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Info:
Où Xm part à la rencontre de son passé.

[RP privé] Passage to Lausanne

Xmanfe1999
Au soir du 22 décembre, Xm avait fermé le cœur lourd, la porte de sa maison. Elle s'était dirigée, menant par la bride son destrier noir, chargé de tout ce dont elle aurait besoin pour son voyage, vers l’Auberge des Plaisirs.
Elle espérait y trouver un ami qui accepterait de l'accompagner au moins sur une partie du chemin jusqu'à Lausanne, non qu'elle craignît d'être attaquée par des brigands -au contraire elle le souhaitait presque - mais parce que la perspective de la solitude du voyage lui remettait en mémoire ses longues années d'errance à travers le vaste monde.

Pendant qu'elle parcourait la courte distance entre son domicile et l'auberge, Xm remuait de sombres pensées.
Son bien aimé Mélian l'avait quittée au matin pour une mission dont il n'avait rien voulu lui dire, la laissant comme vide et sans forces dans ses draps froissés.
Les deux nuits qu'ils avaient passées ensemble avaient entrouvert devant elle les portes du Nirvana, et voici qu'elles se refermaient violemment devant son visage incrédule et que le cycle morne de la vie reprenait son mouvement implacable.
Plutôt que de demeurer à Genève et d'attendre en tournant en rond comme une tigresse blessée, Xm avait décidé de partir pour Lausanne, où elle comptait saluer un ami, puis pour Sion, où l'attendait son informateur secret.

En effet, depuis son arrivée à Genève, au printemps, Xm s'était efforcée de rétablir le contact avec son ami contrebandier, qui se déplaçait sans cesse entre Savoie, Lombardie, Piémont, Confédération et même jusqu'en Autriche, où ses contacts avec des contrebandiers ottomans lui permettaient d'acheter toutes sortes de marchandises impossibles à trouver ou même à écouler sur les marchés officiels des villes qu'il traversait, nuitamment en général...

Xm en était parvenue à ce point de ses réflexions quand elle arriva devant la porte de l' Auberge des Plaisirs.
Elle attacha son étalon à la barrière et jeta un coup d'œil par la fenêtre, préférant éviter d'y croiser trop de monde. Elle n'avait pas envie ce soir d'une joyeuse réunion de buveurs. Elle n'avait pas envie de rire ou même de parler... Heureusement les seules silhouettes qu'elle reconnut à travers la fenêtre en culs-de-bouteille, qui lui donnait une vision déformée de la salle, étaient celle de Mariposa et de Powerjeff.


Ver Tammi"... jura Xm entre ses dents. Dans les moments de tension, sa langue paternelle reprenait le dessus et le florilège des jurons alsaciens lui venait naturellement aux lèvres. Powerjeff! C'était bien la dernière personne que Xm souhaitait voir ce soir. Mais elle avait donné rendez vous ici. Elle ne pouvait plus reculer. Elle entra.

Mariposa et Powerjeff étaient effectivement seuls dans la salle.
A son entrée, Xm ressentit une certaine gêne entre eux. Leur conversation s'était arrêtée et ils l'avaient tous deux regardée. Mariposa avec étonnement et Pow avec une nuance d'incompréhension douloureuse et de reproche dans le regard.
Ce regard, elle le retrouvait à chaque fois que ses yeux croisaient ceux de Powerjeff depuis leur tête à tête dans la clairière sur les hauts de Genève. Il la mettait en rage, car pour elle, rien n'avait changé.
Elle était toujours la même Xm, libre, indomptée, douce et violente à la fois, avide d'amour et de tendresse, mais plus jalouse encore de sa précieuse liberté.
Et lui, Power, la regardait comme si elle s'était, l'espace d'une nuit où elle lui avait révélé le secret qui la dévorait, transformée en un monstre de cruauté et de froideur... Il n'avait rien compris.

Serrant les dents, Xm alla s'asseoir dans le fond de la salle et se servit elle même une chope de bière au tonneau, la tavernière étant absente.
Son attitude distante, voire hostile, intriguait Mariposa, qui vint vers elle et la salua chaleureusement, une lueur interrogative dans le regard.
Rassemblant ses dernières bribes de civilité, Xm échangea avec elle quelques phrases, expliquant à mi voix à son amie, son malaise.
Elle confia à Mariposa les clefs de sa maison, lui laissant la responsabilité de fournir aux clients de l'herboristerie ce dont ils auraient besoin en son absence.

De sa place, dans l'angle opposé de la salle, Powerjeff les observait en silence, en sirotant une tisane... Il était de garde et ne s'autorisait jamais le moindre écart alcoolisé ces soirs-là.

Mariposa prit rapidement congé, trouvant un prétexte véniel pour fuir l'atmosphère tendue de la taverne. Au bout d'un long moment de silence épais, Powerjeff se décida à venir s'asseoir auprès de Xm dont le malaise augmenta.

Elle aurait tant voulu revenir en arrière, retrouver la camaraderie espiègle qu'elle partageait avec Powerjeff des mois plus tôt. Mais c'était impossible, elle le savait. Trop de choses avaient changé, Sitine était partie, laissant derrière elle un Powerjeff plein d'amertume et de rancœur.
Pendant la courte période pendant laquelle Sitine avait laissé son fils Antoine aux soins de son père adoptif, Xm, qui avait elle aussi été mise à contribution pour la garde du bambin, avait vécu dans l'illusion d'un bonheur familial usurpé. Elle s'était revue, l'espace de quelques jours, dans son rôle d'épouse et de mère, et ses souvenirs déchirants avaient fini de brouiller les cartes entre elle et son ami déboussolé.

Et voilà qu'elle se trouvait ce soir, face à cet ami avec qui elle ne savait plus parler, incapable de lui faire dire ce qu'il ressentait vraiment envers elle, incapable elle aussi de clarifier ses sentiments à son égard, incapable enfin d'imaginer comment sortir de ce bourbier dans lequel la vie l'avait poussée.
La discussion fut de courte durée et pleine de non-dits. Xm finit sa chope et voyant que nul ne se présentait pour l'accompagner, ramassa sa besace et se leva. Elle prit brièvement congé et sortit dans la nuit.

Le ciel était clair. La lune décroissante montrait un profil effilé comme la lame d'un cimeterre. Au moins si le danger - brigands ou loups - guettait, cette nuit, au détour d'un chemin, elle saurait se fondre dans les ombres pour lui échapper, à moins qu'elle ne décide de l'affronter pour dissiper les tensions et la frustration qui l'habitaient.

Xm jeta un dernier regard à travers la fenêtre à la silhouette immobile de Powerjeff.
Elle sauta en selle et fit faire demi-tour à son destrier qui frémit sous sa main légère. Une brève pression des genoux. L'étalon noir partit au petit trot sur le pavé mouillé de la place. En arrivant dans les faubourgs, il galopait.
Xm et sa monture se fondirent dans les ténèbres.


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La nuit s'était refermée comme un manteau noir autour de Xm et de son coursier. La forêt était pleine de bruits et d'odeurs froides. Les branches torturées par le gel cédaient parfois dans des craquements sonores. De petits animaux se tournaient dans leur tanière de feuilles sèches. La terre durcie sonnait comme de la pierre et de temps à autres le fer de l'étalon faisait naître des étincelles sur les cailloux du chemin, dégageant une odeur de silex qui excitait les narines sensibles de Xm.

La cavalière avait revêtu pour l'occasion le costume qu'elle avait porté pour le bal de Globule quelques temps auparavant. Entre ses jambes gainées de cuir noir elle sentait le grand corps tranquille de l'étalon. Son souffle régulier résonnait dans la nuit et à chaque inspiration ses côtes se soulevaient puissamment. Il allait au pas maintenant, après une longue course qui l'avait laissé pantelant, l'écume aux lèvres et couvert de sueur dans la nuit glacée.
Xm avait même dû mettre pied à terre, pour le bouchonner avec des feuilles mortes, de peur qu'il n'attrape froid et elle l'avait revêtu d'une des deux couvertures de soie matelassée qu'elle avait emportées avec elle.
Chaudement enveloppé, le destrier pouvait continuer sa route sans péril pour ses bronches fragiles de pur sang ibérique.

Au moment où elle allait remonter en selle, Xm perçut, aux limites de son audition consciente, un murmure de voix.
Aussitôt elle se figea pour écouter et calma, d'une main ferme et douce sur les naseaux veloutés, sa monture qui s'impatientait à côté d'elle.


Toux doux mon beau... murmura-t-elle, laisse-moi écouter. Ne bouge pas, reste là... Je vais voir ce qui se passe.

L'étalon, étonnamment obéissant, encensa comme pour montrer qu'il avait compris et resta immobile, alors que Xm s'éloignait à pas feutrés en direction des voix qu'elle percevait mieux à mesure qu'elle s'enfonçait dans le sous bois.

Pas à pas, sans faire craquer la moindre branche, ni froisser la moindre feuille, Xm, guidée par le son, s'approcha de la source sonore et commença à percevoir entre les troncs épais des sapins qui peuplaient cette partie de la forêt une lueur dansante qui projetait des ombres mouvantes tout autour. Un feu de camp.
S'approchant en silence grâce à l'épais tapis d'aiguilles qui étouffait le bruit de ses pas, Xm, accroupie derrière les branches basses d'un épicéa écouta et observa, en retenant son souffle.
Quatre hommes, au moins, peut être cinq. Des chevaux, soigneusement regroupés à l'écart et gardés par un homme en armes. Pas de femmes parmi eux, pas de rires, pas de conversations bruyantes, mais des murmures patients, contrôlés mais détendus aussi... Pas de simples voyageurs, donc.
Une langue qu'elle ne comprenait pas bien, du Schwitzer Tütsch peut-être, et soudain, une voix plus légère et plus jeune que les autres, contrastant dans le concert en sourdine de voix viriles et rauques.
A un moment, un mouvement, un éclair fugitif sur une surface métallique. L'une des silhouettes bougea et elle crut entrevoir le reflet du feu sur un masque métallique entre les branches derrière lesquelles elle se tapit encore plus profondément. Chaos!

Le cerveau de Xm fonctionnait à plein régime. Il ne faisait aucun doute que le groupe rassemblé calmement autour du feu avait tout d'une troupe de brigands, d'ailleurs la présence de Chaos parmi eux en était la preuve. Sinon pourquoi se cacher à presque cent toises du chemin, où la lueur de leur feu ne pouvait être détectée et le murmure de leurs voix perçu que par une personne aux talents d'infiltration particulièrement développés...
Xm remercia mentalement son maître de lui avoir fait dont de tout son savoir en la matière.

Elle retourna silencieusement vers son destrier qui l'attendait sans broncher. La chance était avec elle. Si elle ne s'était pas arrêtée pour bouchonner son cheval et le couvrir, elle serait tombée dans le piège que ces gredins avait sans doute tendu plus loin sur la route. A coup sûr, ils avaient placé un ou plusieurs guetteurs le long du chemin, dans l'ombre épaisse de cette nuit où le mince croissant de la lune descendante n'éclairait que chichement le voyageur.

Xm n'était cependant pas sans ressources. Elle extrait en pestant intérieurement ses vêtements de rechange de sa besace et en enveloppa soigneusement les fers de son cheval. Il pourrait ainsi de déplacer sans bruit sur la route qui s'étirait droit devant sur presque une lieue jusqu'à la sortie de la forêt.
La meilleure option aurait été de faire un vaste détour par l'est, à l'opposé du campement des brigands. Mais le temps jouait contre Xm, elle pouvait perdre plusieurs heures à chercher à éviter les éclaireurs et rien ne lui garantissait qu'ils n'avaient pas placé de sentinelles de l'autre côté du chemin. De plus, elle courait toujours le risque de s'égarer dans une partie des bois qu'elle connaissait mal.

Xm avait donc choisi la solution la plus risquée: foncer droit devant au galop, l'épée dégainée pour écarter de sa route quiconque oserait se dresser devant elle, sa seule précaution étant de rendre le pas de son cheval imperceptible.
Xm sauta en selle et d'une pression des genoux donna à son destrier l'ordre d'avancer. Sentant certainement l'appréhension de Xm qui jouait là le tout pour le tout, il dansa sur place un moment, hésitant à se mettre en marche. Xm se pencha sur son encolure pour lui murmurer d'un ton caressant,


Allons mon beau, tu peux le faire, fais moi confiance.

L'épée glissa hors de son fourreau dans un froissement de soie, Xm talonna son coursier qui se cabra puis partit à bride abattue sur le chemin. Le visage de Xm rayonnait d'une joie sauvage. Un brigand se fut-il mis en travers de sa route que sa joie aurait été complète. Elle lui aurait fait goûter au tranchant de sa lame...
Mais nul ne vient s'interposer. Elle entrevit la sentinelle qui avait dû s'endormir, se lever en sursaut, crachant des jurons dans sa langue rocailleuse.
Xm éclata de rire. Ses vêtements de rechange étaient perdus mais elle avait gagné. Un sentiment de triomphe l'envahit et elle poursuivit sa route sous le ciel piqueté d'étoiles.


