Ambre..
Ce jour-là, vers la fin du mois d'avril, la jeune Montbazon avait été la victime d'une désagréable mésaventure. Au soir, elle s'était rendue dans une des tavernes de Bourges, comme elle le faisait parfois, espérant y trouver des gens de sa famille, ou sa nouvelle amie Pouïkie, ou encore pourquoi pas de nouvelles connaissances. S'étant installée dans la taverne la plus proche de son auberge, et après une brève algarade avec June à propos de la politesse de Nathan, Ambre s'était détournée pour se concentrer sur la petite brioche au sucre qu'elle venait de sortir de sa besace. Tandis qu'elle écoutait d'une oreille distraite les bavardages des trois voyageurs encore présents, elle avait senti un vertige qui lui était inconnu... cela ne lui était jamais arrivé. Étonnée de cette sensation désagréable, elle avait fixé le sol un moment puis reposé sa brioche en tentant d'avaler ce qu'elle avait déjà dans la bouche. Étrangement, il ne lui était plus possible d'accrocher son regard à un point quelconque, alors elle avait voulu sortir pour prendre un peu l'air. Elle s'était levée. À ce moment, pour la toute première fois de sa vie, elle avait perdu connaissance... et s'était effondrée sur le sol.
La suite, elle n'en avait eu aucune conscience. Les voyageurs s'étaient disputés pour savoir qui allait se dévouer pour lui tapoter les joues, la femme exaspérée s'était agenouillée pour chercher à la réveiller, le grand taciturne qui n'avait pas bougé avait observé. Mais au moins, il avait eu une idée intelligente, en repérant le bandage qui entourait la main d'Ambre : il avait fait le lien entre son évanouissement, la chaleur brûlante de sa peau (signalée par la femme), et la probable blessure. Bien vu, car la plaie faite une semaine plus tôt sur un tesson de poterie s'était vraiment infectée et Ambre était fiévreuse. Après quelques palabres, les voyageurs avaient décidé : premièrement, de lui jeter de l'eau à la figure, ce qui n'avait eu aucun effet. Deuxièmement, de verser du whisky pur sur la plaie, ce qui avait probablement eu l'utilité de la désinfecter généreusement. Troisièmement, d'arracher des lambeaux de sa robe pour en faire des pansements imbibés d'alcool. Et quatrièmement, de dépouiller la fillette de sa bourse et de son collier avant de la déposer évanouie sur une table et de s'en aller jouer au ramponneau plus loin.
Et Aude l'avait trouvée ainsi, étendue sur une table sale, en plein milieu d'une taverne vide, la robe déchirée, inconsciente... Malgré les appels, l'enfant ne réagissait pas. Aude en confia la surveillance à son amie Seiko, qui était entrée avec elle, pour qu'elle puisse aller quérir Euzen. Celui-ci n'avait mis que quelques minutes pour arriver à demi débraillé, sorti d'on ne savait où... Il avait alors trouvé sa petite soeur inerte, la moitié du bas de la robe arraché, et il en avait déduit ce que tout grand frère pouvait craindre de déduire... Ensuite, il avait fait sortir les dames. Personne ne sut ce qui se passa à ce moment. Quand il leur rouvrit la porte, il réclama une couverture, un médecin, et de l'eau pour faire boire l'enfant. Celle-ci commençait à battre des paupières et tentait, en vain cependant, de s'extirper de la chape de plomb qui l'empêchait de refaire surface. Le front brûlant, les lèvres sèches, l'enfant avait trouvé dans les bras de son grand frère un bref sentiment de sécurité avant de sombre de nouveau dans la plus totale inconscience.
Au matin, Ambre perçut la lumière du petit jour au travers de ses paupières closes. Lentement, elle commença à reprendre ses esprits, et remua les doigts dans la main qui tenait la sienne...
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