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[RP] Marche ou crève...

Theolenn
[Résumé des épisodes précédents ...]

Ce pourrait être la rencontre entre une jeune noble fortunée et un vaurien de basse fosse, spadassin assassin, pseudo-camelot de Chambéry...
Ce pourrait être l'expérience d'une oisive en quête de frissons, qui se paye un homme de main sans scrupule, histoire de voir où mène la ressemblance entre le passé qu'elle oublie et l'avenir qui la fuit.
Ce pourrait être le dernier défi d'un homme usé par la vie et sa génétique particulière, qui veut s'offrir le luxe de plumer une pintade innocente et sans défense, histoire de s'assurer une retraite plus vernie...

Mais c'est rien de tout ça... ou si peu, ou si différent, qu'il serait réducteur de n'y voir qu'un conte de plus qui réunit la belle et la bête dans le même nid.

C'est un voyage.
Une initiation à l'improbable.
Les pièces de deux puzzles qui, réunis à la diable, donne une fresque mouvante.

Ni l'un ni l'autre ne sait ce qui les lie, ni pourquoi ils tentent une aventure sans autre bagage qu'un passé trop lourd à porter. Peut-être ont-il cette prescience qu'à deux tout est moins lourd ?
Qu'importe, ils tentent alors que tout les oppose.
Vraiment ?

Elle aime la mer et tout ce qui y flotte, il se méfie de toute surface acqueuse et rend tout ce qu'il avale dès qu'il quitte la terre ferme. Pourtant elle sera capitaine du Danezy, lui son second, chargé de nourrir les poissons du Rhone...
Il a passé son temps à honorer des contrats sanglants où la vie n'a l'importance que des écus reçus, elle ne supporte pas la souffrance du vivant, elle préserve chaque existence quelle que soit sa nature.
Pourtant il sauvera des vies et elle n'hésitera plus à tuer s'il s'agit des leurs.

De granges ouvertes aux vents aux masures abandonnées au délabrement, d'auberges luxueuses aux camps de fortune sous la voûte étoilée, ils ont construit ce lien sur lequel personne, témoin de leur rencontre, n'aurait parié.

Il raconte des histoires grandiloquentes qu'elle gobe élégamment, parce qu'elle ment tellement qu'elle finit par se croire elle-même.
Ils marchent, ils voguent, ils visitent, ils chevauchent, ils concilient, ils découvrent le monde à travers deux regards qui s'observent, attirés et défiants, surpris de n'être pas si différents, finalement.

Sans en être conscients, ils accordent d'étranges violons, dissonants en apparence, mais dont la mélodie enchante tant l'harmonie s'y invite en de superbes improvisations. C'est quand ils semblent se perdre qu'ils se trouvent le mieux.

La confiance naît peu à peu. Il partage ses rives d'Ulysse, elle y glisse avec un Anubis mystérieux.
Il l'initie au glauque, elle se découvre pleine d'une tendresse dont elle se pensait dépourvue. Me croirez-vous si je vous dis qu'ils ont pour amis sincères Fernand le taureau et Julie la truie ?

Et de massage en bain chaud, de cerises en carreau d'arbalète, d'alambic aux vertus ésotériques aux charmes d'une sorcière engagée, en découvrant des fossiles ou en faisant des galipettes sur un toboggan naturel, il apprendra la leçon de l'ours tandis qu'elle fait ses premières armes dans le monde impitoyable du règlement de compte fumassier.
Eros et Thanatos plus emmêlés que jamais...

Le contrat du départ a peut-être changé, mais la Foi qui les anime est plus que jamais vibrante.
Est-ce finalement lui qui protège le corps de sa « cliente » des dangers illusoires de la route ou est-ce elle, l'ange gardien dont il sent parfois les ailes lui frôler la couenne, lui fortifier l'âme ?

Même si seul l'avenir peut délivrer le secret de leur destinée, l'heure d'une certaine vérité a tout de même sonné s'ils veulent que l'union, à nouveau, fasse leur force.
Les lettres de menace s'accumulent et Theolenn s'inquiète...

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L'horizon est infini pour celui qui ferme les yeux...
Morelius
Le dernier message de Cesare leur dessinait des perspectives d'avenir très moroses, et conspirait insensiblement à rendre la chambre de cet hôtel limousin oppressante pour Morelius.
A force de ressasser, ses pensées tournaient en rond, et le regard expectatif de Theolenn couplé à ses propres idées noires finit par le priver de sommeil.