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Surexcitée par la rencontre heureusement évitée avec les brigands dans la forêt, Xm avait décidé de faire le trajet de Genève à Lausanne d'une traite.
Elle se sentait dispose et bien éveillée et continuer à chevaucher cachée par le manteau obscur de la nuit lui semblait la meilleure des solutions pour échapper à d'éventuels poursuivants.

Toute la nuit, elle avait alterné pas, trot et galop, mettant même pied à terre de temps à autre pour ménager sa monture et en même temps pour lui éviter de se refroidir en s'arrêtant.
Elle même, ayant épuisé la gourde de vin chaud aux épices qu'elle avait emportée, soigneusement enfouie pour la tenir au chaud dans sa besace au milieu des vêtements de rechange (maintenant perdus...), elle même commençait à souffrir du froid.
Elle se décida finalement, à s'entourer, toujours en selle, de sa deuxième couverture de soie matelassée.

L'aube commençait à poindre quand elle aperçut au loin les fumées des premières maisons dont les habitants encore ensommeillés devaient tout juste commencer à se lever.

Les paupières lourdes, Xm baillait, engourdie par la douce chaleur de la couverture qui l'isolait efficacement des frimas et peut-être par un léger excès de vin chaud. Bercée par les balancements de son destrier qui amblait paisiblement, Xm ferma les yeux.

La chaleur et les épices, le balancement de sa monture, l'emmenèrent très loin dans ses rêves.
Détendue et souriante, languissamment étendue sur des coussins de soie colorés, Xm tendait les bras vers un séduisant jeune homme, à la peau sombre et aux cheveux de soie noire, bouclés, tombant en masse épaisse et lustrée sur son front et ses épaules. Il lui souriait, lui aussi, et son sourire éblouissant remplissait Xm de bonheur.
Elle voulait lui parler mais aucun son ne sortait de sa bouche.
Elle tendait les bras vers lui, son cœur s'affolait dans sa poitrine, plus elle essayait de l'appeler ou de l'étreindre, plus il s'éloignait d'elle. Ses yeux noirs devenaient flous dans le visage aux traits altiers.
La bouche du jeune homme, soulignée d'une fine moustache se tordait en une grimace douloureuse, il l'appelait et elle entendait son appel poignant, lointain... de plus en plus lointain...
Une voix fantomatique lui soufflait : Habibti... mon amour...reste avec moi...
Xm se tendait vers lui de tout son être, ses doigts frôlaient presque ceux de l'homme...

Soudain le monde bascula et Xm sentit la chambre se dérober sous elle et elle eut la sensation de s'envoler, comme catapultée par une force irrésistible.

Elle ouvrit les yeux et vit en un éclair le ciel les branches, la terre se précipiter à sa rencontre.
Elle heurta violemment le sol de l'épaule et de la hanche gauches et expulsa tout l'air de ses poumons avec un grognement étouffé:

Hhhhnnnggg!!!

A moitié sonnée, Xm se mit difficilement sur son séant.
Elle regarda autour d'elle les premières maisons de Lausanne.
Quelques mètres plus loin, son cheval la regardait, les rênes pendantes, les jambes antérieures et le chanfrein maculés de boue.
Sa besace, la couverture, tout le chargement de son cheval gisait dans la boue autour d'elle. Elle était elle même couverte de boue de la tête aux pieds, et son postérieur endolori commençait à se mouiller et à se geler dans une flaque à travers ses vêtements ravagés.

Un villageois, sorti certainement sur le pas de sa porte pour jeter les eaux sales de la nuit la considérait bouche bée, puis laissant tomber son seau, il se précipita vers elle pour l'aider à se relever.


Messire, s'écria-t-il, quelle chute!

A quelque pas de Xm, il réalisa soudain qu'il avait affaire à une dame vêtue en homme. Une dame de haute naissance si l'on en croyait son écu blasonné et le fait qu'elle possédât un cheval...

Oh! Mille excuses, Dame! Vous ne vous êtes pas fait trop mal j'espère.

Tendant la main vers la jeune femme encore assise, hébétée, dans la boue, au milieu de ses possessions, il la soutint dans la fange glissante, creusée par les roues de charrettes à l'entrée de la ville.

Je crois que votre cheval a dû glisser dans la boue... Depuis le temps que nous demandons à l'avoyer de faire empierrer cette route! Quelqu'un finira bien par s'y rompre les os!

Il se penchait pour aider Xm à ramasser sa couverture et son sac.

Laissez-moi vous aider, Dame. Vous venez de loin?

Encore trop secouée encore pour répondre, Xm considérait son sauveur avec des yeux encore embués de sommeil. Elle n'avait pas dû s'assoupir plus de quelques minutes mais tout lui semblait soudain irréel, magique.
Le matin gris, le froid, la douleur de sa chute, tout cela disparaissait derrière le sourire chaleureux du jeune homme, sa voix chaude et l'étreinte solide de son bras qui la maintint debout jusqu'à ce qu'elle atteigne le bord du bourbier.


Vous venez de loin? répéta l'aimable samaritain, aimable mais curieux.

Xm secoua la tête comme pour se remettre les idées en place.


De Genève... dans la nuit... fatiguée... auberge... réussit-elle à articuler.

Ses genoux se dérobèrent sous elle, le jeune homme la rattrapa de justesse par le coude.


Oh là! Attention, n'allez pas tomber encore! Diantre, je crois qu'il vaut mieux que je vous accompagne à l'auberge la plus proche, Dame... Dame? ajouta-t-il d'un ton interrogateur.

Dame Xm... répondit doucement Xm en souriant faiblement... Dame Xmanfe1999 du Prieuré de Pontailler.
Le jeune homme ouvrit de grands yeux.
Mais appelez-moi Xm je vous prie...

Le pied plus sûr au bout de quelques secondes, Xm prit son cheval par la bride et suivit le jeune homme.

Vous parliez d'une auberge? Messire? demanda-t-elle.

Oh, pas messire, répondit le jeune homme, rougissant. Juste Olivier. Je suis le dinandier du village...

Un dinandier? Xm n'en avait plus rencontré depuis qu'elle avait quitté Damas, ville réputée dans tout l'Orient pour ses artisans habiles dans le travail du cuivre et de l'acier.
Intriguée elle se rapprocha du charmant garçon. Il ne devait pas avoir plus de vingt ou vingt deux ans...


Et bien, juste Olivier, ronronna-t-elle, je serais ravie de vous offrir à boire quand je serai à nouveau présentable, si vous me permettez de vous remercier ainsi, bien sûr.

Vous ne me devez rien, Dame, je vous assure. Tout le plaisir a été pour moi...
répondit le jeune Olivier, un sourire éclatant aux lèvres. Mais j'en serai ravi, Dame Xm.

Il s'arrêta devant une vaste maison à un étage, aux volets encore clos.
Tenez, nous voilà rendus: Le Repaire du Phœnix.
La propriétaire se nomme Brunehaut, un personne de bon aloi... Je suis sûr qu'elle est déjà à l'ouvrage, entrez.
Vous serez ici à l'aise et en sécurité.


Xm admira l'enseigne. Un magnifique oiseau de flammes prenait son envol au milieu d'un amoncellement de roches et d'arbres calcinés. L'imagier qui l'avait peinte était particulièrement talentueux.

Tiens, pensa Xm, l'oiseau qui renaît éternellement de ses cendres... Dois-je y voir un signe?

Olivier l'observait calmement. Le regard scrutateur de ses yeux gris verts était comme une caresse sur le corps endolori de la jeune femme. Elle se sentit rougir sous la boue qui lui noircissait le visage. Pour dissimuler son trouble, Xm se retourna pour attacher son cheval à l'anneau fixé au mur de l'auberge.

Hum, à plus tard mess... Olivier. Et merci encore pour votre aide.

Je passerai vous voir... euh... voir si vous allez bien dans la soirée, Dame,
balbutia-t-il, ] si cela vous convient.
Il lança à Xm un regard plein d'espoir et s'éloigna sans attendre la réponse, s'évitant ainsi la déception d'un éventuel refus.

Xm le suivit du regard un moment, la main sur la poignée de la porte. Elle haussa les épaules en souriant et poussa la porte de l'auberge.


Charmant, marmonnait-elle pour elle-même, vraiment charmant...


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La pénombre régnait dans la taverne déserte. Xm s'avança prudemment. Son instinct lui disait que l'endroit était sûr, que le charmant jeune homme qui l'avait accompagnée jusqu'ici n'avait pas pu l'attirer dans un piège, mais Xm savait pour l'avoir déjà vécu, que la fatigue fait parfois faire des erreurs, que l'on peut regretter amèrement bien longtemps après les avoir commises.

Xm repensait à cette fameuse nuit sur la galère portugaise qui la ramenait de Macao, quand les pirates...

Ach, il suffit! dit-elle tout haut. Je commence à radoter, quelle pitié. Pas moyen de faire un pas sans que les souvenirs m'assaillent de toutes parts. On dirait ma grand-mère...

Si Xm s'était crue seule un instant plus tôt, elle réalisa soudain qu'elle s'était effectivement trompée, quand un homme qui s'était jusque là tenu dans l'ombre se redressa de la position qui occupait derrière le vaste comptoir de bois. Xm, que la fatigue rendait nerveuse, sursauta.

Hola, messire, s'écria l'homme d'une voix forte, bienvenue au Repaire du Phœnix! Pardonnez moi de vous avoir surpris, mais je m'étais assoupi un instant derrière le comptoir et je ne vous avais pas entendu entrer.


Xm fit quelques pas vers le tavernier et se débarrassant de sa cape et de son chapeau se laissa choir sur une chaise. Ses longs cheveux noirs cascadèrent sur ses épaules et le tavernier qui apportait sans qu'elle ait rien demandé un cruchon de bière et une chope faillit tout laisser tomber.
Xm avait l'habitude de cette réaction et ne s'en offusquait plus.


Pardon Dame, mais ainsi vêtue je vous ai prise pour un damoiseau. Faut dire que vous êtes plutôt grande pour une dame....

Il était vrai que la taille de Xm approchait les 5 pieds 9 pouces, ce qui lui permettait aisément de passer pour un garçon quand elle revêtait ses habits de voyage.
Le tavernier fit un geste vers le bouclier et l'épée que Xm avait posés avec son sac sur la table voisine.

Et tout cet attirail... ajouta-t-il. On vous croirait en route pour la guerre...

Xm eut un sourire las.
Il n'y a pas de mal mon bon homme, posez donc là cette chope et ce cruchon et prenez-en une pour vous même. Asseyez-vous un moment avec moi et tenez-moi compagnie.
Le tavernier ne se fit pas prier.
Il remplit les deux chopes d'une bière mousseuse et pétillante à souhait.

Quand ils eurent vidé leur première chope, Xm prit le cruchon et les remplit une seconde fois. Le tavernier regardait Xm avec de grands yeux.

Mordious! s'exclama-t-il, z'avez une descente que j'aimerais pas remonter!!!
Xm rit aux éclats. Toute la tension de la nuit s'évanouissait dans son esprit, laissant place à une saine fatigue et à une ivresse légère. Cette fichue bière était bien plus forte qu'il n'y semblait au premier abord.

Xm étouffa un hoquet et se renversa sur sa chaise, croisant ses longues jambes gainées de cuir droit devant elle. Le tavernier ne put s'empêcher de loucher sur ce spectacle inhabituel.


Dites-moi mon bon homme, avez-vous des chambres de libre? J'ai bien besoin d'un lit et d'un bain!

L'homme fut tiré de sa rêverie et répondit aimablement.

Pour le lit, pas de problème, mais je n'ai pas de bains dans les chambres, il faudra vous rendre aux étuves. Mais elles sont tout près. Et Dame, si j'osais vous donner le fond de ma pensée.... L'homme hésitait.

Xm fit un signe d'assentiment pour l'autoriser à parler librement.


Je vous accompagnerai là bas et je prendrai vos vêtements pour les nettoyer et les réparer... Ils en ont bien besoin!

Xm jeta un oeil à sa tenue et se rendit compte de l'étendue des dégâts. Pendant le court trajet depuis l'entrée de la ville, accompagnée par Olivier, elle avait oublié qu'elle donnait l'impression de s'être roulée dans une soue. Ses hautes bottes étaient crottées à un point inimaginable et elle avait laissé une trace boueuse sur le parquet impeccablement ciré de l'auberge. Rouge de confusion elle n'osait plus dire un mot.

Percevant sa gêne l'aubergiste la rassura.

Ne vous inquiétez pas dame, nous en avons vu d'autres...
Je pense que ma femme ne verra pas d'inconvénient à vous prêter une de ses robes, elle fait à peu près la même taille que vous, si ce n'est qu'elle est un peu plus pourvue ... là et là... Hum...

L'aubergiste eut un geste évocateur au niveau de ses hanches et de sa poitrine... Et termina sa phrase en marmonnant de manière incompréhensible dans sa barbe.

Il se reprit après moult toux nerveuses et raclements de gorge.


Bien, si vous voulez bien me suivre, dame, je vais vous conduire aux étuves. Vous pouvez laisser là votre bagage, je m'en chargerai tout à l'heure. Je suppose que vous avez aussi un cheval?

