt. Le tissu rendu transparent par l'eau révélait plus qu'il cachait mes seins fermes et pleins dont les pointes sombres apparaissaient à travers la fine baptiste de la chemise.
Je me mirais sans vanité. Je me regardais comme j' aurais regardé une de ces statues profanes qui ornaient les temples païens de la Grèce et dont mon précepteur, me couvant d'un œil torve, m'avait parfois parlé.

Machinalement, comme dans un rêve, je saisis l'ourlet de la chemise et la fit passer par dessus mes épaules. Je fus soudain aussi nue et désirable que Vénus sortant de l'onde, une Aphrodite dont les cheveux de jais trempés faisaient couler dans son dos un filet d'eau qui allait se perdre dans le sillon séparant ses fesses hautes et insolentes, perchées tout en haut de ses jambes aux cuisses pleines et au mollets fuselés.

Je me penchai pour attraper une grosse éponge posée sur le tabouret à coté de la baignoire. Je la trempai dans l'eau et fis mousser le savon avant de m'en frotter doucement tout le corps.
La fragrance subtile de la rose et de la violette me montaient à la tête. Les yeux fermés, je revoyais en pensée des épisodes heureux de ma vie passée. Je pouvais presque sentir sur ma peau la caresse rude des paumes calleuses de mon époux.
L'éponge et mes doigts glissaient doucement sur mon corps, je me sentais en proie à un vertige, une mélancolie étrange, un besoin de tendresse, de caresses. Mes paumes effleuraient mon sein quand je sentis à nouveau cette grosseur ... je sursautai. Elle était toujours là.
Cet animal étrange comme embusqué dans son être...
Un instant béni j'avais failli l'oublier.

Revenant sur terre, je me saisis de la serviette posée elle aussi sur le tabouret et sortit de l'eau. De petites perles d'eau scintillaient dans ma douce toison et lui faisait comme une parure. Mais le charme était rompu.

Je m'enveloppai dans la serviette de lin rendu doux par l'usage et m'approchai du miroir. Les yeux dans le reflet de mes yeux, je m'observais avec gravité, l'angoisse figeait mes traits en un masque douloureux:


Mon Dieu, vais-je mourir?

Je m'avançai vers le lit et je m'agenouillai pour prier.

Seigneur, donnez-moi la force... Et protégez mon fils.

Épuisée, je m'allongeai sur le lit et me couvrit de la peau de loup qui servait de couverture. Je ne tardai pas à m'endormir.

Les flammes diminuaient et la pénombre s'installait dans la chambre.
Sans doute quelques heures s'étaient-elles écoulées - car le vacarme dans la salle en bas s'était tu- mais j'avais la sensation de n'avoir dormi que quelques minutes, quand je fus tirée de ma torpeur par un remue ménage dans le couloir.
La porte s'ouvrit à la volée - je me maudis d'avoir oublié de pousser le verrou - et la silhouette grotesque se découpa à contre jour dans l'embrasure. Le sergent!!!


Ha ha messire Wilfried! cria-t-il d'un ton triomphant. Je savais bien que je vous trouverai! Rien ne sert de vous cacher!

Il éclata d'un rire mauvais et s'avança dans la chambre plongée dans la pénombre.

J'étais piégée.


Xm jeta la plume avec dégoût sur la table, éclaboussant la feuille .

Ah, pendard, tu as bien mérité ce qui t'es arrivé!

Le souvenir de ce moment était encore si vivace dans l'esprit de Xm qu'elle était incapable de rester assise. Le cœur battant la chamade, elle prit son bouclier et son épée et sortit en coup de vent, laissant tout en plan sur la table. La porte claqua derrière elle.
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Xmanfe1999
Depuis le jour où, au souvenir de l'irruption de l'ignoble sergent du guet dans sa chambre, elle avait rageusement jeté sa plume sur la table, éclaboussant d'encre le dernier feuillet qu'elle avait rempli, Xm n'avait plus rien écrit.
Le dégoût l'avait saisie à tel point à ce souvenir, qu'une nausée l'avait tourmentée pendant plusieurs jours. Puis quatre jours de garde s'étaient succédés et depuis, depuis cette nuit sur les remparts, elle n'avait pu chasser une autre pensée, certes agréable, mais qui l'avait empêchée de trouver le calme intérieur nécessaire à son travail d'introspection.

Aujourd'hui elle n'allait guère mieux et cette nouvelle préoccupation s'ajoutaient à celles qui pesaient sur elle, mais ce soir, coûte que coûte, elle écrirait, ne serait-ce que pour oublier un moment le visage sombre et noble qui la hantait.

Elle s'assit et prit une nouvelle plume d'oie qu'elle tailla soigneusement de sa dague. Sa nervosité se ressentait jusque dans la manière d'utiliser sa lame, et elle, dont la main ne tremblait que rarement, s'entailla profondément le pouce gauche. Aussitôt, une grosse goutte de sang y perla.

Fascinée, Xm enserra son pouce dans son poing. Une mince rigole coulait doucement entre ses doigts serrés. Elle leva le poing devant ses yeux, insensible à la douleur, comme hypnotisée par l'écarlate brillant dont la pâleur de sa peau accentuait l'éclat...


Des images longtemps refoulées ressurgirent dans la mémoire de la jeune femme. Une large tache s'élargissant, presque noire sur un tapis rouge dans une chambre d'auberge...
Ailleurs: des combats, des blessures, des cris, des suppliques, des meurtres...
Un homme agenouillé dans un long vêtement blanc, une courte lame entre ses mains serrées. Une tête qui roule à terre...


Les yeux fermés, le visage crispé, les dents serrées, Xm secoua violemment la tête pour chasser ces visions, qui d'habitude ne la hantaient que la nuit. Elle eut un frisson.
Se reprenant, elle inspira plusieurs fois doucement par le nez et expira par la bouche, tâchant de retrouver le contrôle des battements affolés de son cœur.
Une seule manière de se débarrasser pour toujours de ces cauchemars: tout raconter.


Les mains encore tremblantes elle alla se verser une bonne rasade d'eau de vie qu'elle avala d'un trait et en profita pour nettoyer sa blessure et la panser. Elle grimaça quand l'alcool coula sur la plaie, mais la brûlure en était légère au regard de la souffrance et de la culpabilité de son âme tourmentée.


Allons, il faut que j'accepte la responsabilité de tout ce sang... Même si cela doit un jour retomber sur ma tête.

Son pouce proprement bandé elle s'installa, et commença à écrire.

Oui, Ogier, se dit elle, tu dois tout savoir de moi. Même ça...

Nue sous la couverture de peau de loup, je n'osais bouger.
Le moindre mouvement et ce soudard connaitrait ma véritable nature et comprendrait que j'étais véritablement sans défense contre lui.
Sa force de reître aduré aux armes et son désir brutal lui donneraient sans nul doute l'avantage sur moi.

Je me maudis intérieurement de m'être ainsi endormie sans avoir pris la précaution de me rhabiller, de manière à être prête à une fuite précipitée, ou au moins d'avoir tiré le verrou. Ce bain chaud m'avait sans doute ramolli l'esprit!

J'étais glacée de peur maintenant mais lentement, la haine me gagnait, devant la trogne avinée du rustaud qui s'avançait pesamment dans la pénombre de la chambre en bafouillant des obscénités.


Ah mon petit damoiseau, minaudait-il d'un ton geignard et ridicule, je vais te faire voir comment je traite les petits puceaux de ton espèce... Tu ne vas plus t'asseoir avant un moment je te le garantis! Je vais te...

Xm suspendit sa phrase, se rappelant soudain qu'elle écrivait à un garçon de quatorze ans à peine. Inutile d'aller aussi loin dans la véracité. Ses chastes oreilles pourraient s'en offusquer. Elle reprit son récit plus calmement.


Révulsée, je cherchais à toute vitesse dans ma tête une manière d' échapper à ce bourbier dans lequel je m'étais moi-même enfoncée...
Ma besace trainait à terre près de la baignoire et ma dague -idiote que j'étais! - était posée sur son rabat. Je l'avais posée là avant de prendre mon bain de manière à pouvoir me défendre si d'aventure quelqu'un entrait alors que j'étais dans l'eau... J'aurais pu me gifler!
Un large rectangle de lumière tombait depuis la porte sur cette partie de la pièce et faisait luire l'arme par intermittence tandis que l'ombre de l'homme titubant, projetée vers l'intérieur de la chambre par les lanternes du couloir, couvrait puis découvrait alternativement la lame.


J'essayais de ne pas regarder dans la direction de la dague, ne sachant si l'immonde soudard pouvait ou non voir mon visage et s'il risquait de surprendre mes intentions.
Il n'y avait qu'à peine deux mètres entre le lit et la baignoire, mais l'homme quant à lui raccourcissait dans ses efforts d'ivrogne la distance qui le séparait du lit et de moi.
Il n'était plus qu'à quelques pas quand les divagations de son ombre découvrirent la lanterne placée juste devant ma porte.
La lame étincela, mon visage fut lui aussi soudain révélé dans la lumière. Il vit la lame, il vit mon regard, ses yeux firent un aller retour rapide entre mes yeux, la lame, mes yeux, la lame...
Lui aussi soudain semblait penser à toute vitesse. Dans une seconde il serait sur moi...


Je décidai en un éclair d'audace de tenter le tout pour le tout.

