Matouminou
Ils avaient quitté Fécamp, par une belle journée du début février 1461. Les préparatifs avaient duré plusieurs semaines, il s'agissait de savoir quoi emporter, ne rien oublier, penser à tout...nourriture, matériaux et matériels divers...barque, pas barque? hache pas hache? échelle pas échelle?
Chaque décision était prise en commun.
Ils étaient quatre à avoir répondu positivement à ce voyage que leur avaient proposé Matou et Stromb, quatre personnes, devenus des amis au fil du temps: Eremon et sa compagne Tigresse, Adorianna et Eleena.
Il y avait eu la déception que Kal et Pardy ne puissent pas venir avec eux, mais ils savaient que ce serait pour un autre voyage sans doute.
Si la question de la nourriture et de divers objets plus ou moins utiles avait été rapidement réglée, il en avait été autrement pour les vêtements et le nombre de malles à emporter. Eleena et Ado avaient pour principe de voyager léger, pour la plus grande joie d'Eremon qui soutenait qu'il ne fallait pas s'encombrer outre mesure de vêtements. C'était sans compter l'avis de Matou qui pensait tout autre. Tig était, du reste, du même avis.
Il avait fallu un long débat et quelques soirées en tavernes bien arrosées, pour établir le nombre de malles qu'elles pourraient emporter.
Matou avait estimé s'en sortir, en faisant de gros efforts, avec une dizaine de malles, ce qui avaient fait passablement grimacer Stromb et Eremon.
Si Matou pensait pouvoir rallier à sa cause son volcan, il en était tout autre d'Eremon.
Ce dernier lui avait demandé à quoi lui servait d'emporter autant de vêtements, qu'elle ne porterait surement pas.
Moyennant quoi, Matou qui était rarement décontenancée et encore moins rarement à court d'arguments, s'était lancée dans sa façon de voir les choses:
- Tu ne comprends rien, Eremon, mes vêtements, c'est une façon d'être rassurée en les ayant tous avec moi...Tu vois, c'est au cas où...selon les occasions qui se présenteront...par exemple, on peut être amenés à rencontrer des gens de haute lignée, il me faudra alors bien m'habiller, ensuite, pour mon volcan, je me dois d'être coquette...et puis, j'aime avoir le choix...c'est important! Enfin, si je ne prends pas tous mes vêtements, j'aurai l'impression qu'il me manquera justement la houppelande, ou le corsage qu'il m'aurait absolument fallu...
Eremon s'était, à plusieurs reprises, tapé la tête sur la table. Matou avait eu du mal avec ce réflexe qu'ils avaient, lui et Stromb à faire cela. Elle pensait que c'était peut-être un réflexe de survie, bien que ça devait tout de même leur faire mal. Bien sur, l'idée que c'était par désespoir, l'avait effleurée...mais en y réfléchissant de plus près, c'était plutôt elle qui aurait du être au désespoir à la fin de ce débat. Car, Eremon et Stromb avaient été fermes, et elle avait du se résoudre à ne prendre que cinq malles.
Elle avait supplié, fait la moue,versé même une larme..rien n'y fit...ils étaient restés imperturbables à son drame. Elle avait même annoncé qu'elle ne prendrait aucune malle et qu'elle voyagerait quasiment nue. Ce en quoi, Eremon lui avait rétorqué qu'elle était excessive...Elle? excessive?? Si peu...elle vivait tout simplement intensément ses sentiments, ses folies, ses déraisons...sachant que la vie pouvait du jour au lendemain tout vous reprendre. Mais il est vrai que ça lui jouait parfois des tours, et la mettait dans des situations parfois un peu incongrues...Pour autant, Matou aimait rire, d'elle surtout...et cette histoire de malles l'avait beaucoup amusée, au point même d'en rajouter des couches et des couches.
Ainsi, elle avait tenté de faire fabriquer un faux plancher aux deux charrettes, mais Stromb avait découvert la supercherie. Alors, elle avait demandé à ce qu'on emporte une barque:
- Ce sera si utile si l'envie nous prenait d'aller pêcher...
Bien sur, elle s'en fichait bien d'aller pêcher, elle ne voyait que la place gagnée dans la barque, immense malle pour mettre encore plus de vêtements.
Hélas, cent fois hélas, nouveau refus...nouvelle tentative qui tombait à l'eau et pas sur une barque....arfff...