La nuit s'étirait, traversée par les rumeurs confuses de Limoges: chamailleries d'amoureux, raffut brutal de rixes, feulements de matous en rut, heures criées par les patrouilles de la milice, couplets entonnés par des ivrognes de retour des tavernes... Une ou deux fois, il lui sembla percevoir un écho mélancolique d'une grande beauté, qui errait dans les rues endormies, vite dissous dans le dédale des venelles.

Aussi le temps suspendu de la nuit sembla propice à Morelius pour se mettre à table. Il ne pouvait pas plus longtemps cacher à sa "cliente" quel avait été son chemin de vie, puisqu'elle était à présent trempée jusqu'à l'os dans cette sombre histoire de poursuite et de vengeance dont Cesare, ce maudit bâtard, tentait d'être le narrateur.


Tu sais, ma belle, ça risque d'être long...

C'est que j'ai mené déjà une existence des plus remplies, plutôt en mal qu'en bien, mon passé est pavé de chausses-trappes.

Dans les coins et les recoins de ma mémoire béent quantité de coupe-gorges, de fosses à demi rebouchées et de portes mal verrouillées.
Si je dois t'en faire part, il va falloir que je me faufile avec soin dans cet espace clair-obscur, comme un larron se risque sur le territoire d'une bande rivale, de peur d'exhumer au détour d'un souvenir des fantômes mal oubliés, un vieux fumet de remords, ou une séquelle de conscience...

Est-ce vraiment ce que tu désires ?

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Theolenn
Elle ne dort plus depuis longtemps, à peine sommeille-t-elle, et quand elle finit par sombrer, ses rêves sont peuplés de scènes sauvages où il n'est question que d'une violence au tracé exponentiel.
Il n'existe rien de pire que l'imagination quand elle sert le côté négatif de la vie. Alors oui, elle voudrait savoir, mais pas par curiosité, pas cette fois...


- Mô, ton passé ne doit pas me servir à juger ... mais à faire l'inventaire de nos armes.
J'ai bien compris que le dernier des messages n'est pas le poisson d'Avril d'un plaisantin, ni l'oeuvre d'un poète prosaïque italien. Je n'ai pas perdu la mémoire des coïncidences qui jonchent notre route depuis peu... et je n'ai pas besoin de savoir tout ce qui peuple ton jardin secret, ni tes méthodes de culture... Mais il me faut connaître à quel genre d'ennemis il faudra nous mesurer à présent.


Theolenn se lève avec une certaine prestance, rejoint la tablette près de la fenêtre, allume la nouvelle bougie et remplit les deux gobelets du vin de la cruche, une piquette infâme mais qui réchauffera le courage du conteur dans sa tâche difficile, celle de parler vrai. Puis elle vient s'asseoir au bord du lit, à côté de lui, épaule contre épaule, pour lui signifier que quoi qu'il dise, quelle que soit la noirceur de sa confession, elle sera de son côté, toujours et sans condition. Ce qui a été n'est pas ce qu'ils vivent, ni où ils iront ...

- Tiens ... dit-elle en lui tendant le breuvage. Si cela ne nous troue pas de part en part, on pourra résister à tout, « foie » d'une auvergnate !
Son sourire est courageux, elle l'espère contagieux.

Et comme les paroles, c'est bien, mais les gestes, c'est plus efficace, elle prend doucement la main qui repose sur sa cuisse, décrispe ses doigts un à un, avant d'en masser lentement chaque phalange, dans l'espoir que son mouvement pénétrant lui transmette la paix intérieure qui elle, l'envahit. C'est une autre de ses ruses de femme, qui consiste à dévier l'angoisse et les tensions et permettra au bénéficiaire de retrouver toute l'énergie dont il a besoin pour libérer sa conscience bien chargée.

- Mon essentiel, tu m'as fait partager ta Foi en la vie, offre-moi ta confiance... murmure-t-elle avant de le laisser parler.

Elle ne le regarde pas, elle semble ne se concentrer que sur ses doigts qui se détendent peu à peu sous les siens.
Mais Theolenn est maintenant toute ouïe. Même la rue s'est tue. La planète entière retient sa respiration, car c'est un Morelius tout neuf que le monde s'apprête à accueillir en son sein...

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L'horizon est infini pour celui qui ferme les yeux...
Morelius
Essayait-elle de déceler la vérité dans les lignes de sa main ? Nul n'en était besoin, car cette fois il n'inventerait rien.

