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[Rp] Petit meurtre entre amis *

Aethys
[Un mois après ceci. Dans une auberge parisienne]

«Fotralitge de putan… »**

La voix rauque marmonna l’insulte gasconne tandis que les mains se crispaient irrémédiablement autour du verre de vin qu’elles tenaient. Les ambres, encore posés sur l’inconnu non loin, s’enflammèrent pour venir transpercer l’Anglais qui s’était glissé derrière elle. Une fois encore, il venait lui cracher son fiel, lui rappelant sa solitude actuelle, dénigrant le compagnon sur lequel elle avait mis la main pour la soirée. « N’avez-vous vraiment rien trouvé de mieux pour tromper votre solitude ? » Le regard d’or se perdit sur l’individu qui l’accompagnait. Il n’était pas si mal en plus : soldat de carrière, une carrure agréable, le verbe creux certes mais après tout, elle ne lui demandait pas d’être insolent. Il lui déclamait des idioties sans nom auxquelles elle souriait légèrement, dissimulant tant bien que mal son amusement et sa moquerie, les murant dans son regard miel. Il lui offrait du vin, lui parlait d’elle, de sa beauté, de ses relations avec les autres femmes, de sa vie de soldat. C’était un passe temps comme un autre.

Un sourire d’apparence sur les lèvres, Aethys s’excusa auprès de son jouet du moment et se tourna vers Quentin. Posant sa main sur son bras, elle l’éloigna un peu, contenant l’acidité qui lui brûlait la langue. Ses muscles se tendirent sous sa peau hâlée alors qu’elle lui lançait un regard acéré. Combien d’amants lui avait il fait perdre depuis qu’ils se connaissaient ? Lui et sa langue trop bien pendue. Lui et son arrogance démesurée. Lui et son caractère odieux. Ses accents chauds se firent profonds, grondements sourds de mécontentement.


« Fermez la Quentin. Je vous préviens. Ce soir je n’ai pas envie de jouer avec vous alors vous ne vous approchez pas de moi... »

Elle savait pertinemment que ces menaces étaient vaines, qu’il s’installerait le sourire aux lèvres près d’eux et entamerait une conversation piquante, cherchant par tous les moyens de lui faire perdre son sang froid. Cela faisait désormais deux semaines qu’ils s’étaient rencontrés, peut être plus, peut être moins, alors qu’elle revenait du Sud avec une commande de poison pour une riche bourgeoise. Deux semaines où ils s’étaient engueulés, découverts, confiés, appréciés, blessés. Deux semaines où elle l’avait giflé une fois, où leurs verres avaient été renversés plus d’une fois, où ils s’étaient menacés, où il l’avait fait pleurer de rage, où elle avait eu envie de le tuer. Pourtant, cela faisait deux semaines où ils étaient toujours ensemble. Les ambres se firent un peu plus brûlants avant de se détourner pour revenir à son soldat de plomb qui n’avait pas bougé. Dans un mouvement lent, elle se réinstalla face à lui, reposant sur ses traits fins le masque lisse et charmeur qu'elle arborait pour lui.

« C’est…c’est ton mari ? »

Question innocente, un brin hésitante qui arracha une moue dégoutée à la brunette. Immédiatement, elle secoua la tête, tentant de chasser cette idée idiote de la tête de son compagnon.

« Non ! Non ! Bien sur que non ! C’est un… »

Elle allait dire ami mais en y réfléchissant elle n’était pas certaine qu’ils étaient amis. La lippe fut mordillée un court instant alors que la Gasconne réfléchissait. Qu’étaient-ils l’un pour l’autre ? Des emmerdeurs de première, ça à n’en pas douter. Mais impossible de le dire à cet inconnu. La Gasconne retrouva son attitude joueuse, un sourire charmant et parfaitement mutin sur les lèvres. D’un geste, elle s’empara à nouveau de sa coupe et en avala une courte gorgée, laissant sa bouche humide. Lascive, elle eut un petit mouvement de la main comme si elle chassait un moucheron invisible.

« C’est une connaissance. Nous nous sommes rencontrés plus au Sud et nous avons fait le chemin ensemble. Les routes sont toujours plus sures à plusieurs. »

Le soldat prit une moue hébétée, signe évident qu’il assimilait ce que l’occitane venait de lui mentir. Pourtant, son regard oscilla une fois encore vers Quentin et il secoua la tête.

« Je…je te crois mais je vais y aller. Je suis déjà en retard pour ma garde. On se croisera. »

Aethys eut à peine le temps de tendre la main vers son torse puissant que déjà, il avait disparut par la porte, englouti par la foule de la rue. Une grimace de mécontentement macula ses lèvres fines. Bien ! Parfait qu'il s'en aille cet imbécile ! De toute manière, elle avait une course à faire. Une histoire de poison à terminer et une bourse à encaisser. Mais quand même...Même sans ouvrir la bouche, Quentin les faisait fuir. Le regard sombre, elle lui fit de nouveau face.

« Content de vous ? »


** Fotralitge de putan : Connerie de catin
* Titre soufflé par le film de Danny Boyle

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Dessin original AliceChan ©
Quentin_locke
"Un visage est-il un masque de comédie posé sur la tragédie de l’âme ?" de Shan Sa

A en croire la névrose de l’incendiaire et la face cachée du courtisan, cela ne faisait aucun doute.
Rencontrés simplement dans taverne à Autun, l’intérêt de l’anglais a été attisé par cette jeune femme aux courbes isolentes et au caractère quelque peu bipolaire. Isolée, cherchant volontairement à ne point se mêler aux maréchaux et au Dauphin, les faiblesses d’Aethys devinrent le sujet d’attention du courtisan. Face cachée, masque fièrement encré sur le visage de la brune, l’anglais naturellement joueur et vicieux s’était fixé comme objectif pervers de trouver les failles de la gasconne d’une manière ou d’une autre. D’ailleurs, habitué aux femmes, à leurs confidences mais plus encore à leur fourberie et à leur hypocrisie protectrice, Quentin s’insinua dans l’esprit de l’incendiaire sans trop de peine afin que son masque se brise en éclat et ce au prix de quelques sanglots et de singulières crises d’hystérie. Toutefois, loin de toute attente, la faiblesse d’Aethys réussit malgré lui à l’attirer et à l’émouvoir. Femme touchante et fragile, cette gasconne qui partageait avec d’autres femmes quelques manières et ressemblances frappantes étaient arrivée néanmoins à se distinguer de ces dernières par cette névrose, cette complexité, cette bipolarité et ce côté espiègle et joueur qu’il n’avait jusque-là retrouvé que dans les iris d’Alphonse.

Alors, assis à quelques mètres de la gasconne, l’anglais se plaisait à décourager d’un simple regard ces prétendants insignifiants qui gravitaient vainement à ses côtés. En effet, l’incendiaire n’était pas une femme qui appréciait les fleurs, la soumission ou la docilité masculine et cela l’anglais l’avait bien compris alors, face à ces mâles armés de bonnes intentions, il était bien difficile pour Quentin de contenir quelques ricanements bien salauds à leurs égards. De plus, au fil de leurs échanges et de leurs confidences, l’anglais savait pertinemment qu’Aethys était une femme plus à même de vibrer au son de la confrontation, mais également de geindre sous le poids d’une intrusion forcée de sa dextre masculine, judicieusement nichée entre ses cuisses.

Et pourtant, loin de toutes ses effusions de perversité et de bestialité qui caractérisaient tant bien que mal ces deux acolytes se cachaient des faiblesses qui leurs étaient propres. D’ailleurs, ce ne fut qu’après quelques jours de voyage que le masque de l’anglais tomba à son tour. A l’origine de cette démystification, une conversation portant sur sa possible paternité et sur cette nuit qui fit d’Aigneas une femme et de Quentin un salaud bien amoché. Troublé et hanté, Quentin avait alors avoué à la gasconne qu’il aurait aimé garder l’enfant et qu’il aurait été prêt à tout pour l’assumer. Mais loin d’être dupes l’anglais et Aethys se turent sachant pertinemment que l’enfant était déjà peut être perdu et que le silence de la blonde était sans aucun doute, très équivoque.

Alors suite à ses confessions et au port de ces maques, il était évident que les deux putains se ressemblaient plus qu’ils n’osaient l’avouer. Leurs piques, leur dualité, leurs coups bas, leurs rapprochements et leur jeu de séduction étaient une façon bien à eux de communiquer et de se chercher sans véritablement trop de se trouver. Chacun d’eux cherchait ce qui lui était vital ou nécessaire et ainsi, Aethys cherchait sans nul doute cette confiance perdue depuis longtemps et Quentin quant à lui n’avait de cesse de fouiller au fond de ces nacres ambrés la raison de tous ces troubles et de ces tocs afin de mieux comprendre et cerner cette personnalité hors du commun.

De ce fait, à cette réplique qu’elle lui lance avec amertume, le courtisan se contente de rire. Il avait encore une fois réussi à faire fuir l’un de ces piètres courtisans et loin de se sentir coupable, Quentin savourait cette énième victoire. Aethys méritait mieux que ces crèves la dalle et même si le courtisan savait pertinemment qu’il n’était pas le plus fiable, le plus sain de tous les hommes, il était persuadé d’être en mesure d’apporter à cette névrosée, le réconfort et la domination dont elle avait besoin.

Content ? Oui. Vous n’allez pas me faire croire que cet homme vous intéressait quand même. Il est à peine pubère…

Amusé, l’anglais se redresse afin de venir à ses côtés. Une main se glisse contre sa nuque pour la masser et apaiser quelque peu cette nouvelle tension dont il était le triste responsable tandis qu’une autre, plus perverse, longe son échine afin de se perdre sur ce fessier qu’il vient presser à pleine main.

Je suis sûr qu’il aurait été incapable de savourer pleinement votre potentiel. Et puis, vous n’êtes pas faite pour guider un homme dans ses premiers ébats…Je me trompe ?...

La remarque est glissée, mutine et provocatrice dans l’oreille d’Aethys alors qu’il relâche déjà son étreinte afin de se diriger vers la sortie. En effet, même si les formes et la bouche de la gasconne étaient redoutables et qu’il se plaisait en sa compagnie, elle était à l’heure actuelle loin de concurrencer cette attirance quasiment démesurée qui l’unissait à son compagnon de voyage, Alphonse et c’est donc les reins affamés que l’anglais s’éclipse afin de retrouver celui qui prenait plaisir à dompter.

On se retrouvera ce soir en compagnie de toute la clique. Je vous payerai un verre afin de palier à votre frustration à moins que vos attentes soient plus gourmandes…

Salaud, le rire se dissipe dans la taverne telle une ultime pique à l’attention de celle, qu’il considérait malgré lui, comme sa protégée.

