Xmanfe1999
La nuit avait été longue, pour Gianni comme pour Xm.
La jeune femme, déjà éprouvée par plusieurs nuits sans sommeil, avait fini par succomber à la fatigue. L'italien, de son côté, n'avait pu trouver le repos.
Allongé presque sans bouger à côté de celle qui allait, il le savait maintenant avec certitude, occuper ses pensées pendant bien longtemps, il l'avait tout d'abord écoutée respirer dans le noir.
Elle avait parfois parlé dans son sommeil, il avait reconnu des noms, Ogier, Wilhelm, mais d'autres lui étaient restés complètement étrangers. S'agissaient-il de noms d'ailleurs? Saburo, Na Kai, Mélian?
Xm bougeait beaucoup et ses rêves étaient, semblait-il, peuplés de fantômes. A un moment, alors qu'elle respirait péniblement et s'agitait contre lui, Gianni caressa doucement sa tête pour l'apaiser. Xm se calma et soupira un nom : Zeus...
Dans le jour naissant, Gianni vit un sourire d'une infinie sérénité se dessiner sur les lèvres de Xm. Une vague douloureuse de jalousie crispa sa poitrine. Il déglutit difficilement et ravala la bordée de jurons sonores qui lui démangeait la langue.
Maledizione! se désespérait-il. Tu m'as bien piégé. Maldita!Maldita!Maldita!
Des années après, cette femme était encore capable de lui faire aussi mal. Il aurait mille fois préféré ne jamais la revoir. Mais non, il savait bien qu'il se mentait à lui même. Il aurait donné n'importe quoi pour ne la revoir ne serait-ce qu'une fois et qu'une fois encore elle soit sienne, comme cette nuit magique à Sion, cette nuit qui ne reviendrait jamais, cette nuit où il avait enfin compris ce qu'il ressentait pour elle.
Jamais, sans cette nuit, il ne serait accouru à son appel.
Lui, Gianni de Reggio accourir à l'appel d'une femme?
Et pourtant il était parti, seul, dès qu'il avait reçu son message, que cet imbécile de Fra Buffo avait répété à toute la bande.
Ah, comme ils avaient ri, tous, de le voir empaqueter ses affaires en hâte pour se jeter sur les chemins, alors que la neige bloquait encore certains cols.
Il avait eu toutes les peines du monde à leur faire croire qu'il s'agissait d'une affaire commerciale. Ils savaient tous, bien sûr, que Gianni avait passé un contrat avec cette exotique femelle, dont certains, parmi les plus anciens, se rappelaient encore le passage quelques années plus tôt.
Ils se demandaient, d'ailleurs, ce que cette étrangère, cette "quasi tedesca"*, comme ils l'appelaient, offrait en échange des précieuses marchandises qu'ils acheminaient vers Genève.
Ils avaient vu défiler poivre, cannelle, muscade, et bien d'autres épices et denrées enivrantes et hors de prix. De là à imaginer que leur chef craint et respecté n'ait été ensorcelé par cette Fata Morgana? Qu'il faisait tout cela par amour? Non... impossible.Tout cela était décidément bien mystérieux.
Gianni soupira. Point de mystère, hélas. La vérité était là, toute nue, aussi nue que Xm qui dormait paisiblement à présent sous sa couverture et qu'il n'osait toucher.
Le soleil se levait maintenant et le premier coq avait lancé son appel. Les oiseaux pépiaient depuis un bon moment dans les buissons et Gianni sut qu'il fallait qu'il s'en aille avant que Xm ne se réveille, sans quoi il n'aurait plus la force de partir. Incapable de la quitter sans la toucher une dernière fois, il déposa un baiser aussi léger qu'un souffle sur le bout des doigts de sa bien aimée. Endormie ou éveillée? Xm caressa les lèvres de Gianni. Il se plut à penser que cette caresse et le sourire de Xm lui étaient vraiment destinés.
