Afficher le menu
Information and comments (0)
<<   <   1, 2, 3   >>

[RP] A toi mon fils, où que tu sois,... Journal intime de Xm

Xmanfe1999
Après une bonne quinzaine d'inactivité, Xm s'était enfin décidée à poursuivre son récit.
Tant d'événements s'étaient succédés qu'à y repenser, pour un peu, elle aurait été prise de vertige.
Elle avait fait des rencontres, fondé de faux espoirs, puis trouvé, presque sous son nez, ce qu'elle attendait depuis toujours.
Ce nouvel amour, dont le nom plein de majesté l'emplissait de fierté quand elle le prononçait pour elle même, ou en taverne devant ses plus proches amis, se pouvait-il qu'il existe vraiment?
L'espoir recommençait à ouvrir son coeur, et, de la jeune femme meurtrie et pleine de rancoeur qu'elle avait craint de devenir pendant quelques temps, elle redevenait l'insouciante et joyeuse compagne, pour cette homme plein de douce gravité et de considération ardente.

Elle ne considérait plus désormais l'écriture de son journal comme une confession douloureuse de ses fautes, nécessaire à l'acceptation de sa culpabilité, mais comme un agréable mémoire, dont les lecteurs un jour, son fils, peut-être, apprécierait toute la saveur, tantôt douce, tantôt brûlante, tantôt amère, tantôt imprégnée du sel de toutes les larmes qu'elle avait abondamment versées, avant de trouver la paix à Genève.

Xm se rassit donc à sa table et recommença à écrire.

_________________
Vive comme l'éclair
Insaisissable comme la lumière
Dure comme le fer
Et en amour comme à la guerre...
Xmanfe1999
Xm se rassit à sa table.
Sa plume était prête, la pile de plus en plus épaisse de feuillets semblait l'appeler. Elle relut rapidement le dernier passage.


Citation:
Au fait, Niklaus, si tu ne veux pas m'offenser, arrête de m'appeler messire. Pour toi je suis "chef".
Il se tortilla un instant sur les sacs de grain et quelques secondes plus tard, il ronflait bruyamment.


Xm s'esclaffa.
Ce bon vieux Rupert aurait fait peur à un lion en train de rugir. C'est à force de dormir dans la même chambre que lui, qu'elle avait fini par prendre l'habitude de dormir avec des boules de cire d'abeille dans les oreilles.
Les autres serviteurs de la suite de Son Eminence lui avait vendu leur astuce, un matin qu'elle se traînait lamentablement, en heurtant tout ce qu'elle croisait, après plusieurs nuits sans véritable sommeil. Heureusement que Monseigneur était friand de miel et qu'une fois les rayons dégustés, il laissait ses serviteurs utiliser la cire à leur gré!
Xm aurait pu embrasser ses compagnons d'infortune, même si il lui en avait coûté quelques écus. Mais elle s'était abstenue à temps. Pas besoin de passer pour un garçon aux mœurs étranges, déjà qu'il lui était plus que difficile de passer pour un garçon tout court... Xm reprit son ouvrage.


Avec la protection bourrue de Rupert, il ne m'avait pas été trop difficile de m'intégrer.
Les journées commençaient avant l'aube et se terminaient bien après le coucher du soleil. Je n'avais jamais connu une vie aussi éprouvante, en tout cas pas depuis mon mariage avec Wilhelm, qui bien que modeste chevalier tenait à assurer à son épouse et à son fils un train de vie digne de son rang.
Je découvris ainsi la dure réalité de la vie de marmiton. Je passais mes journées à courir chercher de l'eau, laver ou éplucher des légumes, écailler des poissons, plumer des volailles et dépiauter du gibier. Mes mains étaient rouges et gercées à force de baigner dans l'eau froide des légumes et dans l'eau chaude de la vaisselle.
Je découvris aussi la solidarité et l'entraide entre petites gens.
Un soir, alors que je serrais contre moi en grimaçant mes mains durcies d'engelures, Rupert me tendit un pot de graisse de bœuf qui servait habituellement à lubrifier les essieux des chariots.

Tiens, dit-il, étale ça sur tes mains, ça va te soulager. Et mets en tous les soirs. ça ne sent pas très bon, mais c'est efficace.
Sa sollicitude me toucha au coeur. Elle m'inquiéta aussi quelque peu. Se serait-il soucié du sort d'un malheureux gate-sauce ou avait il découvert ma véritable identité? Je décidai de laisser de côté mes doutes et m'enduit généreusement les mains du répugnant produit. Sûr il ne fleurait pas l'amande et la fleur d'oranger comme la pâte que j'utilisais dans ma vie antérieure pour préserver la douceur et la blancheur de mes mains, mais j'étais reconnaissante à Rupert de m'avoir ainsi sauvée des crevasses qui me faisaient tant souffrir.
Le soir, après que Monseigneur et son confesseur se soient couché après leur dernière prière, je me traînais péniblement jusqu'à mon galetas, dans le grenier d'une auberge ou parfois sur la paille d'une écurie.
La vie était dure mais j'étais en vie et les mules, bien que trop lentes à mon goût, avalaient les lieues jour après jour. Les villes se succédaient et bientôt nous quittèrent l'Alsace. La langue et l'accent changeaient, le dialecte de mon père était de moins en moins compris à mesure que nous avancions vers le sud et un matin, alors que j'avais été envoyée quérir des oeufs frais pour le petit déjeûner de Son eminence j'eus la surprise de m'entendre répondre en français! A part ma mère et mes soeurs, et mon père qui le parlait avec un accent épouvantable, je n'avais entendu personne s'exprimer dans cette langue chantante, musicale. J'étais émerveillée. J'en oubliais presque les oeufs et retournai à l'auberge en sautillant. Si nous avions quitté l'Alsace, c'est que j'approchais du but! Nous serions bientôt en Italie!
Rupert se chargea de refroidir mes ardeurs.