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Aethys
Il rit. Les iris ambrés s’accrochèrent à ses lèvres assassines, ouvertes sur un sourire narquois et moqueur. Ils suivirent l’angle de la mâchoire, se perdant dans la masse brune, bien trop longue pour être honnête qui lui mangeait la nuque. Ils remontèrent vers ses prunelles sombres qui se paraient tour à tour de perversité habituelle, de douceur irréelle voire de trouble touchant. Un sourire inconscient étira les lippes gasconnes. Elle se rappelait encore lui avoir dit sans la moindre hésitation qu’il ne lui plaisait pas le moins du monde. Elle mentait évidemment. Il avait un charme animal, un brin brutal qui se dégageait de son physique pourtant fin, des ses traits acérés. Son regard, ses gestes, son attitude, tout suintait ce vice, cette décadence qu’il ne retenait même pas. L’occitane les connaissait si bien ces hommes, prétentieux, machos, n’imaginant même pas qu’une femme put se refuser à eux. Combien en avait-elle croisé ? Trop, certainement trop. En tout cas, tant qu’elle ne pouvait les compter et pourtant deux l’avaient marqué et continuaient à hanter ses pensées de temps à autre. Son amour qu’elle commençait à peine à effacer de sa vie et un libertin donc elle n’avait plus de nouvelles depuis des mois. N’était-elle finalement que bien près de ces hommes là ? Elle devait l’avouer, elle y trouvait une fougue, une passion, un égo démesuré qui pouvait enfin s’opposer au sien, lui offrir ses conflits violents qu’elle cherchait sans cesse à provoquer. Ils la faisaient vibrer, se sentir vivante, pleine de pulsions, d’envie. L’un lui avait fait quitter ses terres, sa famille, sa ville, sa vie. L’autre l’avait ravi le temps d’un séjour en Anjou, réveillant ses nuits par leurs soupirs. Mais ils la détruisaient également, sa phobie la guettant à chaque pas près de tels hommes. Et lui ? Où la mènerait-il ?

Les ambres devenus vaporeux revinrent à la réalité alors que le courtisan s’approchait d’elle, ses mains retrouvant l’une sa place habituelle sur sa nuque, l’autre se faisant mutine. Aethys pencha légèrement la tête, laissant les doigts de Quentin faire disparaitre la tension de ses épaules avant de chasser celle qui s’insinuait plus bas. Souffler le chaud et le froid, jouer la carte de l’insolence et de la tendresse protectrice. Le brun n’avait de cesse de multiplier les gestes de réconfort à son égard avant de la rabrouer l’instant d’après. Et cela avait le don de la déstabiliser. Ne lui avait-elle pas dit : la douceur, loin de lui être habituelle la perturbait.

La Gasconne le fusilla d’un regard qui était bien plus amusé que grognon finalement. Après tout, ce jouet d’un instant, ce soldat, n’avait pas la moindre importance à ces yeux. Et puis, la remarque à son oreille sonnait juste. Il fut un temps où elle donnait dans le puceau, dans l’amoureux transi qui caquetait à ses pieds. Plus maintenant. Ces instants étaient signes d’une autre vie, plus ancienne, plus chaotique aussi. Désormais, elle n’en avait plus besoin. Il fallait croire qu’elle finissait par grandir la gamine, que son attitude s’apaisait quelque peu ou plutôt qu’elle s’enlisait dans une phobie de plus en plus profonde, chassant trop souvent son caractère plus malicieux et volage. Elle eut donc une moue légère, laissant tout le soin à Quentin de s’imaginer la réponse de son choix. Il ne manquerait de toute manière pas de le faire.

L’ultime remarque la fit à nouveau sourire, d’un sourire cette fois plus lascif. Ils s’étaient abandonnés quelque fois l’un à l’autre, s’abreuvant de cette lubricité sans limite qu’ils partageaient. La brunette ne le niait pas : elle aimait les instants passés à ses côtés, elle aimait lui arracher des souffles rauques et des remarques acerbes, elle aimait leurs joutes continuelles, ces masques qu’ils portaient pour mieux se les arracher. Pourtant jamais, elle ne le lui avouerait. Aethys hocha la tête sans répondre. Elle n’avait pas besoin de le faire. Il savait qu’ils se retrouveraient ce soir, en compagnie d’Alphonse et d’Annelyse, comme tous les soirs. L’occitane l’observa sortir et fixa la porte une longue minute. Le jeu était étrange avec Quentin et elle ne pouvait s’empêcher de se demander où cela les mènerait tous les deux. Maintenant, qu’ils étaient à destination, chacun reprendrait-il le cours de leur vie respective ? Certainement…

Le barbier se leva et s’étira de tout son long faisant jouer les muscles de son dos. Bon ce n’était pas tout mais elle avait un marché à conclure. Elle attrapa la besace de voyage qu’elle trainait avec elle depuis le Sud et l’ouvrit, en sortant un coffret de bois. A l’intérieur un fin poignard ouvragé qu’elle ne toucherait pas de ses mains. Une lame appartenant à une bourgeoise et désormais porteuse de mort. Un sourire carnassier s’étendit sur ses lèvres. Reposant le coffret dans la besace et passant cette dernière au travers de sa poitrine, elle vida son verre de vin et sortit.

La soirée débutait à peine. Les rues encore bondées de la foule hétéroclite parisienne se faisaient sombres. Aethys les traversa d’un bon pas. Non pas qu’elles avaient perdues le charme indéniable que la Gasconne leur accordait mais l’affaire qu’elle avait à régler pouvait lui rapporter gros. Et seul l’appât du gain pouvait lui faire ainsi fermer les yeux. L’auberge n’était pas loin. Elle aurait même pu proposer au groupe de s’y installer mais étrangement, ils ignoraient tous quelles étaient ses activités. Sans réellement savoir pourquoi, la brune conservait cette part d’elle soigneusement éloignée de ceux qu’elles considéraient comme ses proches. Le temps d’un voyage certes mais proches tout de même. Jamais elle n’avait donc évoqué cette facette et les avaient tenus loin, ou presque de cette auberge. Réminiscence des ennuis qu’avait pu lui causer le fait d’être barbier et maitresse en même temps peut être…

L’enseigne grinça, lui faisant lever les yeux. Une légère brise remuait les effluves âcres de la ville et s’engouffra devant la gasconne lorsque celle-ci ouvrit la porte. L’auberge était modestement emplie, chaleureusement et bruyante. Aethys eut un sourire fugace en s’avançant, laissant la porte se refermer derrière elle. Les ambres passèrent rapidement sur les quelques tables, repérant aisément celle de sa cliente. Le sourire revint plus vénal et froid. Le masque orgueilleux et insolent de l’empoisonneuse se posa de lui-même sur le minois gascon alors qu’elle s’approchait. Le temps était aux affaires.


« Le temps vous a-t-il paru si long finalement ? »

Une moue moqueuse sur les lippes, la brune se laissa tomber dans un siège face à sa cliente. Les choses se règleraient vite. Après tout, ce n’était qu’une vente de plus.
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Dessin original AliceChan ©
--Nyssie


Depuis des jours, la Brune possessive trépignait d’impatience. Voilà des semaines que la Cupide était partie pour lui concocter sa potion mortelle. Sa colère et sa détermination ne faisait que de se décupler depuis cette attente. La belle Nyssie était pressée d’en finir, qu’il ne soit plus de ce monde après cet affront qu’il lui avait fait subir. Pendant quelques minutes, l’Anglais l’avait jeté en pâture à la vermine parisienne. En réfléchissant bien, le Quentin aurait mieux fait de l’y laisser. Cela aurait peut-être éviter qu’elle veuille se venger. Pourtant, il l’avait tiré de là. Le courtisan l’avait sauvé des griffes d’un bourreau complètement saoul qui ne désirait qu’assouvir ses plus prodigieux fantasmes. Ce jour-là, la guerre était déclarée. Vengeance oui. Plus rien d’autre ne comptait pour l’égocentrique. Le Brun l’avait malmené alors qu’elle, tout ce qu’elle voulait, c’était lui. Et la Brune était prête à tout pour qu’aucune femme ne puisse encore effleuré son corps, sa peau chaude et veloutée. Un échange charnel avait suffit pour que la Bourgeoise le veuille à jamais. Le premier qui avait su trouver les commandes afin de la faire succomber et de s’abandonner et peut-être même le dernier. Courtisan n’était pas qui veut. Lui, il avait cela dans la peau et la Nyssie voulait à tout prix le faire sortir de ce Bordel. Seulement, Quentin ne l’avait pas entendu de cette oreille. De ce fait qu’il avait voulu lui donner une leçon qui avait fait naitre la haine, la colère, la rage et cette vengeance de le voir…Mort. Puisqu’il ne serait jamais à elle, personne d’autre ne l’aurait…

Depuis quelques soirées, la Belle venait passer quelques heures dans une taverne remplie de têtes inconnues. Elle n’avait pas quitté encore son hostel et le rendez-vous de conclusion de cette vente illégale n’allait plus tarder. Deux ou trois soirs où elle poireauta seule en buvant quelques absinthes mais personne. Son regard souvent à la fenêtre, la Brune scrutait chaque passage suspicieux de rentrer dans cette auberge. La souillon pourrait débarquer à tout moment. De ce fait, elle s’était mise dans un endroit pas trop visible mais suffisamment de la donzelle. A travers le carreau, dans la pénombre, quelques silhouettes. Une brune d’abord, mal fagotée à ses yeux et une démarche féline venait de passer dans la ruelle. On aurait que cela était elle. La Brune se redressa sur sa chaise et mit son dos droit pour se faire un peu plus visible au cas où celle-ci rentre. Puis, non loin d’elle. Un homme. Elégant, bien habillé, cheveux longs, foncés et une allure de courtisan. Nyssie l’avait tellement observé en cachette que seule la démarche du messire la convint que cet homme était Quentin. Le couple ne faisait que passer devant cette fenêtre. Aucune entrée dans la taverne. Ses yeux commencèrent à divaguer brutalement. Ses doigts se portèrent à sa bouche. La Brune avait l’air contrariée. Non, cela ne pouvait pas être possible. La Cupide ne pouvait pas connaitre l’Anglais. Il était trop….Trop élégant pour elle. Ses rétines basculèrent sur le bois de la table. L’inquiétude se laissait ressentir. La Belle ne voulait pas en croire ses yeux. La voilà qui essayait de se dissuader que cela n’était pas possible. Elle avait du confondre. Sa respiration était haletante. Sa main se reposa sur la table. Non, Quentin n’était pas ce genre d’homme à côtoyer ce genre de femme. Et de toute manière, cela ne pouvait pas être l’empoisonneuse. La donzelle l’aurait prévenu de son arrivée tout de même. Du moins, elle s’en persuadait.