Il entraîna Xm au dehors et la mena vers l'établissement de bains.

Belle dame, si fait, pensait-il en la conduisant deux pâtés de maisons plus loin. Mais belle où non, je ne te laisserai pas saloper mes belles chambres. Va falloir te décrasser d'abord...

Voyant que le tavernier ruminait quelque peu, Xm lui adressa son sourire le plus désarmant et fit une grimace coupable.

Je suis vraiment confuse messire, j'espère que vous me pardonnerez de vous causer autant de tracas. Je vous suis très reconnaissante de votre aide vraiment.

Le tavernier bougonna. Allons, ne vous excusez pas, ce n'est rien. Le sourire faisait son effet. Je pense bien que vous ne vous êtes pas traînée dans la boue pour le plaisir...

Xm se dit que décidément ces derniers temps, la chance lui souriait. Pourvu qu'elle en ait autant à Sion et que Gianni l'y attende...


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Le tavernier laissa Xm à la porte de l'établissement de bains.

Je passerai tout à l'heure prendre vos vêtements et vous porter la robe de mon épouse, prenez tout votre temps, je crois qu'à cette heure de la journée il y a fort peu de monde, vous serez tranquille pour vos ablutions...

Xm remercia le tavernier et entra. Il régnait dans l'entrée de la maison de bains une chaleur douce et humide qui donna immédiatement envie à Xm de se dévêtir. Enfin, depuis presque vingt quatre heures, elle allait pouvoir se détendre...

Une voix douce l'accueillit.
Bonjour messire...
Décidément... Il faisait sombre dans la pièce seulement éclairée de quelques lampes à huile.

Xm sourit à la femme drapée de blanc qui l'accueillait.
Elle était de petite taille et menue à l'extrême. Sa longue chevelure bouclée était enserrée dans un turban de même tissu que sa robe légère. Son teint halé contrastait agréablement avec sa tenue virginale. Son sourire découvrait des dents blanches comme des perles. C'était visiblement une étrangère. Sicilienne? Sarde?

Pardonnez-moi de me présenter chez vous si tôt, mais j'ai voyagé toute la nuit et je crois bien que messire... Xm se rendit compte qu'elle n'avait même pas demandé son nom à l'aimable tavernier. Quelle impardonnable impolitesse. Il fallait vraiment qu'elle soit épuisée.
Je crois bien que le tavernier du Repaire du Phœnix, messire...

Messire Foxyblud, compléta la femme.

Merci, je crois que Messire Foxyblud n'acceptera que j'occupe une de ses chambres que si je me suis un peu nettoyée avant... termina Xm avec un sourire d'excuse.

En effet, je le comprends! Veuillez me suivre, Dame, et excusez moi de vous avoir appelée messire, mais il fait encore bien sombre à cette heure et ces vêtements - la femme eut une petite grimace de répugnance - ces vêtements dissimulent votre sexe à merveille...

La femme en blanc guidait Xm à travers un labyrinthe de couloirs et de portes, éclairé de loin en loin par les mêmes lampes à huile que dans l'entrée.
Jamais on aurait cru que la modeste façade eût pu dissimuler une si vaste demeure.
Xm et sa guide descendirent quelques marches de pierre et débouchèrent dans une pièce sans fenêtres. Elle se situait visiblement au dessous du niveau de la rue et l'aération en était assurée par un soupirail à une coudée sous le plafond voûté.
Sur une table dans un angle, des piles de touailles d'une blancheur immaculée.
Dans un panier posé à terre des pains de savon - luxe suprême - parfumés semblait-il à la lavande.
Xm crut reconnaître aussi l'arôme délicat de la rose et de la fleur d'oranger... Incroyable.
Elle se sentit défaillir de plaisir. Qui aurait pu supposer que Lausanne recelât ce genre d'endroit?
Xm croyait rêver.


Dame?
La femme en blanc l'observait un sourire énigmatique aux lèvres, goûtant semblait-il la surprise et le ravissement de sa cliente.
Notre maison vous plait-elle?

Oh oui...
murmura Xm... Vous ne pouvez imaginer à quel point!

Soit. Pour le bain complet, avec savon touailles, peignoir et massage aux huiles parfumées, je demande habituellement cinq écus...


Xm fit une grimace effarée.

La femme en blanc lui sourit.

N'ayez crainte, c'est le prix pour les voyageurs... ordinaires. Quelque chose me dit que vous êtes quelqu'un de très spécial... Je vais vous faire un prix d'amie. Pour vous ce sera trois écus seulement. Considérez cela comme mon cadeau de bienvenue.

La femme fit un salut étrange. Elle s'inclina profondément, portant ses doigts à son front, puis à ses lèvres et pour terminer à son cœur.

Xm retint un cri de surprise... Incroyable... Une Mahométane, ici, à Lausanne? Comment était-ce possible?

La femme en blanc sourit.
Je vois que vous vous interrogez à mon sujet Dame...

Xm leva les mains pour signifier à la jeune femme que si elle ne désirait pas parler, rien ne l'y obligeait.

Je me nomme Malika, mais je vis ici sous le nom de Mélissa. Les bonnes gens de Lausanne pensent que je suis grecque et que mon protecteur m'a libérée des geôles barbaresques...Vous comprenez, je pense, la nécessité de mon changement d'identité.

Malika... La reine... A mieux l'observer, malgré ses modestes atours, elle méritait sans aucun doute son auguste prénom.

Je vous en prie, Malika, pardonnez ma curiosité, mais d'où venez-vous?

Xm était encore abasourdie de sa découverte, sa voix tremblait un peu et ses jambes alourdies de fatigue flageolaient sous elle. Elle dut s'asseoir.

Malika s'agenouilla devant elle pour l'aider à ôter ses bottes. Xm se laissa faire avec reconnaissance.


Je viens de Baalbek... dans la plaine de la Bekaa, au Liban. Le pays du Cèdre... Mais sans doute cela ne vous dit-il rien. Ses yeux d'un brun chaud scrutaient le visage de Xm.

Xm sourit douloureusement. Des millions de souvenirs remontaient à la surface consciente de sa mémoire. Quelque chose au fond d'elle même voulait désespérément garder contact avec cette partie de son passé. Pourquoi? Mystère... La réponse était pour l'instant inaccessible. Toutes ces coïncidences ne pouvaient pas être le fruit du hasard.


Détrompez-vous, chère Malika, reprit Xm d’une voix blanche, tous ces noms me sont familiers, et même si je ne suis jamais allée au Liban, j'ai entendu maints récits sur ce beau pays. J'ai vécu non loin de là, en Syrie, deux des plus étranges et inoubliables années de ma vie...

Malika eut un geste inattendu qui ravit Xm par sa spontanéité. Elle se leva d'un bond et serra Xm dans ses bras.

Allah soit loué, mon instinct ne m'avait pas trompé... Je ne sais pas pourquoi, quand je vous ai vue entrer dans la maison, votre visage a parlé à mon cœur... Et j'ai bien vu que vous reconnaissiez le parfum du néroli du Liban... Ici les gens savent à peine ce qu'est du savon. A vrai dire ils n'en utilisent pas beaucoup...

La jeune femme rit aux éclats.

Allons, cessons de bavarder. Vous êtes fatiguée, vous avez besoin de vous laver et de vous détendre, laissez moi vous aider à quitter vos vêtements.

Malika aida Xm à se débarrasser de son pourpoint de cuir. Celle-ci grimaça quand la jeune musulmane l'aida à faire passer sa chemise par dessus sa tête. Un hématome violacé marquait toute l'épaule gauche.

Oh! Habibti... Comme cela doit te faire mal!

Habibti... ma chérie... cela faisait deux fois en l'espace de quelques heures que Xm s'entendait appeler ainsi. Certes, la première fois, c'était dans son rêve, mais cette fois-ci, c'était bien réel. Xm se prit à s'interroger sur le destin et ses chemins tortueux...

Ne t'inquiète pas, cajola la jeune libanaise, je vais bien m'occuper de toi.
Malika était passée spontanément au tutoiement.
J'ai dans mes réserves une huile camphrée qui fait merveille contre la douleur. Tu m'en diras des nouvelles.

Malika se pencha pour défaire la ceinture de la culotte de cavalière de Xm qui se laissait déshabiller comme une enfant. Elle fit glisser le lourd vêtement de cuir sur les hanches étroites de la voyageuse.

Oh! Là aussi? Un large bleu, qui commençait déjà à virer au noirâtre, s'étalait sur la hanche gauche de Xm.
Et moi qui te raconte ma vie! Tu dois souffrir le martyre! Allons viens vite dans l'eau chaude, ça va te faire du bien tu verras.

Abandonnant les vêtements de Xm en tas sur le sol, Malika prit Xm par la main, poussa une porte et la fit entrer dans une vaste pièce ronde où fumaient trois grand cuveaux d'eau chaude, à demi enterrés dans le sol. Elle fit descendre Xm dans le premier d'entre eux.

Voilà... Laisse-toi aller ma belle. Je vais d'abord te laver les cheveux...
Au fait dis moi, comment t'appelles-tu?


Xm sourit. Je me nomme Xmanfe1999 du Prieuré de Pontailler...

Malika éclata de rire. Quel nom étrange! Les Infidèles m'étonneront toujours!

Xm rit avec elle. Oh, je suis fort peu chrétienne, rassure-toi. A Damas, j'étais connue sous le nom de Jamila...

Malika approuva. Voilà qui te sied bien mieux, la Belle... Salaam aleikum*, Jamila.

Aleikum salaam, Malika. répondit Xm.

*En français: La paix soit avec toi... mais vous le saviez bien sûr


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Pendant de longues heures, Xm s'était abandonnée aux bons soins de Malika.
Ses cheveux lavés, essorés, enduits d'une huile nourrissante pour leur rendre le lustre que la boue leur avait ôté, puis rincés, essorés et démêlés...
A sa sortie du bain parfumé d'eau de fleur d'oranger, Malika avait longuement massé la voyageuse et avait soigné ses hématomes avec douceur et compétence.
Malika s'était prise d'une soudaine affection pour Xm avec qui elle avait pu tout le long du bain et du massage, reparler sa langue, évoquer leurs souvenirs d'Orient, qui même s'ils étaient bien différents de par leur nature, leur permettaient à chacune de se complaire un instant dans une nostalgie douce-amère.
Malika s'était exilée par amour pour un chevalier chrétien, accompagnant un ambassade dans son pays. Elle avait décrit avec force détails leur rencontre et l'aventure de leur fuite.
Xm quant à elle, était restée discrète sur sa vie à Damas, laissant seulement entendre qu'elle avait été l'hôte involontaire du Sultan.
Malika eut un sourire de connivence et sentant le malaise de Xm, eut la délicatesse de changer de sujet.

Dans la pièce contiguë, où Xm avait laissé ses vêtements, la femme du tavernier avait comme convenu laissé les vêtements promis. Malika aida Xm à s'habiller et l'entraîna vers un miroir.

L'ensemble était bien plus complet que le tavernier ne l'avait laissé entendre et s'il était vrai que la houppelande était un peu large aux hanches et à la poitrine, le reste - bas, chemise, bustier, ceinture et même chausses - lui allait comme s'ils avaient été faits pour elle.
La coupe simple et les couleurs un tantinet sévères de l'ensemble ne faisait que rehausser l'éclat du teint de Xm, dont la fatigue accentuait encore la pâleur et la transparence.
Xm se contemplait avec incrédulité. Il y avait bien longtemps, à vrai dire depuis sa fuite du harem, que Xm n'avait été vêtue en femme et la sensation de ses jambes libres gainées de soie noire sous la robe fendue lui donna un frisson.

Malika vit le frisson et interrogea Xm du regard.


Non rien c'est juste que... la femme du tavernier... Elle était là...

Xm fit part à Malika de son inquiétude que la femme ait pu surprendre leur conversation joyeuse dont certains passages s'étaient fait en arabe, mais Malika la rassura d'un sourire.

Ne t'inquiète pas Jamila, Brunnehaut est une femme de confiance et rien de ce qu'elle entend par accident ne franchit jamais ses lèvres.
Par ailleurs, c'est une amie très proche depuis que mon aimé et moi-même sommes arrivés à Lausanne. Elle et son mari savent qui je suis vraiment. Jamais ils ne me trahiraient.


Xm espérait de tout cœur que Malika ne se trompait pas, mais elle savait par expérience que parfois la trahison se terrait dans les endroits les plus inattendus et bien souvent les plus proches de soi.

Sois bénie Malika, qu'Allah vous protège, toi et ton bien aimé. Et sache que si d'aventure tu as besoin d'aide, il te suffira de m'envoyer un pigeon pour que je vienne à ton secours.

Xm tenait les mains de Malika dans les siennes.

En tout cas merci à toi, reine, pour m'avoir rappelé l'Orient et sa magie. Si tu viens un jour à Genève, tu seras toujours la bienvenue chez moi.

Les deux femmes s'étreignirent comme des amies intimes alors qu'elles ne se connaissaient pas quelques heures auparavant et Xm quitta à regret la belle mahométane pour s'en retourner à l'auberge.