Galvanisée par la peur, la haine et le dégoût, je rejetai brutalement la couverture de coté et jaillis entièrement nue au milieu de la pièce.
L'effet de surprise fut total et me donna sans doute la fraction de seconde dont j'avais besoin pour me saisir de la dague et lui faire face.
Le temps qu'il réalise qu'il avait en face de lui, non pas un jeune puceau effarouché dont il se délectait à l'avance de dévaster la virginité, mais une femme prête à en découdre pour défendre sa vertu et sa vie, il était trop tard.
Sa confusion, et tout le vin qu'il avait englouti pendant des heures, lui furent à ce moment, fatals.
Balbutiant et hoquetant il continuait d'avancer...


Une... fa... une...f.. femme???

Ricanant: Ben...p... pourquoi... p...pas.. ap...après...t... tout?

Il s'avança d'un pas encore et c'est alors que la Providence, qui avait déjà tant fait pour moi, eut sans doute encore un geste salvateur en ma faveur: le rustre se prit les pieds dans le tapis et trébucha dans ma direction.
Il tomba lourdement, m'entraînant dans sa chute et s'empalant profondément sur le poignard tendu devant moi.
Je sentis en même temps la lame s'enfoncer dans son flanc, alors que mon dos et ma tête heurtaient violemment le sol.
Il eut un râle sourd. Ma lame avait du percer un poumon, et une bave sanglante moussait déjà sur ses lèvres.

J'étais prisonnière, écrasée sous ce rustique, muet mais encore remuant qui, dans un réflexe de défense, essayait désespérément de saisir mon cou entre ses deux mains noires de crasse, pour m'empêcher de bouger.

Sa tête hideuse au dessus de moi, la bouche entrouverte, il bavait de rage et de frustration et je détournai la tête, pour éviter que le filet de salive mêlée de sang ne dégouline sur ma joue.
Le visage crispé de peur et de dégoût, je compris que je n'avais pas le choix: lâchant ses poignets, je cessai d'essayer de l'empêcher de m'étrangler et pesant de toutes mes forces qui déclinaient rapidement, j'enfonçai plus avant la lame qui le transperçait.

Il eut un soubresaut, il se raidit puis il retomba encore plus lourdement sur moi, et je sentis le souffle fétide de son dernier soupir sur ma tempe.
C'était fini. Il était mort.


L'espace d'un instant, un soulagement immense m'envahit. Malgré le poids énorme qui m'écrasait, je respirais.

Puis, l'horreur de ce que je venais de commettre me frappa de plein fouet. J'avais tué.
J'avais débarrassé ce monde d'un être répugnant certes, qui avait semé pendant les trop longues années de sa misérable existence, douleur et mort, mais j'avais tué.
J'étais une meurtrière.
Le Père Éternel qui nous voit tous et qui nous juge, m'avait laissé prendre la vie d'un homme.

Qui plus est , j'avais assassiné un représentant de la loi.

Mon effroi fut total et je crus un moment que mon cerveau allait exploser.
Jamais je ne pourrais me sortir d'un pétrin pareil.
C'en était fait de moi.
J'étais clouée au sol par ce sac d'immondices qui saignait sur moi comme un porc égorgé et on allait me trouver comme ça au matin.
J'allais, dans le meilleur des cas finir au bout d'une corde.
Mon identité serait révélée.

Mon ignominie rejaillirait sur ma famille.
Mon époux, mon fils -mon fils!-, mes parents seraient déshonorés...
C'était la fin.

C'est alors que Suzel entra dans la chambre.


Xm, qui avait fiévreusement rempli plusieurs pages de parchemin, ne respirant qu'à peine pendant tout le temps que sa confession écrite avait duré, reprit péniblement son souffle et regarda ses mains qui ne tremblaient plus.
Une fleur de sang s'épanouissait à travers le linge blanc dont elle avait entouré son pouce blessé.
Elle regarda par la fenêtre l'aube qui blanchissait et entendit sonner les matines à l'église aristotélicienne.

Elle se sentait en paix avec sa conscience, pour la première fois depuis des années.


C'est un bon début... soupira-t-elle.
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En rentrant chez elle ce soir-là, Xm était dans un état de nerfs indescriptible. Décidément, rien n'allait: elle venait de se quereller assez violemment avec un quasi inconnu pour des broutilles!
Elle se demandait comment elle avait pu se laisser entraîner à une discussion sur la religion avec un évèque! Comme si elle ne savait pas depuis longtemps que parler raison avec des hommes de foi ne menait jamais à rien... Un peu plus et elle aurait tiré sa dague!


Xm faisait les cent pas devant la cheminée.
Et dire que tout cela avait commencé par des compliments à cet homme d'église, qu'elle avait trouvé bien plus accort que son triste substitut à la cathédrale!
Rhhaa!!! rugit-elle. Rien que d'y penser, la rage la reprenait.

Passant devant son miroir, elle saisit son reflet et resta interdite.
Qui était cette étrangère, aux yeux flamboyants, aux cheveux fous et aux joues rouges de colère?
Xm ne se reconnaissait pas et elle eut honte tout à coup de l'esclandre qu'elle avait provoqué en taverne. Elle avait gaché la soirée de ses amis et elle s'en voulait à présent.


Elle saisit un cruchon d'eau de vie d'une main, attrapa un gobelet de l'autre, tira un tabouret du bout du pied et s'assit devant le feu.
Elle se versa une généreuse rasade et les yeux perdus dans les flammes dansantes, elle commença à boire.
La brulûre de l'alcool dans sa gorge et jusque dans son estomac lui fit du bien.


Comment ai-je pu être aussi stupide? se dit-elle. Pourquoi ne puis-je trouver la paix?

Agacée, elle jeta le fond d'alcool dans les flammes, qui éclairèrent d'un coup la pièce, comme si un éclair venait d'y surgir.
Xm sursauta.


Quelle idiote, quelle idiote, quelle idiote... marmonnait-elle. Manquerait plus que je fiche le feu...

Posant le gobelet à ses pieds, les coudes appuyés sur les genoux elle enfouit son visage dans ses mains.

Tout va de travers... maugréait-elle.

D'abord Na Kai, qui revient alors que j'avais fini d'espérer le revoir un jour, et qui disparait à nouveau.

Xm eut un mouvement de douloureuse exaspération et repoussa d'un coup de pied une bûche dans l'âtre, faisant voler une gerbe d'étincelles.

Et puis cette guerre qui menace sans vouloir éclater vraiment,

Xm se leva brusquement et recommença à aller et venir dans la pièce.

ces ostiens qui rechignent à rejoindre mon groupe.
Attendre les nouvelles, attendre les ordres...Attendre, attendre, attendre!!!


Elle marqua un arrêt devant la fenêtre et fixa longuement la place baignée de lune. Elle se tut. Figée. Attentive.

Attendre Mélian... songea-t-elle, presque plaintivement. Le visage de Xm s'adoucit soudain, mais bien que ses sourcils ne soient plus froncés par la colère, son regard était empreint d'une profonde mélancolie, ses lèvres étaient serrées dans une moue dubitative.

Mélian... Allait-il comprendre? Allait-il l'absoudre? Allait-il l'accepter?

Ils se connaissaient si peu, après tout. Ils avaient beau se sentir irrésistiblement attirés l'un par l'autre, leur vie à chacun était un mystère pour l'autre.
Xm devinait qu'un grand malheur avait sans doute un jour frappé Mélian. Que cette douleur, qu'elle avait lue au fond de ses yeux lors de leur nuit de garde, même si elle avait un instant disparu quand il l'avait embrassée le matin même sur les remparts, que cette douleur serait peut-être un jour un obstacle entre eux.


Xm recommença à tourner comme un lion en cage.

Et sa douleur, à elle? Réussirait-il à la lui faire oublier?
Il ne savait rien d'elle, tout au moins elle le croyait. Il ignorait qu'elle était mariée, qu'elle avait un fils, très loin, qu'elle avait eu une vie que d'aucun aurait qualifiée de dissolue, mais surtout il ignorait quel chemin sanglant l'avait amenée jusqu'à Genève.

Elle osait à peine imaginer sa réaction s'il lisait les pages qu'elle avait si péniblement rédigées. Elle fut un instant tentée de les jeter au feu et commença à les rassembler. Elle se reprit à temps. S'il devait l'aimer, il fallait qu'il les lise.
Et comme aurait dit le sultan: Inch' Allah!


Xm alla se rasseoir près du feu, reprit le gobelet et le cruchon et se versa une nouvelle rasade d'alcool.

Faible, stupide, mauvaise... A chaque gorgée elle trouvait un nouvel adjectif.
Décidément, ce soir rien n'allait.
Mieux valait encore aller ce coucher que de s'enivrer et de se réveiller le lendemain avec les mêmes problèmes, assortis d'une cruelle gueule de bois.
Aller se coucher, même dans ce lit froid et vide, seule, désespérément seule.


Xm envoya rageusement valser ses bottes à l'autre bout de la pièce et monta pieds nus jusqu'à sa chambre. Elle se jeta toute habillée sur le lit et s'enroula dans la couverture en peau de loup.

Voilà toute la chaleur et toute la douceur à laquelle j'aurai droit ce soir.

Elle se tourna contre le mur et ferma les yeux. Le sommeil, miséricordieux, ne tarda pas à venir la prendre.
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Au matin, Xm se réveilla la bouche pâteuse et les tempes battantes. La lumière automnale envahissait déjà la chambre. Elle était courbatue et glacée d'avoir dormi toute habillée et les pieds nus sur son lit.

Toute habillée???
Sur le lit?