Je me revois petit romain désargenté, toujours prêt à fuir l'atelier de mon maître coutelier pour courir la gueuse et me faire payer des pots par des buveurs mieux pourvus.
Ah Rome, la ville éternelle... maternelle, mystérieuse, splendide !
J'avais alors une passion naissante pour le jeu, et fus bien vite plumé par de mauvaises fréquentations.
Pour effacer mes dettes je volai les économies de mon maître et rompai là toute attache pour soustraire mes os à la caresse du bâton.
Persuadé que si je restais à Rome ce larcin me vaudrait la corde, j'émigrai en Toscane où je couru naïvement m'engager dans les condottieri d'un certain Sforza.

Quel petit couillon j'étais ! Et pourtant, quelle heureuse décision...
Certes, ma première année fut des plus rudes: les privations, les brimades, les coups, rien ne me fut épargné.
Pourtant, ce sont bien ces condottieri qui ont fait de moi un homme.
En un an, on m'avait enseigné l'essentiel: boire, me battre et tuer.
Plus la leçon capitale: ne jamais s'avouer vaincu.
J'avais appris à manier la pique et l'arbalète sur les terrains de manœuvre, les rudiments de l'épée et de la main gauche en salle d'armes, les finesses du couteau dans les rixes de soudards; et déjà, les vertus du silence ou du mensonge quand un homme était mort d'avoir dérouillé un peu trop.
J'avais vu du pays, j'avais plastronné dans ma demi-armure noire et mes chausses rayées, j'avais appris le courage, le vrai, celui qui avait fait de moi un double-solde, le combattant de première ligne qui regarde l'ennemi dans le blanc des yeux avant de lui fendre le crâne ou de lui dévider les boyaux.
Et j'avais fait l'expérience si rare de l'amitié, d'une amitié sans arrière-pensée et sans calcul, celle qui soude les frères d'armes au cœur du danger.


Morelius avala l'affreuse piquette à la mémoire de ces soldatesques années avant de reprendre le cours de ses confessions.

Par malchance, cette glorieuse page de mon existence connut une conclusion amère.
Les horreurs de San Giminiano, notre coup de force suivi par notre trahison, mon premier assassinat politique, le triomphe à Sienne préparant, au bout de quelques semaines, la chute de la République de Sienne et la disgrâce de ceux qui avaient servi en son nom... voilà un autre épisode qu'il me plait de vite oublier.
Je quittai les condottieri profondément désabusé.

Je fus rapidement approché par Cesare. Il avait pressenti dans le jeune homme en rupture de ban que j'étais une recrue prometteuse.
Ma foi, je fus flatté d'être ainsi courtisé par le chef de l'organisation criminelle la plus dangereuse de Toscane, et il fut certain qu'en matière de combat et de crapulerie, l'initiation que je reçu de Don Pancetta, le maître assassin, paracheva en moi le tueur.


Le visage de Morelius se crispa alors au souvenir de cet homme qui avait été son mentor.

Arffff... je ne peux repenser à Don Pancetta sans revoir cette dernière nuit où je l'ai retrouvé dans son jardin, les paupières et la bouche cousues, après qu'on lui eut arraché les yeux et tranché la langue. L'image de cette tête suturée et vivante me hante parfois la nuit, sans doute parce qu'elle préfigure ce qui m'attend s'ils nous rattrapent.

La pause s'imposa, arrosée d'un nouveau godet de piquette pour effacer cette image.
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Theolenn
Theolenn frissonne mais le froid n'y est pour rien. Même le vin se révèle impuissant, il coule dans son gosier comme une vulgaire eau saumâtre, la laissant à la limite de la nausée.

Il est difficile d'imaginer toutes les pensées qui traversent la cervelle de la belle. Certaines naissent de cette curiosité intellectuelle naturelle qu'elle n'arrive que peu souvent à dompter, d'autres d'une incompréhension qui ne demande qu'à chercher l'excuse. Mais très vite elle se rend compte qu'elle n'a rien à excuser, car excuser c'est juger, or pas question d'entrer dans ce domaine qui ne dépend que d'une autre entité, plus personnelle, la conscience-même de l'acteur, et nulle autre.

