Ambre..
- Vous qui ne savez pas combien l'enfance est belle,
Enfant ! n'enviez point notre âge de douleurs,
Où le cur tour à tour est esclave et rebelle,
Où le rire est souvent plus triste que vos pleurs.
[...]
Oh ! ne vous hâtez point de mûrir vos pensées !
Jouissez du matin, jouissez du printemps ;
Vos heures sont des fleurs l'une à l'autre enlacées ;
Ne les effeuillez pas plus vite que le temps.
- Extrait de "À une jeune fille."
Victor Hugo, 1825.
- Une robe beige dont les plis frémissaient dans la brise, au milieu d'un océan de fleurs aux teintes dorées et claires... Les bras croisés sous la tête, ses cheveux noirs éparpillés, et les yeux clos, Ambre étendue dans un champs de fleurs laissait venir le temps. Le temps de grandir. Doucement, lentement, l'enfance avait passé, laissant place à une dureté qui chassait les derniers restes de délicate innocence... Chaque jour apportait son lot de vérités crues et de mots amers. Chaque nuit laissait venir des pensées qui n'existaient pas avant. Les yeux noirs étaient clos et laissaient une apparence de repos au visage de la toute jeune demoiselle. Ambre allait avoir douze ans. De même qu'elle comprenait de mieux en mieux la cruauté du monde, elle aspirait à découvrir d'autres formes d'amour. Il y avait celui, exclusif et entier, qu'elle vouait à Rose, sa soeur jumelle. Il y avait celui, à la fois évident et controversé, qu'elle portait à leur demi-frère aîné Euzen, bâtard comme elles. Il y avait celui, mêlé de reproches et d'une certaine compassion, qu'elle donnait à leur père dont le manque de présence était le défaut le plus difficile à accepter... Du moins, jusqu'à maintenant. À présent, les choses avaient changé... Ambre se rendait compte que si son père n'était guère là pour s'occuper de ses filles, il trouvait du temps pour aller conter fleurette à d'autres femmes que son épouse. La baronne Johanara, récemment mariée au-dit père, à qui Ambre offrait une sincère amitié, n'était pas dupe non plus de la propension de Balian à aimer les jolies filles... Et cela, Ambre ne pouvait plus ne pas s'en rendre compte.
Les paupières frémirent un instant. L'émotion troubla le visage de la jouvencelle qui passa lentement les mains sur ses joues, laissant retomber sa tête sur le sol avant de pousser un long soupir... Ses mains se posèrent sur son ventre, sur ses hanches encore enfantines. Une poitrine à peine naissante ne se devinait pas encore sous son corsage. Ambre grandissait... Et chaque jour elle espérait rencontrer un galant chevalier. Mais ici comme à Limoges, et comme ailleurs, rien d'autre que des bébés ou des adultes... point de jeunes personnes. Et pourtant elle voulait tant sentir son coeur s'affoler, elle voulait se sentir rougir, se savoir observée et désirée... ! Elle voulait vivre ce que ses grandes cousines connaissaient déjà ! Ho, bien entendu, les déboires que celles-ci connaissaient n'entraient pas en considération pour la jouvencelle. Elle, elle rencontrerait un jeune homme parfait... galant, beau, aimable, cultivé, ni trop mou ni trop énervé...
Mais ici encore... Rien qu'une triste solitude.
Et une jeune fille étendue dans un champs de fleurs.
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