Quelque chose clochait. Instantanément, une vague de panique s'empara de Xm. D'un sursaut, elle fut assise dans le lit.
Dans l'angle de la pièce, vers l'escalier, ses bottes semblaient la narguer, sagement alignées l'une contre l'autre.
Xm secoua la tête, les yeux fermés, ce qui eut pour effet d'envoyer des éclairs de douleur derrière ses globes oculaires.
Elle grinça des dents.


Hnnnggg, Gianni, ta grappa de contrebande, c'est vraiment du poison...

Xm rouvrit les yeux, elle ne rêvait pas. Ses bottes étaient bien là.
Ses vêtements aussi étaient soigneusement pliés sur le coffre au pied de son lit. Incrédule Xm souleva la couverture. Elle ne portait que ses vêtements de dessous...

Rouge de honte, elle retomba en arrière sur les oreillers. Elle se couvrit la tête de la couverture.

Oh mon dieu, oh mon dieu...
Il est venu...


Elle aurait pu se gifler. Son amour était venu et il l'avait trouvée ivre morte sur son lit. Jamais elle ne s'en remettrait...
Xm gémissait de douleur et de frustration. Son crâne enserrait trop étroitement son cerveau et elle devait serrer les dents pour supporter les éclairs de feu qui lui vrillaient les pupilles dès qu'elle tournait la tête vers la lumière.


Punie, voilà, elle avait ce qu'elle méritait!

Misérable, Xm réussit, après de longues minutes de tergiversations, à se remettre en position assise, puis à retrouver assez de volonté pour se vêtir et se lever.
La pièce tanguait encore sous ses pieds et une nausée la saisit.
Elle ferma les yeux jusqu'à ce que le tangage se calme et une fois la vague passée, les rouvrit. Une grande respiration.


Bon, une tisane et j'y verrai plus clair.
Elle descendit précautionneusement jusqu'à la salle commune et constata avec surprise que le feu brûlait déjà dans la cheminée et qu'une marmite d'eau commençait à frémir au coin de l'âtre.

Xm gémit mentalement. Seigneur! Dire qu'il a préparé tout ça pour moi...
Sa honte et son malaise s'accrurent.

Soulevant le couvercle d'un pot de queue de cerises sauvages, Xm en jeta une grosse poignée dans la bouilloire qu'elle remplit ensuite d'eau très chaude.

Voilà qui aura au moins le mérite de me faire éliminer cette maudite grappa...

Quand la tisane fut prête, Xm s'en versa un grand bol, qu'elle sucra d'un rayon de miel. La boisson chaude et réconfortante lui fit du bien. Elle s'assit sur l'angle de la pierre d'âtre, le bol posé en équilibre sur ses genoux, pour finir sa tisane au chaud.
Son regard errait dans la pièce, cherchant d'autres indices du passage de son bien aimé.
Soudain une pensée terrible la traversa:
Le journal!

Elle se leva d'un bond, envoyant rouler son bol vide sous la table.

Les feuillets étaient soigneusement empilés sur la table, dans l'ordre où elles les avaient laissés quelques jours plus tôt, le plus récent sur le dessus.
Il n'y avait pas touché. Le message était clair: il lirait quand elle lui demanderait de le faire...
Xm se sentit soudain émue aux larmes de cette marque de respect et de confiance.


Oh mon amour, je ne te mérite pas...

Rassurée sur les dispositions de son très cher amour à son égard, la tête plus légère et l'estomac assagi, Xm ramassa son bol qui par bonheur avait résisté à sa cascade, elle se versa une seconde tasse de tisane et s'installa à table prête à reprendre son travail.

Si Mélian devait connaître son histoire, il fallait à tout prix qu'elle la termine.
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Meliandulys
La veille au soir.

Leur rencontre inopinée en taverne, suivie de quelques heures à errer au bord du lac avait fini de le décider.

Quand tu seras prêt lui avait elle dit sur les remparts. Depuis, ses mots le hantaient, mais il la rejoindrait ce soir, il lui en avait fait la promesse un peu plus tôt.
Prêt ou pas, le désir qui le rongeait de plus en plus à chaque instant devenait insoutenable.


Ses bottes battant le pavé avec assurance, il se faufilait discrètement le long des ruelles de la ville. Pourtant si quelqu'un avait pu voir son regard à ce moment, il y aurait surement lu une certaine appréhension.
Il continua le long des berges du lac, s'arrêtant pour admirer la lune blonde se reflétant dans les eaux sombres. Profitant un instant du calme ambiant. Le visage de Genève la nuit, il commençait à le connaitre et à en apprécier les bienfaits, depuis le temps qu'il y errait en quête de quiétude tel un oiseau de nuit volant sans bruit.


Son courage regonflé par cet instant, Mélian se remit en route, le but de cette promenade nocturne, le 54 du quai de la Concorde n'étant maintenant plus très loin.
Arrivé devant le pas de sa porte, il leva les yeux sur l'écriteau " A l'Asphodèle Blanc". Il esquissa un léger sourire, il avait déjà compris depuis leur première rencontre que ce n'était pas une femme ordinaire, elle lui révélerait sans doute nombre de surprises.


La porte s'ouvrit, il laissa quelques instants son regard vagabonder avant de lui même franchir le seuil. Retirant délicatement la clef de son étoffe, il referma derrière lui. Les flammes dansantes dans l'âtre, projetaient des ombres dans la pièce, la douce chaleur ambiante l'enveloppait. Il déambula dans la pièce, se laissant imprégner de l'atmosphère des lieux. Ne pouvant empêcher ses yeux curieux de courir ça et là, jusqu'à marquer un arrêt sur un tas de parchemins. Jugeant que son regard était bien trop envahissant, Mélian se dirigea vers l'escalier. Xm dormait sans doute, vu l'heure tardive de sa visite.

Elle était bien là, couchée sans même prendre le temps d'ôter ses atours. Mélian entrepris de l'effeuiller délicatement, ne pouvant empêcher son regard de dévorer, ses doigts d'effleurer celle qu'il désirait si ardemment. Que penserait elle de lui, si elle venait à se réveiller à cet instant.
Il se pencha vers elle, sa main venant lui caresser la joue, et murmura au creux de son oreille.

Je suis là ma belle. Mit hjerte er allerede din.
Il prononça ces mots dans un souffle, ne voulant troubler son repos, juste un besoin de les lui dire.
Les lèvres du caporal vinrent tendrement à la rencontre de celles de sa belle dormeuse.

Il plia soigneusement les vêtements qu'il déposa au pied du lit, et s'installa sur une chaise posé dans un coin de la chambre. Il resta là longuement à contempler sa belle dans les bras de Morphée, bercé par le rythme apaisant de sa respiration. L'appréhension l'avait quitté, laissant place au bonheur d'être aux côtés de celle qui avait ravi son cœur. Il finit par sombrer à son tour.

Lorsqu'il se réveilla finalement, le jour était en train de poindre, sa belle toujours endormie ne s'était sans doute pas rendu compte de sa présence. Il étira ses membres engourdis, se leva et redescendu.

Elle ne tarderait pas à se réveiller.
Il jeta quelques planches dans le feu mourant, sans doute des restes de la Cathédrale, pensait il. La chaleur ne tarderait pas à envahir la pièce. Il y déposa une marmite remplie d'eau, et sorti, besoin de prendre l'air. Il alla s'installer juste en face de chez elle, sur les bord du lac, ne voulant être pris à nouveau pour un fuyard, attendant patiemment que sa douce Xm quitte ses songes.

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« Florebo quocumque ferar »
Genevois, Républicain, Réformé
Xmanfe1999
Encore secouée par la découverte de la discrète visite nocturne de son amoureux, Xm reprit la plume et continua son récit.

Au moment où Suzel entra dans la chambre, j'étais en proie aux affres de la culpabilité et je commençais à étouffer sous le poids de l'immonde sergent, qui devait bien peser 200 livres... J'osais à peine imaginer ce qu'avaient du endurer les filles follieuses et les puceaux qu'il avait réussi à soumettre à son répugnant appétit. A moins qu'il ne se soit, avec les unes comme les autres, livré à la bougrerie, auquel cas la pesanteur de son corps était le cadet de leurs soucis.
Une nausée me saisit et je détournai la tête pour cracher un filet de bile âcre qui me brûla la gorge.


Suzel se précipita à ma rescousse. Agenouillée à côté du corps elle s'écria

Oh min schatzele! Vous allez bien? Vous n'êtes pas blessée?

Le sergent saignait sur moi et Suzel craignait qu'il n'ait réussi à m'atteindre avant que je ne l'aie pourfendu.

Blessée, non, je vais bien... mais aidez-moi Suzel je vous prie, je ne peux pas bouger tellement cet animal est lourd.

Suzel se releva, et saisissant le cadavre par l'épaule et le bras elle le fit basculer sur le côté. Un instant elle contempla le visage convulsé du mort
puis avec une indifférence teintée de mépris, elle jeta un drap sur sa dépouille.


Gott sei dank, il n'a pas réussi à te faire du mal, ma belle. Je me doutais bien en le voyant monter en catimini qu'il avait une idée répugnante derrière sa tête malfaisante.


J'étais, malgré l'effet de la peur qui me faisait trembler rétrospectivement, parvenue à me mettre sur mon séant et je regardais avec horreur mes mains et mon torse souillés du sang de ce goret. Je respirais convulsivement et les sanglots qui se pressaient dans ma gorge menaçaient d'éclater.
Suzel se saisit d'un serviette propre qui restait à côté de la baignoire et la trempa dans l'eau encore tiède avant de l'essorer et de m'en nettoyer le corps et les mains.