En Italie? Se moqua-t-il. Nous sommes à peine en Franche Comté! On en est encore loin de l'Italie! De toutes façons je crois que Monseigneur a changé d'idée. Il trouve qu'il fait trop froid encore pour la saison et il a peur que les cols soient infranchissable pour aller à Rome avant le printemps. Je crois qu'il va faire halte à Avignon dans l'ancien palais des Papes et y rester quelques semaines, voire un mois ou deux. Nous reprendrons la route plus tard.
J'étais effarée. Dieu savait que je n'avais pas deux mois à gaspiller en Avignon à attendre que Monseigneur veuille bien se remettre en route! Ma déception était immense. Je croyais avoir trouvé le moyen de me rendre en sécurité jusqu'à Gênes et voilà qu'à nouveau tout était remis en cause. J'allais devoir trouver une solution.

_________________
Vive comme l'éclair
Insaisissable comme la lumière
Dure comme le fer
Et en amour comme à la guerre...
Xmanfe1999
Avignon...
Ce n'est quand arrivant aux portes de la magnifique cité des Papes, quelques jours plus tard, que je pris conscience de l'urgence de prendre une décision. Tout dans cette ville m'enchantait et m'attirait. Depuis la chaude couleur de miel des murailles dans le clair soleil de la fin de l'hiver, jusqu'à l'extraordinaire animation des rues, en passant par le majestueux pont Saint-Benezet qui enjambait le Rhône de ses élégantes arches de pierre.


Tu vois, Niklaus, m'avait dit Rupert assis à côté de moi dans la carriole, ce pont, et bien c'est le seul entre Lyon et la mer... Si tu voulais aller en Italie, et bien, d’où nous sommes, c'est le seul passage possible.

Je regardais Rupert, stupéfaite.
Je n'avais pas jusqu'à maintenant évoqué avec lui mon projet de voyage vers Gênes.
Toujours inquiète de voir mon identité dévoilée, j'avais autant que possible évité les conversations intimes et j'avais poliment éludé les questions sur mon village, ma famille. Je tâchais de me rassurer en me persuadant que l'allusion à l'Italie ne se rapportait qu'au voyage à Rome de Monseigneur l'évêque.
Mes craintes finirent par s'apaiser au spectacle des rues de la ville, où s'étalaient, sur les éventaires les plus colorés qu'il ne m'ait jamais été donné de voir, les marchandises les plus variées et les plus appétissantes. A chaque carrefour, je m'exclamais. Volailles, poissons, légumes, tout était en abondance et semblait d'une fraîcheur et d'une qualité sans égale. La fille du nord que j'étais, s'extasiait sur les odeurs les couleurs.
Amusé de ma naïveté, Rupert, qui n'en était pas à sa première visite de la Cité des Papes, me fit arrêter le chariot et descendre auprès de l'étal d'un marchand de fruits secs.
Amandes, noix, noisettes, raisins secs et un petit fruit brun et ridé comme une petite bourse aplatie, à la chair sucrée comme le miel et farcie de milliers de petites graines craquant sous la dent: des figues! Merveille! Je n'avais jamais rien mangé d'aussi bon. Il y avait aussi du turron, une incroyable confiserie venue d'Espagne, craquante et collante à souhait. Il y avait aussi, quelques pas plus loin, des limons et des bigarades, dont j'avais entendu parler par mon précepteur comme étant la pomme d'or du jardin des Hespérides.

Tout cela m'étourdissait mais n'arrivait cependant pas à chasser complètement le malaise qui m'obsédait depuis que Rupert m'avait révélé l'intention de l'évêque de séjourner longuement à Avignon.
Les quelques bouchées de friandises, qui m'avaient tout d'abord mis l'eau à la bouche m'avait laissé un arrière goût amer et avec une vague nausée. Je perdais l'appétit et je devais depuis quelque temps resserrer un peu plus chaque jour la tresse de cuir qui me servait de ceinture. La fatigue de mes journées de marmiton était de plus en plus lourde à porter et la nuit une douleur sourde me martelait la poitrine. Je m'effondrais sans forces le soir et peinais à m'extraire de ma paillasse à l'aube. Au rythme où évoluaient les choses, je n'aurais bientôt plus la force de prendre la route vers Gênes.

Là était d'ailleurs la seconde de mes préoccupations. La route.
J'avais beau avoir étudié les langues anciennes, la philosophie, la musique et la poésie avec mon précepteur, ainsi qu'un peu de mathématiques, j'ignorais totalement comment me rendre en Italie. Certes, j'avais la vague notion que Rome et Gênes se trouvant dans le même pays, en suivant l'évêque j'aurais fini par trouver mon chemin, mais depuis sa décision d'hiverner à Avignon, mes plans étaient bouleversés. De plus la perspective de quitter la compagnie de Rupert et de mes compagnons serviteurs de la suite de l'évêque ne me réjouissait pas davantage. J'allais de nouveau être seule, en proie au doute et à l'adversité, me retournant sans cesse, comme après notre départ de Strasbourg, pour vérifier que les sergents du guet n'arrivaient pas au galop derrière moi pour arrêter une meurtrière.