Arrivederci, bella! souffla-t-il dans son oreille.
Elle sourit encore et se retourna en ronflant un peu.
Rassemblant son courage, le contrebandier se leva, ramassa la lettre qu'il avait posée sur le sol la veille et la regarda avec frustration. Si seulement il avait su écrire! Il aurait pu laisser une explication, si tant est qu'il ait été capable de mettre des mots sur ce qu'il ressentait. Il aurait pu au moins lui dire au revoir, au lieu de partir comme ça, comme un voleur.
Gianni allait poser la lettre sur le lit à côté de Xm quand soudain il eut une idée. Il alla chercher un morceau de charbon de bois refroidi dans le petit brasero dans l'angle de la pièce.
D'une main malhabile, il traça avec un éclat, un cur percé d'une flèche. Il signa de la seule lettre qu'il connaissait, l'initiale de son prénom : G.
La simplicité dérisoire et enfantine de cette déclaration le désolait mais c'était là, hélas, tout ce qu'il était capable de faire.
Il déposa la lettre près de la main de Xm et quitta la chambre sans se retourner.
Dans la pièce du bas, il récupéra sa besace, en sortit les quelques présents qu'il avait apportés pour Xm. Déroulant un foulard de soie il soupesa un instant le lourd bracelet de perles d'argent finement ciselées qu'il avait échangé à un marchand de Zanzibar qui avait fait escale à Gênes. Il hésita, puis, l'enveloppant à nouveau soigneusement, le déposa sur la table.
Genève commençait à s'éveiller de l'autre coté de la porte. Les allées et venues silencieuses des pêcheurs sans doute. Gianni se disait qu'il était grand temps de partir quand un murmure de voix s'approcha de la maison. Ramassant en hâte ses affaires, il s'éclipsa sans un bruit par la porte de derrière.
*quasi tedesca : presque allemande
_________________
Vive comme l'éclair
Insaisissable comme la lumière
Dure comme le fer
Et en amour comme à la guerre...
La jeune femme, déjà éprouvée par plusieurs nuits sans sommeil, avait fini par succomber à la fatigue. L'italien, de son côté, n'avait pu trouver le repos.
Allongé presque sans bouger à côté de celle qui allait, il le savait maintenant avec certitude, occuper ses pensées pendant bien longtemps, il l'avait tout d'abord écoutée respirer dans le noir.
Elle avait parfois parlé dans son sommeil, il avait reconnu des noms, Ogier, Wilhelm, mais d'autres lui étaient restés complètement étrangers. S'agissaient-il de noms d'ailleurs? Saburo, Na Kai, Mélian?
Xm bougeait beaucoup et ses rêves étaient, semblait-il, peuplés de fantômes. A un moment, alors qu'elle respirait péniblement et s'agitait contre lui, Gianni caressa doucement sa tête pour l'apaiser. Xm se calma et soupira un nom : Zeus...
Dans le jour naissant, Gianni vit un sourire d'une infinie sérénité se dessiner sur les lèvres de Xm. Une vague douloureuse de jalousie crispa sa poitrine. Il déglutit difficilement et ravala la bordée de jurons sonores qui lui démangeait la langue.
Maledizione! se désespérait-il. Tu m'as bien piégé. Maldita!Maldita!Maldita!
Des années après, cette femme était encore capable de lui faire aussi mal. Il aurait mille fois préféré ne jamais la revoir. Mais non, il savait bien qu'il se mentait à lui même. Il aurait donné n'importe quoi pour ne la revoir ne serait-ce qu'une fois et qu'une fois encore elle soit sienne, comme cette nuit magique à Sion, cette nuit qui ne reviendrait jamais, cette nuit où il avait enfin compris ce qu'il ressentait pour elle.
Jamais, sans cette nuit, il ne serait accouru à son appel.
Lui, Gianni de Reggio accourir à l'appel d'une femme?