Il était plus que temps pour elle de prendre quelque repos. Si elle souhaitait se remettre en route à la nuit, il lui fallait dormir quelques heures.



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Parvenue à l'auberge, Xm monta directement à sa chambre. Le tavernier qui l'avait vue entrer revêtue des atours de sa femme, ne l'avait reconnue justement, que parce qu'elle portait des vêtements qui lui étaient familiers.

Il lui avait proposé de lui monter une boisson chaude, ou un bol de soupe, mais le besoin de sommeil, après la détente apportée par le bain et le massage, était si impérieux que Xm avait refusé et avait gravi les marches comme une automate.
Elle se débarrassa de ses bottes et se laissa choir sur le lit. Il était moelleux à souhait et à peine Xm s'était elle couverte de l'énorme édredon qui le recouvrait et avait elle posé la tête sur l'oreiller blanc comme neige, qu'elle avait plongé dans une inconscience bénie.

Le soleil se couchait quand un grattement insistant l'avait tirée des bras de Morphée. Le grattement se fit plus décidé et se transforma en petits coups rapides. Xm ouvrit les yeux et se redressa sur le lit. Une voix étouffée par l'épaisseur de la porte l'appelait.

Dame? Etes-vous réveillée?

C'était le tavernier.

Dame! Il y a quelqu'un pour vous en bas... C'est Olivier, le dinandier du village. Il demande à vous voir. ajouta-t-il à travers la porte.

Xm se leva et alla ouvrir. Elle sourit à Foxyblud.


Merci messire, faites le monter je vous prie. Je suis encore trop fatiguée pour descendre et mes meurtrissures me font trop souffrir pour que j'envisage de rester longtemps assise sur un dur banc de bois.

Le tavernier eut un geste d'assentiment.

Auriez vous la gentillesse de nous monter de quoi nous restaurer? Je gage que ce jeune homme ne dédaignera pas de partager mon dîner. Et n'oubliez pas une bouteille de votre meilleur vin. Je meurs de faim et de soif!

Le tavernier s'inclina et s'éloigna vers l'escalier. Xm referma la porte et se recoiffa en hâte devant le miroir au dessus de la cheminée.

Elle se sentait complètement stupide mais la perspective de revoir son sauveur du matin la remplissait d'une excitation juvénile. Peut-être cela était-il du au fait qu'il lui rappelait étrangement quelqu'un qu'elle avait connu il y a des années de cela quand elle était à peine une adolescente. La blondeur éclatante, la franchise du sourire, la sollicitude du regard et de l'attitude.
Xm s'adressa un sourire espiègle dans le miroir.


Allons, il n'y a pas de mal à badiner, se dit-elle, à moitié convaincue seulement.

Trois coups brefs frappés à la porte la tirèrent de sa rêverie nostalgique.


Entrez, dit-elle d'une voix que l'émotion rendait fluette. Pas de réponse, trois nouveaux coups.

Entrez, répéta-t-elle un peu plus fort et le loquet se souleva. Le jeune dinandier passa la tête par l'embrasure de la porte.

Bonsoir dame, lui dit-il un peu hésitant. Messire Foxyblud m'a dit que vous étiez trop mal pour descendre. Je peux revenir plus tard si vous le souhaitez?

Xm s'avança vers lui les mains tendues.

Nenni messire, vous êtes le bienvenu. Messire Foxyblud a du mal comprendre mes paroles. Je suis lasse et meurtrie il est vrai mais j'aimerais tout de même jouir de votre compagnie un moment. J'espère que vous accepterez de partager mon repas.

Olivier prit les mains tendues et s'inclina profondément pour déposer sur le bout de ses doigts un baiser léger comme un souffle.
Xm rougit un peu devant cet hommage appuyé.

Comme s'il avait été prévenu par une cloche invisible et audible de lui seul, l'aubergiste apparut sur le seuil de la chambre, les bras chargés d'un plateau couvert de victuailles appétissantes. Volaille froide, fruits, pain et fromage, beurre et miel coulant d'un rayon blond posé sur une assiette.
Son épouse le suivait avec un plateau sur lequel reposaient deux verres et un flacon pansu, rempli d'un vin à la belle robe rubis sombre et une nappe d'un blanc immaculé.

Le tavernier et son épouse dressèrent la table et s'apprêtèrent à se retirer.

Mon mari avait raison dame, ces vêtements vous vont à ravir... ne put s'empêcher de dire la charmante hôtesse. Xm ne put dissimuler un sourire en constatant de ses yeux que celle-ci était en vérité mieux pourvue qu'elle "là et là", comme son époux l'avait dit plus tôt.

Je vous sais gré de votre hospitalité et de votre générosité, dame Brunnehaut. Votre accueil va bien au delà de ce que le voyageur est en droit d'attendre en échanges de ses écus.

Je vous en prie dame Xm,
répondit l'aubergiste, c'est mon devoir et mon plaisir que de vous servir. Les amis de Mélissa sont mes amis.

Et elle se retira avec une révérence, adressant un clin d'œil complice à Olivier avant de quitter la pièce.

Xm avait surpris le clin d'œil et s'interrogeait encore sur sa signification quand la porte se referma doucement.

Olivier tira une chaise près de la table et l'invita à s'asseoir. Il déboucha la bouteille de vin et remplit les deux verres à moitié. Il en tendit un à Xm avant de faire tinter doucement le cristal de son verre contre celui de son hôtesse.


A votre beauté, Dame.

Gênée, Xm voulut protester mais Olivier la découragea d'un sourire et ils burent ensemble.

Dame Brunnehaut a raison vous êtes resplendissante dans cette robe. Qui aurait cru ce matin en vous voyant couverte de boue qu'une telle vénusté* se cachait dans ces vêtements crottés.

Ils burent une seconde gorgée. Le vin, fort et capiteux contribuait déjà à détendre l'atmosphère.

Quoiqu'il n'y ait pas que des désavantages à vous avoir vue vêtue en homme...

Xm rougit de plus belle et Olivier partit d'un rire franc et communicatif.
Xm rit avec lui. Quand leur hilarité se fut calmée, elle le tança gentiment.


Messire, vous m'embarrassez. Ce n'est pas parce que vous m'avez trouvée assise sur mon cul dans la boue, que vous pouvez vous permettre de commenter son anatomie...

Olivier se leva et s'inclina devant Xm et lui baisa à nouveau la main.

Pardonnez-moi Dame, mais vous donniez un si plaisant spectacle ce matin que je n'ai pu m'empêcher de l'évoquer. Je pense d'ailleurs qu'il restera longtemps gravé dans ma mémoire.

Le jeune homme s'assit en souriant.

Messire, gronda Xm, faussement sévère, je trouve que vous avez de bien bonnes manières et que vous avez la langue trop bien pendue pour un simple artisan... Qui êtes vous donc en réalité?
Depuis mon départ de Genève je vais de surprise en surprise. Me cacheriez-vous quelque chose?


Le jeune artisan retrouva soudain son sérieux et considéra Xm de ses yeux gris verts.

Qui je suis? répéta-t-il. Personne ou presque à Lausanne ne le sait, hormis une douce et belle jeune femme chez qui vous avez passé une partie de la matinée... et quelques amis.

Xm fronça les sourcils. Malika? Un éclair de compréhension traversa son visage.

Je vois que vous avez compris, dame. Je vais vous compter mon histoire mais vous devez me jurer le secret. La vie de plusieurs personnes en dépend.

Je le jure,
répondit Xm. Mais pourquoi me conter votre secret si cela risque de mettre en danger des personnes qui vous sont chères, je suppose.

Le jeune homme considéra Xm avec le plus grand sérieux.

Parce que je sens que je peux vous faire confiance, répliqua-t-il. Malika me dit que vous avez vécu en Orient. Peut-être serez vous à même de nous aider. En tout cas personne d'autre à Lausanne ne le peut.

Xm regardait intensément le jeune homme, une expression incrédule dans les yeux. En quoi et comment pourrait-elle être utile au jeune couple, car il était évident maintenant qu'Olivier était le jeune chevalier pour l'amour duquel la jeune Musulmane avait fui son pays.

Messire, vraiment, je ne sais...

Olivier l'interrompit.


Dame je vous prie, plus de messire, je suis et je dois être pour tous ici Olivier. Je vais tout vous expliquer tout à l'heure, mais d'abord mangeons et buvons. Vous devez avoir grand faim après votre chevauchée...

Il coupa pour Xm un blanc de volaille qu'il disposa sur une assiette avec une tranche de pain et arracha une cuisse pour lui même, dans laquelle il mordit à belle dents.

Xm l'observait avec curiosité par dessus le rebord de son verre. Olivier répondit à son regard par un sourire.


Chaque chose en son temps, dame. Faisons tout d'abord honneur à ce délicieux repas.

vénusté: au Moyen-âge, beauté féminine, sensuelle

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Xmanfe1999
Xm et son invité avait longuement festoyé. La chère était bonne et le vin meilleur encore et la jeune femme qui avait perdu l'habitude de dîner en galante compagnie goûtait ce plaisir encore plus que la nourriture et la boisson elles-même.
Quand ils furent repus, Xm invita Olivier à s'asseoir face à elle près du feu.


Dites-moi, cher Olivier, commença Xm, en quoi puis-je vous être utile à vous et à la très gracieuse Malika?

Olivier la regarda avec sérieux.

Dame, cela vous semblera sans doute étrange, d'autant, comme vous l'avez deviné, que je suis comme vous de noble naissance, mais j'ai besoin de vous pour écrire une lettre...

Olivier baissa les yeux, gêné.
Une lettre? Mais... Xm n'osait formuler sa question. Ce charmant damoiseau ne savait-il donc pas écrire?
Il répondit à sa question muette comme s'il l'avait lue dans ses yeux.


Hélas, Dame, je ne sais point écrire, car je fus enlevé à l'affection des miens avant d'avoir pu commencer à apprendre mes lettres.

Xm le visage grave, écoutait Olivier avec attention.

Mon père, Ghislain de Mirebeau...

Xm sursauta.

Quoi? Qu'ai-je dit dame? Ce nom ne vous est pas inconnu j'en jurerais...

Olivier de Mirebeau? Comment cela était-il possible? Le ciel avait-il dont décidé de les précipiter tous, comme de pauvres fétus de paille dans la tourmente de la vie et du destin? Xm était soudain pâle. Elle sourit faiblement et invita Olivier à poursuivre.

Cher ami, continuez je vous prie, j'aurai bien des choses à vous dire tout à l'heure, mais je voudrais d'abord entendre votre récit.

Olivier observait Xm, intrigué, presque alarmé, mais poursuivit son récit.
Il lui parla de son enfance choyée mais vagabonde, toujours sur les chemins en compagnie de son père, dont le duc de Bourgogne appréciait tout particulièrement les talents diplomatiques.
Il lui conta les ambassades en Espagne, en Flandre, en Sicile, émaillant son récit de descriptions colorées et d'anecdotes amusantes. Les yeux d'enfant qui avaient amassés toutes ces riches enluminures en magnifiaient sans doute les contours, mais ces pérégrinations, qui auraient semblé interminables à tout autre que lui, lui avait permis de grandir sans trop souffrir de l'absence cruelle d'une mère morte en le mettant au monde...


Laurence de Périgny... avait soufflé Xm comme au réveil d'un songe interminable.
Olivier la regarda sans comprendre, les sourcils froncés.

Ma mère? Vous avez connu ma mère?

Olivier s'était jeté à genoux aux pieds de Xm et avait saisi ses mains dans les siennes. Il les serrait si fort que Xm grimaça.

Pardonnez-moi dame, dit le jeune homme, je me suis laissé emporter, mais parlez, vous me mettez à la torture.

Xm détacha ses mains de celles d'Olivier et caressa doucement ses cheveux dorés et sa joue. Elle souriait.

Non, Olivier, je n'ai pas connu votre mère, car mon grand-père, le sire de Pontailler a chassé la mienne pour avoir osé tomber amoureuse d'un manant et bravé son interdiction de le revoir... Mais passons.

Olivier regardait Xm sans comprendre.

Votre mère et la mienne étaient cousines, reprit Xm, mais malgré leur différence d'âge, elles étaient comme des sœurs et j'ai souvent entendu parler d'elle. Le chagrin a été grand dans ma famille quand elle a été enlevée à l'affection de votre père. Je m'en souviens parfaitement, même si je n'étais encore qu'une enfant à cette époque...

Olivier avait repris les mains de Xm et les serrait avec toute la force que lui donnait son attention passionnée.
Xm rit.


Je vous en prie Olivier, vous allez me briser les doigts!

Le jeune homme relâcha brusquement les mains de Xm et se confondit en excuses.

Mon cousin... car je dois vous appeler ainsi désormais... si je n'ai pas connu votre mère, en revanche j'ai rencontré votre père il y a bien longtemps... et vous aussi... vous deviez avoir six ans tout au plus, je ne pense pas que vous vous en souveniez.

Olivier, interdit, regardait Xm comme si le ciel venait de lui tomber sur la tête.