Préoccupée et au bord de l'épuisement, je décidai de m'en ouvrir à Rupert et de plaider auprès de lui ma cause: j'avais besoin de lui pour m'éclipser et de ses conseils pour poursuivre mon périple.

_________________
Vive comme l'éclair
Insaisissable comme la lumière
Dure comme le fer
Et en amour comme à la guerre...
Xmanfe1999
Le soir même, alors que les derniers feux de cuisine se mouraient dans le palais des Papes où Monseigneur avait pris ses quartiers, je me décidai à parler à Rupert.
Je le trouvai, comme je m'y attendais, assis à la grande table de cuisine, encore encombrée de restes de victuailles du repas de l'évêque, que nous aurions la chance de pouvoir finir pour notre soupe le lendemain au réveil. Un pichet de vin et un gobelet d'étain posés devant lui, la joue rebondie écrasée contre son poing massif comme un maillet de boucher, il rêvait, épuisé sans doute par une nouvelle journée de labeur, les yeux perdus dans la contemplation des braises rougeoyantes dans l'âtre.

Pensant qu'il ne m'avait point entendue, je toussotais pour m'annoncer.


Approche donc, Niklaus, mon garçon. Viens boire un coup avec le vieux Rupert. Viens, assieds-toi près de moi.

J'obéis et pris place à la table, sur un tabouret bas, face à lui.
Ce siège miniature, utilisé par les aides cuisinières quand elles tournaient les broches où rôtissaient les viandes, me mettaient dans une position cocasse. Mon nez arrivait à peu près au niveau du plateau de la table et je devais lever les yeux pour regarder Rupert. J'avais une vue de premier ordre sur ses cuissots qui tendaient des hauts de chausses à craquer, et sur son ample bedaine, qui semblait animée d'une vie propre, dès que dans la conversation son propriétaire agitait les mains en parlant.
Je souris avec un rien de tristesse, sachant que j'allais sans doute ce soir même parler avec lui pour la dernière fois.

Semblant déceler mon trouble, Rupert poussa vers moi le gobelet qu'il venait de remplir et entreprit de continuer à boire à même le pichet. Il le vida en quelques longues lampées bruyantes, sa pomme d'Adam, enfouie dans la graisse de cou montant et descendant convulsivement à chaque gorgée. Il reposa le pichet, poussa un profond soupir, claqua une langue appréciatrice, avant de s'essuyer la moustache du revers de la manche.


Aaaah, l'est pas mauvais le vin du coin. Il vient d'un petit village à une poignée de lieues d'ici. Châteauneuf-Calcernier, je crois...

Puis, remarquant que je n'avais pas à mon gobelet il ajouta:

Toi, tu as quelque chose à me demander... Mais...- réalisant que j'avais avec moi le havresac dans lequel je transportais habituellement mes affaires-
Qu'est ce que ça veut dire? Tu pars?

La gorge serrée, je baissai les yeux et me contentai d'un hochement de tête pour toute réponse. J'avais pris ce bon géant en affection et mon cœur se serrait à l'idée de ne plus jamais le revoir.

_________________
Vive comme l'éclair
Insaisissable comme la lumière
Dure comme le fer
Et en amour comme à la guerre...
Xmanfe1999
Accroupie sur mon tabouret, je me sentais ridiculement petite et impuissante, face à ce géant débonnaire.
Je me sentais coupable de lui avoir menti pendant de longues semaines. N'y tenant plus je me levai d'un bond et me jetai à son cou, enfouissant mon visage dans son ample poitrine.


Oh Rupert! m'écriai-je! Si vous saviez!

Les sanglots m'étouffaient à moitié et les larmes inondaient mon visage épuisé.

Si je savais quoi, mon pauvre Nicklaus? dit il en insistant étrangement sur mon prénom d'emprunt.

Rupert me saisit par les épaules pour me tenir à bout de bras devant lui.
Il me fixait droit dans les yeux.


Crois-tu vraiment qu'il y ait quoi que ce soit qui puisse échapper à ce bon vieux Rupert ici?

Sans répondre, je fis non de la tête, les lèvres et le menton encore tremblants d'émotion. J'essuyai d'un revers de main la goutte qui coulait au bout de mon nez. Rupert fouilla dans la vaste poche des ses braies et en tira un tout aussi vaste mouchoir à carreaux rouges qu'il me tendit dans son énorme pogne.

Tiens, mouche toi, maidele*

Je sursautai.
Rupert partit d'un grand rire.


Je me demande bien comment ma nigaude de cousine Suzel a pu imaginer une seconde que je pourrais te prendre pour un gars!
Rupert se tapait bruyamment la cuisse et riait haut et fort. Je me disais qu'il allait finir par rameuter toute la maisonnée.

Faudrait voir commencer par mettre quelque chose là si tu portes des braies aussi collantes son index charnu désignait la braguette de mes braies, et tortiller un peu moins des fesses quand tu marches...

