Aloan
Date: 4 avril 1461
Lieu: Sous un chêne, à Epinal
Rrrrrrrr! Rrrrrrrrr!
Un promeneur égaré aurait pu croire quon sciait du bois. Que nenni!
Allongé contre le tronc dun vieux chêne, les yeux clos, Aloan profitait de quelques rayons dérobés au soleil encore timide du printemps. De quoi se réchauffer les os et se voir surprendre en plein roupillon par un bruissement dailes.
Hein? Quoi?
Le bruit avait fait sursauter le Lorrain dadoption et il ne reconnut pas tout de suite lendroit où il se trouvait. Petit à petit la mémoire lui revint cependant:
Epinal... escorte de marchands... tout dépensé en taverne... plus un rond pour se payer une auberge...
Il bailla et sétira longuement avant que celui qui avait écourté son sommeil ne se rappelle à lui:
Rouuucouuuuule! Rouuuucouuuule!
Tiens, un pigeon!
Cétait toujours un mystère pour Al de comprendre comment ces bestioles à lair si stupide au demeurant, réussissaient à le retrouver, où quil soit. Dautant plus quil navait aucun correspondant régulier à ce moment-là. Cest alors quil se souvint vaguement davoir envoyé une demande de laisser-passer le matin même. Seulement il ne sattendait pas à avoir de réponse avant une ou deux semaines. Cétait le délai habituel pour ce genre de paperasseries.
Hum! Cest mauvais signe davoir réponse si vite.
Il allait remettre à plus tard la lecture du refus probablement aussi poli quimpersonnel que la Prévôté de Bourgogne avait du lui écrire à la hâte, lorsquil aperçut le sceau qui ceignait le parchemin.
Bon sang! sécria-t-il en attrapant le volatile et détachant la missive.
Il parcourut la lettre avec étonnement, émotion et une joie teintée dappréhension.
Mon frère,
Voilà si longtemps que je n'ai donné de nouvelles, ni à Père ni à aucun d'entre vous. La moitié d'âme que j'ai perdue le jour que tu sais n'a pas été retrouvée, je m'en suis fait une raison... Je me sens fin prêt à revenir prendre ma place. Actuellement je suis à Poligny et l'on m'a parlé en taverne d'un certain Aloan dans la région. Je te fais parvenir ce pli pour savoir si tu m'acceptes à tes côtés, le temps de voir où notre destin nous attend,
Ton frère,
Equemont
Repliant celle-ci sitôt lue, il se releva, épousseta ses habits et ramassant le pigeon, partit en quête de parchemin pour répondre à Equemont.
Sur le chemin, il se repassa le fil de leur dernière rencontre.
Al devait avoir dans les dix ans et son frère cinq de plus quand ce dernier avait quitté la demeure familiale. Il en était certain, cétait avant sa dernière fugue, celle qui lavait conduit chez les moines et qui avait scellé la fin des réjouissances entre son père et lui.
Ainsi, Equemont est bel et bien vivant!
Quel drôle de hasard les avait mis sur la même route, même si Aloan ne conservait quun souvenir plutôt vague - noyé dans les vapeurs dalcool - de son passage à Poligny.
Arrivé en taverne, Al se fit prêter plume et parchemin par une dame du coin et commença à rédiger une réponse à son frère sur un coin de table.
A Equemont de Salar, Mon frère depuis trop longtemps perdu de vue,
DAloan de Salar, Epinal.
Que la peste noire me couvre de bubons si je mattendais à recevoir une telle missive!
Mon frère, bien portant, et se trouvant à peine à quelques jours de marche de moi!
Il faudrait me couper les deux jambes pour mempêcher de venir à ta rencontre, ô mon frère retrouvé!
Mais tu gardes le silence sur ce que tu as fait depuis toutes ces années. Je te retrouve bien là, toi si secret et si peu loquace sur les choses qui témeuvent.
Lévènement auquel tu fais référence a toujours plané comme une ombre malfaisante sur notre famille. Tu nétais plus là pour le voir, mais Père na plus jamais été le même homme après cela. Même pour un gosse de mon âge à lépoque, cela paraissait évident.
Tu as quitté un garçonnet de dix ans et me voilà devenu homme, tout comme toi!
Toutefois il vaut mieux que tu saches que mes relations avec Père ne sont pas au beau fixe. Cest bien simple, nous ne nous parlons plus depuis quil ma envoyé chez les moines pour parfaire mon éducation. Bref, laissons-là ce sujet, nous en reparlerons de vive voix.
Depuis, jai voyagé un peu partout à louest de lEmpire jusquà il y a peu, où jai finalement fait lacquisition dun lopin de terre en la ville de Nancy. A dire vrai lorsque jarrivai là-bas, je me souvenais à peine de mon nom ce qui fait quon a écrit sur mes papiers de résidence que jétais originaire de la ville. Jy ai vu le signe pour moi de poser mes braies pendant quelques temps et dessayer de construire quelque chose. Mais les vieilles habitudes ont la vie dure et ta missive me cueille en pleine vadrouille, alors que jaccompagnais une famille de marchands nancéens.
Toutefois la perspective de te voir est plus forte que tout et je décide sur le champ de venir te rejoindre en Franche-Comté. A moins que tu y voies un inconvénient, je ne saurai être auprès de toi avant une bonne semaine, mes finances étant quelque peu déficitaires.
Mais parle-moi un peu de toi à présent. Que fais-tu à Poligny? As-tu pris femme depuis tout ce temps? Et tes projets dentrer au service dun preux chevalier?
Jéprouve grande hâte à te serrer dans mes bras, ô mon aîné!
Que le Très Haut te garde,
***AldS***
Il relut sa lettre et en corrigea quelques erreurs, puis la cacheta avant de renvoyer le pigeon à son propriétaire.
