Rosalinde
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C'est l'introduction !
Il était une fois une ferme, qui s'appelait "Paris".
Paris était plutôt une très grande ferme, dans son genre, et regroupait toutes sortes d'animaux, gros, petits, à plumes ou poilus. Elle était tenue par un couple de fermiers plus ou moins honnêtes (plus pour leurs amis, moins pour leurs ennemis). Le mari était, dans le Comté, surnommé "Le Couillu", même si certaines mauvaises langues se plaisaient à dire que, des deux, c'était plutôt Madame qui portait la culotte. La femme, elle, n'avait pas de surnom particulier, mais, à ce qui se murmurait, elle donnait à sa folie l'apparence de la raison.
Comme je le disais donc, Paris était un modèle de diversité, du genre ferme pédagogique (celles où on emmène les petits enfants qui vivent en ville pour leur faire renifler le cul des bovidés et caresser des bébés lapins). Il y avait d'abord la famille des Paons. Les rois de la ferme, à n'en pas douter, toujours à se pavaner dans leur beau plumage, et suintant l'indolence, tout en faisant mine d'être toujours supra-occupés, et qui plus est se donnaient le droit de contempler tous les autres animaux de haut. Il y avait ensuite les ovins, toujours à bêler pour un rien ceux-là, et en dignes cousins des moutons de Panurge, continueraient à psalmodier leurs litanies même s'ils devaient foncer droit vers le ravin, parce que de toute façon, ils savent mieux que les autres, surtout leur chef, un certain Innocentius. Venait la famille la foule des bovins. Tranquilles boeufs, peinant toute la sainte journée au labeur des champs, les génisses que l'on accouple de force avec quelque taureau, et les vaches laitières, traînant toujours un veau sous leur pis, ou pleines d'un nouveau rejeton. Et puis, tout au fond, dans la basse-cour, se mêlaient diverses familles mal considérées par les autres animaux. Les coqs, fiers à bras et toujours de tous les mauvais coups, leurs cocottes bien criardes, et les canards, animaux plutôt joviaux en apparence, avec leurs cris si drôles et si emblématiques, mais qui se révélaient les plus fourbes d'entre tous.
Un jour, qui aurait pu être comme tous les autres jours, un évènement inattendu se produisit. Une vache, pleine d'un veau qui n'allait pas tarder à pointer le bout de son museau humide, s'échappa de l'étable, et alla s'égarer un peu trop près de la mare aux canards.
Ceci est son histoire.
Le soir tombait sur les toits de Paris. A pas lents, une jeune femme, aux longues boucles rousses, remontait la rue de la Mortellerie, indifférente aux divers mendiants qui tentaient, une dernière fois pour la journée, de lui soutirer quelques écus. Un véritable fléau, dans ce quartier de la ville où l'on ne pouvait pas faire trois pas sans se faire à nouveau solliciter, chaque fois de manière plus inventive encore. Mais, comme je l'ai dit, la Parisienne n'avait nullement cure de tout ce cirque, et l'air absent se lisait sur son visage. Les deux mains posées sur son ventre, son énorme ventre, elle réfléchissait plutôt intensément à l'utilité d'embaucher ou non une nourrice pour la suppléer dans sa tâche de nourrir le divin enfant. Trois mois qu'elle y songeait, et elle n'avait toujours pas pris sa décision, malgré l'imminence du potentiel besoin. C'est que... Pouvait-elle faire confiance à une autre femme pour s'occuper aussi bien de son petit qu'elle-même pourrait le faire ?
Et, toute à ses pensées, elle ne remarqua pas la silhouette qui s'approchait dangereusement d'elle, et qu'elle percuta. Par bonheur, pas assez fort pour la faire choir au sol, sinon quoi elle pourrait toujours pleurer avant de réussir à se relever. Extirpée brutalement de ses songes, son premier réflexe fut de prononcer un machinal :
- Oh, pardon.
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