Je rougis, vexée que tous mes efforts pour me faire passer pour un garçon aient aussi misérablement échoué.

Et puis, ton semblant de barbe, excuse moi... il trempa son index gauche dans la cruche de vin et traça un sillon plus clair sur ma joue de son doigt mouillé.
Depuis le temps que tu fais semblant de le raser... il aurait vraiment dû commencer à pousser! Et ne pas laisser de trace sur ton oreiller!

Rupert gloussait, gémissait et pleurait tout à la fois, profondément réjoui de ma déconfiture.

Allons, allons, n'en fais pas toute une histoire, tu veux? Maintenant tu sauras te méfier davantage pour la suite de ton voyage. Parce que tu pars bien, net?**

Cette fois, je fis signe que oui.

Et tu veux aller où mon "Nicklaus"? Où devrais-je dire plutôt...

Xm, réussi-je à ajouter.

Xm?Nun de buckel! Des isch richti a komischer nomme... ***

Je fis un petit sourire d'excuse, en haussant les épaules.

A Gênes, maître Rupert.

Ach, arrête avec tes "maître Rupert". A Gênes? Rien que ça? C'est pas la porte à côté ma belle. Surtout pour une fille seule et dans ton état de santé...


Je baissai à nouveau les yeux prête à me remettre à pleurer. Les épreuves m'avaient certes endurcie moralement, mais l'épuisement physique était en train de gagner la partie et je me sentais à deux doigts de tout abandonner.

Rupert me saisit le menton entre deux des boudins blancs qui lui servaient de doigts et me releva la tête, me forçant à le regarder dans les yeux.


Here mol****, voilà ce qu'on va faire. Tu vas d'abord te refaire deux ou trois jours dans une auberge. Et puis quand tu seras bien reposée, tu reviendras au Palais chercher tes affaires. J'aurai fait ferrer ta mule de frais. Je te ferai préparer aussi des provisions et ce qu'il te faudra pour traverser les montagnes. Il te faudra aussi un haubert et une vraie épée. Tu ne crois tout de même pas que tu vas pouvoir te défendre contre les loups avec ce cure dents que tu caches dans ta ceinture!


Décidément, Rupert avait l'œil. Je réalisai soudain combien mon entreprise s'annonçait difficile, si le premier cuisinier venu pouvait me percer à jour. Sans doute n'était-il pas le premier cuisinier venu , finalement.

Rupert éclata encore d'un rire sonore.

C'est une bonne arme, cette dague, si tu veux tuer à distance en la lançant, ou par derrière, par surprise!

Je regardais celui que je considérai depuis des semaines comme un inoffensif maitre-queux avec des yeux de plus en plus circonspects.

Les loups, il vaut mieux que tu les laisses pas s'approcher de plus de la longueur de ton épée, fais moi confiance. Et tu peux toujours courir pour les surprendre par derrière, kell?*****

Mon visage devait exprimer mon effroi car il ajouta... Ach, tu risques plus de rencontrer des bandits que des loups. Après tout l'hiver n'est pas loin d'être fini. Avec un peu de chance, tu ne devrais même plus rencontrer de neige.

Voyant mon air abasourdi, Rupert remplit un gobelet et me le tendit.

Bois un coup, schatzele******, pour un peu on dirait que tu viens de voir le diable.

Je bus une longue gorgée avant de lui rétorquer:

Le diable non, mais qui? Ça je ne saurais le dire.

Rupert me fit un clin d'œil et j'entrevis soudain sous l'allure bonhomme toute la ruse et la malice qu'il s'ingéniait à dissimuler jour après jour au commun des mortels.

Que veux-tu, quand on a suivi toutes les campagnes du Comte Ulrich de Wurtenberg depuis l'âge de 13 ans... Rupert marqua une pause pour juger de l'effet produit par ses paroles, on finit forcément par apprendre quelques petites choses...

Bien, finis ton vin et va te coucher. Demain matin, tu iras te trouver une chambre à l'hostellerie "Au Chat qui tousse", près des remparts. J'y ai quelques amis, anciens compagnons d'armes. Tu n'auras qu'à dire que tu viens de ma part. Ne t'inquiète pas pour l'argent. De toutes façons nous sommes aujourd'hui vendredi...
Rupert calcula. Lundi tu auras tes gages. Tu auras ainsi de quoi voir venir. Et maintenant, ouste! In s' Bet*******! Je suis fatigué moi aussi!

Rupert s'étira et bailla bruyamment, faisant trembler la graisse de son triple menton.
Il m'assena une bonne claque dans le dos qui me fit descendre d'un bond de la table.


Merci, réussi-je à balbutier.


Pour les non dialectophones:
*maïdele: petite (fille)- affectueux
**net? non? n'est ce pas?
*** Nun de buckel! Des isch richti a komischer nomme... : littéralement : nom d'un dos (!) tradition alsacienne pour éviter d'invoquer en vain le nom de dieu - ça c'est vraiment un nom bizarre...
****Here mol : écoute une fois , écoute un peu
*****kell: hein? n'est ce pas?
******Schatzele : petit trésor - trèèès affectueux
*******In s' Bet: au lit!

