Aloan
Même jour,
au pied de la colline.
Aloan leva les yeux vers le point que désignait son frère. Le temps qu'il acquiesce, celui-ci commençait déjà à partir en trottant, laissant Al sur le carreau.
Mordiou! Comment qu'on fait déjà pour aller au trot?
Il lui fallu quelques secondes pour trouver l'impulsion, serrant ses talons sur les flancs de Mérida et remontant les rênes pour la tenir au mors. Les premiers instants, son fondement tapa si fort contre la selle qu'il laissa échapper un grognement. Puis Al parvint à trouver son rythme, prenant appui sur ses étriers, non sans qu'Equemont lui eut mis quelques toises d'avance.
Guidant sa monture jusqu'au point de vue, il retrouva son frère le regard plongé dans le paysage alentour et prit place à son flanc gauche.
- Jolie vue. se contenta de dire Al en observant le panorama qui s'étendait devant eux.
Le jeune homme n'avait pas la même passion que son aîné pour la nature, mais savait apprécier un bel endroit quand il en voyait un.
- Te souviens-tu de ces jours où nous allions avec Esébia au bord des falaises pour observer le soleil se coucher ?
Bien sûr que je m'en souviens.
Aloan se contenta de hocher la tête.
Ainsi le moment d'évoquer le passé était donc arrivé. Il se doutait que tôt ou tard Equemont souhaiterait lui fournir des explications sur son départ et il était à la fois inquiet et impatient de vivre ce moment. Son expérience lui avait appris à intérioriser toutes ces choses, à les enfouir, mais face à son frère il se sentait à nouveau vulnérable, mis à nu. Peut-être que la parole l'aiderait à panser ces blessures enfouies.
- Et bien c'est ce souvenir que je souhaiterai que tu gardes à l'esprit tout en écoutant ce que j'ai à te dire.
- Très bien. Je t'écoute.
Et il l'écouta. La parole d'Equemont se mit à dérouler lentement le fil d'une histoire, leur histoire. L'émotion était palpable dans sa voix et Aloan voyait les images se superposer devant leurs yeux à mesure que son frère évoquait leurs origines, la rencontre de leurs parents et leurs naissances respectives.
Cette histoire il la connaissait. Du moins était-ce ce qu'il croyait jusqu'à ce que, ça et là, apparaissent de nouveaux détails, certaines allusions dont Al ne comprit pas ce qu'elles venaient faire dans l'histoire. Mais il n'osa pas interrompre son frère dont il sentait le trouble, de peur qu'il se refermât.
Lorsqu'Equemont évoqua la mort de leur mère, son jeune frère sentit son coeur s'accélérer. Ces souvenirs étaient vagues pour lui, âgé d'à peine six ans à l'époque. Il se souvenait d'une femme aux cheveux d'ange et au visage pâle, qui parlait avec calme et se sentait souvent fatiguée. Et puis un jour, Al se souvenait qu'on lui avait mis son plus bel habit et qu'il s'était retrouvé entre son frère et sa soeur devant une grande boîte en bois à côté de laquelle on avait creusé un trou.
Mais déjà Equemont poursuivait son récit:
- ... Cachée dans un coffre en nacre, cadeau du père, ils trouvèrent une lettre tachée de larmes. Tu la liras à tête reposée, c'est une lettre où elle raconte son histoire, et où... elle te livre son testament, à toi son fils.
Al posa les yeux vers le parchemin que son frère lui tendait, ne sachant comment réagir.
Il prit l'objet et le garda dans sa main.
Comment se faisait-il que son père ne lui eût jamais parlé de ce testament? Et pourquoi était-ce Equemont qui le portait sur lui?
Une foule de questions commencèrent à envahir son esprit et ce n'était qu'un début.
Car la suite du récit était encore plus déstabilisante.
Cette terrible vérité... qu'est-ce que ça signifie? De quoi parle-t-il?
De pire en pire. Equemont parlait à présent de l'assassinat de leur soeur. De cela, Aloan conservait davantage de souvenirs.
Les cris de son père en apprenant la nouvelle, le visage déformé par la rage de son frère et Al qui du haut de ses dix ans ne cessait de demander: "Elle est où Esébia? Elle revient quand?".
Et ce silence lorsqu'on lui répondit froidement: "Elle est morte."
Ce jour-là avait marqué la fin de l'insouciance pour Al, la fin des rires aussi et peu de temps après, la fin d'un foyer, lorsqu'Equemont avait pris la route.