Les heures passèrent et toujours personne et après ce qu’elle avait vu plus tôt….Nyssie finit son verre d’un trait, attrapa sa besace et allait se lever quand, soudain, la porte d’entrée s’ouvrit. Une femme entra vêtue de frusques qui n'étaient pas à son goût, une démarche assurée et un regard presque inquisiteur. La Brune l’observa de la tête aux pieds et s’aperçut que quelques heures plus tôt, c’était bien elle. Elle reposa sa besace à terre, n’en croyant pas ses mirettes. Mais oui, la silhouette à présent était reconnaissable. C’était bien elle aux côtés du Courtisan. Ils se connaissaient donc. Et là, tout dans son esprit devint confus. Savait-elle que c’était lui que la Brune voulait tuer? Savait-elle que le poison lui était destiné? Savait-elle quelle pourriture il était? Lui avait-elle dit?

Nyssie la laissa s’avancer. Son regard fixé sur elle, elle ne disait mot. La souillon ne prit même pas le temps de s’asseoir. Dans ses entrailles, les foudres se ressentaient de plus en plus en laissant ses rétines sur cette bonne femme. Mais elle ne dirait rien. Il ne fallait pas qu’elle sache. La Bourgeoise ferma son visage comme à son habitude et sa froideur revint en un instant.


Une éternité! J’ai cru mourir d’attente.

Et encore plus maintenant…..Mais cela, Nyssie se garderait bien de lui envoyer. La regardant fixement dans les yeux, le désir de tenir enfin dans ses mains ce qui allait provoquer sa chute mortelle, la faisait presque jouir. La Brune attrapa sa bourse et la posa sur la table, ses mains encore dessus.

Alors? Vous l’avez?

L’empressement de lui faire enfin passer trépas grandissait de plus en plus et ce soir-là, en le voyant avec une autre, cette envie avait atteint son apogée.

Aethys
Ambiance bruyante, teintée d’éclat de rire, de voix, de dés qui rebondissaient sur les tables, de choppes qui se cognaient au bois des tables. Une légère fumée planait dans l’air, piquante et entêtante laissant aux vêtements, aux gens cette drôle d’odeur de feu de bois mêlée de ragout de navet. Aethys eut un léger sourire et s’étira sur son siège. D’un geste elle commanda un verre de vin au tavernier qui se dandinait non loin, passant difficilement entre les tables bondées. La brune lui sourit, sereine. Elle le connaissait depuis quelques temps désormais, elle qui errait d’auberge en auberge dans Paris. En fait, presque tous les taverniers la connaissaient de près ou de loin. Tout comme les membres du guet d’ailleurs.

Une fois son verre en main, elle reporta son attention sur sa cliente, froide au possible et totalement décalée dans cet environnement plutôt bon enfant et de basse naissance. Les lèvres furent trempées dans le rubis, dissimulant tant bien que mal la moue amusée et narquoise qui les étirait. Pauvre bourgeoise qui semblait rongée par un mal odieux. Un mal d’amour certainement qui devait bien lui dévorer l’âme toute entière pour qu’elle lui répondît avec tant de verve. Aethys prit une nouvelle gorgée. Son attitude avait légèrement changé depuis ses longues semaines passées en compagnie de Quentin, d’Alphonse et d’Annelyse. Lentement, elle avait retrouvé ses marques, s’enivrant à nouveau de sa personnalité joueuse, pétillante et garce qu’elle avait quelque temps laissé s’éteindre. Sa lassitude avait fondu sous les premiers rayons de soleil de printemps et son aller retour du Sud lui avait fait le plus grand bien. C’était donc avec un esprit parfaitement affuté et insolent qu’elle jaugeait la cliente devant elle. Et son sourire de s’étendre toujours plus.

La bourgeoise, elle ne semblait pas partager son enthousiasme et son plaisir pervers de la faire languir encore un peu, décryptant une à une toutes les émotions qui passaient par ses prunelles. Prunelles qui d’ailleurs ne lâchaient pas d’une seconde les ambres gascons. Sa supplique fut offerte en pâture à l’Occitane qui la fit patienter encore un peu. Bien sur qu’elle l’avait. Que pouvait-elle bien croire d’autre ? Qu’elle se serait pointée dans l’auberge, la bouche en cœur pour ne pas le lui vendre ? Qu’elle aurait fait tout ce chemin juste pour le plaisir de croiser ce regard assassin qui tentait de lui ouvrir le ventre par la pensée ? Les lippes se firent moqueuses et froides alors que les doigts quittaient à regret le verre. La besace fut ouverte, le coffret posé sur la table entre elles deux. Délicatement, la brune souleva le couvercle découvrant l’objet tant désiré.


« Le voici… »

Aethys marqua un petit temps d’arrêt laissant tout loisir à sa cliente de saliver sur sa vengeance qui venait de faire un bond en avant. Là avec la concrétisation de son méfait, il ne lui manquait plus grand-chose. Un peu de cran, une pointe de colère et bientôt, elle aurait basculé sur une voie bien plus sombre.

« Corydale et vipérine. Une simple égratignure et votre homme sombrera lentement immobilisé par une paralysie odieuse. Ainsi rendu aussi menaçant qu’un agneau, vous aurez le plaisir de voir sa souffrance se répandre en lui, s’écouler dans son corps, dévorant peu à peu chaque parcelle de sa peau, le brûlant d’un feu invisible et pernicieux. Jusqu'au dernier cri de douleur...»

Le sourire de l’empoisonneuse se fit mauvais, laissant entrevoir des nacres carnassières. Peu importe qui serait la victime de sa cliente, s’en était fini de lui. A moins qu’il ne connaisse un remède, ce dont la belle doutait réellement. Après tout, la seule fiole d’antidote se trouvait dans sa propre chambre, bien à clef dans un coffret où elle conservait ses poisons les plus violents. Et personne ne saurait lui en fabriquer un avant que la fin ne l’empoignât.

Cependant, le couvercle du coffret se referma brusquement dans un léger claquement et la boite fut ramenée contre la Gasconne. Après tout, la deuxième partie du paiement n’avait pas encore été effectuée alors la cliente ne pourrait que voir et désirer au-delà de toutes limites. Aethys sourit un peu plus, reprenant son verre pour en déguster une nouvelle gorgée. Son sourire redevint aimable et léger, tandis que son regard errait dans la salle, comme si de rien était.


« Nous avions donc dis une centaine d’écus à nouveau, n’est ce pas ? »

L’étincelle vénale s’alluma à nouveau. La vengeance se payait toujours et cette fois-ci la Gasconne allait s’en mettre pleins les poches.

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Dessin original AliceChan ©
--Nyssie


La Brune n’avait pas le temps de patienter encore. Après la scène devant elle au travers de la fenêtre, l’impatience de le voir cracher son dernier souffle de vie ne devenait plus que dernière jouissance malsaine. Oui, elle était comme cela la Possessive. Elle obtenait tout et il fallait que ce soit de suite. Si ce n’était pas le cas, Nyssie réglait ce léger contretemps avec rapidité. Pour elle, tout lui était du. Et pour elle, Quentin lui devait beaucoup. Seulement, il ne l’avait pas compris et pire, il l’avait prise pour une cliente ordinaire. Pauvre de lui, l’Anglais allait quitter cette Terre.
Son pied martelait le sol. La souillon avait bien saisi le trépignement de la Brune et sortit un coffret de sa besace. L’empoisonneuse décrivit ce qu’elle lui avait concocté et ce que cela procurerait à sa victime. Oui..Jusqu’au dernier cri de douleur. Le voir souffrir pour son plus beau plaisir. Un sourire en coin, un coup d’œil vers l’empoisonneuse lorsqu’elle avança cette boite de Pandore et ouvrit pour lui montrer le contenu. Comme prévu son couteau, sa lame badigeonnée de cette substance qui ferait passer le Brun de l’autre côté. Intérieurement, la Tueuse Brune jubilait. Une grande inspiration qui gonfla sa poitrine une seconde, elle admirait cette arme si meurtrière à présent. Nyssie n’avait jamais ressenti autant de plaisir en quelques instants. Le moment crucial arrivait pas à pas. Enfin, elle allait pouvoir se venger de cet homme si hautain envers elle. Sa main gantée se tendit et avant qu’elle ne puisse toucher le bord de la boite, la Cupide referma celle-ci. Mimine qui se recula et se stoppa. Froncement de sourcils lorsque son empoisonneuse reprit le coffret auprès d’elle. Un plissement d’yeux se dessina sur son visage de Bourgeoise. L’argent…Elle n’avait pas oublié. Ses phalanges attrapèrent sa bourse posée juste devant elle et la balança à la Cupide. A présent que la bourse avait changé de mains, la Brune empoigna le coffret d’un geste bref et rapide.


Bien! Affaire conclue très chère. Je vous remercie de votre aide si précieuse.

Nyssie se leva et se penchant vers la souillon pour lui souffler bien gentiment quelques mots qu’elle ne comprendrait pas sur le moment mais peut-être plus tard.

Vous m’enlevez une épine du pied comme moi je vais le faire pour vous.

Certainement qu’elle se poserait la question de savoir pourquoi elle lui avait dit cela. L’empoisonneuse le saurait bien assez tôt. Pas un au revoir, pas un mot de plus, Nyssie sortit de l’auberge sans rien demander de plus et se retrouva sur la place noire, silencieuse et froide. Maintenant, il n’y avait plus qu’à.

[Les Ténèbres n’attendent que toi]

La Brune remit sa capeline comme il se devait sur ses épaules et enfourna la boite de Pandore dans sa besace. Son sourire en coin ne se défaisait plus. Ca y était. Elle avait le nécessaire de sa vengeance, la lame qui allait le faire souffrir jusqu’à son dernier soupir. Cette arme qui lui ferait passer trépas pour qu’aucune femme ne le touche encore et encore. Enfin, plus aucunes catins, nobles, mariées, veuves, autres bourgeoises qu’elle ne le toucheraient, ne le sentiraient, ne le supplieraient, ne jouiraient sous ses mains. Plus aucunes ne se délecteraient de cette ardeur qu’il avait à donner à qui bon lui demanderait. A défaut, c’était elle qui hériterait de son dernier baiser, de ce goût si délicat de ses lèvres et de son dernier souffle d’existence.