Elle me prit dans ses bras et m'entoura chaudement de son réconfort, avant de m'envelopper d'une couverture.

Chut, chut, mikele, allons, calme-toi. Il ne te fera plus de mal, c'est fini.

Je me laissai aller contre sa vaste épaule et sanglotai. Elle me laissa m'épancher un instant, puis me parla avec fermeté.

Écoute ma belle, il va falloir agir avec intelligence et célérité. Ni toi ni moi ne pouvons nous permettre d'avoir des ennuis avec les exempts. Heureusement, ce gros porc de sergent est venu seul ce soir, je l'ai vu entrer par la même porte que toi tout à l'heure, donc les clients de l'auberge ne l'ont pas vu et ses camarades, pour peu qu'il en ait eu, ne s'inquiéteront pas de son absence avant un moment. Cela nous laisse le temps d'agir.
D'abord tu vas te rhabiller.


Suzel m'aida à me lever. Je fis un grand cercle pour éviter de passer trop près du cadavre pour prendre mes vêtements sur le tabouret près de la baignoire.
Je tremblais comme une feuille et je n'arrivais pas à décider par quel vêtement commencer.Voyant mon désarroi, Suzel me tendit mon blanchet, ma chemise, mes bas de chausses, mes braies, mon pourpoint et je m'habillai mécaniquement en jetant de temps à autre un regard oblique à la forme étendue sous le drap, comme s'il allait soudain se dresser pour exercer sur nous une précoce vengeance.
J'étais incapable d'aligner deux pensées cohérentes, encore moins deux mots.


Suzel me fit asseoir pour me passer et me lacer mes bottes.

Je vais te cacher jusqu'à demain soir dans la cave, le temps de prévenir mon cousin qu'il a un nouveau marmiton avec lui pour le voyage à Rome. Je te couperai les cheveux demain matin en t'apportant à manger pour la journée.

Je répondais à peine par monosyllabes.

Ne t'inquiète pas je te laisserai de quoi te réchauffer et t'éclairer. Il y a derrière le plus grand des tonneaux un petit coin douillet qui a déjà servi à quelques charmants visiteurs quand mon Heinrich était encore de ce monde. C'est qu'il était un peu jaloux mon mari...

Suzel sourit. Si j'étais pétrifiée d'horreur après ce que j'avais fait, elle semblait n'en éprouver aucun trouble comme s'il ne s'agissait que d'une malencontreuse péripétie.

Le plus difficile va être de se débarrasser discrètement du corps.
Tiens, tu vas m'aider à l'enrouler dans le tapis. Attends, n'oublie pas de récupérer ça, ça pourra encore t'être utile. Et il ne faudrait pas que ça puisse servir à identifier l'assassin de ce vaurien.


Suzel pensait à tout. Elle extrait prestement la dague de la blessure qui produit une horrible bruit de succion. Je réprimai avec peine un haut le cœur.

Cela serait dommage de finir pendue pour avoir débarrassé la terre d'un aussi triste sire.
Jeses Maria, si c'est pas malheureux de devoir envelopper un cochon pareil dans un aussi beau tapis. Enfin... heureusement qu'il est rouge, la tache ne devrait pas trop se voir, je vais le nettoyer avec de la neige...


Le sang froid de Suzel était incroyable. Le corps rapidement enroulé dans le tapis, elle le chargea sur son épaule, comme s'il ne pesait pas plus qu'un enfant endormi. Elle se retourna vers moi, qui la regardait bouche bée, sans bouger.

Eh! tu crois que j'ai quelqu'un pour m'aider quand le boucher vient me livrer? Un gros cochon ou un autre, je t'assure, il n'y a pas de différence, pas au poids en tout cas!
Tu as toutes tes affaires? N'oublie pas la couverture! Passe devant et regarde si la voie est libre. Tu vas aller m'attendre à la cave pendant que je case ce charmant monsieur dans une panière à l'écurie en attendant d'aller le perdre dans la forêt quand j'irais chercher du bois...
Les sergents du guet me connaissent, je les régale assez souvent gratis pour être tranquille, ils ne m'arrêteront pas, je peux te le garantir. Et puis avec le froid cela peut attendre quelques jours!


Pour un peu, si cela n'avait pas risqué de réveiller les clients de l'auberge, elle aurait éclaté de rire. Xm se dit qu'il valait sans doute mieux faire partie des amis que des ennemis de l'inébranlable cuisinière.

Arrivée en bas de l'escalier, Suzel m'indiqua la porte en face de la cuisine. Le silence et l'obscurité régnait dans la salle de l'auberge derrière nous. Une lanterne sourde était posée sur la table de la cuisine.


Tiens, prends la lanterne, me chuchota-telle, et descend tout droit. Tu verras tout au fond derrière la plus grand tonneau, comme je t'ai dit. Je reviens tout de suite.

Et Suzel sortit dans la nuit son sinistre fardeau sur l'épaule. J'étais en sécurité, mais jusqu'à quand?


Xm déposa sa plume et s'étira. Si son sommeil avait été profond, il n'avait guère été réparateur. Elle se demandait quelle heure il était et si elle pouvait décemment se permettre une petite sieste. Elle alla à la fenêtre pour jeter un coup d'œil à l'horloge du fronton de la mairie. Écartant le rideau elle remarqua la silhouette d'un homme, calmement assis sur un tronc renversé au bord du lac, le pied relevé posé sur une des branches cassées, le coude appuyé sur le genou... Mélian.

Elle se précipita dehors et parcourut en courant la courte distance qui la séparait de lui. Il se retourna à son approche et son visage grave s'éclaira d'un sourire incrédule. Elle se jeta dans ses bras et fermant les yeux, lui dit dans un souffle, blottie contre lui:


Je t'attendais. Viens...

Ils regagnèrent, enlacés, la maison de Xm et fermèrent la porte à clef derrière eux.
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Xmanfe1999
Derrière la porte soigneusement verrouillée les lèvres des deux amants s'étaient enfin jointes. Un baiser empreint d'une ferveur presque religieuse les avait unis pendant de longues minutes. Xm sentait battre son cœur si fort dans sa poitrine qu'elle en étouffait presque. Ses mains tremblantes effleuraient le visage de Mélian, ses doigts hésitants s'enfonçaient dans son épaisse chevelure. Tout son être vibrait du désir d'appartenir à cet homme qui l'enlaçait avec exigence.
Lentement, à regret, Xm mit fin au baiser. Ses yeux noirs plongèrent dans le les yeux gris de Mélian, qui l'interrogeait du regard.
Le visage grave, Xm brisa leur étreinte et alla lentement vers la table où elle ramassa la liasse de parchemins qu'elle avait remplis. Elle revint vers Mélian qui ne l'avait pas quittée des yeux et lui tendit les feuillets.


Mon aimé, je veux être tienne. Rien n'est plus important à mes yeux, murmura-t-elle. Mais je te demande tout d'abord une faveur. Je te prie de lire ceci. J'y raconte mon histoire. Je tiens à ce que tu saches tout de moi. De cette manière, si tu veux toujours de moi après l'avoir lu, je saurai que tu m'acceptes telle que je suis et non seulement telle que tu crois que je suis...

Un imperceptible sourire aux lèvres, Xm recula doucement.

Je vais te laisser lire en paix. Prends tout ton temps. Je serai dans ma chambre...

Xm se retourna et monta l'escalier. Dans sa chambre, elle s'assit sur le bord du lit, face au miroir. Elle s'apprêtait à passer l'après midi la plus longue de sa vie.

Dans la salle, en dessous, elle entendit Mélian déplacer un siège et s'installer près de la fenêtre pour pouvoir lire plus à son aise à la lumière du jour.
Le souffle presque suspendu, l'oreille aux aguets, attentive au moindre murmure, à la moindre exclamation que son bien aimé pourrait émettre à la lecture de sa confession, Xm l'entendait poser les pages une à une avec lenteur sur la table, à mesure qu'il avançait dans sa lecture.
Le jour faiblissait peu à peu et Xm entendit Mélian remuer dans la cuisine, cherchant une chandelle à allumer aux braises du feu qu'il avait allumé le matin même. Il finit par trouver et Xm, penchée sur le palier aperçut la lueur dorée qui se répandait dans la pièce.
Toujours le silence, entrecoupé à intervalles réguliers du bruit des pages que Mélian reposait sur la table.

Il ne pouvait plus y en avoir tant que ça? Il devait bientôt arriver à la fin?

Xm se tordait les mains et tournait en rond dans la chambre.
Cette attente la rendait folle. Qu'est ce qui lui avait pris de lui donner à lire son journal avant de le faire monter dans sa chambre?
Si elle avait cédé à son désir plutôt qu'à sa raison et à son sens de l'honneur, ils seraient maintenant dans ce lit qui semblait à présent la narguer, comme un territoire interdit au milieu de la chambre.
Ils se seraient déjà aimés et s'aimeraient encore, jusqu'à ce que l'épuisement les ait gagnés. Jusqu'à ce qu'il s'endorme, heureux et ignorant du passé tumultueux et des crimes de sa maîtresse.

Mais Xm savait que dans ses conditions elle ne trouverait pas le bonheur dans ses bras. Que même l'accomplissement de son désir et la plénitude de son plaisir seraient entravés par la culpabilité qui l'habitait. Il fallait qu'il sache et qu'il accepte.