Et pourtant il était parti, seul, dès qu'il avait reçu son message, que cet imbécile de Fra Buffo avait répété à toute la bande.
Ah, comme ils avaient ri, tous, de le voir empaqueter ses affaires en hâte pour se jeter sur les chemins, alors que la neige bloquait encore certains cols.
Il avait eu toutes les peines du monde à leur faire croire qu'il s'agissait d'une affaire commerciale. Ils savaient tous, bien sûr, que Gianni avait passé un contrat avec cette exotique femelle, dont certains, parmi les plus anciens, se rappelaient encore le passage quelques années plus tôt.
Ils se demandaient, d'ailleurs, ce que cette étrangère, cette "quasi tedesca"*, comme ils l'appelaient, offrait en échange des précieuses marchandises qu'ils acheminaient vers Genève.
Ils avaient vu défiler poivre, cannelle, muscade, et bien d'autres épices et denrées enivrantes et hors de prix. De là à imaginer que leur chef craint et respecté n'ait été ensorcelé par cette Fata Morgana? Qu'il faisait tout cela par amour? Non... impossible.Tout cela était décidément bien mystérieux.
Gianni soupira. Point de mystère, hélas. La vérité était là, toute nue, aussi nue que Xm qui dormait paisiblement à présent sous sa couverture et qu'il n'osait toucher.
Le soleil se levait maintenant et le premier coq avait lancé son appel. Les oiseaux pépiaient depuis un bon moment dans les buissons et Gianni sut qu'il fallait qu'il s'en aille avant que Xm ne se réveille, sans quoi il n'aurait plus la force de partir. Incapable de la quitter sans la toucher une dernière fois, il déposa un baiser aussi léger qu'un souffle sur le bout des doigts de sa bien aimée. Endormie ou éveillée? Xm caressa les lèvres de Gianni. Il se plut à penser que cette caresse et le sourire de Xm lui étaient vraiment destinés.
Arrivederci, bella! souffla-t-il dans son oreille.
Elle sourit encore et se retourna en ronflant un peu.
Rassemblant son courage, le contrebandier se leva, ramassa la lettre qu'il avait posée sur le sol la veille et la regarda avec frustration. Si seulement il avait su écrire! Il aurait pu laisser une explication, si tant est qu'il ait été capable de mettre des mots sur ce qu'il ressentait. Il aurait pu au moins lui dire au revoir, au lieu de partir comme ça, comme un voleur.
Gianni allait poser la lettre sur le lit à côté de Xm quand soudain il eut une idée. Il alla chercher un morceau de charbon de bois refroidi dans le petit brasero dans l'angle de la pièce.
D'une main malhabile, il traça avec un éclat, un cur percé d'une flèche. Il signa de la seule lettre qu'il connaissait, l'initiale de son prénom : G.
La simplicité dérisoire et enfantine de cette déclaration le désolait mais c'était là, hélas, tout ce qu'il était capable de faire.
Il déposa la lettre près de la main de Xm et quitta la chambre sans se retourner.
Dans la pièce du bas, il récupéra sa besace, en sortit les quelques présents qu'il avait apportés pour Xm. Déroulant un foulard de soie il soupesa un instant le lourd bracelet de perles d'argent finement ciselées qu'il avait échangé à un marchand de Zanzibar qui avait fait escale à Gênes. Il hésita, puis, l'enveloppant à nouveau soigneusement, le déposa sur la table.
Genève commençait à s'éveiller de l'autre coté de la porte. Les allées et venues silencieuses des pêcheurs sans doute. Gianni se disait qu'il était grand temps de partir quand un murmure de voix s'approcha de la maison. Ramassant en hâte ses affaires, il s'éclipsa sans un bruit par la porte de derrière.
*quasi tedesca : presque allemande
_________________
Vive comme l'éclair
Insaisissable comme la lumière
Dure comme le fer
Et en amour comme à la guerre...