_________________
Vive comme l'éclair
Insaisissable comme la lumière
Dure comme le fer
Et en amour comme à la guerre...
Xmanfe1999
Depuis un long moment, Xm n'avait plus touché au manuscrit.
L'encre aurait même eu le temps de pâlir au soleil si elle n'avait pris soin de fermer les volets de son échoppe avant de partir en forêt se lancer dans la construction de sa maison de thé...

Les deux semaines passées avaient été riches en rebondissements et presque trop riches en émotions.
Au hasard de ses rencontres en taverne, Xm était passée de la rancœur à l'exaltation, puis de l'espoir à la déception.
Elle avait revu Melian, qui, fidèle à son obstination avait refusé de s'expliquer sur son attitude.
Zeus avait mystérieusement disparu et ne donnait plus signe de vie.
Et puis Mahéfik était arrivé...
L'espace de quelques jours , elle s'était prise à espérer qu'elle avait enfin trouvé l'âme sœur. La culpabilité, sa fidèle compagne, l'avait même ardemment poursuivie. Comment pourrait elle expliquer à Zeus?
Mais d'abord, qu'y avait-il à expliquer?
Rien, finalement.
Elle avait été abusée ou plutôt elle s'était abusée elle-même et ce qu'elle avait souhaité prendre pour ... de l'amour? de la part de l'austère Tarbais, n'était qu'une vague inclination suscitée par une autre qu'elle, qui lui ressemblait de façon troublante.
Comment expliquer sinon qu'il n'ait eu de cesse de la fuir depuis qu'elle lui avoué ses sentiments?

C'est dans ce triste état d'esprit que Xm, lassée de lutter contre ses démons, rentrait chez elle.

Elle alluma la chandelle.
Dieu merci il ne faisait pas trop froid dans la maison, malgré l'humidité de ces derniers jours. Elle s'enveloppa d'un châle et comme hypnotisée, alla s'asseoir à sa table, commença à feuilleter les pages de son journal, à en relire certains passages.

Etrange comme certains de ces événements lui paraissaient maintenant irréels, comme s'ils étaient arrivés à quelqu'un d'autre.
En fait, c'est bien de cela qu'il s'agissait. La jeune femme qui contait ses aventures dans ces lignes n'existait plus. Les chagrins et les épreuves de ces derniers mois avaient fini de la faire disparaitre.

Xm se reposa pour la enième fois la même question:
à quoi bon continuer?
La réponse avait jusque là toujours été la même: pour Ogier, pour qu'il sache, pour qu'il me pardonne, pour qu'il m'aime.
Cette fois elle était différente: pour comprendre enfin qui je suis... pour me pardonner... pour cesser de me haïr.
Xm cessa d'hésiter et alla remplir l'encrier.
Elle se saisit d'une nouvelle plume et étala devant elle un nouveau parchemin. Il n'y a que comme ça qu'elle trouverait la paix.


_________________
Vive comme l'éclair
Insaisissable comme la lumière
Dure comme le fer
Et en amour comme à la guerre...
Xmanfe1999
Après une longue hésitation la suite avait enfin fini par jaillir des doigts de Xm sur le parchemin, comme si ses souvenirs se rematérialisaient sur la feuille sans presque avoir perdu de leur couleur malgré le temps passé. Les mots et les phrases coulaient sans effort.

Après quelques jours, passés, selon les instructions de Rupert, à l'Auberge du Chat qui tousse, j'étais repassée au Palais pour y récupérer mes gages. Je fus étonnée de la somme rondelette que le cuisinier me remit, dans une bourse aussi lourde que pansue.
Mais... c'est beaucoup trop! dis-je, en la soupesant, un sourcil arqué.
Voyant le regard incrédule que je lui lançai, alors que je comparais mentalement ce qui m'était véritablement dû au contenu de la bourse, Rupert m'asséna une tape amicale dans le dos, qui me donna l'impression que mes poumons se décrochaient dans ma poitrine.


Allons ne fais pas d'histoire tu veux? M'est avis que tu vas en avoir besoin. Tâche juste de ne pas trop montrer que tu es à l'aise.
Les montagnes grouillent de bandits entre ici et Gênes. Les auberges leur servent souvent de quartier général et ils y laissent parfois leurs rabatteurs, chargés de repérer les infortunés voyageurs qui tombent quelques lieues plus loin dans une embuscade.
Si jamais cela devait t'arriver, surtout n'oublie pas: il ne sert à rien de leur donner ce que tu possèdes. De toutes manières ils ne laissent pas de témoins et après t'avoir détroussée, et peut-être troussée pour faire bonne mesure...


Xm rougit violemment. Bien que Rupert ait deviné depuis longtemps sa nature véritable, elle avait du mal à acccepter qu'il puisse la regarder autrement que comme un camarade.

...après t'avoir détroussée, il n'hésiteraient pas à t'éliminer. Et ces rustauds ont parfois de fort détestables manières de se défaire de ce qui les gêne...
Il me déplairait de penser que tu gis dans un quelconque fossé... surtout après tout ce que tu as déjà traversé.


Devant ma mine épouvantée, Rupert partit d'un grand rire.

Allons, la chose la plus importante dont tu dois te souvenir, c'est que tu dois fuir, fuir le plus vite possible. Et que si tu es acculée, tu dois te battre jusqu'à la mort. Crois-moi, c'est la seule option possible.