La Brune Possessive prit la direction du fameux Bordel où le Quentin sévissait. Il fallait arrêter l’hémorragie à tout prix et le plus tôt serait le mieux. Sa respiration devenait profonde à chaque pas qu’elle faisait. Ses rétines naviguaient sur le sol. Des bruits de pas se firent entendre. L’égocentrique leva la tête. Une ombre qui avançait vers elle. Les auberges de chaque côté de la rue donnaient de la lumière dans cette pénombre. Une lueur éclaira le visage de l’homme. Sous ses traits de bonhomme heureux, calme et serein, elle le reconnut. Aucun doute, Nyssie aurait pu le reconnaitre entre mille. Son visage était bien encré dans sa cervelle. Oui, son bourreau, celui qui torturait son carde depuis des mois était en face d’elle. La belle Brune baissa la tête pour éviter que lui ne la reconnaisse. Son rythme cardiaque s’accéléra et une main s’engouffra dans sa besace. Ses doigts ouvrirent la boite et saisirent le manche de l’arme. Elle avança, avança….Jusqu’au moment où elle le percuta de face, de plein fouet.
La Possessive leva son minois, le laissa poser les yeux sur elle, lui laissa quelques secondes pour bien l’admirer et se rappeler d’elle. Nyssie voulait qu’il la voit entrain de jubiler avec son sourire en coin, qu’il comprenne que sa vengeance était présente et que son heure avait sonné. D’une voix calme mais sèche presque en sourdine.


J’espère que tu t’es bien amusé avec tes catins. Je t’ai vu, il y a quelques heures, avec une putain encore….Comment as-tu pu…..Ne voyais-tu pas? Tu aurais pu obtenir ce que tu voulais. Cette Brune Cupide sera ta dernière conquête. Ton heure a sonné Quentin. Il est temps que tu rendes ton dernier souffle.

La Brune sortit sa main de sa besace. L’arme dans ses phalanges. Son bras se leva. Une lumière fit scintiller la lame dans cette noirceur. Ses yeux devinrent noirs comme l’ébène, la rage se décupla, le châtiment allait être donné. Sa poitrine se gonfla et la lame s’abattit sur lui avec une force et une rage qui rien ni personne ne l’empêcherait de finir sa sentence suprême qu’elle lui avait réservée. La Brune visa son cou, sa gorge pour atteindre sa carotide et que le poison se diffuse petit à petit dans son sang....

Quentin_locke
"La mort n'est que la mort ; on ne signifie rien par sa mort mais on la subit." de Eric-Emmanuel Schmitt

Le brillant d’une lame s’élève vers lui, un regard féminin le dévisage avec rage et le souffle de l’anglais se paralyse sous une évidente fatalité. Devant lui, Nyssie clame avec véracité sa jalousie, sa folie et son dévouement sans fin. D’ailleurs des mots enragés sont crachés à son adresse et alors que la Folie tente de viser son cou, le courtisan s’y oppose d’un geste brusque. Sa main droite rencontre ainsi la froideur de la lame et une plainte est étouffée avec peine. La chair est entaillée, pénétrée par le tranchant du poignard et la douleur, cinglante, se dissipe en lui tout comme ce venin qui n’aspire qu’à paralyser l’essence même de son être. Dans l’instant, le poing de l’anglais se ferme et la douleur est contenue pendant que sa rage et sa haine quant à elles se déversent contre les tripes de la Folie. Le coup est froid, mordant et volontairement puissant afin de briser son souffle et de contempler avec dédain, le poids d’une échine qui plie devant lui. Avec rapidité, l’anglais profite de la peine de Nyssie afin de la désarmer mais, alors qu’il lui serait aisé de planter cette dernière au creux de ses monts, une anomalie le trouble et l’immobilise. Son regard noir, pétrifié, se porte sur sa main droite dont la douleur semble étrangement vivace et foudroyante. Sa prise peine à se faire constante et ses muscles quant à eux semblent s’irradier sous la douleur.

….Garce…..Qu’y avait-il sur ta lame ?!! Sale catin ! Tu m’as empoisonné !!

Les paroles de l’anglais sont balancées avec force à l’adresse de la Folie alors que, impuissant, Quentin observe cette lame lui échapper. L’instant se fait éternité. L’arme s’échappe de sa poigne, chute et heurte finalement le pavé pourri de la ruelle et son regard soudainement vide se porte sur cette main qui ne répond plus de rien. Fatalement, le poison s’empare désormais de son poignet et remonte plus en avant encore et sous cette douleur lancinante, l’anglais ne peut contenir quelques sueurs froides et quelques grimaces qui désormais se figent sur son visage. Le poison est en lui et pulsé par son palpitant, il s’irradie en lui avec rapidité et férocité.

La Mort.

C’est peut-être ce qui l’attend et sous cette fatalité, l’anglais ne peut se résoudre. Il est loin d’être prêt, loin d’avoir achevé tous ses projets avec Aethys et Alphonse et loin d’avoir assouvi également son désir de paternité. Cette mort, si tant est qu’elle doive le faucher, n’est pas celle qu’il a choisie. D’ailleurs, sous la peine ressentie quelques pas sont fait en arrière alors qu’il enserre de son bras encore valide la gorge de Nyssie. Reculant au hasard, le pas hésitant et faiblard, son échine finit par trouver un soutien grâce à ce mur rugueux et glacial qui les accueille.

Sale putain…sache que si tu aspirais à me voir crever comme un chien pour te délecter de ce spectacle…Je vais contrarier ton plan…comme tu as contrarié celui de mon avenir…Tu crèveras avant moi.


Sous le piquant du verbe, l’anglais affermit la pression exercée sur la gorge gracile de Nyssie alors que son corps se laisse peu à peu envahir par le venin. Son visage transpirant et blafard bascule en arrière alors que le souffle de sa cliente se raréfie et que ses plaintes égarées et effrayées se mêlent à celles plus rauques et amers du courtisan. Toutefois malgré son désir pressant et avide de lui nuire et de se réjouir de son ultime souffle, le bras vengeur commence à s’engourdir à son tour. Quentin lutte alors, essayant tant bien que mal de passer outre la douleur, la raréfaction de son propre souffle et l’engourdissement de ses membres qui l’effraie et le plonge inexorablement dans la tenue fixe et froide du mort. Quentin appuie, force, plaque Nyssie contre lui et enserre avec hargne sa gorge jusqu’à ce que finalement un craquement et un ultime soupir pourtant infimes, parviennent à briser le silence logé entre deux plaintes. Le souffle se cache, se perd, s’abandonne et Quentin harassé, épuisé, vaincu par sa fatigue et son mal laisse son bras échouer, pantelant contre le buste de la défunte.

Sa propre mort est proche. Il sent la raideur de ses membres, la violence de ce poison qui emprisonne tout son être et son esprit quant à lui, bien vivant, clame avec force son désir de survie. Foudroyé par la douleur du poison et par cette paralysie qui le rend impuissant et fou, Quentin songe en secret à son amour pour Alphonse et à l’avenir avec Aethys qu’il avait tracé, telle une esquisse fébrile dans son conscient. La rage l’envahit, mêlée à ce sentiment d’évanouissement qui le ronge et l’atteint. Immobile, le temps s’écoule emportant avec lui, les dernières peines de l’anglais. Ses membres dans leur totalité semblent ailleurs et l’esprit malgré lui reste prisonnier de cette épave, de ce corps qui autrefois lui apportait femmes, écus, désirs et abondance. Sous un dernier soubresaut, un crachas rougeâtre s’échappe de ses lèvres et l’anglais troublé, affaiblit et rongé de l’intérieur, manque de s’étouffer avec son propre souffle de vie. Ce poison lui bouffe littéralement les tripes, paralyse ses muscles et s’attaque désormais à son palpitant. La machine ralentie, le souffle et la pompe s’enraillent et l’esprit enflammé et vivant est muselé. Comme un bâillon que l’on pose sur la bouche d’une innocente que l’on condamne au silence et au bûcher, Quentin se sent sombrer dans l’oubli et l’obscurité, vaincu par la fatalité.

Une dernière pensée s’égare, se dissipe entre ses tempes…Le temps de l’anglais, du péché et de l’insolence n’est plus.

    A toi Aethys…
    Je sais...
    Je ne t’en veux pas…

    J’aurai peut-être pu t’aimer…
    Je ne t'aurai jamais abandonné...



    A toi Mon Alphonse,
    Tu auras été mon premier client, mon premier amant et le seul que j’eus aimé.
    Puisses-tu un jour me pardonner cette mort grotesque et mon abandon...
    Mes dernières pensées sont riches de nos péchés, de notre amour interdit et indécent…
    Puisses-tu me rejoindre, le plus tard possible, dans les limbes.
    J’aurai aimé baiser une dernière fois ta peau et en savourer toute l’iode...
    Je t'aime...





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Alphonse_tabouret
Arrêtez les pendules ! Coupez le téléphone.
Empêchez le chien d’aboyer pour l’os que je lui donne.
Faites taire les pianos et sans roulements de tambour,
Sortir le cercueil avant la fin du jour.

Que les avions qui hurlent au dehors
Dessinent dans le ciel ces trois mots : il est mort.
Nouez des voiles noirs aux colonnes des édifices,
Gantez de noir les mains des agents de police…(*)





Le crépuscule tombait enfin sur le salon parisien, cueillant de ses ombres plus diffuses les contours d’un visage fermé, impassible, que rien ne semblait pouvoir altérer. Les traits étaient doux, légèrement tirés par une léthargie malsaine, laissant apparaitre sur le visage d’Alphonse dont on ne pouvait pourtant pas douter de la bonne santé au premier coup d’œil, une lassitude maladive.
Assis, dans un champ de ruines, il contemplait, hébété, ce monde qui n’avait plus aucun sens et à qui la soudaine infinie lenteur avait ôté toute unité, et toute beauté.
Le temps s’était arrêté, aussi simplement que ça.
Le soleil se couchait juste, effleurant les toits parisiens d’un dernier rayon avant de décliner définitivement mais pour lui, la nuit était jetée depuis des heures déjà, recouvrant tout, jusqu’à la moindre particule, jusqu’à la moindre fondation qu’il avait posé depuis sa procession de foi.
Quentin était mort.
Quentin était mort et chaque mot de cette phrase était à ce point-là douloureux qu’ils le tétanisaient d’une angoisse sourde, insensée, l’engluant inexorablement dans une perspective sans horizon.
Dix ans d’une passion aveugle, soumise à la main céleste de la fortune, encensée par l’odeur du Lion, sublimée par l’interdit qu’ils avaient transgressé avec tant de folie furieuse en violant tous leurs tabous, sans aucune restriction, jusqu’au dernier, allant jusqu’à s’aimer, eux qui clamaient haut et fort ne s’attacher à rien ni à personne. Autant de jours que de certitudes puériles avaient rempli ce laps de temps sans la moindre anicroche, et il y avait cru… naïvement, follement, simplement.
Dix ans d’une osmose qui les avait d’abord réunis dans la chair en les mêlant avec un tel goût que rien n’en égalait l’alchimie salée et qui lentement, à chaque fois que la tête d’Alphonse était venue chercher le sommeil dans le creux de l’épaule anglaise, s’était muée en une inaltérable chaleur.
Ses nuits solitaires dans la demeure familiale avaient eu pour la plus part le parfum de Quentin pour le tenir endormi, engourdi dans l’intransigeance paternelle, étoile lointaine qui l’assurait qu’un ailleurs existait, qu’en dehors de cette chape noire que lui infligeait ses parents, le monde s’ouvrait à de multiples possibilités.
Tout ça n’existait plus. L’étoile était éteinte, le feu avait refroidi et les cendres voletaient, éparses, dans une brise anarchique qui ne respectait plus rien.
Quentin était mort.



