J'observai avec curiosité cet homme qui me faisait face et qui semblait pris d'un brusque mal de tête. Je ne m'attendais pas à ce qu'il aille à toute allure s'armer de griffes de métal et qu'il soit sur le point de m'arracher la tête. Je vis la mort courir vers moi, sous la forme d'un ours enragé, pour m'arracher la vie du bout de ses longs doigts griffus comme ceux d'un squelette. Que le Très-Haut soit mille fois loué, il tendit son céleste bras pour retenir la faux brandit au-dessus de ma tête. Le jugement de mon âme n'était pas pour aujourd'hui.
Interdit, le visage blanc comme le tissu que manipulait une jeune fille à un étal, je mis quelques instants à comprendre ce qu'il venait de se passer. Je baissai la tête vers la tête d'ours qui me regardait, sans vie, et qui me suppliait. Je ne comprenais toujours pas ce brusque changement de comportement, je ne savais pas quoi répondre à ses suppliques. Il finit par se relever pour rassembler ses affaires. Je l'observais, ébahis, sans me préoccuper des gens qui avaient assister à la scène et qui se demandait si j'allais bien.
Finalement, je m'avançai dans sa direction, tandis qu'il me tournait le dos, accroupi au-dessus de sa besace, sous le regard de sa chienne. Une telle dualité entre l'homme et la bête n'avait rien d'humain. C'est comme s'il était manipulé par une force supérieure. Possédé ? Je n'étais pas exorciste, je n'avais aucune certitude, sauf celle que le Très-Haut me tiendrait rigueur de ne pas aider une âme qui était peut-être autrefois aussi pure que l'eau qui a englouti ma botte. J'étais sur le point de poser ma main sur son épaule, mais je ravisai.
Une douleur aussi vive ne peut être causée que par la plaie profonde laissée par une passion effrénée. L'Amour n'est pas forcément une Vertu. Comment une Vertu pourrait-elle pousser à la jalousie, au meurtre, au suicide ? Aimer sans limite est un Péché. La Tempérance, elle, est une Vertu. Et seul aimer avec Tempérance est bon.
Et c'est un homme qui avait sacrifié au Très-Haut tout ce qu'il possédait, et tout ce qu'il aurait pu posséder, qui dit ça. Quelle ironie. Quelle hypocrisie. Mais ce n'est pas moi qui ait un problème.
C'est Saint-Gabriel qui est l'Archange de la Tempérance. Et c'est Léviathan qui est son opposé, le Prince-Démon de la Colère. Celui à qui vous devait vos maux de têtes et vos accès de fureur.
Je m'accroupis à sa hauteur pour lui signifier que je ne le jugeais pas. Plus que le devoir, j'avais envie de l'aider. Quelque chose me disait qu'il avait un potentiel caché. Et mon instinct me trompait rarement.
Je ne peux pas vous obliger à me laisser vous aider. C'est vous qui devez vouloir entendre l'appel du Très-Haut. C'est vous qui devez me demander de vous aider.
Quelques vers me revinrent en mémoire. On dit que c'est le Très-Haut lui-même qui les a prononcé dans le rêve de Gabriel.
Tant que tu voudras entendre ce que jai à révéler,
Je parlerai,
Et lorsque sciemment tu te fermeras totalement à mes dires,
Je tenverrai brûler dans les flammes de lenfer au plus profond de la Lune.
Car seule la souffrance pourra te faire voir que chaque jour juvre pour ton bien.
En te faisant souffrir je te ferai comprendre que sans moi rien nest et rien ne peut être.
Si je tobligeais à me suivre tu ne comprendrais pas en quoi il est bon de me suivre.
Tu mets du temps à comprendre, Homme, Et pourtant je taime.
Ne cherche pas, Le bonheur est là, Dans la simplicité de ton cur.
Sur ces belles paroles, je poursuivis :
Partez de Troyes si vous le voulez, je ne vous suivrai pas. Je ne vous retiendrai pas. Mais vos tourments ne prendront fin qu'à votre Mort, car ils sont en vous. C'est le grondement du Sans-Nom qui ébranle votre âme. Et un jour, dans une de vos crises, vous ferez du mal à Destinée, sans l'avoir voulu. Mais le Sans-Nom, lui, veut vous faire du mal.
Je le quittai des yeux, prenant la posture de la prière.
Il a toujours veillé sur vous. Et il veillera sur vous où que vous alliez. Mais Il ne vous obligera pas à L'écouter. Il ne luttera pas pour vous. Cela s'appelle le Libre-Arbitre, et c'est le témoignage de la confiance qu'il a placé en nous, Ses enfants. Alors, que vous restiez ou que vous partiez, je prierai pour votre Salut.
Puis je m'exclamai, à l'attention de tous les passants qui suivaient de près ou de loin la scène :
Venez tous prier pour notre Frère ! Venez nous manifester votre soutien pour son âme tourmentée par le Sans-Nom !
Pour une fois, on se passera d'église. Il n'y en avait pas lorsque Aristote et Christos uvraient pour Lui ; alors aujourdhui, c'était retour aux origines.
Sur toi, ô Très Haut, je m'appuie,
Ne laisse pas triompher notre ennemi,
Cette créature sans nom qui veut notre malheur,
Malgré le péché qui est au fond de nos coeurs
Epargne-moi,
Je suis prêt à suivre tes voies.
Fais moi connaitre la route
Qui fera disparaître mes doutes.
Rappelle ta tendresse.
Oublie les péchés de ma jeunesse,
Ne m'oublie pas dans ton amitié,
Aies pitié.
Ne me laisse pas orphelin,
Toi qui montre le chemin,
Aux pauvres l'amour et la vérité,
La justice à ceux qui ont péché.
En Toi nous avons un défenseur,
Dans l'attente du soleil radieux.
Moi qui ne suis qu'un misérable,
Que ton soutien me soit agréable.
Vois ta création qui est en guerre
Protège moi ainsi que mes soeurs et frères,
Aide nous dans la détresse
Supprime de nos coeurs toute faiblesse.
Mais délivre nous de la haine,
Donne nous des pensées saines
De toutes angoisses libère nous.
Ô Très-Haut, veille sur nous.
Et sur l'homme qui se tient à mes côtés en particulier. Il va en avoir besoin.
*posté pour Scopolie
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