Je devais avoir quatorze ou quinze ans, c'était peu de temps avant mon mariage. Je me souviens que votre père, de retour de Flandre, était passé voir ma mère qu'il avait en affection depuis son enfance, avant de repartir vers une nouvelle ambassade, cela devait être en Bohème...

Olivier ne quittait pas Xm des yeux. Chaque nouveau mot semblait le plonger davantage dans un abîme de confusion.

Xm souriait, toute à ses souvenirs de jeune fille. Elle continua.


Bien que très jeune encore, j'avais été séduite par la prestance et l'allure de votre père. Je peux vous dire que vous lui ressemblez trait pour trait. Votre ressemblance m'a troublée dès que je vous ai vu ce matin, mais j'étais incapable de comprendre ce trouble. Cela fait si longtemps!

Olivier reprit les mains de Xm plus doucement cette fois.

Cousine...vous êtes ma cousine? Par quel miracle...? Le jeune homme avait les yeux pleins de larmes.

Mais continuez ma belle cousine, vous avez donc connu mon père...


L'émotion du jeune homme gagnait Xm qui dut prendre une grande respiration avant de poursuivre.

La première... et la dernière fois que je vis votre père, il partait comme je vous l'ai dit, en Bohème. Il lui fallait, je crois, régler quelque sombre histoire de succession entre le duc de Bourgogne et un noble de Bohème. L'affaire n'aurait dû prendre que quelques semaines. Le temps d'arriver à Prague, de négocier l'affaire et de rentrer en ses terres bourguignonnes. Malheureusement, et ma famille ne l'a appris que longtemps après, votre père n'était jamais arrivé à Prague. Les rumeurs les plus folles ont couru. Nous en avons entendu l'écho, par pigeons interposés, jusque dans notre lointaine Alsace. Certains affirmaient que votre père et vous aviez été enlevés par des Égyptiens, d'autres disaient avoir vu votre père assassiné dans une embuscade suite à une incursion turque.

Olivier ne lâchait pas les mains de Xm et laissait libre cours à ses larmes.

Oh, ma cousine, soupira-t-il. Je ne sais moi-même où se trouve la vérité.
J'étais si jeune que je me souviens à peine de mon père.
Je sais que nous avons subi une attaque dans la forêt. Mais s'agissait-il de romanichels ou de mahométans, je serais bien incapable de vous le dire. Je me souviens avoir été trimballé, terrorisé, par terre et par mer.
Je me souviens d'une femme, à moitié édentée, qui me parlait une langue dont je ne comprenais pas un traître mot et qui caressait sans arrêt mes cheveux blonds.
Je me souviens d'avoir grandi en captivité. Pendant un temps, j'ai été traité avec égards et je pensais être rendu aux miens contre rançon, comme c'était souvent le cas pour les membres de familles fortunées.
Hélas les seules richesses de mon père étaient son honneur et sa vaillance, et je perdis vite toute valeur aux yeux de mes geôliers qui me vendirent comme esclave à un artisan dinandier contre quelques dizaines de pièces d'argent.


Xm, frappée par la similitude de leurs expériences, soupira et caressa encore la joue d'Olivier dans un geste de sympathie.

Mais... je ne comprends pas... Xm hésitait. Malika m'a dit vous avoir rencontré lors d'une ambassade au Liban?

Olivier sourit, attendri.

Chère Malika, elle n'a sans doute pas osé vous avouer qu'elle était tombée amoureuse de l'esclave de son père... Il l'a maudite pour cela, même s'il connaissait mes nobles origines. Elle était souillée à jamais par son amour pour un infidèle. Si ne nous étions mutuellement aidés à fuir, il l'aurait sans doute tuée.

Xm dévisageait Olivier avec une affection grandissante.

Vous disiez tout à l'heure que vous aviez besoin de moi pour écrire une lettre... Pourquoi ne pas vous adresser aux autorités de la ville? A qui donc voulez vous donc écrire? ajouta-elle intriguée.

Pour répondre à vos deux questions, poursuivit Olivier, il faudrait, si je voulais m'adresser pour mon affaire aux autorités cantonales ou municipales, donner des informations et des explications qui risqueraient d'attirer la suspicion sur moi et sur ma bien aimée. Car pourquoi un simple dinandier, fiancé d'une tenancière de bains grecque, voudrait-il écrire au Grand Maître de l'Ordre des Hospitaliers de Rhodes?

Xm observait Olivier, perplexe.

Le Grand Maître? Mais... pourquoi?

Le jeune homme, plein d'une fougue et d'un espoir sans doute déraisonnables serrait toujours les mains de Xm dans les siennes.

Seul le Saint Ordre de Rhodes a gardé suffisamment d'influence et d'intelligence en Orient pour m'aider à découvrir ce que je recherche: le lieu de détention de mon père.

Xm sursauta.

Votre père? En admettant qu'il ait survécu à l'attaque qui vous a séparé, comment aurait-il pu survivre quinze longues années dans des geôles barbaresques?

Olivier se rengorgea. Sa naïveté et sa confiance étaient touchantes.

Il n'a pas pu périr, persistait-il. Sa force et sa persévérance étaient sans limites. Je suis sûr qu'il a pu gagner la confiance de qui le retenait et ... et...

Olivier se tut. Sans doute l'incohérence de ses espoirs lui apparaissait-elle maintenant qu'il les avait énoncés à haute voix.
Xm n'eut pas le cœur de le décourager.


Soit mon beau cousin, j'écrirai cette lettre avec vous. Et puissiez-vous toujours garder cet espoir et cette conviction. Souvenez-vous, la foi déplace des montagnes. Pourquoi ne vous rendrait-elle pas votre père chéri.

Après tout, l'espoir qui animait Xm n'était pas plus raisonnable, et elle avait déjà vu chose plus extravagante...
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L'écriture de la lettre avait pris bien plus de temps que prévu.
Il avait fallu recommencer plusieurs fois, tant Olivier avait eu de mal à trouver le ton juste. Il convenait d'être humble, mais de ne pas supplier, d'être noble mais de ne pas dédaigner. S'il voulait attirer l'attention de Jacques de Milly qui dirigeait l'Ordre depuis quelques années seulement, chaque mot devait être choisi avec soin.
Xm avait tout noté de sa plus élégante écriture et avait signé pour son cousin, après quoi elle avait cacheté la lettre. Elle y avait apposé son petit sceau personnel, à l'aide de l'anneau sigillaire qu'elle gardait niché entre ses seins au bout d'un lacet de cuir.

Après quoi elle avait rassemblé ses affaires et fait ses adieux à Olivier.


Mon cousin, la meilleure chose est que j'essaie de faire parvenir cette lettre à bon port par des voies sûres. Elle est trop importante en effet pour être confiée à un chevaucheur anonyme, et son acheminement vous ruinerait.
Je dois rencontrer à Sion un ami très cher pour qui la distance n'est pas un obstacle. Si quelqu'un doit réussir à trouver le Grand Maître et à lui faire parvenir cette lettre, c'est bien lui. Et il vous fera parvenir la réponse... s'il y en a une.


Olivier s'inclina cérémonieusement devant sa cousine, mais porté par son naturel chaleureux, il ne put s'empêcher de la serrer dans ses bras.

Merci, merci, ses effusions menaçaient d'étouffer Xm.
Soyez très prudente ma cousine. Malika et moi vous seront éternellement reconnaissants. J'ai le projet d'épouser Malika et de la ramener dans nos terres, mais sans la bénédiction de mon père, cela ne pourra être.

Xm avait du mal à comprendre les raisons de cette impossibilité, mais cela faisait longtemps qu'elle avait renoncé à suivre la logique des actions de tout un chacun, à commencer par les siennes, d'autant que Malika étant Mahométane, elle voyait mal comment le sire de Mirebeau pourrait accorder sa bénédiction à son fils pour cette union, pour autant qu'il fut encore vivant. Mais soit, et elle s'abstint de tout commentaire.

Eh bien adieu, mon cousin, ou plutôt au revoir. J'espère de tout cœur que le temps vous apportera de bonnes nouvelles. Je dois me mettre en route à présent. Saluez de ma part la belle Malika.

Xm revêtit sa cape et son chapeau. Elle avait après le dîner troqué sa jolie robe contre ses vêtements de voyage, que Dame Brunnehaut avait nettoyés et rapetassés du mieux qu'elle avait pu. Elle ramassa son sac et salua son cousin.

L'aubergiste l'attendait dans la salle. Elle la paya et la remercia chaleureusement. Son cheval l'attendait nourri, pansé et sellé devant la porte. Elle sauta en selle et reprit son chemin dans la nuit.

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Le reste du voyage s'était déroulé sans encombres.
Xm avait couvert l'intégralité de la distance entre Lausanne et Fribourg dans la nuit.
Pas l'ombre d'un brigand, pas une chute, pas même une glissade. Le ciel était pur et le vent nocturne avait chassé les nuages.
Xm goûtait pleinement le silence et la sérénité glaciale de cette nuit d'hiver. Elle se croyait revenue 7 ans plus tôt quand elle avait fui sa maison et sa famille pour ce qu'elle pensait être à l'époque un voyage de quelques semaines, voire de quelques mois.

Arrivée à Fribourg, Xm trouva une écurie où faire panser son cheval et s'allongea à quelques pas de lui dans la paille pour quelques heures de sommeil sans rêves. Elle s'était réveillée à la nuit tombée. Le temps de prendre quelques forces en taverne, d'avaler une soupe et de ronger un quignon de pain, arrosé d'une bonne bière, elle était remontée en selle.
Le couple qu'elle formait avec son cheval était d'une harmonie presque parfaite. L'étalon noir, les oreilles mobiles, les naseaux frémissants, écoutait attentivement sa cavalière, répondait avant même qu'elle l'encourage d'une brève pression des genoux ou qu'elle le guide d'une douce mais nette injonction du poignet...

Rapides et silencieux, ils arrivèrent en vue de Sion aux premières lueurs de l'aube. A mesure qu'ils approchaient, Xm sentait monter une sourde appréhension. La vue des murailles sévères, des deux châteaux se faisant vis à vis de chaque coté d'un vallon obscur, éveillait sa méfiance naturelle.


Le château Valère commençait à s'éveiller, sans doute les servantes et les valets allumaient-ils déjà dans les cuisines les premiers feux de cuisson. Peut-être réchauffaient- ils pour déjeuner, un reste de soupe de la veille, qu'ils lampaient avec un morceau de pain, les yeux encore pleins de sommeils, grelottants, les membres encore gourds d'avoir dormi sur une maigre paillasse, à même le sol, sur le seuil de la chambre de leur seigneur.
Xm pour sa part, n'avait ni faim, ni froid, ni sommeil. A mesure que s'approchait l'heure de sa rencontre avec Gianni, une lancinante angoisse lui nouait le ventre et la rendait sourde à tout autre sentiment ou sensation que l'attente.

Savoir...
Si Gianni était au rendez-vous et qu'il avait effectivement les renseignements qu'il lui avait promis, elle saurait. Elle saurait si Wilhelm était encore en vie, si lui la croyait encore vivante, si Ogier - Xm tremblait à la pensée qu'il ait pu arriver malheur à son fils –
Si Ogier était maintenant écuyer de son père comme son âge le lui permettait maintenant.
Xm se prit à rêver. Elle imaginait son enfant, ce tendre garçonnet de sept ans, quand elle était partie. Comme il devait être grand maintenant. Son père passait presque pour un géant auprès du reste des hommes de leur mesnie.
S'il tenait de lui, comme pour la couleur de ses cheveux et de ses yeux, il devait sans doute friser maintenant les six pieds.
Xm eut un sourire malgré son angoisse.
Le soleil dans les cheveux couleur de blés murs de son fils bien aimé, ses yeux d'un bleu foncé presque gris ardoise quand ils lui lançaient les regards d'adoration que lancent tous les petits garçons à leur mère.
Ses larmes quand son père avait autoritairement transféré ses quartiers à côté de sa chambre et non plus à côté de celle de sa mère, symbolisant par là son passage dans le monde des hommes.
Sa fierté quand son père lui avait offert sa première armure à sa taille. Xm se souvenait avoir protesté, arguant qu'il était bien trop jeune pour que l'on dépensât autant d'argent pour l'adouber. Protestation que son époux avait balayé d'un geste impatient, justifiant son choix par l'exhibition d'un parchemin scellé du sceau du baron, l'enjoignant de rejoindre l'ost pour rétablir l'ordre dans les villages agités par des rumeurs de peste...
Xm se souvenait de la scène avec une précision digne du meilleur imagier du temps. Son mari, assis sur son fauteuil dans le tinel, le parchemin entre les mains, son fils allant et venant dans la pièce, le menton levé, fier du magnifique présent que lui avait fait son père, ses solerets en patte d'ours griffant les dalles, les flammes de l'âtre se reflétant sur ses plates.

Si Xm avait été superstitieuse, elle aurait pu dire qu'à ce moment là elle avait eu le sentiment que le destin allait leur jouer un de ses tours les plus cruels... mais non, elle se souvenait avoir été également partagée entre la fierté de voir son fils suivre la voie de ses ancêtres, et le regret de le voir quitter à jamais le monde des enfants.