Morelius, romain... la révélation est étonnante au premier abord.
Dans son imagerie personnelle, basée sur peu d'expériences, il est vrai, l'italien est un bon vivant, un amoureux de la vie, paisible et simple, un dolceviste, un débonnaire au sourire facile, au verbe haut en couleur.
Mais plus elle confronte sa définition simpliste au vécu qu'ils ont en commun, plus les caractéristiques de l'homme deviennent conformes à ses dires. Ne mange-t-il pas avec un appétit digne des plus belles orgies de l'Histoire ? La virtuosité de son langage rend ses contes si imagés que même quand on y sent l'arnaque à plein nez, on s'y croit au point d'y distinguer des détails qu'il n 'a même pas évoqués ! Et son raffinement, dans certaines circonstances plus... intimes, ne prouve-t-il pas que le peuple latin coule bel et bien dans ses veines ?

Comme un début de vie « particulier » peut influer sur toute une existence !
« Boire, se battre et tuer... et ne jamais s'avouer vaincu », ces mots résonnent sous le crâne de Theolenn.
Comment peut-on faire en sorte qu'un homme soit persuadé que ce sont des valeurs ?
Ce n'est pas un homme que l'on devient avec de si pauvres armes, c'est un soldat, un pion … un abruti !
Pourtant Morelius est loin d'en être un... Très loin même !

Les idées s’enchaînent à un rythme effréné.
N'est-il pas plus difficile, justement, de devenir un être pensant, sensible, délicat, qui doute à travers les certitudes infligées par la société, quand on a subi un tel lavage de cerveau ?
Ou autrement dit, quel mérite y a t-il à être brillant quand tout vous y a préparé ?


« Contente-toi de l'écouter ! » dit la petite voix qui hésitait à se pointer depuis quelques mois.

Ainsi Cesare est un « parrain »...
Sans être bien au fait de ce type d'organisations, Theolenn sait néanmoins qu'elles ne sont pas uniques... et un germe de piste commence à poindre dans un recoin encore obscur de son imagination fertile. C'est le printemps, non ?


- Ce qui est arrivé à Don Pancetta, est-il à l'origine de ton … "différent" avec notre correspondant préféré ?

C'est la seule question qui lui semble importer dans l'immédiat, savoir ce qui est reproché pour définir comment y « remédier »... ou pas.

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L'horizon est infini pour celui qui ferme les yeux...
Morelius
Naann, tu penses, c'est bien plus sordide...

L'origine de notre différent avait à l'époque seize ans, la poitrine menue et la langue acérée. Chiara, sa fille.
Si Cesare m'avait intégré à sa "famille" criminelle, c'est par elle que j'entrai, un soir de beuverie, dans sa famille tout court.
Et par la petite porte, si tu veux des détails...

La damoiselle était jeunette, orgueilleuse, aguicheuse et je lui avais fait mal, pas seulement là où j'avais pris mon plaisir; j'étais bien placé pour savoir qu'elle était osée, vindicative, et inventive dans sa manière de régler ses comptes.
Mais le secret tint longtemps, car elle avait un âge où la honte bride souvent l'aveu, et une trop haute opinion d'elle-même pour reconnaitre son humiliation.

Les rapports qu'elle entretenait avec son tout-puissant père étaient compliqués.
Elle aimait la puissance de son géniteur, qui faisait d'elle la "fille du patron" et participait à la haute idée qu'elle se faisait d'elle-même; mais par ailleurs, je la soupçonnais de se montrer turbulente et dévergondée parce qu'en profondeur, elle souffrait de la distance qui avait toujours existé dans leur relation.
Elle s'ingéniait à exaspérer Cesare pour exister à ses yeux; or admettre qu'elle avait été culbutée par un second couteau était plutôt sordide et risquait fort de décevoir la statue paternelle.
Là fut longtemps ma chance...

Toutefois, même si elle gardait pour elle le plaisant récit de notre fredaine, je ne me berçais pas d'illusions.
D'une manière ou d'une autre, la petite peste chercherait à me faire payer.
Aussi après quelques mois je quittai en douce la Toscane pour le Duché de Savoie, là où tu m'as trouvé.

Cette histoire-là, ce fut ma vie à pile ou face pendant plus de deux ans, mais je n'ai jamais été assez naïf pour ne pas me douter que la pièce finirait bien par retomber.
J'imagine qu'il y a peu elle a du enfin se livrer à des momeries larmoyantes, languide, muette et les yeux rougis, jusqu'à ce qu'une des âmes damnées de son paternel lui extorque sa terrible confidence.
Après quoi... Cesare au courant, il ne lui restait plus qu'à lâcher ses chiens à mes trousses.

