Theolenn
Un mois a passé depuis leur départ de Gascogne. Un mois d'anonymat pour traverser une Guyenne protégée par une frontière en gruyère. Un mois sans histoire particulière, mais un mois au climat insaisissable où la chaleur torride invite parfois le gel dans une danse improbable, déraison des saisons qui s'amusent à faire la nique aux prévisions de ces anciens qui se signent à chaque fantaisie du ciel. Morelius-le-spadassin et Theolenn l'ex-capitaine ont donc respectivement traversé la cité des Vasates, suivie de la ville aux célèbres tomates, puis celle de Cyrano, et enfin, la capitale de la truffe noire: Bazas, Marmande, Bergerac et Périgueux pour ne point les citer. Mais trêve de circonlocutions, c'est Angoulême qui, en cette magnifique semaine de fin d'hiver, a accueilli nos deux indéfinissables voyageurs en son sein, et leur a accordé l'hospitalité dans une taverne des plus charmantes. La belle Theolenn a choisi, non sans un clin dil malicieux à son compagnon parfois grognon, l'Antre de l'Ours, réputée pour le confort de ses retraites hivernales. Le supposé plantigrade a fait la sourde oreille à toute allusion éventuelle et dans un sourire énigmatique, a monté les bagages à l'étage sans broncher le moins du monde. Toujours cet esprit de contradiction, presqu'un sport devenu légende entr'eux.
Dix heures sonnent à présent au clocher de l'église Saint-André. Au son lugubre de la grosse cloche, on devine qu'on vient tout juste d'y célébrer un enterrement.
Morelius est parti depuis l'aube jouer au bon petit soldat, rôle qu'il affectionne particulièrement quand il arrive dans tout nouveau lieu civilisé. Et pour dans ce moule mieux se couler, il se fait embaucher comme milicien et rapporte en soirée moult anecdotes amusantes, quelquefois gonflées de sa verve sympathique dans le seul but avoué d'égayer leurs soirées de veillée. Il a cet art du langage qui consiste à transformer les vicissitudes de la vie en exploits exceptionnels. A force, sa spectatrice la plus fidèle a appris à séparer le grain de folie de l'ivraie truculente. Mais la force de ses récits reste intacte, et le plaisir de s'y laisser bercer demeure comme au premier temps de leur rencontre, immense.
Theolenn perçoit le grattement d'un ongle qui s'aventure, hésitant, sur l'autre face de la porte de la chambre. Avant même que la poignée ne rencontre sa paume de main afin de voir de quoi il retourne, une feuille pliée par quatre glisse dessous le panneau. Elle devine qu'il est inutile d'ouvrir, le procédé assure qu'il n'y aura personne à découvrir de l'autre côté.
Sur le quart de parchemin visible auquel elle n'a toujours pas touché, un W grossier est dessiné à l'encre noire. Les battements de coeur de Theolenn se précipitent dès l'instant où l'idée fait son chemin en son âme : quelqu'un l'a reconnue ! Quelqu'un d'Angou qui l'a côtoyée autrefois quand, dans les auberges, elle animait les tablées trop sages par des facéties bien innocentes... ou non.
Waldorick, Waldo, Wal, la complice du petit moine grassouillet, haïe par les dames patronnesses qui n'appréciaient pas trop son franc parler et son manque de respect flagrant pour la noblesse quand elle est raide du collet. La mule de Fribi, qui n'acceptait de participer aux courses que dopée aux piments et à la mirabelle, l'alcool, pas le fruit... Lui revient en mémoire vacillante, sa borie aménagée en laboratoire clandestin, en salon de massage, en salle d'attente aussi, mais plus tard... Ah Angou, comment a-t-elle pu oublier ? Oublie-t-on l'endroit où le policier assermenté est, dès la nuit tombée, tantôt dépeceur de pucelles, tantôt violoneux ? Oublie-t-on les accusations de sorcellerie proférées par un curé fou d'expériences sur la flottaison des corps, surtout féminins ? Particulièrement quand elles sont dirigées contre vous et qu'il vous faut filer vite fait en abandonnant tous ses trésors contre un sursis de vie incertaine sur les chemins du hasard ? Non, sûrement pas... mais c'est tellement loin tout ça. Si loin qu'elle éprouve l'impression étrange que l'histoire appartient à une autre. Alors qui ? Qui se souvient de ce passé-là ? Pas le moine, on l'a retrouvé mort, noyé dans un fut de bière... le curé n'a pas eu sort plus enviable... une rombière pas encore remise des effets de sa virulence langagière de l'époque ?
Theolenn intriguée se décide et ramasse le message en prenant bien soin de ne pas le toucher directement peau à fibres, certaines vengeances sont si perfides... puis elle le déplie et lit.
Blanc morveux, foutriquet à la cervelle engorgée !
Veux-tu que je te fasse tailler des bretelles pour pouvoir te les remonter à ma guise ?
La gangrène aurait-elle atteint ton fondement que tu ne puisses remonter en selle et
être au rendez-vous de SA dernière chance ?
Combien de saisons te faut-il encore pour que les gonades te poussent ?
Veux-tu que j'aide leur descente à ma façon, dis, Morelius-le-blanc-bec ?