Ce n’est pas possible, n’est-ce pas ?
Ce n’était pas toi tout à l’heure… Non, ce n’était pas toi… ce corps froid auquel on a arraché la vie avec tant de rage que tout le visage le criait, que tout le corps en était contracté… ça ne peut pas être toi… Toi, tu es si beau… tu ris quand je te dis que je t’aime, tu frémis quand je te touche, tu t’accroches à moi la nuit…
Quentin… Je sais bien que je me suis damné à tes côtés, mais aucun Dieu n’a le droit de t’enlever à moi, non ?

Je n’étais pas là…
Tu es mort.
Seul.
Sans moi…
Egoïste…




Le carillon d’une horloge lézarda ses pensées, lui rappelant sans pour autant qu’il ne le conçoive qu’une heure de plus venait de s’écouler depuis leur macabre découverte.
Tout était précipité dans un flou chaotique dans lequel chaque protagoniste n’était qu’une ombre, et la scène qu’il se répétait inlassablement, n’arrangeait rien dans son esprit désormais délavé.
Aethys, Annelyse et Cyrielle n’étaient rien d’autre que des spectres autour de lui dont les présences diffuses ne lui parvenaient que par à-coups, au fil de ses souvenirs frais.

Leur entrée dans l’auberge. Les regards effarés du personnel en les reconnaissant. La mine ravagée de la tenancière en lui prenant les mains. Les mots qui avaient suivi, débités, hachés entre deux hésitations là où l’évidence régnait pourtant sans partage. La chambre, dépenaillée par une lutte, où même les objets renversés semblaient désormais suspendus à un temps qui n’existait plus. Et enfin Quentin, qu’ils avaient étendu sobrement sur le lit.
Il se souvenait, comme d’un mauvais rêve de cette torpeur immédiate qui l’avait assommé lorsque ses doigts avait effleuré la peau de son amant, lorsque sa main avait saisi la sienne pour la serrer jusqu’à la blanchir, cherchant désespérément une étincelle de vie enfouie quelque part…Combien de temps était-il resté prostré, anéanti, incapable du moindre geste, assimilant malgré lui, les informations qu’on leur donnait, déversées dans le fracas de sa tempête personnelle ? Qui lui avait fait lâcher la main de l’anglais ? Comment avait-il pu se laisser faire…Le flot des événements n’avait plus de sens, plus de cours défini dans lequel se jeter. La sensation suivante était celle de ce siège où on l’avait assis dans un petit salon et où il était resté sans plus bouger depuis.
Sa gorge le serra un instant jusqu’à l’étouffement, lui brulant les yeux sans que n’en sorte aucune larme, parce que les fauves ne pleuraient pas, ils luttaient, mis au ban de la bonne société, gardant pour eux seuls le vacillement insensé de la flamme les maudissant avec tant d’affection. Cette vérité le transperça avec une inimaginable douleur mais le poussa pourtant à déchirer le voile opaque dans lequel il s’était enferré depuis des heures et à poser un regard neuf sur la pièce qu’il sembla presque découvrir.
Elle était loin l’insolence, reléguée au rang de vestige pour un temps qui lui semblerait infini tant il en ignorerait le délié, perdu et pourtant conscient que la colère la plus noire venait de germer dans son ventre. L’empoisonneuse était morte. On lui avait retiré le dernier exutoire possible à sa souffrance pour ne lui laisser que le deuil, entier, imperméable à toute chose et il souhaitait s’y abandonner avec une telle envie qu’il était pris d’une nausée grandissante.
La rage, tapie dans ses veines bouillonna faiblement, étrangement vive, écorché par cette divine injustice, en proie à un manque cruel, inconscient et pourtant vorace qui le tenaillerait longtemps avant qu’il ne l’expie : celui de désigner un coupable.




Il était mon Nord, mon Sud, mon Est, mon Ouest,
Ma semaine de travail, mon dimanche de sieste,
Mon midi, mon minuit, ma parole, ma chanson.
Je croyais que l’amour jamais ne finirait : j’avais tort.

Que les étoiles se retirent ! Qu’on débalaye !
Démontez la lune et le soleil,
Arrachez la forêt
Car rien de bon ne peut advenir désormais.


(*) Funeral Blues, W.H AUDEN

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Aethys
[Dans l’auberge, face à face de brunes]

La transaction se jouait. Dans le regard de la bourgeoise, une avidité sans borne se lisait aisément, se mêlant par subtilement à la jouissance sordide qu’elle anticipait déjà. La Gasconne ne put s’empêcher de grimacer imperceptiblement. Les gens en arrivaient parfois à d’effrayantes extrémités lorsque les choses échappaient à leur contrôle. Car l’acte de sa cliente ne semblait pas réfléchi. Non...il lui apparaissait plutôt comme le dernier affront, le geste désespéré d’une vengeance qui pourtant ne s’y trouvera pas apaisée. Pauvre chose…

Néanmoins, la bourse lancée devant elle fut attrapée prestement et soupesée. Qu’importe les dessins de ses clients finalement. Tout ce qu’elle voulait c’était l’argent. Et puis, les manigances d’une bourgeoise aigrie ne l’atteindraient jamais. Le coffret changea de main et Aethys le fixa un instant encore. Sa cliente se leva dans une attitude de gamine capricieuse et pressée. Un nouveau sourire moqueur passa ses lèvres mais il se dissipa lorsqu’elle vint se pencher vers elle. Que lui voulait-elle encore ? Lui souffler quelques mots doux ? Déposer le baiser saphique d’une grande reconnaissante ? L’occitane eut un frisson et se tendit indéniablement, sans qu’elle ne put savoir pourquoi. Mauvais pressentiment peut être. Les paroles de la brune se perdirent à son oreille. Lui enlever une épine du pied ? Les sourcils se froncèrent, assombrissant les ambres. Que baragouinait-elle là ? Quelle épine ?

La bouche de la barbière s’ouvrit, interrogative mais la bourgeoise avait déjà quitté les lieux, enserrant le précieux poison contre son cœur. La brune resta donc seule, cette phrase sans sens flottant dans son esprit. Qu’avait-elle bien voulu dire ? Une main fine massa légèrement les tempes, forçant les yeux à se fermer. Bah, une idiotie sans queue ni tête. Peu étonnant venant de cette cliente là, qui ne semblait plus avoir toute sa raison. Aethys se laissa donc aller dans son siège et commanda un nouveau verre de vin. L’affaire était conclue et elle était plus riche d’une centaine d’écus. Mais d’où lui venait cette étrange âpreté qui se répandait dans sa gorge ?


[Rue jouxtant le bordel]

« Allons reste un peu plus, beauté ! On commençait seulement à s’amuser ! »

Un rire cristallin s’échappa de la gorge de la Gasconne qui poussait la porte de l’auberge. Ses boucles s’agitèrent autour de ses épaules alors qu’elle faisait non de la tête. Un sourire parfaitement insolent et légèrement alcoolisé illuminait les traits de la garce en plein jeu.

« On se verra un autre soir, mon brutal. Pas ce soir… »

Des grognements de mécontentement suivis de rires gras retentirent dans l’auberge mais déjà la porte se refermait. Aethys s’appuya un court instant contre le battant, levant le nez vers la nuit claire. Son masque fondit littéralement, laissant une petite moue contrariée sur son minois encore jeune. Allons bon…elle avait tenté toute la soirée de dissiper cet étrange nœud qui lui nouait la gorge et l’estomac sans succès. Que pouvait-elle bien craindre en ce moment ? Toute sa vie semblait prendre une tournure agréable. Une main s’égara sur la rose à son poignet. « Tu ne connaitras jamais le bonheur, ma fille. » Les paroles d’Asa résonnèrent, limpides en elle. Pourtant, immédiatement, les traits de Quentin s’imprimèrent devant les ambres pensives.

*Vous vous trompiez, mère…J’ai erré longtemps et je ne serais jamais adepte des bonheurs habituels de petits gens. Mais au près de lui, je pense avoir droit à une part de mon bonheur.*

Il avait beau être un salaud hors pair, savoir être odieux, pouvoir mieux que quiconque l’agacer et la pousser dans ses extrémités les plus sombres, Quentin avait gagné une place réelle dans son cœur. Une place qui grignotait sans cesse des morceaux à sa folie, à cette autre qu’elle ne voulait pas voir ressurgir. Alors dans un sourire, la brune se redressa et se dirigea d’un pas tranquille vers le bordel.

La rue était déserte. Le froid certainement, devait avoir eu raison des derniers badauds parisiens, les amenant à se terrer contre les âtres tièdes des immeubles grisâtres. Les ambres parcouraient les ombres, y décelant ici un mur, ici une charrette laissée pour morte, ici un tonneau percé, et là deux corps…Les pas se poursuivirent un court instant avant que l’information ne percutât l’esprit de l’occitane. Deux corps ?! La barbière s’approcha discrètement. Voilà de quoi reprendre ses études hein…deux corps à étudier tranquillement, sans que personne ne vint les réclamer. Certainement des soudards en plus. Une étincelle mauvaise s’alluma dans le regard de la belle alors qu’elle se tenait au dessus d’eux. Mais soudain, un rayon de lune effleura tendrement les traits si familiers. Et là…

Black out. Non mais vraiment. Game over. Le temps s’arrêta. Le corps se figea en une moue de surprise douloureuse. Les lèvres tremblèrent un peu avant de se fixer. Les ambres s’accrochèrent à ce corps, ces corps qu’elle connaissait. Et brutalement, sans crier gare, la raison de la brune s’effondra comme un château de cartes éphémère. C’était impossible. Ce ne pouvait pas être lui. Ni elle. Comment…Pourquoi…Ce n’était pas le tourbillon d’émotions que l’on s’attendait à avoir. Ni rage, ni chagrin, ni surprise réelle. Juste l’impossibilité d’accepter la réalité. Et lorsque l’esprit fait face à une telle situation, il s’éteint. La conscience de l’occitane se mit donc en sourdine.