Après son petit sermon, Rupert me serra une dernière fois dans ses bras.
Sois très prudente, "maidele", et pense parfois à moi quand tu seras arrivée à Gênes.
Si tu en as le temps, va brûler un cierge à l'oratoire de San Giacomo, c'est une petite chapelle toute neuve sur les docks... On ne sait jamais, ça peut toujours servir.


Incapable de répondre je me contentai de hocher la tête.

Tiens, une dernière chose: j'ai demandé à Monseigneur sous prétexte de trouver de meilleurs fournisseurs pour son épiscopale table, de m'indiquer le meilleur chemin pour l'Italie.

Rupert me tendit un rouleau de parchemin dans un étui de cuir.

Tout est écrit là. Et avec le sceau de l'évêque, tu devrais passer les postes de guet sans problème.

Il avait vraiment pensé à tout.

Allez, va-t-en maintenant. S'il y a une chose que j'ai en commun avec ma cousine Suzel, c'est que je déteste les adieux.

Il se détourna brusquement et je restai un instant silencieuse, ne sachant que faire, à regarder son vaste dos.
Puis je tournai les talons et pour ne pas froisser sa sensibilité de colosse aux pieds d'argiles, je lançai par dessus mon épaule en sortant:

Merci et adieu Rupert. Je ne vous oublierai jamais...

J'ajoutai intérieurement pour moi-même: pourvu que Dieu me prête vie.

_________________
Vive comme l'éclair
Insaisissable comme la lumière
Dure comme le fer
Et en amour comme à la guerre...
Xmanfe1999
Xm reposa sa plume.
Quand elle repensait à cette période de sa vie, elle ne pouvait s'empêcher de s'étonner, voire de s'émerveiller de la force et de la persévérance qui l'animaient à l'époque.
Les années et les épreuves aidant, elle s'était endurcie, affutée mais son énergie d'alors la laissait toujours perplexe... Son corps, quoique plus jeune, alors sournoisement miné alors par la maladie, était à présent devenu le reflet de son esprit: dur, tranchant, résistant. La douceur féminine n'en était cependant loin d'en être absente, même si Xm prenait habituellement soin de la dissimuler, au physique, sous de vêtements masculins qu'elle avait fini par adopter de manière quasi permanente comme au moral, sous une attitude de détachement presque hautain parfois. Rien de tout celà à l'époque: elle était encore juvénile, vulnérable, émotive et influençable.
Xm repensait à la jeune femme qu'elle avait été avec un certain respect, voire de l'admiration légèrement amusée.
Mon dieu, se disait-elle. Ce que je pouvais être naïve et inconsciente. J'aurais pu trouver mille fois la mort. Au lieu de quoi j'ai trouvé... Gianni.
Encore une fois, ce nom revenait hanter son esprit.
Où était-il maintenant? La colombe qu'elle lui avait envoyé l'autre jour avait-elle finalement trouvé son destinataire? Il lui faudrait sans doute encore attendre plusieurs jours pour en avoir confirmation, à condition que le beau contrebandier ait décidé de lui répondre.

Xm soupira et une mine contrite sur le visage, reprit la plume.
Au moins, tant qu'elle se remémorait son passé, le présent lui faisait la grâce de disparaître un moment et toutes les déceptions et les frustrations actuelles se faisaient un peu oublier.
Elle revoyait en pensée son départ d'Avignon, et son voyage à travers les Alpilles vers l'Italie.
Elle aurait pu poursuivre le long du Rhône et embarquer vers Gênes en partant de Marseille ou d'Aigues Mortes, Rupert cependant le lui avait déconseillé et elle avait route vers l'est, comme il le lui avait indiqué...

_________________
Vive comme l'éclair
Insaisissable comme la lumière
Dure comme le fer
Et en amour comme à la guerre...
Xmanfe1999
Les souvenirs affluaient à l'esprit de Xm qui soupirait, la joue posée sur la main, les yeux fermés. Son voyage à travers la montagne avait bien failli lui couter la vie - encore- mais elle ne pouvait s'empêcher s'y repenser avec nostalgie. Un sourire éclaira le visage de la jeune femme, qui l'instant d'avant semblait sur le point de céder à une mélancolie profonde.
Secouant la tête comme si elle hésitait elle-même à déchiffrer ses propres sentiments elle soupira encore. Comment Ogier pourrait-il comprendre? Elle même n'y voyait pas plus clair que dans une nuit sans lune au plus profond d'une forêt épaisse... Comment la chevauchée la plus pénible de sa vie pouvait-elle en même temps lui avoir laissé un souvenir aussi doux? La réponse , elle la connaissait. Mais il lui faudrait tout raconter en détails pour que son fils bien aimé fut à même de le comprendre. Xm reprit la plume:


En quittant Avignon, je m'étais dirigée vers l'Est.
Sur sa carte sommaire, Rupert avait tracé une route qui rejoignait l'Italie par la montagne. La perspective de traverser seule sur ma mule un massif montagneux à cette période de l'année ne me réjouissait guère mais je m'étais rendue aux arguments de mon ami le cuisinier mercenaire, qui m'avait conseillé d'éviter les auberges .
Ses conseils obéissaient à une certaine logique: un voyageur seul dans une contrée désolée risquait peu d'attirer l'attention, alors qu'il apparaîtrait comme une proie facile au premier tire-laine venu dans une auberge de village.
Bien qu'étant ostensiblement armée d'une épée, ma carrure avait peu de chance d'impressionner les solides rustauds qui détroussaient les pélerins ou les paysans égarés.