La voix de ce dernier se tut, parvenue au bout de son récit.
Aloan ne sut pas tout d'abord comment rompre le silence après tant de révélations assénées d'un seul coup.
Des révélations qui suggéraient plus qu'elles ne révélaient véritablement les choses, invitant à une foule de questions dont Al n'était pas certain de vouloir connaître les réponses. Il avait vécu si longtemps dans l'ignorance qu'il avait appris à s'en contenter. Ouvrir la porte et inviter la vérité à entrer pouvait s'avérer plus dangereux pour lui qu'il n'y paraissait.
Mais il ne fallait pas oublier le courage qu'Equemont avait du aller puiser en lui-même pour lui raconter tout cela. A ses yeux humides, son visage tiré et sa voix chevrotante, Al vit que son frère s'était déchargé d'un lourd fardeau qu'il portait seul depuis des lustres. Un poids qu'il avait enfin la possibilité de partager avec quelqu'un d'autre.
C'est le moment de te montrer à la hauteur, Al. Tu es un homme ou quoi?
Il considéra un instant la lettre qu'Equemont lui avait donnée et la glissa sous son pourpoint. Il la lirait plus tard.
Relevant les yeux sur le paysage devant lui il commença à parler, d'une voix mal assurée:
- Donc, si je comprends bien, notre mère a connu cet homme avant de rencontrer notre père et de l'épouser, mais elle n'en a jamais parlé à personne. Et lorsque vous êtes allés au Castel ce fameux jour, toi et Mère, cet homme l'a reconnue et a commencé à la harceler. C'est bien ça?
Ensuite, après le décès de notre mère, toi et Esébia avez fouillé dans ses affaires et découvert le nom de l'homme, et par la suite, le fait qu'il était votre véritable géniteur.
Prenant une inspiration, Al poursuivit:
- Pour une raison que j'ignore, cet homme a décidé plus tard de vous tendre un piège à tous les deux. Et c'est là que notre soeur est morte. A cause d'un simple malentendu, un accident stupide.
J'ai bien compris?
Il tourna la tête vers Equemont, cherchant à s'assurer qu'il avait bien compris son histoire.
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au pied de la colline.
Aloan leva les yeux vers le point que désignait son frère. Le temps qu'il acquiesce, celui-ci commençait déjà à partir en trottant, laissant Al sur le carreau.
Mordiou! Comment qu'on fait déjà pour aller au trot?
Il lui fallu quelques secondes pour trouver l'impulsion, serrant ses talons sur les flancs de Mérida et remontant les rênes pour la tenir au mors. Les premiers instants, son fondement tapa si fort contre la selle qu'il laissa échapper un grognement. Puis Al parvint à trouver son rythme, prenant appui sur ses étriers, non sans qu'Equemont lui eut mis quelques toises d'avance.
Guidant sa monture jusqu'au point de vue, il retrouva son frère le regard plongé dans le paysage alentour et prit place à son flanc gauche.
- Jolie vue. se contenta de dire Al en observant le panorama qui s'étendait devant eux.
Le jeune homme n'avait pas la même passion que son aîné pour la nature, mais savait apprécier un bel endroit quand il en voyait un.
- Te souviens-tu de ces jours où nous allions avec Esébia au bord des falaises pour observer le soleil se coucher ?
Bien sûr que je m'en souviens.
Aloan se contenta de hocher la tête.
Ainsi le moment d'évoquer le passé était donc arrivé. Il se doutait que tôt ou tard Equemont souhaiterait lui fournir des explications sur son départ et il était à la fois inquiet et impatient de vivre ce moment. Son expérience lui avait appris à intérioriser toutes ces choses, à les enfouir, mais face à son frère il se sentait à nouveau vulnérable, mis à nu. Peut-être que la parole l'aiderait à panser ces blessures enfouies.
- Et bien c'est ce souvenir que je souhaiterai que tu gardes à l'esprit tout en écoutant ce que j'ai à te dire.
- Très bien. Je t'écoute.
Et il l'écouta. La parole d'Equemont se mit à dérouler lentement le fil d'une histoire, leur histoire. L'émotion était palpable dans sa voix et Aloan voyait les images se superposer devant leurs yeux à mesure que son frère évoquait leurs origines, la rencontre de leurs parents et leurs naissances respectives.
