Zev observa Queen, perplexe. Elle avait pris ce boucher bonhomme et rond pour... un brigand ? Mais enfin, tout le monde connaît Raoul, le boucher du quartier du Lion. Et puis, Zev n'avait pas l'impression qu'il était dans les habitudes de Queen de les arrêter, ces dits brigands, mais bien plutôt de... enfin... en fait, Zev n'en savait rien, pour changer. Quoi qu'il en soit, cette situation loufoque était atypique. D'autant plus qu'en effet, comme l'avait justement et insolemment fait remarquer le boucher ventripotent, personne n'était venu au secours de la rouquine en détresse, que celle-ci soit feinte ou non. Décidément, cet inconnu encapuchonné, qui pourtant paraissait fort et invulnérable, était bien timide, ou bien discret. Zev, à mille lieux de faire un rapprochement avec l'affaire du brigand que tout le monde recherche et poursuit dont elle n'était, je l'ai déjà dit, guère au courant, n'en était pas pour autant moins suspicieuse. Pourquoi diable cet homme si mystérieux accompagnait-il Leonne à Rodez ? Un amant ? Un ami ? Un frère ? Auquel cas, pourquoi ne pas se présenter ? Zev plissa les yeux, signe pour elle d'une réflexion et d'une méfiance extrêmes, et sonda l'homme qui en plus d'être anonyme, paraissait lâche. Une situation atypique, disais-je. En effet. Trois grâces voulant urgemment se rendre à Rodez pour des raisons inexpliquées, une affaire de brigands et de quiproquos dont Zev ne percevait pas la substantifique moelle, un inconnu énigmatique qui ne disait mot... Grâce à sa perspicacité qui compense quelque peu son ignorance inextinguible, Zev comprit que quelque chose de louche se tramait séant.
Pour plus de clarté, elle s'adressa directement à Queen, aux yeux et aux oreilles de tout le monde, bien évidemment.
Qui comptez-vous donc trouver à Rodez, Queen ? De quoi parlez-vous ? Diable, expliquez-moi donc, et si c'est un secret, je le garderai pour moi.
Pauvre Zev, si loin de la vérité. Mais ses interrogations furent quelque peu éclairées par les dires de l'homme au chapeau enfoncé.
Citation:Très bien. Mais magnez vous les donzelles. Si on veut chopper c'te saleté de brigand, faut pas traîner dans l'coin
Mpf. Un rustre. Il ne manquait plus que ça. Où Leonne avait-elle bien pu pêcher ce grossier personnage ? Zev, délicate quand cela lui chante, eût à peine le temps de s'indigner à coup de moues réprobatrices que voilà l'homme déjà en route, les brides de son grand cheval à la main. Zev réfléchit un instant. Depuis quand comptait-elle, elle aussi, rattraper une saleté de brigand ? Elle n'appréciait guère le danger, et, si elle ne trouvait pas de raisons valables, elle préférait rester bien au chaud, à fumer et à manger, plutôt qu'à crapahuter dans tout le Comté à la recherche de fâcheuses crapules.
Moi, je vous préviens, je n'attrape pas de brigands, hein. Si encore, il avait volé mon argent, mais là... je ne vois pas en quoi cela me concerne. Je vous accompagne parce que je le dois, mais ne comptez pas sur moi pour arrêtez tous les malandrins de ce Comté. Ou, à la rigueur, si l'on gagnait quelque chose... Mais là, non je ne vois pas ce qui me pousserait à cette entreprise risquée.
Par cette réplique sans doute Zev attendait-elle de plus amples explications. Quoi qu'il en soit, l'impatience de l'homme se fit plus intensément sentir, Zev et les autres "donzelles" firent donc de leur mieux pour le rattraper. Avec lui, certainement, le voyage serait plus sûr. Et puis, avec un peu de chance, peut-être aura-t-il l'amabilité d'en laisser une ou l'autre grimper sur sa monture. Zev, qui n'avait jamais eu le courage suffisant pour dépenser autant d'écus pour un animal, rêvait pourtant secrètement d'en posséder un ou du moins, d'en monter un.
Rah, mais attendez-nous ! Si vous partez seul, je ne paye pas cher de votre vie. Ne savez-vous donc pas que les routes sont infestées de ces brigands parasites ? Et, poltron comme vous paraissez être, nous ne sommes pas assez de trois pour vous défendre au cas où.
Zev, la pipe au bec et le sourire en coin aux lèvres -ce qu'elle aimait être désagréable- laissa s'installer un petit silence. Puis, tout en marchant, avec un sourire faussement candide, elle dit :
Diiiiites ? Vous me prêterez votre cheval ?
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-La nature aime à se cacher-