Le jour du départ était enfin arrivé, et elle avait rempli ses malles, les bourrant jusqu'à presque les faire craquer. Stromb avait même du forcer pour les fermer.
Afin de faire culpabiliser les hommes, elle leur avait dit que, tant pis, s'il lui manquait quelque chose, elle devrait l'acheter, ce qui, tout de même, était ballot, vu qu'elle l'avait à Fécamp en plusieurs exemplaires.
Eux, avaient souri et haussé les épaules, sourds à son désarroi.
Plusieurs jours s'étaient passés, ils avaient bien voyagé, les routes étant tranquilles, les villes qu'ils traversaient aussi. De temps en temps, ils faisaient une rencontre sympathique en taverne, ils y restaient alors la soirée, puis poursuivaient leur route.
Ils avaient pris dans leur groupe deux voyageurs, Manu et Louloute, qui avaient ainsi, durant quelques jours, en toute sécurité, put voyager avec eux.
Une première halte de deux jours s'était imposée à La Rochelle, ville portuaire plutôt calme, mais sympathique.
C'est là qu'elle et Stromb avaient fêté la Saint Valentin, leur première fête des amoureux. Un évènement à ne pas rater, et qu'ils ne ratèrent pas. Stromb offrit à Matou quelque chose qui la laissa sans voix, tant le geste était surprenant. Il avait trouvé et acheté une malle immense avec des tiroirs incorporés, magnifique! A ceci, ils avait ajouté un immensse bouquet de roses, réalisé en forme de coeur. Elle lui avait offert des braies avec des pommes en guise de motif, clin d'oeil à la Normandie, avait fait confectionner un immense gâteau et avait même trouvé une bouteille de ce délicieux vin pétillant qu'on appelé champagne...Et puis, il y avait eu la nuit...ahhh...la nuit...dans une vraie chambre..avec une paillasse confortable, des pétales de roses...Oui Stromb avait sorti le grand jeu...et Matou avait fondu...conquise, ravie...mais, elle n'avait plus besoin de se persuader de l'amour qu'il lui portait, tout comme le sien était sans limite pour lui. Ce fut donc une soirée et une nuit inoubliables!
Puis, deux, trois jours plus tard, ils étaient arrivés à Bordeaux, dans l'espoir de voir les Desbaumes. Déception, ces derniers étaient partis pour le Portugal...ce serait donc pour une prochaine fois.
Les rôles avaient été répartis selon les compétences et les envies de s'investir de chacun.
Ainsi, Stromb avait pris à sa charge la demande des LP pour traverser en toute tranquillité comtés et duchés.
Eremon était chargé de vérifier que rien d'inutile ne se rajoutait à leur chargement...en gros, il traquait la malle supplémentaire qu'auraient pu rajouter Matou ou Tig. Déjà, il avait du digérer la 6e malle offerte par Stromb.
Tigresse et Elena apportaient leur bonne humeur. Quant à Ado, elle apprenait l'italien, dans le but, en Italie, de pouvoir communiquer avec les hommes. Car Ado s'était mise en tête de se trouver un italien comme compagnon. Seulement, son italien ressemblait plutôt à de l'espagnol. Mais quand Matou ou Stromb lui en faisaient la remarque, elle les regardait et lâchait avec superbe:
- Vous n'y connaissez rien en langue....et vous viendrez me demander quand vous aurez besoin de parler là-bas....Senor et Senora!!
Stromb avait alors rétorqué qu'on disait signe or et signe aura...enfin, c'est ce qu'avait compris Matou. Elle avait d'ailleurs acquiescé, car, on lui avait dit que les italiens parlaient avec les mains....par signes. Et puis, elle ne s'inquiétait pas, contrairement à ce que disait Ado, elle était douée avec sa langue qu'elle avait bien pendue, surtout à la bouche de son volcan...
Et les enfants dans tout cela? Et bien, ils étaient bien gardés, sous la surveillance de fidèles gens au service de Matou et Stromb: Suzon et Cunégonde, et l'inclassable Didier, libre, mais attaché avec fidélité à Stromb et, en y réfléchissant d'un peu plus près, à Suzon aussi...
Voilà donc où en était notre petite troupe, adultes, enfants, chargement en cette fin du mois de février 1461...