A moins que ce ne soit, comme il est plus probable, le sang de ton bâtard de père qui
ne s'exprime enfin et nous montre l'étendue de la lâcheté des crétins de ton engeance.
Si c'est l'amour qui te ramollit la jugeote, tu le sais, il est facile de s'arranger !
Ta porcelaine est si fragile...
Cesaere.
Elle est restée figée, le teint acidulé, seules les paupières ont ébauché un semblant de mouvement.
Une impression détouffement lent, la stupéfaction est totale, l'incrédulité pas loin de l'égaler.
Elle relit. Elle avale avec difficulté. Ses doigts referment machinalement la missive.
La seule chose dont elle est certaine, c'est que ce n'était pas un W, c'était un M...
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Dix heures sonnent à présent au clocher de l'église Saint-André. Au son lugubre de la grosse cloche, on devine qu'on vient tout juste d'y célébrer un enterrement.
Morelius est parti depuis l'aube jouer au bon petit soldat, rôle qu'il affectionne particulièrement quand il arrive dans tout nouveau lieu civilisé. Et pour dans ce moule mieux se couler, il se fait embaucher comme milicien et rapporte en soirée moult anecdotes amusantes, quelquefois gonflées de sa verve sympathique dans le seul but avoué d'égayer leurs soirées de veillée. Il a cet art du langage qui consiste à transformer les vicissitudes de la vie en exploits exceptionnels. A force, sa spectatrice la plus fidèle a appris à séparer le grain de folie de l'ivraie truculente. Mais la force de ses récits reste intacte, et le plaisir de s'y laisser bercer demeure comme au premier temps de leur rencontre, immense.
Theolenn perçoit le grattement d'un ongle qui s'aventure, hésitant, sur l'autre face de la porte de la chambre. Avant même que la poignée ne rencontre sa paume de main afin de voir de quoi il retourne, une feuille pliée par quatre glisse dessous le panneau. Elle devine qu'il est inutile d'ouvrir, le procédé assure qu'il n'y aura personne à découvrir de l'autre côté.
Sur le quart de parchemin visible auquel elle n'a toujours pas touché, un W grossier est dessiné à l'encre noire. Les battements de coeur de Theolenn se précipitent dès l'instant où l'idée fait son chemin en son âme : quelqu'un l'a reconnue ! Quelqu'un d'Angou qui l'a côtoyée autrefois quand, dans les auberges, elle animait les tablées trop sages par des facéties bien innocentes... ou non.
Waldorick, Waldo, Wal, la complice du petit moine grassouillet, haïe par les dames patronnesses qui n'appréciaient pas trop son franc parler et son manque de respect flagrant pour la noblesse quand elle est raide du collet. La mule de Fribi, qui n'acceptait de participer aux courses que dopée aux piments et à la mirabelle, l'alcool, pas le fruit... Lui revient en mémoire vacillante, sa borie aménagée en laboratoire clandestin, en salon de massage, en salle d'attente aussi, mais plus tard... Ah Angou, comment a-t-elle pu oublier ? Oublie-t-on l'endroit où le policier assermenté est, dès la nuit tombée, tantôt dépeceur de pucelles, tantôt violoneux ? Oublie-t-on les accusations de sorcellerie proférées par un curé fou d'expériences sur la flottaison des corps, surtout féminins ? Particulièrement quand elles sont dirigées contre vous et qu'il vous faut filer vite fait en abandonnant tous ses trésors contre un sursis de vie incertaine sur les chemins du hasard ? Non, sûrement pas... mais c'est tellement loin tout ça. Si loin qu'elle éprouve l'impression étrange que l'histoire appartient à une autre. Alors qui ? Qui se souvient de ce passé-là ? Pas le moine, on l'a retrouvé mort, noyé dans un fut de bière... le curé n'a pas eu sort plus enviable... une rombière pas encore remise des effets de sa virulence langagière de l'époque ?
Theolenn intriguée se décide et ramasse le message en prenant bien soin de ne pas le toucher directement peau à fibres, certaines vengeances sont si perfides... puis elle le déplie et lit.
Blanc morveux, foutriquet à la cervelle engorgée !
Veux-tu que je te fasse tailler des bretelles pour pouvoir te les remonter à ma guise ?
La gangrène aurait-elle atteint ton fondement que tu ne puisses remonter en selle et
être au rendez-vous de SA dernière chance ?
Combien de saisons te faut-il encore pour que les gonades te poussent ?
Veux-tu que j'aide leur descente à ma façon, dis, Morelius-le-blanc-bec ?
A moins que ce ne soit, comme il est plus probable, le sang de ton bâtard de père qui
ne s'exprime enfin et nous montre l'étendue de la lâcheté des crétins de ton engeance.
Si c'est l'amour qui te ramollit la jugeote, tu le sais, il est facile de s'arranger !
Ta porcelaine est si fragile...
Cesaere.
Elle est restée figée, le teint acidulé, seules les paupières ont ébauché un semblant de mouvement.
Une impression détouffement lent, la stupéfaction est totale, l'incrédulité pas loin de l'égaler.
Elle relit. Elle avale avec difficulté. Ses doigts referment machinalement la missive.
La seule chose dont elle est certaine, c'est que ce n'était pas un W, c'était un M...
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