Cette histoire il la connaissait. Du moins était-ce ce qu'il croyait jusqu'à ce que, ça et là, apparaissent de nouveaux détails, certaines allusions dont Al ne comprit pas ce qu'elles venaient faire dans l'histoire. Mais il n'osa pas interrompre son frère dont il sentait le trouble, de peur qu'il se refermât.
Lorsqu'Equemont évoqua la mort de leur mère, son jeune frère sentit son coeur s'accélérer. Ces souvenirs étaient vagues pour lui, âgé d'à peine six ans à l'époque. Il se souvenait d'une femme aux cheveux d'ange et au visage pâle, qui parlait avec calme et se sentait souvent fatiguée. Et puis un jour, Al se souvenait qu'on lui avait mis son plus bel habit et qu'il s'était retrouvé entre son frère et sa soeur devant une grande boîte en bois à côté de laquelle on avait creusé un trou.
Mais déjà Equemont poursuivait son récit:
- ... Cachée dans un coffre en nacre, cadeau du père, ils trouvèrent une lettre tachée de larmes. Tu la liras à tête reposée, c'est une lettre où elle raconte son histoire, et où... elle te livre son testament, à toi son fils.
Al posa les yeux vers le parchemin que son frère lui tendait, ne sachant comment réagir.
Il prit l'objet et le garda dans sa main.
Comment se faisait-il que son père ne lui eût jamais parlé de ce testament? Et pourquoi était-ce Equemont qui le portait sur lui?
Une foule de questions commencèrent à envahir son esprit et ce n'était qu'un début.
Car la suite du récit était encore plus déstabilisante.
Cette terrible vérité... qu'est-ce que ça signifie? De quoi parle-t-il?
De pire en pire. Equemont parlait à présent de l'assassinat de leur soeur. De cela, Aloan conservait davantage de souvenirs.
Les cris de son père en apprenant la nouvelle, le visage déformé par la rage de son frère et Al qui du haut de ses dix ans ne cessait de demander: "Elle est où Esébia? Elle revient quand?".
Et ce silence lorsqu'on lui répondit froidement: "Elle est morte."
Ce jour-là avait marqué la fin de l'insouciance pour Al, la fin des rires aussi et peu de temps après, la fin d'un foyer, lorsqu'Equemont avait pris la route.
La voix de ce dernier se tut, parvenue au bout de son récit.
Aloan ne sut pas tout d'abord comment rompre le silence après tant de révélations assénées d'un seul coup.
Des révélations qui suggéraient plus qu'elles ne révélaient véritablement les choses, invitant à une foule de questions dont Al n'était pas certain de vouloir connaître les réponses. Il avait vécu si longtemps dans l'ignorance qu'il avait appris à s'en contenter. Ouvrir la porte et inviter la vérité à entrer pouvait s'avérer plus dangereux pour lui qu'il n'y paraissait.
Mais il ne fallait pas oublier le courage qu'Equemont avait du aller puiser en lui-même pour lui raconter tout cela. A ses yeux humides, son visage tiré et sa voix chevrotante, Al vit que son frère s'était déchargé d'un lourd fardeau qu'il portait seul depuis des lustres. Un poids qu'il avait enfin la possibilité de partager avec quelqu'un d'autre.
C'est le moment de te montrer à la hauteur, Al. Tu es un homme ou quoi?
Il considéra un instant la lettre qu'Equemont lui avait donnée et la glissa sous son pourpoint. Il la lirait plus tard.
Relevant les yeux sur le paysage devant lui il commença à parler, d'une voix mal assurée:
- Donc, si je comprends bien, notre mère a connu cet homme avant de rencontrer notre père et de l'épouser, mais elle n'en a jamais parlé à personne. Et lorsque vous êtes allés au Castel ce fameux jour, toi et Mère, cet homme l'a reconnue et a commencé à la harceler. C'est bien ça?
Ensuite, après le décès de notre mère, toi et Esébia avez fouillé dans ses affaires et découvert le nom de l'homme, et par la suite, le fait qu'il était votre véritable géniteur.
Prenant une inspiration, Al poursuivit:
- Pour une raison que j'ignore, cet homme a décidé plus tard de vous tendre un piège à tous les deux. Et c'est là que notre soeur est morte. A cause d'un simple malentendu, un accident stupide.
J'ai bien compris?
Il tourna la tête vers Equemont, cherchant à s'assurer qu'il avait bien compris son histoire.
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