Je passais donc au large d'Apt, de Manosque, d'Estoublon, de Chateauredon et de Digne, dénichant la nuit pour m'abriter, le moindre taillis, la moindre anfractuosité dans les rochers qui commençaient à s'élever de plus en plus haut à mesure que j'avançais vers l'est. Je suivais les vallées et perdait peu à peu la notion du temps et de l'espace. Les montagnes à l'est ressemblaient aux montagnes au nord. Les vallons étaient profonds et sombres. A ces altitudes on ne pouvait encore parler de printemps. Je commençais bel et bien à progresser au hasard. J'étais perdue.

J'ignore ce qui, malgré toutes le recommandations de Rupert, m'incita à oublier la distance prudente que j'avais maintenue jusqu'alors avec les chaumières, les masures parfois, où brûlaient des feux auxquels j'aurais aimé me réchauffer. La fatigue, la faim, la peur, la fièvre qui m'avait reprise, peut-être.
Le désir, sans doute, de retrouver pour quelques heures la compagnie des humains, qui dans mon désarroi, depuis mon départ d'Avignon, commençait à cruellement me manquer.
J'étais lasse de me cacher, de me méfier, de sursauter au moindre craquement de branche. Les seuls êtres vivants avec lesquels j'avais été en contact depuis des jours, en dehors de ma mule, qui n'était guère causante, étaient les aigles que je voyais de loin tournoyer au dessus de la montagne, quand les nuages daignaient dégager les cimes qui se dessinaient de plus en plus précisément à l'horizon.
Aussi, un soir où le froid de ce début de mars me parut particulièrement mordant, je cédai aux appels que me lançaient les lumières d'un village et m'engageai au milieu des chaumières, dont quelques unes seulement semblaient habitées.

Au milieu de ce triste hameau dont j'appris plus tard qu'il se nommait Saint Sauveur, j'aperçus une enseigne qui se balançait en grinçant dans le vent qui commençait à souffler, froid et coupant comme une lame.
L'appréhension faisait cogner mon cœur dans ma poitrine. J'avais le sentiment que les hommes que j'entendais rire et s'interpeler bruyamment à l'intérieur devaient l'entendre à travers la lourde porte de chêne.
Prise d'une incontrôlable panique, j'allais tourner les talons et m'enfuir à toutes jambes quand soudain la porte s'ouvrit d'un seul coup devant moi, m'offrant le spectacle stupéfiant d'un moine énorme soulevant d'une main sa soutane et fourrageant de l'autre dans ses braies.
Il me bouscula et se précipita dehors , sans même m'avoir vraiment remarquée, occupé qu'il était à extraire sa virilité de ses hardes pour arroser copieusement les paquets de neige à moitié fondue qui s'étalaient par plaques autour de l'auberge.
Je restai un instant sidérée, mais lui tournai le dos, ainsi que ma mère m'avait enseigné à le faire lorsque nous étions aux champs et que des hommes de la mesnie se soulageaient sans vergogne en notre présence. J'eus cependant du mal à conserver mon attitude de dignité stoïque quand le moine lâcha un pet bruyant alors qu'il remettait en place son instrument dans ses braies et rabattait sa bure sur le tout.

La porte de l'auberge était large ouverte et j'étais comme paralysée sur le seuil quand j'entendis le gros homme revenir à pas lourds en faisant crisser une plaque de neige. M'apercevant soudain sur le pas de la porte, il réalisa que je lui barrais le passage et m'assena un coup du plat de la main entre les omoplates en brayant d'une voix fortement teintée d'accent italien:


"La mia parola*! Si tu ne bouges pas de là, giovincello*, tu vas tous nous faire attraper la mort! Entre ou sors, mais ferme la porte, per l'amore de Dio*! Ou pour celui du Diable, à toi de voir!

Un grand éclat de rire jaillit d'une vingtaine de gorges avinées et de bouches encore pleines de nourriture.
Le moine me laissa médusée sur le pas de la porte, ne sachant que faire. Ponctuant son discours d'un rot sonore, il retourna s'asseoir à la grande tablée qui occupait le centre de la pièce, autour de laquelle ce qui semblait être une bande de joyeux compères était installée à boire, entrechoquant leurs pichets au milieu des reliefs d'un repas dont la seule vue faisait gargouiller mon estomac vide.

Finalement, le destin décida de la suite des événements, puisque rafale de vent claqua la porte derrière moi. Moi qui aurais voulu être à cet instant aussi petite et aussi discrète qu'une souris, je venais de faire une entrée fracassante à l'Auberge du Beau Jarret...


*ma parole, *jouvenceau,*pour l'amour de dieu
_________________
Vive comme l'éclair
Insaisissable comme la lumière
Dure comme le fer
Et en amour comme à la guerre...
Xmanfe1999
Xm déposa un instant la plume pour apprécier pleinement le souvenir de cet instant. En fermant les yeux elle pouvait en évoquer tous les détails: les odeurs les couleurs le bruit des conversations et des rires, le tintement sec des gobelets d'étains que les buveurs entrechoquaient pour se porter la santé... La scène était aussi vivante dans son souvenir qu'elle l'avait été dans cette froide soirée de mars. Un sourire au lèvres, la jeune femme reprit la plume.