Étonnant comme un homme qui n'hésite pas à faire égorger femmes et enfants devient tatillon dès lors qu'il s'agit de sa propre chair...

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Theolenn
Longtemps Theolenn reste là, sans rien dire...
C'est comme si derrière une lourde porte cadenassée, un millier d'assaillants se relaye pour en faire éclater le bois à coup de bélier. Mais même si l'accès tremble, il tient bon, ancré dans ses charnières, quasiment soudé au sol.

Ce mutisme involontaire ne signifie nullement qu'elle ne tergiverse pas, tout à l'intérieur. Mais tout est devenu confus, et ce « tout » indéfinissable se bouscule, rien n'arrive à prendre le pas, à décider d'une marche à suivre... d'une cohérence.

Évidemment qu'il n'est jamais agréable pour une femme amoureuse d'imaginer l'homme qui fait battre son cœur en train de … quelles que soient les circonstances.
Évidemment qu'elle sait qu'avec bien d'autres qu'elle il a … , avant elle, peut-être même en même temps... qui le sait ?
Évidemment qu'elle a toujours préféré nier, se dire que s'il avait … ça n'aurait pas d'importance, que c'était juste pour …
Une femme a toujours mille excuses pour ne pas trop souffrir de ce qu'elle ne peut pas obtenir naturellement de l'autre dans ce domaine si fragile.

Pourtant, la théorie qui dit que c'est normal pour un homme, que ça ne veut rien dire, qu'il a des besoins, il y a longtemps qu'elle en « rigole ». Si les femelles n'avaient pas été de tout temps, ou presque, élevées dans l'esprit du service, le monde eut pu être bien différent ! Une fille qui, comme elle, a reçu l'éducation d'un garçon le sait, que l'envie existe pareillement pour tout le monde. La différence réside dans le droit que l'on se donne de le prendre, ou non... et surtout, comment.

Elle sait aussi qu'une fille de seize ans, pour peu qu'elle ne soit pas enfermée dans un couvent, ou trop laide, et encore, est rarement vierge. Elle sait aussi à quel point il est facile d'aguicher le mâle, qui plus est s'il est orgueilleux, saoul, ou qu'il a une revanche à prendre sur ses conditions de vie.
Elle sait parfaitement bien ce qu'une consœur est capable de faire, d'endurer, de subir, juste pour se sentir aimée, une minute, une heure, ou une vie.

Mais quand même...


«  je lui avais fait mal, pas seulement là où j'avais pris mon plaisir... »

Son corps de femme ne peut s'empêcher de ressentir la douleur infligée il y a tant d'années à cette «autre». Cette empathie n'a rien de solidaire, elle est automatique, comme quand on sent la lame s'enfoncer dans ses propres entrailles au récit d'un meurtre sauvage raconté avec talent.
Une première fois ou de la maladresse, mais pas ça... pas lui, pas ...


«Le viol n'est pas le viol, c'est pourquoi je l'appelle le viol»*

Soudain la porte spirituelle batie à la hâte vole en éclats et la marée remonte dans son sillage.
Theolenn bondit, sort de la chambre qui prend son âme en tenaille, dévale l'escalier de l'auberge plus vite qu'il m'est donné de l'écrire et se retrouve au pied d'un arbre.
Rien ne lui aura été épargné ce soir. L'affreuse piquette, non contente de lui avoir sali la gorge une première fois, lui rince les gencives à l'acide dans son flux inverse.
Elle en perd le souffle, hoquète, soutient sa carcasse meurtrie d'incertitude au tronc-ami, témoin placide de son malaise à multiples variables.
Puis l'air revient comme dans une première respiration, saccadée, hésitante, mais victorieuse.
L'air est frais cette nuit à Limoges. Elle en prend une pleine goulée, remplit ses poumons en trop grande privation.
Ce soir le teint de porcelaine de Theolenn lui sied à ravir. A ravir quoi ? Qui ?

C'est maintenant que tout se joue, elle ne le sait que trop bien.
Il est rarement donné dans une existence de connaître l'importance d'un moment précis que l'on vit dans l'instant.

Theolenn entre dans la chambre où Morelius, toujours assis au bord du lit, y est resté comme en suspension.
Aucun mot ne suffira.
Elle s'avance vers l'homme dont l'existence lui est mystère depuis sa terrible confession. Un siècle vient de s'écouler, on dirait bien...
Elle le pousse sans faiblesse ni sans force excessive vers le centre de l'univers qu'est leur couche en cette seconde. Il ne résiste pas, comprend-il déjà ?