Que s’était-il alors passé ? Aucune idée. Elle avait certainement rejoint l’auberge où ils avaient élu domicile. Son pas mécanique, son regard éteint et le débit éraillé de sa voix pourtant si suave habituellement avaient du mettre la puce à l’oreille d’Alphonse et Annelyse. Peut être même avait-elle pu clairement dire les choses. Après s’être moqué d’elle et de ses abus de boissons et d’opium, ils avaient peut être du se rendre à l’évidence et l’avaient suivi dans cette ruelle, face à ces corps. Ils avaient alors peut être à leur tour vécu cet anéantissement des sens qui les laissa vide de tout. Et puis, Alphonse leur avait peut être dit de le prendre lui, pas elle et de le ramener. Ils avaient peut être poussé la porte, porté ce pantin immobile jusqu’à son lit. Ils étaient peut être restés des minutes, des heures des jours à ne pas bouger devant ce lit, devant cette dépouille, devant ce qui était il y a peu encore Quentin.

Mais qu’importe ce qu’ils avaient pu faire, qu'importe le temps qui passait, qu'importe le regard des autres sur eux, puisque lui n’était plus là…


[Le lendemain en fait, dans leur auberge, dans une chambre]

Un rayon de soleil, échappé de la fenêtre qui s’ouvrait derrière elle, y tomba. Amoureusement il en fit le tour, dessinant les contours de cette fiole unique. Délicieusement, il tenta de percer la couche d’or qui protégeait le fameux liquide de la lumière. Tendrement, il abandonna se laissant couler pour se poser sur la main hâlée qui à plat sur le bois, l’enserrait. Aethys ne bougea pas.

*Qu’ai-je fait…*

Un sourire odieux puis un rire mesquin franchirent la barrière des lèvres asséchées par une nuit complète sans un mot, sans un soupir. Les ambres éteintes pourtant ne s’agitèrent pas le moins du monde, restant désespérément accroché à cette fiole.

*Tu l’as tué Gasconne ! Mes félicitations ! Tu as tué le seul homme qui semblait te porter une pointe d’attention. Tu l’as tué sans même t’en rendre compte. Pouvais tu faire mieux que cela ?*

Le sourire s’éteignit à son tour alors que les personnalités de la névrosée se succédaient les unes après les autres, bataillant pour le salut ou la perte de son âme. La main se crispa autour de la fiole, blanchissant ses phalanges, au point de les entendre craquer.

*Non…*
*Impressionnant…Tu le nies encore ? Pourtant : corydale et vipérine, tu te souviens ? Impossible à soigner. Hormis avec ce joyau que tu tiens.*

Nouveau rire dément. La fiole alla s’écraser dans un bruit de cristal contre la porte. Le liquide rosé qui s’en échappa se répandit au sol, s’imprégnant dans le parquet.

« Non…non…NOOOOOOOOOOOON ! »

Le cri s’arracha de la gorge délicate, rebondissant contre les murs. Telle une poupée de chiffon, la Gasconne se laissa tomber au sol. La cascade brune de sa crinière s’éparpilla autour de son minois qu’elle posa au sol, la dissimulant au monde. Sa robe grise épousa avec douceur les courbes de ce corps qui pourtant avait repris des formes, qui se pensait sauvé de cette folie sordide qui le rongeait. Les larmes, elles, restaient absentes, laissant les ambres asséchés et brûlants. Les ongles s’ancrèrent dans le bois.

« Je… »
*Je ne voulais pas…Pas lui…Pourquoi….Pourquoi…*

*Parce que tu n’auras jamais droit au bonheur, Garce…*
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Dessin original AliceChan ©
Alphonse_tabouret
Le hurlement d’Aethys transperça les couches de ce monde achevé, à peine assez ébréché pour le laisser filtrer jusqu’à lui, et il maudit cette conscience qui le retenait, par un fil ténu, à une réalité qui n’avait plus qu’un gout de cendre. L’image du corps de l’anglais en profita pour s’imposer une seconde à ses yeux, tétanisant sa chair dans un désespoir à ce point profond qu’il eut du mal à respirer au travers de sa gorge serrée et il lutta, réellement pour faire un pas.

Aethys, la dernière trouvaille de Quentin souffrait elle aussi, et s’il n’aurait jamais pensé à quantifier sa propre douleur, égoïstement convaincu que de tous, c’était lui qui endurait le plus, l’idée même que cette âme-là avait été choisie par le Lion pour exister à leur côté, le poussait à aller la trouver malgré cette envie de solitude, d’abandon, de noyade. Incapable d’aller plus loin dans sa réflexion, se tenant uniquement à ce premier devoir qu’il pensait lui incomber désormais, interpelé par ce cri qui ressemblait tant à celui qui le traversait jusqu’à lui labourer le moindre recoin de l’âme, le flamand avança, mécanique et lourd. Lui, le félin rompu aux escalades les plus vertigineuses était désormais englué dans ce que la réalité avait de plus abjecte.
Arrêté devant la porte où ses pas l’avaient mené, sa main enveloppant la poignée qui le séparait encore de la jeune femme, il se demanda à quoi servait tout ça.
Il n’avait pas envie de partager son chagrin, cette nostalgie violente qui menaçait de le noyer sans qu’il ait envie de se débattre. Il voulait encore rester au chaud de cet abime, oublier tout ce qui n’était pas Lui, rester encore dans cette incertitude malsaine des heures qui suivent la violence du deuil et qui font croire que peut être, oui, peut-être, ce n’est qu’un mauvais rêve. Qui pouvait comprendre ? Comment pourrait-il réconforter qui que ce soit alors que lui-même ne croyait plus à rien ?

Enfin, au prix d’un effort qu’il n’aurait jamais cru possible, reléguant au nom d’un Autre son égoïste envie d’exil, ignorant s’il serait capable d’autre chose qu’un silence partagé à défaut d’être compatissant, évidé de tous sentiments, il tourna la poignée et ouvrit la porte, trouvant la brune au sol, fleur grise défraichie. A ses pieds, un crissement de verre attira son attention et son regard sombre se reporta sur la petite fiole dont les morceaux jonchaient le sol, son précieux liquide répandu sur le parquet.
Il lui manquait tellement d’informations qu’aucune suite logique ne se créa dans son esprit. Comment imaginer une seule seconde que le monde pouvait être à ce point cruel que c’était de la main d’un que l’on aime que l’on trouve sa perte la plus subite ? Aethys les avait tout droit jetés dans un enfer glacé où l’on avait oublié l’idée même du soleil. Si Alphonse savait que la gasconne était herboriste, il ne la savait pas versée dans les poisons et leur macabre commerce, n’imaginait pas une seconde qu’’il marchait désormais au milieu des vestiges de la seule chose qui aurait pu… aurait dû, sauver Quentin. L’inquiétude balaya fugacement le reste, ultime relent d’une âme qui existait encore quelques heures auparavant, en se demandant si Aethys était morte elle aussi, bizarrement insatisfait qu’elle ait peut être trouvé une quiétude là où il subissait la torpeur.

Il s’agenouilla au côté du corps chiffonné sans l’appeler, la bouche close depuis la veille, et signifia sa présence d’un effleurement à son épaule gagnant la nuque de la gasconne sans se résoudre à en caresser les volutes brunes qui l’ombraient. Ce n’était qu’un geste qui se voulait compatissant mais dénué de toute son essence, devenant un réflexe d’humain à humain, la recherche d’un contact pour vérifier si l’autre est aussi froid que soi, aussi vide à l’intérieur… mais c’était quand même un geste qu’il méprisait, jugulant sous des années de servitude son élan premier ne pas s’associer à cette souffrance qui n’était pas la sienne, qu’il voyait plus terne, qu’il jugeait moins importante, forçant son apathie la plus égoïste pour le défunt Lion qui avait tant apprécié la brune qu’il avait été jusqu’à l’inclure dans des projets d’avenir.

Tout ce qu’il se pensait capable de donner était là, dans ses doigts s’apposant sans vice à la peau de l’herboriste, se sachant incapable de l’apaiser mais se sentant forcé de l’accompagner dans sa fosse, ignorant encore que dans les instants à suivre, elle lui offrirait le plus laid et enivrant des cadeaux.

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Aethys
Combien d’hommes avait-elle tué ? Combien de cadavres jonchaient déjà les quelques années de son existence ? Elle ne les comptait pas, elle ne les comptait plus. Autrefois, cela était même devenu une habitude, une de ces choses que l’on fait sans réellement se rendre compte de ses actes. Oui, la Gasconne avait tué, tué plus que de raison. Parfois sous le joug de sa mère, parfois sous les ordres de son Protecteur. Veuve noire, sorcière, putain du Diable…on lui en avait attribué des sobriquets trahissant son statut d’ange de la mort. Alors pourquoi cette mort-là la brisait-elle autant ? Pourquoi la simple vue de ce corps avait suffi à éteindre sa raison ? Pas de réponses mais une seconde interrogation. Combien de fois avait-elle aimé ? Combien de fois avait-elle cru à cet éclat d’intérêt qui s’allumait si souvent dans le regard des mâles à son contact ? Combien de fois avait-elle baissé la garde près d’un homme ? Là, cela se comptait aisément. Deux fois. Deux uniques fois. Le premier l’avait abandonné, la faisant vaciller à la frontière de la raison, l’entraînant toujours plus loin dans cette relation d’avilissement, de servitude. Elle avait accepté tant de choses, quémandé encore plus. Et finalement, alors qu’il ne pouvait plus répondre à ses attentes, elle avait fui, cherchant ailleurs une rédemption quelconque. Et elle l’avait trouvé. Quentin, sa rédemption. Quentin, le second aux allures de premier amour. Cet Autre si semblable, se dissimulant sous ses masques, brisant le sien par simple jeu. Cet Anglais arrogant qui lui avait arraché tour à tour des larmes et des rires. Ce compagnon des nuits tardives où l’errance des tavernes se transformait en intimité d’aveux douloureux. Cette permission d'oublier un instant Sancte et la folie qui la dominait depuis.

Quentin…le nom s’imprima en elle sans trouver un écho solide. Entre ses doigts, le liquide s’égarait encore.


*J’aurais pu te sauver….j’aurais du te sauver…Je ne savais pas...je ne pouvais pas savoir…*

L’amas diffus de jupons et de tissus froissé frémit sur le sol de la chambre. Il devait la haïr, ils devaient tous la haïr. Elle était la cause de cet immense malheur, de ce vide sans fond qui s’ouvrait désormais sous leurs pas, de la fadeur nouvelle du monde, de ce gout de cendre qui engluait leurs langues, s’écoulant insidieusement dans leurs gorges, les scellant dans le silence. Elle, la toute nouvelle, la dernière arrivée dans leur petit univers. Elle, l’étrangère à leur bonheur. Elle avait tout gâché, tout ruiné à nouveau. Les ongles s’ancrèrent un peu plus dans le bois, l’un d’eux se brisant. Mais la douleur se perdit dans les méandres de l’esprit brisé de la brune.