Apaisée par le renouvellement de cette certitude, Xm retourna s'asseoir sur le lit. Au bout d'un long moment de silence dans le noir presque total, elle s'allongea et regarda devant elle, à travers la fenêtre qui se découpait nettement sur le mur obscur de la chambre, les ombres fuyantes des nuages éclairés par la lune renaissante.

Xm avait le sentiment que Mélian avait fini de lire. Retenant son souffle, elle se demandait si le prochain bruit qu'elle entendrait serait celui du pas de Mélian dans l'escalier, ou de la porte d'entrée qui se refermerait.
Elle ferma les yeux et pria avec ferveur s'efforçant de calmer les battements effrénés de son cœur.


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Vive comme l'éclair
Insaisissable comme la lumière
Dure comme le fer
Et en amour comme à la guerre...
Xmanfe1999
A force de prier dans la pénombre, qui les heures s'égrenant, s'était peu à peu transformée en obscurité profonde, Xm s'était endormie.

Son sommeil, comme souvent, était peuplé de cauchemars, de voix suppliantes et de visages baignés de larmes. Elle n'avait en général au réveil que peu de souvenirs de ces scènes fantasmagoriques, et elle en remerciait le Bouddha qui depuis sa félicité éternelle veillait sur ceux qui suivaient sa voie. Sa culpabilité était assez grande pour l'empêcher de vivre sereinement, nul besoin d'y ajouter le rappel précis et constant de ses méfaits passés.

Recroquevillée sur son lit dans l'atmosphère froide de la chambre dont le feu s'était éteint dans l'âtre, Xm sentit plus qu'elle ne l'entendit, un pas discret dans la chambre. Puis, le poids d'un corps qui s'allongeait derrière elle.
Refusant encore de se réveiller complètement, elle flottait dans cette zone accueillante entre veille et sommeil, où le monde réel n'a pas sa place, où toutes les illusions confortables jouent pleinement leur rôle consolateur.
A demi consciente de ce qui l'entourait, Xm se sentit enlacée doucement , presque avec précaution et la chaleur du corps allongé derrière elle se transmettre à tout son être. Un main caressa sa tempe, un baiser frôla son oreille. Un souffle tiède mumura, à peine audible

Dors ma belle, oublie tout... je n'ai rien à te pardonner... rien de ce que tu as fait ou fera ne détruira le lien qui nous unit... Dors...

La voix caressante finit de réveiller Xm qui se retourna sur le lit faisant face à Mélian... Il était là! Il avait lu son journal et il était resté auprès d'elle!
Un flot de reconnaissance inonda le coeur de Xm qui se mit à battre à tout rompre... Mélian...
Dans l'obscurité presque complète de la chambre, même son visage, pourtant si proche puisqu'elle sentait son souffle sur ses lèvres, était totalemment invisible.

Xm avait la sensasion étrange qu'ils avaient trouvé, au milieu du néant, un ilot de calme et de paix qui les protégerait tant qu'ils resteraient parfaitement immobiles et silencieux. Xm essaya désespérément de prolonger ce moment comme suspendu au coeur de la nuit.
Elle retenait son souffle mais ne pouvait ralentir les battements précipités de son coeur. Elle eut un soupir qui alarma Mélian. Il ressera son étreinte.
Xm chercha dans le noir les lèvres de son bien aimé. Foin du calme et de la sérénité! Elle avait assez attendu.
Les mains tremblantes, Xm caressait du bout des doigts le visage de son compagnon, comme si , au lieu d'être simplement allongée dans le noir au milieu de la nuit dans sa chambre, elle avait perdu la vue et voulait fixer à jamais dans sa mémoire les traits de celui qu'elle avait attendu depuis toujours.

Ses mains hésitantes effleuraient les cheveux, le cou et les épaules de Mélian, son torse ample et solide. Chaque caresse, chaque contact, matérialisaient dans son esprit la forme corporelle et comme l'essence même de l'homme allongé avec elle sur son lit. Xm n'avait jamais fait l'expérience d'un moment d'intimité si parfaite, son exaltation était semblable à quelque extase mystique... Elle repensa au tantra dont les moines bouddhistes au Japon lui avaient parlé avec un certain dédain. Qu'il y avait -il là à dédaigner? Xm se sentait envahie d'une chaleur pure, comme le coeur transparent de la flamme dans son écrin de lumière blanche.

Soudain, Mélian saisit la main qui l'explorait et la porta à ses lèvres...

Attends ma belle... laisse moi aller chercher de la lumière... il hésita un court instant, ne sachant comment Xm allait accueillir sa requête pour notre première fois...je veux te voir.

Xm ne protesta pas. Mélian se releva, souple comme un chat, descendit chercher une chandelle et l'espace de quelques battements de coeur, il était de retour dans la chambre, protégeant la flamme de sa main, le visage comme illuminé de l'intérieur par la lumière douce de la bougie. Un sourire grave incurvait ses lèvres minces et un éclat intense habitait ses yeux.
Xm s'était dépouillée de ses vêtements et le regardait calmement, sans provocation ni fausse pudeur. Sa peau blanche et satinée prenait un éclat doré dans la lumière flatteuse de la chandelle.
Mélian posa le chandelier sur le tabouret, il se débarassa rapidement lui aussi de ses frusques et la rejoignit dans le lit.

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La nuit avait été une des plus inoubliables que Xm ait jamais vécues.

Au fil des heures, qui s'étaient écoulées, étourdissantes, fièvreuses, éblouissantes, les amants avaient, comme tous les amants du monde, réinventé tous les mots, tous les gestes, toutes les caresses, et les avaient répétés à l'infini, à l'épuisement.
Dans les bras de son âme soeur, Xm s'était sentie redevenir tendre et douce, comme elle n'avait pu se permettre de l'être depuis bien des années. A un moment elle avait même pleuré contre son épaule, comme soulagée de pouvoir enfin se laisser aller.
Le matin les avait trouvés endormis, harassés, étroitement enlacés, chaudement lovés l'un contre l'autre.
Un peu plus tard, Mélian avait tressailli dans son sommeil et l'espace d'un instant, une expression douloureuse et amère avait fugacement traversé son visage. Puis ses paupières avaient cillé et il s'était réveillé, contemplant un instant sa bien aimée qui rêvait, un sourire indéfinissable sur sa bouche encore gonflée d'avoir été embrassée avec tant de passion.
Ses paupières à la peau fine et transparentes, presque bleutées par la noirceur des pupilles dont elles masquaient l'éclat insolent, ses cheveux emmêlés qui étaient dans ce matin magique sa seule parure, tout lui criait de rester avec elle, de la prendre contre lui et de la garder pour toujours.
Cependant, Mélian se leva, le coeur lourd.
Il ramassa ses vêtements épars et s'habilla en silence, ne quittant pas un seul instant des yeux celle qu'il aimait et qui respirait paisiblement sur son lit.
Un chagrin déchirant lui tordait les nerfs et le coeur. Il s'assit un instant et d'une main tremblante effleura les cheveux, la tempe, la joue de la belle endormie.
Elle sourit et les yeux toujours fermés, elle saisit prestement la main de Mélian qu'elle porta à ses lèvres, déposant un baiser sur chacun de ses doigts.


Tu es là... ronronna-t-elle.

S'étirant comme une chatte et dévoilant par la même tous ses charmes à son amoureux , Xm ouvrit les yeux... et surprit l'expression désespérée de Mélian. Son sourire s'effaça aussitôt.

Que se passe-t-il mon amour? interrogea-t-elle, inquiète, les sourcils froncés.
Elle réalisa soudain qu'il était vêtu de pied en cap et qu'il avait ceint son épée, qui cognait contre le bois du lit.

Xm s'assit et posa la main sur le visage détourné de Mélian, qu'elle força à la regarder. Ses yeux étaient pleins de larmes. Xm en fut bouleversé au point qu'elle se sentait elle même sur le point d'éclater en sanglots. Elle se jeta dans les bras de son bien aimé et l'étreignit avec force. Rendu muet par l'émotion il la serrait convulsivement contre lui, ne laissant échapper qu'un gémissement étranglé.


Oh Xm, je te demande pardon...

Xm redoublait de caresses et de consolation. Son corps nu se pressait contre les rudes vêtements de Mélian. L'aiguillon de son baudrier égratignait la chait tendre de sa poitrine. Mais Xm n'en avait cure.

Pardon? Mais de quoi? Tu m'as donné ce qu'aucun homme avant toi ne m'avait jamais accordé. Tu m'as redonné... la paix.

Mélian saisit Xm par les épaules. Avec douceur et fermeté, il la fit se rasseoir sur le lit. Il ramassa sur le sol sa chemise qu'il lui tendit. Xm se rendit compte à ce moment qu'elle frissonnait. Elle ne sentait pourtant pas le froid, mais elle tremblait bel et bien... Etait- ce de peur?

Tu ne comprends pas mon aimée... J'ai eu tort.

Mélian détournait à nouveau les yeux. Il regardait par la fenêtre et semblait scruter l'horizon, comme s'il s'attendait à y voir apparaître quelque obscure menace.

Tort? répéta Xm abasourdie. Tort?
L'incompréhension se mêlait déjà de chagrin. Le visage pâle et défait, Xm attendait le coup qu'elle sentait venir.

Aussi endurcie et habituée aux épreuves qu'elle fût, elle se sentait vulnérable et sans défense contre ce qui allait suivre. Elle savait que les paroles qui viendraient seraient définitives et irrévocables. Elle s'efforça de toute sa volonté de repousser l'échéance. Fermant les yeux, les mains pressées sur les oreillles elle refusait de les entendre.
Mélian, saisissant ses poignets avec tendresse, écarta ses mains de sa tête et déposa un baiser sur son front.