Le regard de la femme qui s'accroche férocement au sien n'a plus rien de candide.
Elle chevauche le corps du pénitent avec la soudaineté du défi, et aussi étonnant que cela puisse paraître, l'animal est parfaitement prêt. Le voyage nocturne de nos deux noctambules commence ici et maintenant, sur un sentier à la verticalité incendiaire. Il s'annonce long, lent, plein d'imprécision et de bruit.
Cela n'a aucune importance, la naissance au vivant ne se fait pas sans cri...



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* inspiré du  « Petit traité de l'abandon » d'Alexandre Jollien, lui même inspiré par le « Soûtra du Diamant » attribué au Bouddha. La formulation exprime la non-fixité d'une chose, d'un concept, d'une personne. Autrement dit, rien n'est seulement ce qu'il est, tout est mouvant, variable, non-fixé dans son appellation.
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L'horizon est infini pour celui qui ferme les yeux...
Morelius
Les tensions de Morelius se dissolvent comme par enchantement.
La tension de ses remords se dissout dans la magie des mots, son cœur s'apaise comme si ses confessions avaient déroulé un charme puissant.

- Je veux bien perdre la face pour elle, songe-t'il.

Un moment on dirait que la rage va saisir Theolenn et soudain, la voici qui s'enfuit et quitte la chambrée.
La superbe de Morelius est tombée, il réalise sa bêtise et craint soudain les possibles rancœurs de son amante.
Et si elle ne pardonnait plus ni ses penchants sanguinaires ni sa méchanceté ?
Et si par vengeance ou par punition, elle lui préférait autre chose ?
Il veut courir la rejoindre. Une vieille maxime florentine l'en empêche.

“Les femmes ont une idée très précise de la punition qu'elles méritent… mais celle-ci doit toujours rester inférieure à celle qu'elles infligeraient à leur amant.”

Theolenn revient dans un silence un peu lourd, sans doute sait-elle qu'en parlant elle ne ferait que d'inutiles et de dangereux reproches.
Morelius ne sait rien dire non plus, car parler l'obligerait à demander pardon. Un mot qu'il est incapable de prononcer.
Même son amour ne peut triompher de son orgueil.

Sans mots dire, ni maudire, il la prend dans ses bras et couvre son torse de baisers.
Son corps le trahit, l’envie lui vient quand même, il se presse un instant contre l’Aimée et les mots sortent enfin de sa gorge.


- Pardonne-moi...
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Theolenn
La peau contre la peau et la braise de ses lèvres...
Toutes les résolutions de l'amante et toutes les protections qui entourent son âme blessée s'envolent, le poison de ses veines s'évapore un peu plus à chaque battement de son cœur enfiévré et qui s'emballe.


- Pardonne-moi...

Qu'a-t-il dit ?
Un instant elle pense que son émotion la trompe. Mais le visage de Mô est si grave, si différent, si… transformé, qu'elle comprend que sa demande va bien plus loin qu'un simple pardon pour une vieille histoire qui ne la concerne que peu.

Elle n'a rien à accorder parce qu'elle n'a rien à pardonner. C'est lui qu'elle aime. Comme il est. Comme il était quand elle l'a rencontré et comme il est maintenant. Comme la vie le transformera... et s'il veut de son aide, et s'il veut bien l'aider à son tour, comment un amour si puissant pourrait-il ne pas les améliorer tout deux ?

Alors plutôt que des paroles, plutôt que des mots qui se perdent bien souvent dans des interprétations trop personnelles ou dont le sens changera avec le temps, elle lui offre la bénédiction de l'ange.
Theolenn pose un doigt sur les lèvres de Morelius. Comme l'ange qui quelques secondes avant la naissance vient sceller le pacte du silence, offre le pardon et l'oubli de l'ancienne vie, et crée, en guise de signature, d'une légère pression de l'index, le sillon sous le nez du nouveau-né.

La mouette et l'aigle ont une revanche sur le passé à préparer, ensemble. Et si la tâche semble immense, elle reste minuscule par rapport à la volonté qui peut surgir de certaines osmoses.
Il suffit bien souvent de vouloir pour pouvoir...

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L'horizon est infini pour celui qui ferme les yeux...
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