Plongée dans ses réflexions et ses souvenirs, Xm s'était à peine rendu compte qu'elle avait passé les portes de la ville et que son cheval s'avançait d'un pas tranquille entre deux rangées de maisons aux volets clos.
Mettant pied à terre pour permettre à son étalon de se reposer, elle avançait dans les rues escarpées, à la recherche d'une auberge. Son cheval, sans raison apparente, semblait nerveux. Il bronchait de temps à autres et humait l'air d'un air inquiet. Xm se rendit compte alors, à mesure qu'elle approchait du centre du village, que l'air empestait la suie ou la cendre mouillée, avec un je-ne-sais-quoi de...d'animal? Comme de la corne brûlée.
Xm eut un mouvement de recul instinctif. L'odeur lui rappelait par trop celle de la maison incendiée de Katel, sa vieille servante, après qu'on l'eut découverte morte à l'intérieur.
En vue de la place, Xm vit ses soupçons confirmés.
Les restes d'un bûcher noircissaient le pavé de la place et des chiens errants reniflaient nerveusement le sol tout autour de ce qui restait d'un poteau auquel un condamné avait été lié, quelques jours ou quelques heures plutôt.
Xm contempla les sinistres décombres avec tristesse et effroi.
Gianni avait intérêt à être au rendez-vous. Elle n'avait pas l'intention de moisir ici.

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Xmanfe1999
Après avoir longuement hésité, Xm décida d'entrer dans la taverne la plus éloignée des sinistres vestiges. Sans doute Gianni apprécierait-il de rester le plus éloigné possible de ce témoin d'une justice extrême, même si sa condition de contrebandier le destinait plutôt, s'il tombait entre les mains des autorités, au gibet plutôt qu'au bûcher. Xm eut une grimace dégoûtée et chassa vivement cette image de son esprit.

Elle attacha son cheval à l'anneau fixé au mur de la taverne et entra.
La taverne, comme toutes celles qu'elle avait fréquentée jusqu'à présent, était plongée dans une semi obscurité à peine éclairée par quelques lanternes sourdes posées ça et là sur les tables. La source de lumière la plus importante était l'énorme cheminée, dans la quelle rôtissait déjà, à cette heure matinale, une broche chargée de poulets qui dégageaient un fumet alléchant.
La silhouette d'un homme se détachait en ombre chinoise sur les flammes. Le cœur de Xm rata un battement... mais non, ce n'était pas Gianni.
Se rendant soudain compte de sa présence, l'homme tourna la tête vers Xm. Elle comprit la raison de sa méprise. Même silhouette élancée et athlétique, même chevelure qui frôlait le col de son pourpoint. Mais à mieux y regarder, les cheveux étaient plus clairs, le jeune homme, car il était sans doute bien plus jeune que Gianni qui devait maintenant approcher la quarantaine, et il manquait également ce trait de barbe finement tracé qui soulignait la mâchoire énergique du bel Italien.
Xm sourit néanmoins. Ce jeune homme était semblait-il charmant. Une ombre de tristesse voilait ses traits réguliers. Quelque chose dans son visage inspirait confiance. Elle résolut d'aborder franchement - autant que cela se pouvait sans nuire à la sécurité de Gianni - le but de sa visite.


Messire, le bonjour. Je vous prie de m'excuser de vous déranger, vous aviez l'air si profondément absorbé dans vos pensées que j'ai hésité à vous parler, mais ... Je viens d'arriver céans et je cherche une personne... je me demandais si peut-être vous l'auriez vue?

Le jeune homme quitta sa position pensive près de l'âtre et s'approcha de Xm. Il s'inclina devant elle. Xm ne put s'empêcher d'éprouver un éclair de satisfaction. Au moins un qui avait reconnu en elle une femme, malgré ses vêtements de voyage.

Dame, je serais ravi de vous être utile. Gyllaume, pour vous servir.


Xm s'inclina elle aussi, ôtant son chapeau qu'elle tint contre son torse. Ses habits d'homme l'incitaient à adopter leur comportement, elle se serait sentie particulièrement ridicule de faire la révérence dans cette tenue.


Je me nomme Xmanfe1999 du Prieuré de Pontailler.

Xm s'attendait à la réaction habituelle à l'énoncé de son nom complet, mais ce Gyllaume était décidément plein de surprises. Il ne sourcilla même pas.

Je suis enchanté, Dame... dit-il en s'inclinant à nouveau, respectueusement, la main sur le coeur.

Xm... compléta Xm, en souriant. Appelez-moi Xm, ce nom est des plus embarrassants. Son diminutif est beaucoup plus aisé à prononcer.

Gyllaume invita Xm à s'asseoir et s'empressa de lui offrir à boire.

Vous m'avez l'air d'avoir besoin de vous désaltérer et de vous restaurer, dit-il. Vous plairait-il que je demande qu'on vous serve une collation?

Xm refusa l'offre de nourriture d'un geste mais accepta avec gratitude la bière qu'on venait de poser devant elle. Elle la but d'un trait et reposa la chope avec un grand soupir de satisfaction. Elle réprima un petit rot d'une main embarrassée.

Gyllaume eut un rire chaleureux.

Eh bien Dame Xm, on dirait que vous aviez fort soif! Gyllaume fit signe au tavernier qui leur porta aussitôt deux nouvelles chopes.

Si vous me disiez à quoi ressemble la personne que vous cherchez?

Xm s'efforça de rassembler ses souvenirs. Cela faisait maintenant presque sept ans qu'elle n'avait pas vu Gianni et elle avait du mal à parfaitement retracer ses traits dans sa mémoire même si elle avait par moments l'impression qu'elle aurait pu le dessiner. Elle se concentra, les yeux fermés. Gyllaume l'observait avec attention.

Eh bien, je pense que si vous l'avez vu vous n'avez pu manquer de le remarquer. Il est plutôt grand, à peu près votre taille... dit Xm en rouvrant les yeux.
Gyllaume se redressa involontairement, ce qui fit sourire Xm.
Ah vanité... pensa-t-elle.
Ses cheveux sont plus foncés que les vôtres, presque noirs, mais pas autant que les miens.
Gyllaume eut un regard discrètement admiratif sur la soie noire aux reflets bleutés qui cascadait sur les épaules de Xm.
Xm réfléchit un instant tâchant d'être la plus précise possible dans sa description.

Ses yeux sont très noirs, comme les miens...
Xm se dit qu'elle ferait aussi bien d'arrêter de se comparer à Gianni ou de le comparer à son hôte... Cela commençait fort à ressembler à un petit jeu de séduction, ce qui était vraiment la dernière chose qu'elle avait à l'esprit en entrant dans cette taverne.
Quand je l'ai vu la dernière fois, il portait une barbe très fine, et il a une petite cicatrice là...Xm traça du bout de son index une ligne de l'arête de son nez jusqu'au milieu de sa pommette droite...

Gyllaume l'observait avec un intérêt accru. Peut-être s'interrogeait-il sur ce qui pouvait amener une dame à fréquenter un homme balafré. Sa curiosité fut la plus forte.


Un soldat, Dame?

Xm balbutia, embarrassée. Certes ce jeune homme lui avait tout de suite inspiré confiance, mais à trop fournir de détails elle risquait néanmoins de les mettre en danger, Gianni et elle par la même occasion.
Euh...oui en effet, un soldat de la troupe d'hommes d'armes de mon époux. Je dois le retrouver et cet homme doit me guider vers lui.

Xm détestait mentir, mais pour la sécurité de Gianni et la sienne elle poursuivit.

Voyez-vous, cet homme est Italien et connaît parfaitement les montagnes. J'aurai besoin de sa protection pour retrouver mon époux.

Les yeux de Gyllaume observaient Xm avec ironie par dessus la chope qu'il lampait à petites gorgées.
Si quelque chose était invraisemblable dans ce que sa charmante invitée venait de lui débiter, c'était sans doute ce besoin de protection qu'elle invoquait soudain pour justifier son rendez-vous avec un étranger dans une ville qui lui était tout aussi étrangère semblait-il.
Gyllaume reposa sa chope.


Dame, je suis navrée, je n'ai pas vu l'homme que vous me décrivez. S'il était en ville, je vous assure que je serais au courant.

Les épaules de Xm s'affaissèrent. Elle arrivait trop tard. Remarquant son allure découragée Gyllaume ajouta:

Peut-être n'est il pas encore arrivé? Si vous voulez attendre quelques temps, vous pouvez prendre une chambre ici, elles sont fort confortables...

Xm refusa de la tête.

Hélas ma bourse est bien plate, messire et je crains de devoir choisir entre le gîte et le couvert. Si vous pouvez m'indiquer une écurie où je pourrais m'abriter ainsi que mon cheval...


Gyllaume l'interrompit. Allons, une noble dame ne peut coucher dans une écurie!

Xm sourit en repensant à tous les endroits bien pires qu'une écurie dans les quels elle avait dormi.

Gyllaume poursuivit.
S'il vous plait de me faire confiance, je me ferai un plaisir de vous héberger, le temps qu'il vous plaira. Je suis moi-même assez peu chez moi, mais vous y trouverez tout ce dont vous aurez besoin.

Xm se laissa d'autant plus facilement convaincre qu'elle était affamée et épuisée. Certes, le jeune homme n'avait pas eu un instant l'air dupe des explications qu'elle lui avait fournies, mais qu'il proposât malgré tout de lui venir en aide parlait définitivement en sa faveur. Après tout, Sion était peut-être moins sinistre que Xm en avait eu l'impression au premier abord...
Elle se leva et suivit Gyllaume qui se dirigeait déjà vers la sortie.


Allons-y Dame, c'est à deux pas. Vous pourrez dormir et manger tout votre soul et lorsque la nuit sera tombée vous pourrez écumer les tavernes pour retrouver discrètement de votre mystérieux ami.

Un franc sourire éclairait son visage.

Xm réprima avec difficulté un frisson. Etait-elle si transparente? Il allait falloir qu'elle soit plus prudente à l'avenir. Elle afficha une assurance qu'elle était loin de ressentir et emboîta le pas à Gyllaume.

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En fait d'écurie et de paille, Xm s'était vue offrir le gîte et le couvert dans une maison, certes petite, mais confortable et propre.
Gyllaume lui avait montré sa chambre et l'avait ensuite laissée seule, le temps pour lui, avait-il dit, de préparer un repas improvisé pour son invitée.
Epuisée par ses longues nuits de chevauchée, Xm s'était laissée tomber sur le lit, pensant se reposer quelques instants avant de redescendre faire honneur aux victuailles dont elle sentait déjà l'alléchant arôme, mais à peine avait-elle posé la tête sur le moelleux oreiller de plumes, qu'elle s'était enfoncée dans un sommeil, sans rêves cette fois-ci.

La nuit était à nouveau sur le point de tomber quand Xm s'éveilla, ragaillardie, à croire que depuis son départ de Genève, la nuit était devenue pour elle le jour, et le jour, la nuit... Elle renouait avec des habitudes de clandestinité acquises il y avait des lustres de cela, et cela fit naître sur ses lèvres un sourire à la fois amusé et nostalgique.

Xm s'étira et remit un peu d'ordre dans sa tenue et descendit vers la pièce principale de la maison, à l'étage inférieur, pensant y trouver Gyllaume. La maison était silencieuse et son hôte était apparemment sorti.
Elle trouva sur la table un couvert dressé pour une personne et, sous un linge propre, une assiette garnie d'une belle cuisse de poulet, d'une épaisse tranche de pain frais et d'une magnifique grappe de raisin d'un bleu-noir brillant fort appétissant. Tout cela était modeste, mais offert avec tant de générosité et de simplicité que Xm s'y attaqua avec bonheur. Ce n'est qu'en avalant le dernier grain de raisin que Xm découvrit sous son assiette un morceau de parchemin sur lequel Gyllaume avait griffonné quelques lignes:





Citation:
Dame Xm,

J'espère que vous vous êtes bien reposée et que ce frugal repas vous permettra également de refaire vos forces. Voyant que vous dormiez, je n'ai pas voulu vous déranger et je suis sorti me renseigner sur l'arrivée éventuelle de votre ami. Je ne sais s'il s'agit vraiment de lui, car la description que vous m'avez faite de lui diffère en quelques points, mais un étranger est arrivé tout à l'heure. Je l'ai salué et il m'a répondu avec un fort accent italien... Je suis rentré en hâte mais vous dormiez encore, aussi ai-je juste pris le temps de vous écrire cette note. Tout à l'heure, l'étranger se trouvait à l'auberge où nous nous sommes rencontrés ce matin et je crois qu'il y est encore, vue la manière dont il buvait bière sur bière, je ne pense pas qu'il en sorte avant un bon moment. Venez dès que vous pourrez. S'il fait mine de partir, je tâcherai de trouver un prétexte pour le retenir.
Gyllaume

Xm reposa la lettre avec un sourire. Elle récupéra l'épée et le bouclier qu'elle avait déposés près de la cheminée avant de monter dans sa chambre et sortit.