Pardon, mon amour, pardon. Je n'aurais jamais dû monter dans ta chambre, j'aurais dû partir hier soir et te laisser croire que tu me dégoûtais, que le récit de ton passé m'avait détourné de toi... J'aurais dû t'abandonner et te laisser le droit à la colère. Tu aurais moins souffert, tu m'en aurais voulu et ta douleur aurait été moins cruelle... J'ai été égoïste, pardon...

Xm regardait Mélian sans comprendre, mais rien ne semblait pouvoir arrêter le flot maintenant qu'il avait été libéré.

Je n'ai pensé qu'à moi, mon aimée. A ce besoin, à cette faim que tu as a fait naître en moi. J'ai voulu que tu sois mienne au moins cette nuit, pour enfermer ce souvenir à jamais dans mon coeur. Tu m'a fait renaître et voilà que je te poignarde... Me pardonneras-tu?

Xm fixait Mélian, les yeux vides. Ses paupières cillaient mécaniquement. Elle avait le sentiment que la foudre l'avait frappée. Elle parvint à articuler, la gorge atrocement serrée:Tu...pars?

Mélian soupira. C'est bien pire mon aimée. Je dois rester. Mais pour ta sécurité, nous devons cesser de nous voir...

Est-ce que cela a à voir... avec ces hommes... qui te cherchent?
La voix de Xm se brisait.

Elle se laissa aller sur le lit, anéantie, des sanglots étouffants se pressant dans sa poitrine, l'avant bras masquant le haut de son visage. Elle se mordait les lèvres pour ne pas hurler. Elle gémissait.
Bouleversé, Mélian s'allongea près d'elle et la prit dans ces bras. Elle sanglota longtemps, nue et frissonnante contre lui. Il la berça comme un enfant et quand finalement elle se calma, il l'embrassa tendrement sur la tempe et lui murmura:
Je suis désolé...

Xm ne répondit pas et se couvrit la tête du drap. Elle aurait voulu mourir en cet instant, ou au moins s'endormir et ne plus jamais se réveiller. Elle recommença à pleurer doucement en silence.
Mélian, observait impuissant la douleur ravager sa bien aimée, dont le corps adorable tremblait sous le drap qui la couvrait comme une gisante.
La mort dans l'âme il quitta la chambre, descendit l'escalier quatre à quatre.
Xm entendit la porte claquer et le bruit de ses bottes s'éloigner dans la rue.
Recroquevillée dans son lit, elle mordit l'oreiller pour étouffer ses cris.

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Le soleil s'était à peine montré ce jour là, caché par un voile de nuages persistant. La maigre lumière grise avait eu pitié de Xm qui s'était rendormie à bout de larmes, à bout de forces.
Elle s'était réveillée et rendormie plusieurs fois et à chacun de ces réveils la réalité du chagrin qui la saisissait devenait plus aiguë. Dans l'obscurité grandissante de la fin de l'après midi, elle s'était finalement assise bord de son lit.
Elle était restée assise longtemps, les bras le long du corps, s'agrippant au rebord du lit pour résister à la tentation d'y retomber et de s'y engloutir à nouveau dans les larmes. Mais tout au fond d'elle même, Xm sentait battre, malgré son chagrin, l'irrépressible rage de vivre qui l'avait portée jusqu'aux confins de l'Orient sur les traces des mires qui avaient finalement permis sa guérison.
La blessure était fraîche encore et profonde au delà de ce qu'elle pensait jamais pouvoir endurer et Xm, peut-être encore inconsciemment, savait qu'elle allait devoir entamer un nouveau périple, cette fois sur les chemins de son coeur et de son âme, pour avoir une chance de la voir cicatriser.

Elle tendit machinalement la main vers sa chemise et l'enfila, ainsi que ses bas, ses braies et finalement ses bottes. Elle se leva et alla prendre sur la petite commode de bois blanc sa brosse. Elle s'assit sur son tabouret et commença à se brosser les cheveux le regard perdu dans l'argent terni de son miroir, plongeant dans les ombres de la chambre qui s'y reflétaient, comme dans les eaux glacées du lac.
Quand elle posa sa brosse, de longues minutes plus tard, ses cheveux émettaient des craquements électriques et luisaient d'un éclat soyeux. Elle versa de l'eau froide dans sa cuvette et baigna longuement ses paupières rougies et son visage gonflé. Respirant à peine, elle descendit lentement l'escalier la main caressant la rampe de bois poli par d'innombrables mains, dont la sienne, Mélian, qui avait descendu cet escalier quelques heures, un éternité auparavant.

Arrivée devant sa cheminée où les braises avaient fini par mourir, Xm s'agenouilla pour y reconstruire un feu. Elle eut un instant l'envie de plonger ses mains dans les cendres froides et d'en verser de pleines poignées sur sa tête, ainsi que le faisaient parait-il les pleureuses en Egypte, en signe de deuil. Mais non, elle ne serait pas cette femme là, cette demi folle que tout le monde considérerait avec une sympathie condescendante, ou pire une compassion sincère. Tout son être rejetait violemment la pitié. Elle continuerait à marcher, la tête haute, à sourire et même à rire. Et peut-être, peut-être...

Xm prit son briquet sur le linteau de la cheminée et le battit avec dextérité. Une flamme vive s'éleva haute et claire. Xm s'assit sur le sol, les bras enserrant ses genoux. Elle contemplait la danse brûlante et sensuelle des flammes autour du bois, sarabande mortelle qui ne laissait derrière elle que cendres.

Xm passa la nuit devant l'âtre, jetant de temps à autre une nouvelle bûche dans les flammes pour les faire danser plus haut, plus fort, plus longtemps.
Mélian... il avait été son feu et elle s'était consumée pour lui. Et maintenant elle n'avait plus rien.

Au matin, Xm se leva, engourdie et s'assit à sa table. Les feuillets que Mélian avait lu y était soigneusement empilés, comme si personne n'y avait touché, comme s'il ne s'était rien passé.
Les mains tremblantes, elle saisit la première page, celle qui avait été à la fois la plus facile et la plus difficile à écrire. Un mot, un nom y apparaissait et s'imprimait avec force dans son esprit
: Ogier... mon fils... je dois continuer. Pour toi.
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Bien que convaincue de la nécessité de poursuivre son entreprise, Xm avait mis plusieurs jours à retrouver suffisamment de courage pour s'y atteler à nouveau.
Elle avait trouvé un dérivatif efficace dans les quelques jours de garde qu'elle avait passés avec ses fidèles soldats.
Puis la réorganisation de son échoppe lui avait procuré une distraction salutaire. Elle avait retrouvé, en confectionnant les différents éléments du décor oriental de sa nouvelle officine, les souvenirs et les rêveries lointaines qui avaient peu à peu adouci sa peine.
L'apprentissage du renoncement était l'un des piliers de la philosophie qu'elle avait embrassée en Asie, et avec le temps, elle y parvenait de mieux en mieux, ce qui ne laissait pas de l'inquiéter un peu parfois. Cependant, elle savait au plus profond de son coeur qu'il y avait une chose à laquelle elle ne renoncerait jamais: retrouver son fils, se faire reconnaître et se faire, si possible, aimer à nouveau de lui.

C'est avec cette conviction que Xm s'assit à nouveau à sa table et saisit sa plume.
Elle avait un peu perdu le fil et dut relire toute la dernière partie de son récit. Un moment, l'émotion la saisit quand elle se remémora la veille du départ de Mélian, quand elle lui avait tendu, tremblante, ces feuillets qui résumaient sa vie. Mais elle chassa bien vite cette pensée, sans même que les larmes parviennent à forcer le barrage de ses paupières étroitement fermées. Elle progressait.

Les yeux toujours clos, elle respira lentement pour retrouver sa concentration. Elle se revoyait nettement, recroquevillée derrière un tonneau dans la cave de l'auberge où elle venait d'occire le sergent du guet qui avait voulu abuser d'elle.Une longue respiration plus tard, elle avait recommencé à écrire.


Au matin, Suzel était venue me retrouver dans la cave. J'avais du finir par m'assoupir car je sursautai violemment en sentant sa large main sur mon épaule.
La dague, que j'avais posée en travers de mes genoux pour me défendre ou au pire pour éviter d'être capturée vivante au cas où mon crime serait découvert avant que j'aie pu prendre la fuite, se retrouva comme par magie dans mon poing serré, menaçant la gorge de ma bienfaitrice, penchée sur moi
.


Holà! ma jolie, calme-toi, ce n'est que moi, ne vas pas m'étriper avec ton cure dent! Je ne suis pas encore assez grasse pour être mangée!
Les trois mentons de Suzel et sa monumentale poitrine tressautaient sous les vagues de rire qu'elle s'efforçait de rendre les plus discrètes possible.
J'étais sidérée.
Même dans les situations les plus dramatiques, Suzel restait imperturbable et semblait tout prendre avec sérénité et légèreté.


Suzel, protestai-je, comment pouvez-vous plaisanter? J'ai tué un homme que diable! Je suis une fugitive désormais! Que va-t-il m'arriver?

Eh bien, rien de plus qu'à moi, si tu gardes ton calme et que tu te débrouilles bien.


Suzel retrouva instantanément son sérieux.