*Je ne voulais pas…pas lui…pourquoi lui ? pourquoi elle ? J’aurais du savoir…j’aurais du le pressentir, le deviner…*

La porte s’ouvrit. Elle ne l’entendit pas, prostrée au sol. Alphonse. Si elle avait eu la moindre idée, si elle n’avait pu que se douter de la douleur de l’amant abandonné qu’elle avait provoqué, dont elle était seule responsable…mais finalement, qu’aurait-elle fait de plus ? L’image qu’elle avait des deux hommes, de cette complicité évidente qu’ils partageaient en tant que simples amis à ses yeux n’était-elle pas suffisante à alimenter ses remords ? N’avait-elle pas déjà éveillé sa jalousie ?

*Imagine leur douleur, Gasconne. Imagine la douleur de ceux qui l’aimaient, de ceux qui le chérissaient, dont il partageait la vie depuis de longues années désormais. Ceux que tu as privé de sa présence, de son essence, leur laissant un monde vide de lui.*

La lippe fut mordue au sang, anéantissant le sourire malsain de cette folie qui la rongeait. Oui elle était la seule coupable. L’unique responsable de cette déraison, de cette horreur. Les doigts d’Alphonse s’égarèrent sur son épaule, remontant vers sa nuque. Contact qui aurait du être chaleureux, qui aurait pu l’apaiser peut être. Il ne fut que le déclencheur d’une suite imparable, presque logique. Les lèvres de la Gasconne se déchirèrent lentement, caressant le bois contre lesquelles elles reposaient.

« Je l’ai tué… »

Les mots se firent inaudibles, absorbés par le parquet. Les ongles crissèrent un peu plus, achevant de tâcher de sang le doigt blessé.

*Allons plus fort, Gasconne. Il ne t’entend pas là. Avoue-lui tes pêchés, toi à qui personne ne pourra accorder son pardon. Avoue-lui cette sublime erreur dont tu es la seule responsable. Avoue-lui avoir réduit son monde à néant. Avoue.*

Le corps se releva lentement, mû par des mouvements mécaniques. Le dos s’enroula et la silhouette se tint assise, près de la carrure détruite du flamand. Pantin désarticulé, la brune redressa la tête et enfin les ambres horriblement emplis de folie se posèrent sur lui. Une tâche de sang macula le coin de la bouche. Les lèvres s’ouvrirent alors à nouveau, de manière audible cette fois.

« Je l’ai tué. »

Rien de plus que cet aveu atroce qui lui vrillait les tempes, énoncé de cette voix monocorde. Rien de plus et pourtant...

*Détruis-moi, Alphonse. Détruis-moi pour t’avoir privé de lui. Punis-moi du simple fait d’exister. D’avoir pu te causer tant de peine. Réduis-moi à néant. Brise mon corps puisque mon esprit n’est que ruines. Déchire cette âme qui ne fait que salir ce qui l’entoure. Rends-moi au centuple ta douleur. Marque-moi de ton chagrin. Mais ne me tue pas. La mort serait trop douce…*
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Dessin original AliceChan ©
Annelyse
Qui aurait cru que dans sa vie il y aurait eu autant de rebondissements. Quand on croit qu’il ne peut y avoir pire que justement le pire arrive. Des joies, des peines, des arrivants, mais aussi des départs définitifs. Quentin n’était pas une personne qu’elle affectionnait car elle n’en avait pas vraiment eu le temps, elle l’avait apprécié parfois par son bon sens qui l’avait d’ailleurs étonnée. Il était celui qui incarné à merveille ce fameux adage sur le paraître, car oui l’Anglais semblait hautain, froid, détaché, inébranlable et sans aucune empathie mais quand on prenait la peine de le connaitre, ou pas, car finalement Annelyse n’en avait pas vraiment pris ayant du mal à admettre la relation qu’il entretenait avec Alphonse, sauf que lui, celui qui était le neveu de celle qu’elle voyait comme la bête du Sans Nom avait fait un pas vers elle mais surtout sans aucune attente et dont elle ne saura jamais pourquoi il s’était montré attentif et réconfortant dans ses paroles. Peut-être qu’il était réellement ainsi, peut-être qu’il respectait le fait qu’elle soit importante aux yeux du Flamand, peut-être qu’elle provoquait la sympathie à son égard, peut être tant de choses qu’elle ne saura hélas jamais car la dernière arrivée dans le troupeau celle qui est le vilain petit canard avait commis un acte irréparable par un besoin vénal. Le grain de beauté ne jetterait pas la première pierre à ce sujet car elle n’était pas désintéressée par l’argent, comme beaucoup d’ailleurs mais contrairement à Aethys elle n’avait pas sa connaissance pour concocter divers poisons et les vendre car qui sait ça aurait pu être elle.

De toute manière à cet instant l’Angevine ne se doutait absolument pas de l’aveu que la Gasconne ferait au Flamand. Tout ce qu’elle entendit elle aussi c’était un cri, et tout comme Alphonse elle en prit sa direction afin d’aller la réconforter mais quand ce dernier pénétra dans la chambre elle resta silencieusement plantée contre le chambranle de la porte. Que dire . Absolument rien. Ils étaient tous deux plus proche de l’Anglais qu’elle alors hormis faire acte de présence elle ne se sentait d’aucune utilité.


Après avoir jeté un œil curieux en direction d’Aethys et du sol elle planta ses émeraudes sur Alphonse avec un regard plus triste qu’à l’habitude depuis le décès de Quentin mais aucune larme pour elle, elle devait être forte pour lui et ne pas s’apitoyer sur le chagrin du brun. C’était peut-être incompréhensif mais elle pensait qu’il était mieux ainsi et que son deuil se fera plus rapidement.

Aethys avait l’air totalement anéanti, tellement qu’elle commençait à dire des choses insensées bredouillant une chose qu’elle eut du mal à comprendre. Son regard alors se perdit entre elle et Alphonse cherchant un soutien de sa part envers elle. Toutefois, cette quête était peine perdue. L'éclat dans les yeux du Flamand avait disparu, revêtant ses onyx d'un voile encore plus sombre. Et elle doutait qu’il accueille les dires de la Gasconne avec recul alors cesses donc de raconter des conneries car elle ne voulait pas ramasser le Flamand en miette.

C’est donc avec calme que la jeune fleur arborait une mine déconfite, tout cela n’allait rien arrangé dans les pensées de son ami. Elle ne l’avait jamais connu ainsi. Elle s’avança alors vers elle tout en tentant de ne pas remuer ces paroles, s'agenouillant aussi elle porta à son tour une main plus tendre à son bras afin de lui redonner la raison.


    - C’est le chagrin qui vous fait dire de telles sottises. Voyons ce n’est pas vous qui l’avez tué...

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Alphonse_tabouret
Un murmure inaudible auquel il ne prêta pas attention franchit les lèvres de l’herboriste tandis que le jeune homme égrenait cette caresse vide de toute substance, aussi légère qu’une brise, intangible, immatérielle, fugitive. Savait-elle la chance qu’elle avait qu’il daigne effleurer sa peau chaude là où celle qui lui avait rongé la pulpe en dernier portait déjà les frimas de la mort? La main froide de Quentin s‘était imprimée si fort dans la sienne qu’il sentait le picotement de la tiédeur d’Aethys s’insinuer malgré lui à sa chair, et la pensée malsaine, folle, d’aller retrouver la glace près du corps de l’anglais dès qu’il aurait mis Aethys au lit, le traversa avec avidité.
La tâche du sang au doigt de la jeune femme attira brièvement son attention, et incapable de la moindre réaction de vivant, il songea, réminiscence de souvenirs si frais et pourtant si lointains, sans la moindre poésie, que le rouge était une belle couleur, faite pour danser.

Les pas d’Annelyse sur le parquet, en écho aux siens, ne l’avaient pas alerté, les sens en berne, chat fustigé, félin moribond dont l’oreille n’était plus tournée que vers lui-même et le chœur de ses lamentations morbides. Il ne la voyait plus, même elle, cet éclat de soleil acidulé qui emplissait pourtant si facilement son champ de vision. Restée sur le pas de la porte, en retrait du duo d’ébréchés, elle lui échappait ; il se croyait seul.

Désarticulée, au prix d’une force qui tenait plus du machinal que de l’envie, la gasconne se redressa jusqu’à s’assoir à ses côtés, lui laissant entrapercevoir son visage au travers des mèches brunes désordonnées.
Ravagée.
Il ne restait pas grand-chose de la jeune femme à cet instant précis, ou du moins si, il y avait quelque chose, mais quelque chose qui avait perdu pied, qui chaloupait avec indécence dans les traits défaits de son minois, dans cette bouche mordue au point que le sang ne la colore. L’agacement primitif d’Alphonse à constater qu’elle aussi souffrait de cet Autre qui les avait abandonnés à une vie sans lui, fut immédiatement absorbé par ce qu’il entraperçut derrière le chagrin, aussi immense fut-il, et durant quelques instants, pour la première fois depuis de longues heures, arraché à sa torpeur par sa curiosité, il fit attention à un autre humain que lui.
Sa main toujours errante à la frontière de ses épaules, sous la caresse soyeuse des mèches brunes qui lui raclaient pourtant la peau comme du papier de verre, il s’extirpait de son engourdissement, posait un pied dans ce monde dont il ne voulait plus entendre parler et contemplait celle qui se tenait à ses côtés.
Dans les yeux de l’herboriste, il n’y avait plus rien de raisonnable, juste l’abime dans lequel flottait non pas l’espoir de la rédemption, mais la sanction qui va avec. Ses yeux là guettaient une délivrance et non pas le pardon, et lorsqu’elle ouvrit la bouche encore une fois, ses jolies lèvres abimées et rehaussées d’un pourpre dilué, le monde s’arrêta de tourner pour la seconde fois en moins de vingt-quatre heures, ainsi était le pouvoir terrifiant des sorcières.



« Je l’ai tué. »

Les mots chutèrent, lourds, pesant et s’écrasèrent au sol, eux aussi, éclaboussant tous les protagonistes, fouettant le flamand avec une force insoupçonnée.
Il ne savait pas comment ni même pourquoi, mais il savait qu’elle ne mentait pas et cette vérité le transperça avec une violence à laquelle il ne s’attendait pas, laissant éclater entre ses tempes une tempête neuve, d’abord anarchique, imprimant sur ses traits le choc de la nouvelle. Les mots, inlassables se répétèrent en cohorte hurlante dans sa tête et sans s’en apercevoir, la caresse dans la nuque de la brune s’était figée, s’incrustant lentement dans sa chair tendre.


- C’est le chagrin qui vous fait dire de telles sottises. Voyons ce n’est pas vous qui l’avez tué...


