Kleze
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["Mer... Fichtre !"]
Je dois tout d'abord vous raconter l'histoire de Georgette.
Georgette a eu le malheur d'être déposée devant la porte d'un couvent, emmitouflée dans un panier en osier. Et je lui ai toujours dit que son plus grand malheur n'avait pas été d'être abandonné, loin de là, mais de finir confier à des nones. Parce que Georgette, ce sont les bonnes surs qui lui ont donné ce prénom. Et franchement, ça, ça craint.
Mais dans son malheur, elle avait eu la chance de pouvoir apprendre à lire et à écrire. Noble compensation. D'ailleurs c'est grâce à elle si je sais déchiffrer les chiffres et les lettres.
Georgette est juste un peu plus vieille que moi, juste une année nous sépare, et lorsque mes parents se sont éteints - de mort naturel, vers leur quarantaine - elle m'a pris sous son aile. J'étais déjà presque adulte, mais toute une éducation à faire ! Ou à refaire... Bah oui, ce n'est pas en travaillant au milieu des chevaux qu'on apprend les bonnes manières.
Elle s'est mise en tête de faire de moi un gentilhomme, et plus je lui répète que c'est peine perdue, plus elle s'entête. Et lorsque ces cours de bienséance et de politesse finissent par devenir trop long, je lui rappelle l'ironie de son sort - hé oui, déposer au couvent dans de l'oseille, je trouve ça marrant - ou que son prénom ne se donne même plus aux vaches. Ça marche à tous les coups et après une grimace et un "t'es nul" des plus convaincu et convaincant, elle finit par me laisser tranquille.
Moi, je suis Kleze.
Vous l'aurez compris, je suis un peu... "nature", et les mots qui sortent de ma bouche sont aussi colorés qu'ils le sont dans ma tête. Je passe ma vie au milieu des chevaux et j'en suis très heureux, même lorsqu'ils s'oublient sur moi quand je m'en occupe. Il parait que c'est un bon engrais, ça ne peut pas faire de mal disait mon père, et je pense qu'il avait raison; après tout, j'ai une taille plus que correct.
J'ai toujours vécu simplement, vis simplement et vivrai simplement aussi. Mais un jour j'ai croisé une brochette de nobles, tous apprêtés. On aurait dit un méchoui de paillette et d'or. Georgette était à côté de moi, elle devait s'attendre à ce que je lâche une réflexion un peu lourde, elle m'en écrasa le pied avec sa botte. La greluche.
Je m'en souviens bien. Sur le coup, j'ai lâché un grand "Mer..."; mais le regard d'une des baronnes ou comtesses ou autres, braqué sur ma petite personne; m'a comme par magie rappelé une des leçons de Georgette.
Fichtre !
Je pense que ça a étonné autant la none en puissance que moi même. Et j'ai pu déceler toute la fierté du monde dans les yeux de la Georgette, mais aussi un certain amusement de la donzelle à l'apparat ostentatoire.
Pire encore, je me suis rendu compte que j'aurais pu exclamer un "Diantre !" ou un "crotte de biquette !"...
C'est à cet instant précis, comme un défi à moi même, un défi à mon amie de toujours, un défi au monde entier : J'irais à un de ses bals !
Et vous ne me croirez peut être pas. Providence ou simple hasard, j'ai reçu une invitation pour un bal masqué berrichon peu de temps après.
Le plus dur commence.