Ach, miesele, si tu savais. J'ai eu bien des malheurs dans ma vie.
Telle que tu me vois, j'ai eu quatre enfants, avec un homme qui me brutalisait - mon premier mari - et qui les battait eux aussi, les pauvres mouflets.


Je la regardais, les yeux ronds. Comment une femme comme elle avait-elle pu être victime d'un bourreau domestique?

J'ai enduré pendant des années, m'interposant entre eux et lui à chaque fois que je le pouvais. Il m'a laissée bien souvent sur le carreau et je ne me plaignais jamais, du moment que mes petits étaient sains et saufs et qu'ils avaient à manger à leur faim. Jusqu'au jour où il a bien failli tuer la plus jeune, de ce que lui aurait appelé une pichenette, parce qu'elle avait renversé son assiette de soupe en la lui portant.
Ce jour-là, j'ai vu rouge. Quelque chose s'est déclenché en moi et j'ai saisi le premier objet qui m'est tombé sous la main. Comme j'étais penchée sur la marmite dans l'âtre, en train de finir de servir la soupe, ça a été un gros tisonnier de fer. Je me suis avancé vers lui. Il ramassait la petite qui était tombée à terre et il levait à nouveau la main, le visage convulsé par la colère, prêt à lui asséner un nouveau coup.
Crac!
Le tisonnier s'est abattu comme de lui même entre ses deux oreilles.
Il s'est effondré sur le sol. La colère avait déserté son visage. Il ne restait dans ses yeux qu'un étonnement sans limite. Moi, sa chose, j'avais osé me rebeller contre lui. Il n'a pas eu le temps d'aller bien plus loin dans l'étonnement. Le temps de toucher le sol, il était mort...


Je regardais Suzel, stupéfaite.

Eh oui, ma belle, tu n'es pas la seule a avoir eu des malheurs.
Elle me tapota la joue affectueusement.
Ni à avoir du sang sur les mains. Et je vais te dire une bonne chose: quand j'ai estourbi mon saligaud de mari, je ne me suis pas sentie coupable le moins du monde. Je me suis juste dis que j'avais mis mes petits à l'abri pour de bon, et que j'avais débarrassé la terre d'un nuisible. Et c'est ce que tu devrais te dire aussi.

Je me détendis illico.

Mais bon, assez bavardé, on a du travail. Je dois te tranformer en marmiton crédible pour rejoindre le service de l'évèque.

Suzel, sorti de la poche de son tablier une énorme paire de ciseaux. Je les regardai, craintive, connaissant l'usage qu'elle allait en faire.

Oh, Suzel... suppliai-je.

Allons, allons, pas de manières mon joli damoiseau, plaisanta-t-elle, ces longs cheveux vous donnent par trop l'air d'une fille. Tournez-vous!

Elle me fit pivoter de manière à lui tourner le dos et m'enveloppa les épaules d'une large serviette blanche.

Eh! J'espère que tu n'as pas l'intention de me raser, femme!Je tiens à ma peau, surtout celle de mon cou!
J'avais retrouvé un peu de ma sérénité et l'envie de rire avec Suzel

Cette fois, Suzel rit franchement.
Qu'allez-vous imaginer là, damoiseau, un "milich fratzel" comme vous n'a pas besoin de se raser! Mais qu'un seul de ces beaux cheveux noirs vous reste sur le pourpoint, si vous tombez sur une jalouse, beau comme vous êtes, elle serait bien capable de vous dénoncer aux exempts pour je ne sais quel crime imaginaire, pour pas que vous tombiez dans les bras d'une autre!!!

Et pour tomber, mes longues mèches tombaient les unes après les autres. A mesure que Suzel coupait, je ramassais quelques boucles et les regardais avec nostalgie. Je soupirais, attristée, pleurant presque la perte de ce que je considérais comme l'un de mes principaux attraits.

Quand elle eut fini, Suzel me fit tourner face à elle.
Elle me tendit un petit miroir, qu'elle extrait de ses vastes poches.
J'y dévisageai avec surprise un jeune homme d'une vingtaine d'années, aux yeux noirs, un peu tristes et fatigués, au teint clair et aux lèvres un peu trop pleines.
Suzel avait coupé mes cheveux bien au dessus des oreilles et les avait taillés au même niveau sur le devant, en une frange qui me dégageait la moitié du front. Elle n'avait pu me raser la nuque, comme l'aurait été celle d'un homme, surtout plus agé, mais elle les avait coupés suffisamment courts pour que cela puisse passer pour une nouvelle mode, ou pour la coquetterie d'un garçon un peu trop conscient de sa belle apparence.

Je souris au damoiseau dans la glace, puis à Suzel.


Merci, tu as fait du beau travail.

Attends, me répondit-elle; il va falloir rendre ce gentil damoiseau un peu plus viril, sinon tu n'as pas fini de te faire pincer les fesses par tous le bougres du Saint'Empire.

Suzel me tendit un morceau de charbon de bois.
Epaissis un peu tes sourcils... Je lui obéïs en en crayonnant aussi bien que possible les arcs délicats . Et noircis-toi aussi un peu les joues, pendant que tu y es...

Je frottai le morceau de charbon entre mes mains que je passais sur mes joues, qui y gagnèrent la semblance d'une ombre de barbe.
Suzel me saisit par le menton pour me regarder bien en face.

Ah, voilà qui est parfait, s'exclama-t-elle, satisfaite du résultat de ses efforts.
Si je ne t'avais pas vue toute nue dans ta chambre là haut, je dirais que tu es bien le plus jolidamoiseau que j'ai vu à Strasbourg depuis bien des années, et je t'emmènerais bien tout de suite dans la grange, pour m'aider à trouver l'aiguille que j'ai perdue dans le foin!!!

Suzel gloussait et je ne pus m'empêcher de rire avec elle.

Oh ajouta-t-elle, il va aussi falloir que tu fasses attention avec cette voix, ma jolie. Heureusement que sa seigneurie n'a pas beaucoup l'habitude d'avoir des choeurs de contrebasses autour de lui.

Xm ne put s'empêcher de rire de l'irrespect de Suzel envers le clergé.

Mais méfie-toi quand même. Il va falloir que tu sois très prudente...

Suzel ramassa un vaste sac qu'elle avait posé à ses pieds.
Tiens, j'ai récupéré ta besace, et j'ai ajouté ceci.
Le sac contenait une quantité de vivres suffisante pour compléter une ration ordinaire pour plusieurs semaines.

Tu seras nourrie, en principe, mais tu sais bien que les domestiques ne mangent que quand les maitres ont terminé, et les ecclésiastiques sont bien gourmands...

Encore une fois, ce trait d'humeur m'étonna, même s'il m'amusa car il était dit sans méchanceté, et je commençai à me demander si Suzel n'était pas une adepte de cette nouvelle religion dont on entendait parler jusque dans les campagnes.

Elle me serra dans ses bras, coupant court à mes réflexions.


Allez, il faut partir maintenant. Va droit jusqu'à la Cathédrale, l'équipage de Monseigneur ne devrait pas tarder à partir. J'ai vu mon cousin - Rupert Ohlmann - cette nuit, il t'attend. Présente toi à lui sous le nom de Nicklaus Kocher. Ne me demande pas pourquoi ce nom, ça m'est venu comme ça. Je ne lui ai pas donné de détails et surtout, pour lui, comme pour tous les autres, tu es un garçon! J'ai pensé qu'il valait mieux qu'il en soit ainsi. De cette manière, tu risques moins de baisser ta garde.

Je rendis à Suzel son étreinte chaleureuse.
Décidément tu penses à tout ma bonne Suzel. Merci, merci infiniment. Je ramassai sac et besace. Je mis ma cape et mon chapeau et me dirigeai vers l'escalier.

Je me retournai, m'attendant à ce que Suzel me suive.
Elle était toujours au fond de la cave, ramassant les cheveux coupés sur le sol.


Qu'est ce que tu attends, me lança-t-elle? Dépêche-toi ou ils vont partir sans toi! Ta mule t'attend dans la cour. Je ne t'accompagne pas, tu connais le chemin.Elle ajouta après s'être raclé la gorge.
Et je n'ai jamais aimé les adieux. Allez, file!

Avec un dernier signe de la main je grimpai l'escalier quatre à quatre pour me retrouver à l'air libre. Ma mule m'attendait. Je sautai en selle et la talonnai, direction: la Cathédrale. Cette fois-ci, je ne pouvais plus reculer. La prochaine étape serait l'Italie.

