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- Le repaire de la Spiritu Sanguis arbore ses griffes malfaisantes au milieu de la cour des miracles. Une taverne la « Sans Nom » à l'abandon tire la gueule au milieu des autres bâtisses. Comme tous les vestiges d'une époque dorée. Se forme à l'orée de ce lieu de débauche, un décroché qui trône comme la panse d'un noble à la graisse béante. Et si le coin n'offre plus la prestance d'antan, le stupre reste une constante. La bacchanale couine des catins aux cuisses mouillées et des braillards qui répandent leur foutre sur le pavé. Les râles se succèdent et rien ne peut atténuer la jouissance que leurs corps enchevêtrés ordonnent. La loi est absente. Si ce ne sont les règles coutumières d'une populace qui ne sait ni lire, ni écrire. Le plus fort domine le faible. Alors que ce soit de joyeux drilles, des arsouilles, des rifodés, des malingreux, des millards, des hirondelles ou des orphelins. Tous respectent l'ordre naturel de la cour qui s'éveille sous les cris plaintifs et s'endort dans les rires d'exaltation des malades. Feindre des maux pour adoucir le chaland et mieux lui soudoyer quelques précieux deniers. Seuls les non-initiés pouvaient être dupes et ne pas comprendre les codes qui régissent les rapports sociaux ici bas.
Et lorsqu'un endroit se trouve abandonné à la cour, il dépérit d'autant plus vite. La « Sans Nom » était devenue un cloaque pour les sans-abris. Un cercueil agréable pour les crèves-la-faim lors des hivers rudes. Aussi, consciente des faits, la mustélide eut besoin d'embaucher quelques soiffards. Les trognes noirâtres et cassées comme celle des mineurs. Leur motivation souffrait de goûter à la teneur de l'obole promise. Des deniers ou bien une nuit avec la Corleone. Bien sot est celui qui aurait retenu cette possibilité. Même esseulée, même en étant pas une habituée. La réputation des siens ne permettait pas à ses débauchards de poser leurs pattes crasseuses et velues sur sa croupe. Au risque de les perdre. Ils le savaient. Si bien qu'aucun ne daigna réclamer plus que son dû. Piécettes, denrées ou de quoi rafistoler les râteliers des édentés. Loin d'être pingre, la mustélide transforma le coin en l'antre de la gabegie.
Tables brinquebalantes, renforcées à coup de maillets, furent dressées sans nappes. Elles forment un U et s'étalent sur un sol teinté de pierres, de terres et de pailles. Avec au milieu un feu sur lequel des cochons de lait cuisent lentement sous les lèchements des flammes. Non loin un pilori les nargue. Miches de pain, fruits secs, charcuteries, alcools à foison dont des tonneaux de bière, les victuailles en sur-nombre dégueulent de leurs présentoirs. C'est l'opulence. Les récentes prises de mairies le leur permettaient. Alors pourquoi s'en priver. Cette union était plus qu'une lubie. L'envie de faire savoir au plus de monde possible qu'elles étaient ensembles. Mais aussi de réunir leurs familles et des gens qui trouvent toujours leurs intérêts. Que ce soit pour jouer les piques-assiettes ou bien pour causer des troubles dans une province spécifique. L'art et la manière d'allier l'utile à l'agréable.
L'Italienne et lÉcossaise, la Corleone et la Macdouggal allèrent s'unir peu importe ce qui pourrait advenir. Ceci avait été précédé par des mois à se chercher, se perdre, se retrouver, se quitter pour enfin ne plus jamais se séparer. La guerre, terrible tentatrice, avait essayé à deux reprises sans succès. A chaque fois leurs retrouvailles se firent entendre lors de leurs ébats endiablés. Et c'est cet être qu'abrite le Lune qui les anime toutes les deux. Des jeunes femmes entre elles, des hérétiques et des cousines de surcroît. Quelque chose ne tournait pas rond. Elles ou les autres, leur mariage prochain résonnait comme une évidence. C'était surprenant. Aucune objection avait été émise, aucune remontrance. Et l'église ne serait sans doute jamais au courant de ce qui se trame en ce jour. La bienséance était le cadet de leur soucis. Elles, qui ne respectent rien ou presque. Qui vivent de larcins. Rien ne pourrait les stopper. Toutefois, il y a des choses qui pourraient bien les atteindre. Que les familles ne soient pas présentes ou que certains invités fassent l'impasse. A ses deux possibilités, la mustélide considère que liens de sang ou pas, seule la mort serait une excuse suffisante pour en être exempté. Et encore. L'idée première du couple avait été de célébrer leur union au cimetière de la cour des miracles. Afin d'être au plus près de leur tante, Sadnezz. Hélas, la raison l'a emportée. Avec pareilles décisions, la moitié des convives aurait été décimée par l'envie de se soustraire à ce que les gens nomment, habituellement, une corvée sociale. Quoiqu'il en soit, la Fougueuse a la rancune tenace.
Assise sur un banc enrobé par des peaux de moutons, elle attend. Vêtue d'une houppelande sombre et d'un col carmin. Impatiente comme toujours. Lorgnant le paquet que sa Brune a laissé traîner, ne sachant aucunement ce qu'il peut contenir. Elle triture une mèche rebelle qui orne son front en une petite boucle. Son regard se perd sur le reste de la rue. Longue, étroite. Les badauds l'observent avec de drôles d'air. La folie l'étreint de vouloir se marier ici. Ce qui la rassure, c'est qu'elles seront au moins deux. Alors si l'aliénation est une religion, aujourd'hui, elle compte deux nouvelles ouailles. Sa main inspecte le petit rajout sur sa tenue. Elle sent le précieux objet qui y loge. Une bague, non pas en or, mais en acier. Forgée en faisant fondre une dague sanguinolente. Tout un symbole. La mustélide aura l'occasion de lui offrir une alliance bien plus luxueuse. Une autrefois. Ses onyx scrutent les larbins qui sont gauches à faire pâlir la maladresse. Un soupir de consternation s'en suit. Ils pourront peut être faire double emploi avant la fin...
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