L'air glacial de la nuit eut tôt fait de raviver ses doutes. Qu'allait-elle faire si l'étranger n'était pas Gianni? Allait-elle l'attendre encore longtemps? Elle ne pouvait assurément abuser de l'hospitalité de Gyllaume. Et si c'était bien Gianni mais qu'il ne lui apportait point les informations qu'elle attendait?

L'auberge n'était qu'à quelques pas de la maison de Gyllaume et le temps de faire le tour des différentes options qui s'offraient à elle, Xm se retrouva devant la porte, la main sur la poignée.
Le cœur battant, elle actionna le loquet et poussa le battant.
Quelques curieux levèrent la tête quand elle franchit le seuil. Aucun d'entre eux n'était Gianni.
Elle allait battre en retraite, découragée, quand elle aperçut Gyllaume à une table, dans le fond de la salle, assis face à la porte d'entrée, qui lui désignait des yeux l'homme avec lequel il était attablé, absorbé dans une partie de cartes.

Xm crut que son cœur allait s'arrêter de battre.
L'homme lui tournait le dos, mais pas de doute, c'était bien lui.
Sa stature impressionnante, même lorsqu'il était assis, sa chevelure aile de corbeau, semée à présent, semblait-il, de quelques fils d'argent, l'anneau d'or qui ornait son oreille gauche, qu'elle voyait briller par intermittence à travers les boucles qui recouvraient son col, la nonchalance même avec laquelle il se tenait sur sa chaise , chaque attitude, chaque détail lui criaient qu'il s'agissait bien de Gianni, malgré l'étrange costume dont il était accoutré.

Intriguée, les yeux encore insuffisamment accoutumés à la pénombre régnant à l'intérieur de la taverne, Xm s'approcha.
Alerté par le bruit des pas légers de Xm ou par l'appel muet que lançaient à la jeune femme les yeux de Gyllaume, l'homme se retourna à demi.
Aussitôt, un large sourire éclaira son visage ironique et il se leva, pour s'incliner devant Xm en lui indiquant la troisième chaise à leur table.


Ah! voilà une jeune personne qui va embellir un peu notre jeu mon fils...
dit-il, s'adressant à Gyllaume.

Xm jeta un regard sidéré à Gyllaume, puis à Gianni, puis à nouveau à Gyllaume.


Venez donc vous asseoir avec nous, mon enfant.
Gianni tira la chaise et invita d'un geste Xm à s'y asseoir.
Savez-vous jouer au ramponneau?

Gianni, les yeux pétillants de malice, semblait beaucoup s'amuser de l'étonnement de Xm.

Notre ami, ici présent, a eu la bonté de m'y initier. Il est vrai qu'un homme d'église comme moi ne devrait pas s'adonner au jeu, mais voyez vous, ajouta-t-il en montrant de petits tas sur la table, nous jouons pour des lentilles... il ne peut rien avoir à cela qui déplaise à Deos, qu'en pensez-vous ma fille? conclut-il en gratifiant Xm d'un clin d’œil canaille.

Xm était partagée entre le désir de sauter au cou de l'incorrigible Gianni, le gifler ou éclater de rire.
Pour passer inaperçu, il n'avait rien trouvé de mieux que de se faire passer pour un prêtre... C'était à mourir de rire. Encore fallait-il espérer que cela ne deviendrait pas à mourir, tout court.



Encore sous le choc, Xm s'était assise, raide et mal à l'aise, en face de Gianni, qui avait pour sa part, du mal à contrôler son hilarité.
Xm jetait des coups d’œil inquiets autour d'elle, craignant que l'attitude de ce prêtre étrange attire l'attention, voire l'ire des buveurs.
L'atmosphère pesante qui régnait à son arrivée dans la ville s'était semblait-il dissipée, ou alors peut-être s'y était-elle simplement habituée, mais, ignorant tout des événements qui avaient mené à une exécution publique, Xm craignait que le moindre faux pas ne les mette, Gianni et elle, dans une situation dont son extravagant compagnon avait la spécialité.
Gyllaume se leva et salua poliment Gianni et Xm.

Je vais vous laisser. Vous devez sans doute avoir beaucoup de choses à vous dire.

S'inclinant vers Xm, il ajouta: Je reste dans les parages. N'hésitez pas à m'appeler si vous avez besoin de moi.

S'appuyant nonchalamment en arrière, un bras passé par dessus le dossier se sa chaise, Gianni lança à Gyllaume un regard de défi.

Je crois que nous allons nous débrouiller, merci, mi figlio. N''est-ce pas ma chère enfant?

Xm fusilla Gianni du regard, qui lui décocha un sourire désarmant de charme canaille. Elle eut un geste d'excuse envers Gyllaume.

Je vous remercie sincèrement de tout ce que vous avez fait pour moi, messire Gyllaume. Tout ira bien je vous assure. Vous pouvez me laissez sans crainte avec ce... cet... ce gentilhomme.

Xm eut quelque mal à qualifier Gianni de ce terme qui lui seyait assez mal.
Gyllaume s'inclina encore une fois et déposa un baiser sur le bout des doigts de Xm, puis s'éloigna vers le comptoir, position d'où il pourrait à loisir surveiller le couple. XM lui adressa un petit signe discret. Tout allait bien.


Eh bien dis-donc! Cara mia! Tu lui as tapé dans l’œil à ce campesino! Toujours la même, mi amore. On ne peut pas te laisser seule cinq minutes avec un homme, ils veulent tout de suite... Ouch!

Xm venait de décocher sous la table un coup de pied dans le tibia de Gianni qui grimaça.

Elle grinça entre ses dents.

Arrête ça tout de suite, tu veux? Je ne suis pas venue seule de Genève pour entendre ces bêtises! Et d'abord Gyllaume n'est pas un "paesano", c'est un homme charmant et très bien élevé, qui m'a offert gracieusement le gîte et le couvert, sans exiger aucune des privautés dont tu étais coutumier. D'ailleurs, depuis que je t'ai quitté, je n'ai rencontré que des hommes très bien. Tu ferais bien d'en prendre de la graine.

Xm se demanda si elle pouvait classer le Sultan de Damas dans la catégorie des hommes bien, et décida qu'elle répondrait à cette question en temps utile.

Elle ajouta, vengeresse:
Et ça fait pas cinq minutes, ça fait sept ans.

Gianni fit mine de faire amende honorable. Il leva les mains en signe d'apaisement.

Scusi, bellissima. Tu sais comme je suis. Je ne peux pas supporter de voir un autre que moi te tourner autour. Perdona me.

Xm soupira. Le charme de Gianni avait déjà commencé à faire son effet. Sept longues années plus tard et quelques ridules au coin des yeux, un sourire et quelques phrases flatteuses susurrées de sa voix profonde avec son accent chantant provoquaient encore en Xm le trouble qui l'avait fait tomber dans ses bras la première fois.
La différence est qu'à présent elle n'était plus seule. Elle n'était plus sans défense non plus, et cette fois-ci elle ne succomberait pas.
Elle fronça les sourcils.


Trêve de badinage, "cari-ssimo" - elle prononçait volontairement ces quatre syllabes avec une affectation exagérée, pour juger de la manière dont Gianni prendrait le mépris qu'elle s'appliquait à feindre.
Gianni joua lui aussi à merveille l'orgueil et la sensibilité blessés. Il secoua la tête, douloureusement.


Che vergogna! Pourquoi es-tu si méchante avec moi, cara mia? Moi qui suis venu de si loin pour te voir?

Si Xm n'avait su à cet instant précis que le jeu qui les avait occupés pendant six mois, sept ans auparavant, venait de recommencer, elle s'en serait voulu.
Mais elle connaissait Gianni par cœur: même s'il ne savait ni lire ni écrire, et si son esprit aventureux l'avait emporté sur les chemins de la contrebande et de la clandestinité, il était d'une intelligence rare et était passé maître dans l'art des faux semblants et des négociations complexes. Leur passe d'armes ne faisait que commencer.

Inflexible, en apparence, Xm se pencha vers son interlocuteur.


As-tu les renseignements que je t'ai demandés par pigeon?

Gianni se pencha à son tour vers Xm, faisant mine de se rapprocher pour entendre, malgré le caractère particulièrement inapproprié de l'endroit, la confession de sa belle compagne.

Certo. J'ai toutes les informations que tu m'as demandées... Mais peut-être pourrions-nous aller en parler dans un endroit plus tranquille?

Un sourire narquois à peine perceptible incurvait les lèvres fines du faux curé.


Tu as raison, rétorqua Xm en se levant. Tout plutôt que de continuer à attirer l'attention avec un olibrius de ton espèce.

Olibrius? Ce n'est pas un tout petit oiseau très joli, ça???
Gianni était tout sourire.
Xm soupira, excédée.

Attends-moi ici, je vais demander à Gyllaume s'il nous autorise à passer un moment chez lui pour discuter.

Xm avait insisté sur les deux derniers mots. Gianni, comprenant le message arborait une expression angélique.

Discuter, si, bene. Assolutamente.

Xm s'était éloignée entre les tables pour aller parler à Gyllaume. La discussion avait duré quelques minutes avec force regards aller et retour de la part du jeune Sédunois de Gianni à Xm. Il semblait agité et inquiet, mais Xm avait apparemment réussi à apaiser ses craintes et il l'avait laissée regagner la table où Gianni l'attendait patiemment, ayant suivi chacun des ses mouvements avec une attention de matou aux aguets.

C'est d'accord. Gyllaume nous fait la grâce de nous accueillir pour discuter chez lui. Mais il veut que tu promettes de bien te tenir.
Gianni prit un air offensé.

Bien me tenir? Ma, je suis un prêtre, madonna...

Gianni...

Si, je me tiendrai bien. Lo juro.


Gianni leva la main droite et adressa une mimique d'un sérieux presque comique à Gyllaume, qui n'avait cessé de le surveiller de loin.
Gyllaume le considérait froidement, un sourcil levé, lui faisant bien comprendre qu'il n'était pas dupe de ses simagrées.
Il interrogea Xm du regard, qui le rassura d'un signe de la tête.

Allons-y, nous n'avons que trop tardé, souffla Xm.

Après toi, bella ragazza... je te suis.
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Xmanfe1999
Le trajet de la taverne jusqu'à la maison de Gyllaume s'était fait en silence, dans le froid glacial de la nuit de décembre.
Gianni sur ses talons, Xm s'approcha de la porte d'entrée.
La nouvelle lune laissait scintiller dans un ciel noir d'encre, plus d'étoiles que Xm aurait su en compter, mais les ombres dans les portes cochères et sous l'avancée du toit au dessus du perron d'entrée de la maison étaient particulièrement opaques.
Incapable de trouver la serrure dans le noir presque complet, Xm se pencha en avant afin d'y introduire la clef que Gyllaume lui avait confiée.

Une main hardie se posa lestement sur son postérieur offert.

Xm était tellement soufflée par l'audace de Gianni que son cri indigné s'étouffa dans sa gorge.

Se redressant brutalement, elle saisit le poignet du coquin, qui d'un mouvement fluide et irrésistible comme un pas de danse, retourna son bras pour se saisir à son tour du poignet de Xm, qu'il fit adroitement pivoter sur elle même.
La seconde d'après, le contrebandier tenait sa belle amie étroitement serrée contre lui, le bras tordu derrière son dos.
Xm grimaçait de rage. Gianni souriait, sarcastique.


Calme-toi, cara mia, tu m'as l'air de bien méchante humeur et je sais que tu dois cacher une dague sur toi. Tu ne crois tout de même pas que je vais te laisser une chance de t'en servir?

Bien qu'il n'ait immobilisé que son bras droit dans une prise qui pouvait sembler légère, Xm n'essayait pas de se débattre. Elle savait qu'il suffirait à Gianni d'accentuer un peu la pression de sa main puissante pour lui briser le coude comme un rameau de bois sec. Elle laissa le malandrin parcourir le haut de son corps à la recherche d'une lame cachée, qu'il finit par dénicher au creux de ses reins.
Sa bouche se fendit d'un large sourire, découvrant une dentition dont la blancheur nacrée luisait doucement dans l'ombre.


Ah, bellissima, tu as bien retenu mes leçons à ce que je vois. Toujours avoir plus d'un tour dans son sac... Ce qui signifie que tu dois en avoir au moins une autre dans ta botte...

Sans lâcher le poignet de Xm, ce qui obligea celle- ci à se pencher de côté d'une manière plus qu'inconfortable, Gianni continua sa fouille minutieuse, faisant courir sa main le long de son ventre et de ses cuisses, puis descendit encore pour explorer l'intérieur des bottes de la jeune femme de plus en plus enragée..

Aha! s'exclama l'Italien triomphant, en pêchant un fin stylet dans la botte droite de Xm, je le savais. Tu as toujours aimé les armes blanches. Je parierais que tu en as encore d'autres cachées sur toi mais il serait inconvenant de pousser plus avant la fouille dans la rue... même s'il fait bien noir et que ça serait bien agréable... pour moi!

Gianni avait dépassé les bornes. Malgré le risque de sentir son coude ou son épaule droite se briser, Xm leva vivement la main gauche et extrait avec une dextérité impressionnante la longue aiguille d'acier avec laquelle elle avait fixé son chapeau dans ses cheveux.