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Le soleil réchauffait déjà les rues de la ville de ses rayons blafards quand je rejoins le parvis de la cathédrale.
Tout d'abord persuadée que la ville entière devait être à ma recherche, je m'étais faufilée, rasant les murs, me dissimulant entre ma mule et les étals du marché qui commençait à s'installer.
Mais très vite je compris que mon attitude furtive attirait l'attention. Je m'étais dès lors efforcée de me redresser et d'avancer, avec autant d'assurance que ma fatigue et ma peur me le permettaient jusqu'à la porte de l'évéché.
Je frappai comme l'avant veille, levant à peine le heurtoir. Je priais intérieurement que personne ne vienne ouvrir, je craignais que le vieux serviteur qui m'avait chassée alors, me prenant pour un orfèvre Juif, ne réapparaisse et ne me reconnaisse.
Je frappai encore: personne.
A ce moment, une porte cochère s'ouvrit dans la muraille, une dizaine de toises plus loin. Un roulement de roues de charette qui entrait dans la rue étroite attira mon attention. Tiré par deux mules et chargé jusqu'en haut des ridelles de paniers et des sacs de victuailles, ainsi que de fagots de petit bois et d'ustensiles de cuisine, un énorme chariot sortait de la cour de l'évéché, conduit par un colosse à la figure avenante, mais pour le moment rouge de colère, semblait-il .
Ses bras énormes tiraient les rênes en tous sens pour tenter de maîtriser les mules rétives.
Alors que l'attelage arrivait à ma hauteur, je reconnus sans l'ombre d'un doute sur le visage rubicond du conducteur, les traits de ma bienfaitrice Suzel. Il ne pouvait s'agir que de son cousin.
L'homme s'emmêlait dans ses guides, les secouant violemment comme il l'aurait fait d'un noeud de serpents venimeux, comme s'il avait pu réduire les bêtes à l'obéissance en pliant ces innocentes lanières de cuir à sa volonté.
Le spectacle était si comique que je ne pus retenir un gloussement.
Le conducteur de l'attelage me jeta au passage un regard furibond. Je me repris immédiatement. Après tout cet homme allait être mon patron pendant plusieurs semaines. Je courus après l'attelage, tirant ma mule docile par la bride.


Messire, messire!!! criai-je.
Remontant à grand peine la distance qui me séparait du chariot, je réussis tout de même à parvenir à la hauteur du siège du cocher.


Messire, pour l'amour de Dieu, êtes vous messire Rupert, le cousin de Suzel?
A l'appel de son nom, le cocher tira brusquement les rênes. Les mules, la bouche endolorie, bronchèrent avant de s'arrêter d'aussi mauvaise grâce qu'elles avaient démarré quelques instants plus tôt.

Quel nom avez -vous dit damoiseau? répondit-il un brin soupçonneux.
Suzel... euh... Suzel, répétai-je une octave plus bas.

Je venais de me rendre compte que ma voix avait attiré l'attention du cuisinier. Il était apparemment aussi futé et perspicace que son accorte cousine. Encore un détail qu'il me faudrait surveiller.


Ne me dites pas que vous êtes Niklaus? Niklaus Kocher???
Les mules rongeaient leur frein, secouant la tête avec obstination.La peste soit de ces carnes du diable!
Le ton de sa voix m'indiquait que la résistance de ses mules n'était pas seule à l'origine de son ire.
Euh, si messire, Niklaus Kocher, c'est bien moi, pour vous servir...

Rupert souleva un sourcil, me scrutant avec sévérité.
Eh bien si vous vouliez me servir, mon garçon, il aurait fallu commencer par être à l'heure. Ma douce cousine m'avait dit que vous vous présenteriez à l'aube, il est presque neuf heures!

Je jugeai plus prudent de ne pas répliquer et fixai obstinément la pointe de mes bottes. Les mots de "douce cousine" appliqués à Suzel me rendaient cependant la tâche difficile.

Enfin! reprit-il excédé. De toutes manières son Eminence a encore eu des exigences extravagantes avant son départ. Monseigneur voulait manger de l'anguille ce matin... Rupert leva les yeux au ciel.
De l'anguille au petit déjeuner... beurk.
Dire qu'il a fallu que je dépiaute une se ces saletés avant d'avoir moi même avalé ma soupe. Répugnant!


Malgré tous mes efforts, je ne pus m'empêcher de laisser échapper un rire étouffé.
Gott im Himmel! grogna Rupert. Cela vous fait rire?

Je me mordis les lèvres pour mettre fin à mon hilarité. Le spectacle imaginaire de Rupert se débattant contre une anguille récalcitrante, comme un instant plus tôt avec les rênes emmêlées de ses mules, était par trop réjouissant.

Je vous prie humblement de m'excuser messire, marmonnai-je, tâchant d'avoir l'air aussi repentante que possible. Je n'ai pas voulu vous offenser.

Pas voulu m'offenser, pas voulu m'offenser! Si tu ne veux pas m'offenser commence donc par attacher ta mule à ce chariot et grimpe sur le siège à côté de moi. Dummel ti e bisele, junger!*


Je m'éxécutai aussi vite que je le pus. Une fois perchée à coté de l'irascible cuisinier, celui-ci m'examina avec soin.

Hum... grogna-t-il, tu m'as l'air bien jeune. Quel âge as-tu?

J'ignorais ce que Suzel lui avait dit. J'avais 23 ans à l'époque et je jugeais que je pouvais passer pour un jeune homme de dix-huit, avec la coupe de cheveux que Suzel m'avait faite et qui me donnait l'air bien plus jeune.
Je répondis, forçant ma voix vers les graves.

Dix huit ans, messire...

Dix huit ans? Il va donc falloir que tu travailles comme un homme fait. Ma cousine m'avait dit que tu en avais 15... J'aurais juré qu'elle avait raison, à entendre ta voix tout à l'heure, on aurait dit un garçonnet en train de muer!

Il me scruta d'encore plus près.
Mais je vois que tu as déjà un peu de poil au menton!

Il rit de sa bonne plaisanterie. Sa colère était retombée comme un soufflé.

Je jurai intérieurement, de soulagement. Apparemment mon mensonge prenait. Il allait falloir que je m'y tienne.


En tout cas, sache que je veux que tu sois toujours propre, les cheveux courts et les joues bien rasées. Monseigneur nous ferait tous fouetter s'il trouvait un cheveu ou un poil dans sa soupe!

J'acquiescai en silence.

Allons, assez perdu de temps! Il fallait vraiment que j'aie besoin d'un marmiton pour t'attendre jusqu'à cette heure. Il va falloir mettre les bouchées doubles pour être à Sélestat avant la nuit!

Je le regardai, éberluée.


Eh bien, me crois-tu incapable de mener ces satanées mules à fond de train?

Mon regard dut être éloquent, car, même si je m'abstins prudemment de tout commentaire, il me tendit les rênes.

Eh bien vas-y toi, si tu penses pouvoir faire mieux. J'ai vu que ta mule te suivait sans broncher tout à l'heure. Peut-être réussiras-tu à faire entendre raison aux miennes?

Comment s'appellent-elles?
demandai-je.

Je te demande pardon? sursauta Rupert.

Oui, comment s'appellent vos mules, ajoutai-je calmement.

Julie et Frieda, mon garçon, mais je ne vois pas quelle différence cela fait que tu le saches.

Vous allez voir,
répondis-je. Je saisis les rênes. Je donnai une légère secousse aux guides pour attirer l'attention des mules. Leurs oreilles se tournèrent vers l'arrière, attentives.

Holà, Julie, holà Frieda! En avant! Je claquai la langue pour les encourager. Elle se mirent en marche docilement, ma propre mule attachée à l'arrière du chariot, se mit elle aussi en marche placidement.

Rupert croisa les bras, une moue de satisfaction sur sa bouche lippue.


Eh bien! On dirait que j'ai bien fait de t'attendre, finalement. Je ne sais pas ce que tu vaux comme gâte-sauce, mais comme cocher, excuse-moi, tu te défends!

Je me rengorgeai sous le compliment, les joues rouges d'avoir passé la première épreuve.

Allons, mets-nous ces beautés au trot. Les mules étaient passées en un éclair du statut de carnes du diable à celui de beautés.
Monseigneur déteste attendre son dîner. Il faut que tout soit prêt à son arrivée.

Je pris le fouet posé derrière moi sur le siège et le fis claquer au dessus des oreilles des mules. Celles-ci réagirent immédiatement en allongeant le pas puis en passant au trot. Nous passâmes sans encombre les portes de la cité. Suzel avait raison. Pas de meilleure protection que celle de faire partie de l'équipage d'un grand personnage.

Les faubourgs de la ville défilaient rapidement de chaque côté du chariot. Bientôt nous fûmes en rase campagne. L'air vif du matin me fouettait les joues. Le soleil avait même réussi à percer les nuages. Pour la première fois depuis des jours, je me sentais libre et en sécurité. Au sud de Strasbourg j'avançais en territoire inconnu. L'aventure ne faisait que commencer.

La voix bourrue de Rupert me ramena à la réalité.


Je vois que tu te débrouille bien, mon garçon. Je vais passer à l'arrière pour faire un petit somme en attendant midi.
Ce disant il enjambait la banquette pour passer à l'arrière du chariot. Réveille-moi quand nous arriverons à la hauteur de Matzenheim...

Je m'empressai d'acquiéser, désireuse de donner pleine satisfaction à un aussi imposant personnage.

Bien messire, je vous réveillerai à Matzenheim.
Un nouveau sujet d'inquiétude venait de surgir dans mon esprit. J'ignorais totalement où se trouvait Matzenheim. Je me retournai pour demander à Rupert où se trouvait ce village mais il était déjà endormi, confortablement couché sur des sacs de grain, enveloppé dans son vaste manteau, ou du moins je le croyais.

Quelques minutes plus tard je l'entendis derrière moi.


Au fait, Niklaus, si tu ne veux pas m'offenser, arrête de m'appeler messire. Pour toi je suis "chef".
Il se tortilla un instant sur les sacs de grain et quelques secondes plus tard, il ronflait bruyamment.

Je souris. Si j'avais pu croire un instant que mon époux tenait une place de choix dans la hiérachie des ronfleurs, il m'apparaissait maintenant qu'il n'était qu'un amateur en la matière. J'éclatai de rire. La vie n'était pas si triste après tout. Je claquai à nouveau de la langue et les mules se mirent au petit galop.


*HRP: pour les non-alsaciens: dépêche toi un petit peu, gamin!
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