A peine la porte se fut-elle refermée derrière moi, que j'eus le sentiment d'avoir commis une erreur.
Affamée, épuisée, grelottante de fièvre et de froid, je m'avançai néanmoins vers l'énorme comptoir qui occupait presque tout l'arrière de la vaste salle commune de l'auberge.
Le tavernier y était appuyé, occupé, semblait-il, à écouter la vingtaine de joyeux buveurs installés à la table centrale, s'apostropher et se défier de la voix et du geste.
Ceux-ci, d'après ce que j'avais cru saisir en passant près de leur table parlaient ce qui sonnait à mes oreilles peu exercées aux langues étrangères, comme une étrange salmigondis d'où ressortaient plus clairement de temps à autre des mots qui me rappelaient le latin que j'avais appris dans mon enfance.
Posant mon baluchon à terre et prenant bien soin de dégager mon épée de ma cape, bien en vue, de manière à me donner un aplomb que j'étais loin d'éprouver à cet instant, je demandai à l'aubergiste, d'une voix qui, je l'espérais, ne chevrotait pas trop, s'il pouvait me loger pour la nuit.

Il me répondit qu'il serait heureux de me loger de me nourrir pourvu que j'aie ce qu'il fallait pour payer.

Sans doute la fièvre m'embrouillait-elle l'esprit et la vue, mais je posai sans réfléchir un écu d'or sur le comptoir, pensant qu'il s'agissait d'un liard de cuivre. Je fus tentée un instant de le remettre dans ma bourse, mais le mal était fait. L'aubergiste avait vu que j'avais de l'or et tenter de le lui reprendre risquait de présenter quelques difficultés. Autant profiter des bienfaits que mon apparente richesse pouvait m'apporter.

Le tavernier me considéra un instant avec surprise, mais il eut tôt fait de mettre la main sur la pièce, non sans avoir précédemment vérifié sa teneur en métal jaune, en en mordant précautionneusement le bord. Rasséréné, il l'empocha et s'étant assuré que personne n'avait observé son manège il me salua d'une profonde courbette.


Pour ce prix là monseigneur, ajouta-t-il avec obséquiosité, vous pourrez avoir ma meilleure chambre! Et dîner comme un roi! Laissez- moi juste le temps de la préparer. En attendant, je vais vous installer à ma meilleure table, là, près du feu!
Faites-moi l'honneur de me suivre monseigneur...


Je lui emboitai le pas en le maudissant entre mes dents. Ses simagrées avaient attiré l'attention - qui pourtant était un peu retombée après mon entrée fracassante - et un homme, assis au bout de la table centrale me suivait maintenant des yeux tout en prenant soin de ne pas avoir l'ait trop insistant.

Je fis, pour ma part comme si je ne l'avais pas remarqué et m'installai, le dos au mur, à quelques pas du feu qui ronflait dans la cheminée.
La chaleur et le vin que l'aubergiste posa devant moi, ne tardèrent pas à faire leur effet et je commençais à me détendre. Après une bonne écuelle de soupe, le tavernier m'apporta un chapon bien gras et bien rôti, des cardes et des choux braisés au lard, une assiette de fromage et du raisin au grains minuscules et presque confits tant ils étaient sucrés.

L'aubergiste m'apprit qu'il les conservait dans son cellier, posés sur des claies et qu'ils se gardaient ainsi tout l'hiver sans moisir et sans perdre leur saveur. J'ignorais alors qu'ils les faisait venir de très loin - de Smyrne en fait, et que son fournisseur n'était autre que l'homme attablé avec son encombrante troupe au milieu de la salle. Mais cela, je ne l'apprendrais que bien plus tard.

A ce moment, l'aubergiste était d'une sollicitude encombrante et ses allées et venues incessantes vers ma table intriguaient visiblement la tablée du centre de la salle, dont certains membres s'étaient écroulés et ronflaient au milieu des gobelets et des écuelles renversées. Les autres, quoiqu 'ayant eux aussi l'air d'être pris de boisson, jetaient de temps à autre des regards furtifs vers moi tout en échangeant à voix soudain plus basse des commentaires que je ne pouvais ni entendre, ni comprendre.
Ils s'adressaient tous à l'homme qui occupait le bout de la table et celui-ci se contentait d'acquiescer d'un signe ou de répondre brièvement sans cesser de me dévisager, ouvertement maintenant.

Cependant, malgré l'inquiétude qui commençait à me saisir, je sentais la fatigue et la satiété m'entraîner irrésistiblement vers le sommeil.
Au moment où je plongeai dans l'inconscience, j'eus l'impression qu'un imperceptible sourire étirait les lèvres de l'inconnu. Un sourire de chat surveillant sa proie.
Un éclair glacé me traversa jusqu'au ventre mais l'alcool, la nourriture et l'épuisement furent les plus forts. Je m'endormis.

_________________
Vive comme l'éclair
Insaisissable comme la lumière
Dure comme le fer
Et en amour comme à la guerre...
See the RP information <<   <   1, 2, 3   >>
Copyright © JDWorks, Corbeaunoir & Elissa Ka | Update notes | Support us | 2008 - 2024
Special thanks to our amazing translators : Dunpeal (EN, PT), Eriti (IT), Azureus (FI)