Mais lui, aussi fou que cela soit, il ne doutait pas une seconde sa sincérité.
Annelyse était rentrée dans la pièce, agenouillée à côté d’eux et il ne s’étonna pas de cette apparition, car tout désormais prenait l’accent d’une bouffée d’oxygène trop vivifiante pour ne pas être hallucinatoire.
Ô qu’il l’avait espéré sans le savoir ce cadeau-là, qu’il l’avait désiré plus que tout durant ces heures au parfum d’années qui avaient fleuri dans les ténèbres de sa conscience depuis qu’ils avaient trouvé Quentin... Et elle lui le tendait, si joliment empaqueté, toute désireuse de ce qu’impliquerait une telle folie, un tel aveu, à lui… lui « l’ami d’enfance », lui, l’amant, lui, le mort en sursis… Quelque chose de noir au fond de son âme endolorie exultait, se gorgeait de ce moment pour insuffler à ses veines ce qu’il pensait être une panacée miraculeuse et qui n’était que le début d’une longue quête expiatoire, mais qu’importait… Une lumière venait de crever l’opacité de la nuit et si elle n’avait rien d’un éclat solaire venue le réchauffer, elle était un fil à suivre afin de ne pas chuter plus loin encore dans les abysses, et de les explorer, en toute sérénité.
Ses doigts achevèrent de se resserrer en étau dans la nuque fragile, le pouce venant se ficher à la gorge, évaluant froidement d’une pression marquée, le rythme de sa respiration. Combien de fois avaient ils joué, le Lion et lui dans leurs délires orgiaques, à repousser les limites de l’extase par des jeux tour à tour pervers et dangereux ? Combien de fois sa main avait-elle volontairement entravé la gorge de Quentin dans les étreintes houleuses qu’ils se réservaient les soirs où l’abstinence n’avait que trop duré, où la nuit se consommait de la première à la dernière heure sans aucune commune mesure, et combien de fois avait-il atteint le nirvana, le souffle et le regard voilé sous la tension des mains anglaises?

Ses prunelles, bouleversées d’une cruauté incandescente, toujours fichées dans les siennes, ignorant Annelyse dont les contours s’étaient estompés dès qu’avait sonné le glas de cette délivrance avouée , le pouce appuyant sur sa gorge sans pour autant encore la priver d’air, poigne céleste prête à exécuter sa sentence, Alphonse laissa s’écouler quelques instants durant lesquels un pacte tacite à l’instar des deux protagonistes se scellait lentement. La folie appelait à la folie, Aethys venait de révéler celle qui se tapissait dans les veines du flamand et elle répondait à la sienne, extasiée d’avance de ce miracle qu’elle n’attendait pas. Le geste fut vif, soudain, brutal, sans équivoque et surtout, ne rencontrant aucune résistance parce que la sorcière avait déjà capitulé et venait chercher un courroux plus grand encore que le sien pour essayer de trouver au fond d’elle quelque chose la maintenant en vie. D’un mouvement, la main toujours fichée à sa nuque, il entraina sa tête vers le sol, lui écrasant violemment la joue contre le parquet, maintenant fermement sa prise, et lorsque qu’il ouvrit la bouche, le ton était calme, serein, bien plus dangereux que s’il n’avait était écorché par la colère la plus immédiate, dans une soif de savoir qu’il ne pouvait pas juguler :


-Comment ?
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Aethys
*Je l’ai tué. Je l’ai tué. Je l’ai tué. Je l’ai tué…*

Litanie sans fin qui se répétait inlassablement dans l’esprit chaotique de la Gasconne. Noyant toutes pensées solides, reléguant la raison au rang de lointain souvenir, anéantissant toute chance de surnager dans ce flot lourd qui l’engourdissait chaque instant un peu plus. Les prunelles éteintes ne virent pas entrer Annelyse mais le contact de sa main lui fit incliner la tête vers elle. Vision dérangeante de la folie qui se déversa vers la jeune femme. Un fin sourire ignoble étira les traits ravagés de l’Occitane. L’Autre reprenait ses droits sur ce corps qu’Aethys abandonnait peu à peu. Les lippes s’étirèrent un peu plus découvrant des nacres maculés d’un fin voile rougeâtre qui s’échappait de sa lèvre mordue.

« Petite innocente… »

Le ton était glacial, monocorde, éraillé comme venu d’ailleurs. Les relents suaves du Sud s’engluaient dans une rocaille acérée. Et ce regard toujours vide continuait à fixer Annelyse.

*Non tais-toi ! Laisse-la ! Laisse-la en dehors de tout ça ! Tais-toi !*

Mais la Folie poursuivait, n’écoutant pas les supplications. Aethys se savait incapable de reprendre le dessus à cet instant et pourtant ses poings se crispèrent imperceptiblement. Prisonnière de son propre corps, prisonnière de cette Autre qu’elle haïssait. Sur le minois se succédèrent des mimiques contradictoires, le rendant houleux, indécis. Pourtant le sourire se maintenait, fou sur les lèvres ensanglantées.

« Que crois-tu que je sois hein ? Je l’ai tué. Je l’ai tué et je tuerai encore… J’y prends même un malin plaisir, si tu savais…Empoisonneuse…Je suis empoisonneuse. »

La voix se faisait tantôt murmure tantôt plus soutenue, fluctuante au fil de la diatribe sordide. Soudain, l’air de la brune changea du tout au tout et un flot de larmes s’empara des ambres, les amenant au bord de la rupture. Infime instant où ce regard sembla quémander le pardon dans les prunelles émeraudes.

« Annelyse…je »

Mais la phrase fut interrompue par le geste violent du Flamand. La main oubliée un court instant sur sa gorge se rappela à elle, lorsqu’Alphonse dans un élan de colère sourde la plaqua au sol. Le bois lui brûla la joue immanquablement alors que l’Autre disparaissait à nouveau en elle, la laissant seule face à ce châtiment. La poigne brutale lui malmenait la nuque, la marquant de traces rougeâtres. Les larmes dansèrent au fond des ambres mais ne coulèrent toujours pas. Le ton serein de l’homme résonna en elle, ramenant à nouveau ces visions qui ne cessaient de la hanter.

*Oh oui en voilà une bonne idée. Raconte lui, Gasconne. Raconte-lui comment tu as tué son ami !*

Les lèvres se pincèrent en une grimace douloureuse, pas tant à cause de la pression que le Flamand maintenait mais plus suite à l’horreur de ces pensées qui se bousculaient contre ses nacres. Raconter…Oui…Qu’il puisse déverser en elle, cette colère si justifiée. Que son courroux puisse trouver dans ses chairs la réalité du coupable. Qu’il puisse atténuer ce vide le comblant par la haine. Aethys ouvrit à nouveau la bouche, son souffle se perdant contre le parquet.

« Le poison…c’était le mien… »

Les premiers mots enroués furent bousculé par les suivants. Aveux complets d’une coupable qui ne croyait déjà plus à son pardon. De son souffle qui se faisait rare contre les lames de bois, elle leur raconta Nyssie, son plan mystérieux, leur marché, puis la rencontre avec Quentin, avec eux, son ignorance de la victime, sa douleur, ses remords. Les traits de la encore gamine se tordirent de souffrance au fil de son récit. Sa voix se fit rauque, trahissant son chagrin. Et pour la première fois depuis la découverte du cadavre du brun, la Gasconne pleura. Elle pleura sa naïveté, elle pleura ce besoin vénal qui lui avait fait vendre ce poison, elle pleura son incapacité à avoir été là près de lui alors que cette bourgeoise idiote mettait son plan à exécution. Elle pleura Quentin de toutes les larmes dont elle était capable.
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Dessin original AliceChan ©
Annelyse
.. Je peux parfois avoir la main sur le cœur mais fais gaffe qu'un jour elle ne t'arrive pas sur la gueule.

« Non mais elle est possédé cette péta*** ! »

C'est ce qu'elle aurait pu dire si elle n'était pas si bien éduquée. Sa main quitta aussitôt le corps de la Gasconne totalement abasourdi par son comportement, et malgré la situation, malgré son état, malgré le mal qu'elle se faisait Annelyse allait lui mettre un souffle afin qu'elle reprenne ses esprits car il était hors de question qu'elle tourmente davantage le Flamand mais aussi qu'elle lui parle ainsi, sauf que le grain de beauté fit un recul se laissant choir au sol quand Alphonse soudain plaqua le visage d'Aethys au sol avant qu'elle ne puisse lui en coller une. La brunette resta ahurie face à la scène et ne trouva rien d'autre à faire que regarder pantois sans pouvoir résonner devant la réaction de son ami. C'était la première fois qu'elle le voyait ainsi, si impulsif, si violent, lui qui était si galant, si calme, si affectueux, si attentionné...

C'est donc sous la pression d'Alphonse qu'elle reprend. Qu'elle avoue sa participation à la chute de Quentin chose qu'elle a du mal à engranger mais l'écoute de plus en plus affolée par la réaction du brun. Elle savait qu'il ne prendrait pas cas de la culpabilité qui avait envahi Aethys, qu'il ne prendrait compte tout simplement que du rôle qu'elle avait joué dans cette histoire et qui avait ouvert une plaie désormais inguérissable dans le cœur du sodomite tandis que l'Angevine était de son côté partagé... partagé dans la compassion de son ignorance car après tout elle n'était pas devin pour savoir contre qui Nyssie allait utiliser ce poison. Mais d'un autre côté elle avait par ses expériences malsaines causées du tort aux siens, à son bel ami, et rien que pour ça elle ne voulait chercher à la protéger face aux démons qui envahissaient ce dernier. Annelyse était de ceux qui quand elle aimait, elle aimait sans modération, aveuglement alors sa conscience mise de côté elle enchaina à son tour d'une voix sèche et pleine d'accusation.

    - Comment a tu pu être si idiote ! Quand on détiens de tel poison la moindre des choses ne serait-ce pas de se renseigner qu'elle ne soit pas utilisé contre les personnes que soi-disant on aime ?


Remuer le couteau dans la plaie afin de l'enfoncer dans sa douleur et ensuite mieux la rattraper dans le fossé, voilà comment était Annelyse, reprocher pour mieux pardonner... Du moins quand elle pardonne et jusqu’à ce jour elle n'avait jamais pardonné quiconque en dehors de son père. Alors vas-y Alphonse, venge donc ton ami, ton amour, fais-toi bourreau, fais-toi justicier ainsi peut-être que ta douleur se fera moindre ensuite.

Aethys était atteinte d'un trouble de la personnalité et venait de contaminer notre Angevine par son attitude ambiguë. Il ne fallait pas lui dire qu'elle était Innocente car elle était surement la seule qui pouvait empêcher sa mort à cet instant.

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