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Lieu: Sous un chêne, à Epinal
Rrrrrrrr! Rrrrrrrrr!
Un promeneur égaré aurait pu croire quon sciait du bois. Que nenni!
Allongé contre le tronc dun vieux chêne, les yeux clos, Aloan profitait de quelques rayons dérobés au soleil encore timide du printemps. De quoi se réchauffer les os et se voir surprendre en plein roupillon par un bruissement dailes.
Hein? Quoi?
Le bruit avait fait sursauter le Lorrain dadoption et il ne reconnut pas tout de suite lendroit où il se trouvait. Petit à petit la mémoire lui revint cependant:
Epinal... escorte de marchands... tout dépensé en taverne... plus un rond pour se payer une auberge...
Il bailla et sétira longuement avant que celui qui avait écourté son sommeil ne se rappelle à lui:
Rouuucouuuuule! Rouuuucouuuule!
Tiens, un pigeon!
Cétait toujours un mystère pour Al de comprendre comment ces bestioles à lair si stupide au demeurant, réussissaient à le retrouver, où quil soit. Dautant plus quil navait aucun correspondant régulier à ce moment-là. Cest alors quil se souvint vaguement davoir envoyé une demande de laisser-passer le matin même. Seulement il ne sattendait pas à avoir de réponse avant une ou deux semaines. Cétait le délai habituel pour ce genre de paperasseries.
Hum! Cest mauvais signe davoir réponse si vite.
Il allait remettre à plus tard la lecture du refus probablement aussi poli quimpersonnel que la Prévôté de Bourgogne avait du lui écrire à la hâte, lorsquil aperçut le sceau qui ceignait le parchemin.
Bon sang! sécria-t-il en attrapant le volatile et détachant la missive.
Il parcourut la lettre avec étonnement, émotion et une joie teintée dappréhension.
Mon frère,
Voilà si longtemps que je n'ai donné de nouvelles, ni à Père ni à aucun d'entre vous. La moitié d'âme que j'ai perdue le jour que tu sais n'a pas été retrouvée, je m'en suis fait une raison... Je me sens fin prêt à revenir prendre ma place. Actuellement je suis à Poligny et l'on m'a parlé en taverne d'un certain Aloan dans la région. Je te fais parvenir ce pli pour savoir si tu m'acceptes à tes côtés, le temps de voir où notre destin nous attend,
Ton frère,
Equemont
Repliant celle-ci sitôt lue, il se releva, épousseta ses habits et ramassant le pigeon, partit en quête de parchemin pour répondre à Equemont.
Sur le chemin, il se repassa le fil de leur dernière rencontre.
Al devait avoir dans les dix ans et son frère cinq de plus quand ce dernier avait quitté la demeure familiale. Il en était certain, cétait avant sa dernière fugue, celle qui lavait conduit chez les moines et qui avait scellé la fin des réjouissances entre son père et lui.
Ainsi, Equemont est bel et bien vivant!
Quel drôle de hasard les avait mis sur la même route, même si Aloan ne conservait quun souvenir plutôt vague - noyé dans les vapeurs dalcool - de son passage à Poligny.
Arrivé en taverne, Al se fit prêter plume et parchemin par une dame du coin et commença à rédiger une réponse à son frère sur un coin de table.
A Equemont de Salar, Mon frère depuis trop longtemps perdu de vue,
DAloan de Salar, Epinal.
Que la peste noire me couvre de bubons si je mattendais à recevoir une telle missive!
Mon frère, bien portant, et se trouvant à peine à quelques jours de marche de moi!
Il faudrait me couper les deux jambes pour mempêcher de venir à ta rencontre, ô mon frère retrouvé!
Mais tu gardes le silence sur ce que tu as fait depuis toutes ces années. Je te retrouve bien là, toi si secret et si peu loquace sur les choses qui témeuvent.
Lévènement auquel tu fais référence a toujours plané comme une ombre malfaisante sur notre famille. Tu nétais plus là pour le voir, mais Père na plus jamais été le même homme après cela. Même pour un gosse de mon âge à lépoque, cela paraissait évident.
Tu as quitté un garçonnet de dix ans et me voilà devenu homme, tout comme toi!
Toutefois il vaut mieux que tu saches que mes relations avec Père ne sont pas au beau fixe. Cest bien simple, nous ne nous parlons plus depuis quil ma envoyé chez les moines pour parfaire mon éducation. Bref, laissons-là ce sujet, nous en reparlerons de vive voix.
Depuis, jai voyagé un peu partout à louest de lEmpire jusquà il y a peu, où jai finalement fait lacquisition dun lopin de terre en la ville de Nancy. A dire vrai lorsque jarrivai là-bas, je me souvenais à peine de mon nom ce qui fait quon a écrit sur mes papiers de résidence que jétais originaire de la ville. Jy ai vu le signe pour moi de poser mes braies pendant quelques temps et dessayer de construire quelque chose. Mais les vieilles habitudes ont la vie dure et ta missive me cueille en pleine vadrouille, alors que jaccompagnais une famille de marchands nancéens.
Toutefois la perspective de te voir est plus forte que tout et je décide sur le champ de venir te rejoindre en Franche-Comté. A moins que tu y voies un inconvénient, je ne saurai être auprès de toi avant une bonne semaine, mes finances étant quelque peu déficitaires.
Mais parle-moi un peu de toi à présent. Que fais-tu à Poligny? As-tu pris femme depuis tout ce temps? Et tes projets dentrer au service dun preux chevalier?
Jéprouve grande hâte à te serrer dans mes bras, ô mon aîné!
Que le Très Haut te garde,
***AldS***
Il relut sa lettre et en corrigea quelques erreurs, puis la cacheta avant de renvoyer le pigeon à son propriétaire.
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