J'ai eu d'autres maîtres depuis, siffla la jeune femme les dents serrées, bien plus doués que toi encore...

Incredibile!
s’esclaffa Gianni, saisissant de justesse la main qui brandissait l'accessoire meurtrier. Tu m'étonneras toujours...

Tordant sans ménagement le deuxième bras de Xm derrière son dos, il saisit ses deux poignets dans sa main gauche et l'attira contre lui de l'autre main.
Son visage à quelques centimètres du visage de sa belle captive il murmura la voix soudain rauque, le souffle court.

Angelo... tu n'as pas changé...tu es toujours aussi belle quand tu es fâchée!

Sa bouche avide mordit le fruit tendre de la bouche de Xm, qui résista autant qu'elle le put, puis se rendit à la brûlure délicieuse de ce baiser volé.
Les yeux fermés, elle se laissa dériver un instant sur le flot tumultueux de souvenirs passionnés, mais le souvenir d'autres yeux, d'autres baisers et d'autres bras, se superposèrent soudain à l'abandon passager qui s'était emparée d'elle. Désarmée et toujours immobilisée par l'étreinte puissante de son ancien amant, Xm fit la seule chose qu'il lui était possible de faire pour se libérer. Elle enfonça ses dents pointues dans la lèvre inférieure de Gianni qui la lâcha immédiatement.

Aïe!!! Tu es toujours aussi sauvage aussi! Qu'est ce qui t'as pris de faire ça?

Passant avec précaution sa langue sur sa lèvre, Gianni y sentit le goût du sang.

Mamma mia une vraie tigresse! [/b]L'Italien pressait le dos de sa main contre sa bouche pour atténuer la douleur. Xm s'était écartée de lui et se tenait prête à réagir au moindre mouvement de sa part dans sa direction.

[b]Et toi? Qu'est ce qui t'as pris de me mettre la main aux fesses comme ça? Tu sais que je ne supporte pas ces familiarités. Gianni ça fait sept ans! Je ne suis plus à toi, fourre-toi ça dans ton crâne épais de calabrais!

Allons, allons...
Gianni s'avança vers Xm la main tendue en signe d'apaisement. Tu ne vas pas en faire toute une histoire, allons faisons la paix. Da mi un baccio, pour me montrer que tu me pardonnes...

D'accord.
Xm lui planta un baiser sur la bouche. Douce vengeance. Gianni supporta sa punition en grimaçant mais sans protester.

Bon on peut entrer maintenant?
Xm se pencha à nouveau pour ouvrir la porte. Elle ne put s'empêcher de jeter un coup d’œil par dessus son épaule en faisant tourner la clef dans la serrure.
Gianni l'observait, goguenard, lorgnant sans vergogne son anatomie. Ce fichu bandit était décidément incorrigible.

Xm s'effaça pour laisser entrer Gianni. Pas de risques inutiles.

La cuisine est droit devant. On va s'y installer pour discuter. Et accessoirement pour boire un gobelet de vin.

Gianni avança dans la pénombre de la pièce principale, éclairée seulement par le feu qui brûlait dans la cheminée. Sa silhouette élancée se découpa un instant en ombre chinoise contre le mur. Xm ne put s'empêcher de jauger son allure décidée, même dans son vêtement incongru d'ecclésiastique.
Gianni, se retournant un instant, surprit son regard appréciateur. Sarcastique, il la défia du regard.


Eh bien mon enfant, regardez-vous toujours les prêtres de cette manière?

Xm, gagnée par l'humeur badine de son compagnon, lui répondit sans se démonter, un sourire provocant aux lèvres.

Certes, mon père, je n'ai jamais pu m'empêcher de me demander ce que vous autres portez sous vos soutanes.

La tension qui régnait entre les deux anciens amants sembla soudain s'évanouir comme par magie et ils furent secoués d'un fou rire pendant de longues minutes.
Quand ils reprirent enfin leur souffle, Xm, s'essuyant les yeux, tira un tabouret pour son ami et se percha sur la table devant lui.
Elle attrapa derrière elle un pichet et deux gobelets d'étain et leur versa une généreuse rasade de vin.
Les deux amis trinquèrent cérémonieusement.


A nos retrouvailles! proposa Xm. Tu m'as manqué espèce de canaille! Ladro maldito!

Oui, à nos retrouvailles,
rétorqua Gianni en vidant son gobelet d'un trait et en le remplissant à nouveau. Toi aussi tu m'as manqué, cara...

Ils sirotèrent un long moment leur vin en silence, s'observant par dessus le rebord de leur gobelet, sérieux et attentifs, grisés par le vin qui commençait à faire son effet et par un trouble léger, persistant et indéfinissable.

Leur deuxième gobelet de vin vidé, Xm posa le sien gravement sur la table et ses yeux dans les yeux de Gianni, se décida enfin à poser la question qui lui brûlait les lèvres depuis un long moment.


Dis-moi tout, amico, elle hésita une dernière fois. Mon époux... mon fils... est-ce qu'ils sont vivants?
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Xmanfe1999
Après deux gobelets de vin avalés un peu trop vite, pour se donner le courage de poser la question fatidique, Xm avait la tête qui tournait un peu.
Le cœur battant, elle attendait la réponse de Gianni, qui visiblement appréhendait lui aussi le moment de donner à son ancienne maîtresse les informations qu'elle lui avait demandé d'obtenir.
Devant l'expression soudain angoissée de son amie, son visage abandonna le sourire moqueur qu'il arborait presque en permanence.
Se méprenant sur son air soudain grave Xm ouvrit soudain la bouche, le souffle coupé.
Elle secouait la tête de droite à gauche, ses yeux se remplirent soudain de larmes.
Incapable de parler, elle cherchait des yeux autour d'elle comme si il lui fallait trouver une issue pour s'enfuir. Ses pensées refusaient, chaotiques, de se former en mots et de franchir ses lèvres. Elle balbutiait:


Ils sont... Ils sont...

Alarmé par son désarroi, Gianni lui saisit les mains:

No, cara, ascolta, cara... Non! Ils vont bien, je te le jure! Lo juro, angelo. Ils sont vivants… tous les deux... ton fils, ton mari... je les ai vus de mes yeux, en Lombardie... No, ne pleure pas… allons, chhh calma....

Gianni regardait avec surprise la fière jeune femme, à qui il avait presque, pour la dompter, failli casser un bras quelques instant plus tôt, s'effondrer sur elle même comme une forteresse de cartes.

Cara, ils sont dans l'ost de l'empereur qui essaie de reprendre Milan aux condottieri...En tout cas ils y étaient quand je suis passé par là cet hiver. Mais l'ost était sur le chemin du retour aux dernières nouvelles. Ils doivent être en route pour rentrer chez eux... chez toi Xm.

Xm regardait Gianni sans comprendre.

Mon fils? A la guerre?

Les larmes qui s'étaient un peu calmées recommencèrent à couler de plus belle.
Le coeur de mère de Xm qui battait caché au plus profond de sa poitrine depuis des années, éclatait de chagrin et d'angoisse.

Mais c'est un enfant, Gianni, comment a-t-"il" pu commettre une telle infamie?

Le contrebandier se leva de son tabouret et prit place à côté de Xm sur la table. Il leur reversa à tous deux un gobelet de vin. Xm reposa le sien sans y toucher.

Ce n'est plus un enfant, Xm, tu le sais bien. Il a ... l'Italien compta sur ses doigts... quattordici anni ... quatorze ans? Rien d'anormal à ça, amica mia, lo sai, tu le sais. Son père ne fait que son devoir de cavaliere, il lui apprend le métier des armes... Cara, quel âge avait-il quand il est parti avec son propre père?

Xm refusait de l’admettre, même si elle savait parfaitement que Gianni avait raison. Elle était inconsolable.

Ecoute, cara, s'il ne le faisait pas... que penserait-on de lui dans son fief? Et de votre fils?

Xm sursauta violemment. C'est mon fils, mon fils!!!Tu entends! Mon fils! criait-elle. Elle se frappait la poitrine de ses poings revendiquant son droit de mère. Il n'avait pas le droit de l'emmener à la guerre. Ils vont me le tuer, ils vont me le tuer!
Se balançant d'avant en arrière, Xm se tordait les mains.
La peur et la douleur de la perte la submergeaient. Elle perdait pied et devenait comme possédée. Gianni reprit son sang froid et la gifla à toute volée.

Ses sanglots cessèrent instantanément et elle se figea, le souffle court.


Ascolta, je t'ai dit qu'ils allaient bien, ajouta-t-il en la tenant par les épaules et en la secouant un peu. Allora, tu vas te calmer et m'écouter.
Ton fils, ce n'est plus un enfant. Si tu le voyais, c'est presque un homme! Il est presque aussi grand que son père. Et il a ses cheveux et ses yeux... pas de doute. Naturalmente il n'a pas sa carrure... il est plutôt... come dice? ...svelte, comme toi. Il est beau. Il est fort. Il va très bien.


Xm fronça les sourcils. Tu lui as parlé?

Gianni fit un signe de dénégation.

A l'aide de camp de ton mari. Le vieux... Reinhardt?

Xm revit en pensée la trogne couturée du vieux soldat. Il devait avoir pas loin de... cinquante ou soixante ans maintenant?


J'ai eu l'occasion un soir de m'approcher des troupes qui assiégeaient Milano. Tu sais que j'ai toujours fait de bonnes affaires pendant la guerre...
Xm le regarda avec un soupçon de dédain.

Ché? Tu n'as jamais eu à t'en plaindre quand tu étais avec moi, ragazza, tu as toujours mangé à ta faim, il me semble. Enfin, je me suis fait passer pour un ancien mercenario de ton mari qui avait trouvé un autre maître. Tu sais comment c'est. Les soldats au coin du feu. On boit un coup... On cause.

Xm s'impatientait à côté de Gianni. Elle se leva brusquement et alla se poster au coin de la cheminée. Le contrebandier se retourna pour lui faire face. Il hésitait à lui délivrer le reste de l'histoire. Xm lui facilita la tâche.

Est-ce que vous avez parlé... de moi?


Gianni hocha la tête.
Tu te doutes bien que oui. A force de le faire boire, j'ai réussi à endormir sa méfiance et à lui délier la langue.

Xm s'était levée et repoussait du bout d'une botte impatiente quelques brandons dans l'âtre. Et alors? Bon Dieu tu vas cracher le morceau, Gianni, satané fils de ... elle se retint à temps.

Et alors? répéta l'Italien. Et alors? Ils te croient tous morte, idiota, qu’est-ce que tu crois donc, après si longtemps! Et ton homme, eh bien...

Xm fixa sur Gianni des yeux qui le transperçaient.


Eh bien, il est remarié!

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Xmanfe1999
Le ciel aurait tout aussi bien pu lui tomber sur la tête. Xm, abasourdie regardait Gianni, une expression hébétée dans le regard.


Citation:
Ils te croient tous morte, idiota,


ces mots résonnaient dans sa tête comme un carillon sinistre.

Morte? Comment aurait-il pu en être autrement alors qu'elle avait tout fait pour couvrir ses traces lorsqu'elle avait quitté les siens.*

Morte! Comme son fils avait dû souffrir. Elle le revoyait, courir vers elle sur ses graciles jambes de sept ans, les bras tendus, la bouche ouverte en un large sourire où manquait une dent. Une aiguille de chagrin affutée comme un poignard lui coupa le souffle.

Morte. Ce mot sonnait le glas de ses espoirs de retour dans son pays, de la fin de ses errements et de ses pérégrinations. Il lui faisait presque oublier l'autre mot, celui que Gianni avait prononcé en dernier: remarié!


Citation:
Et ton homme, eh bien...
Eh bien il est remarié!



Remarié? Xm répéta bêtement le mot comme s'il avait un goût étrange dans sa bouche. Elle avait l'air d'en avoir tâté tous les angles et les cassures avant de le cracher, comme elle aurait sondé de la langue une improbable dent gâtée dans sa bouche, avec surprise et un soupçon de dégoût.

Remarié? Mais à qui? Et depuis quand?

Les partis envisageables ne se pressaient pas dans la région, d'autant que noblesse ne rimait pas forcément avec richesse, Xm était bien placée pour le savoir, elle que son hobereau de mari avait davantage épousée pour sa coquette dot que pour ses appâts, qu'elle avait pourtant fort tentants, ou pour ses nobles origines.

Xm vit Gianni hésiter.
Malgré son affection émoussée pour le père de son fils, elle ne pouvait s'empêcher de ressentir une pointe de jalousie, peut-être seulement un rien d'orgueil froissé à l'idée qu'une pécore du village ou une bourgeoise ait pu la supplanter dans le cœur sans fantaisie de son époux.

Gianni prit son courage à deux mains: plus vite la flèche serait arrachée, plus rapide serait la guérison. C'est en tout cas l'expérience qu'il avait de la chose, au sens propre comme au figuré.
Quand Xm l'avait quitté, sept ans auparavant, pour voguer vers l'Orient, elle l'avait fait brutalement, sans fioritures et il s'était vite consolé avec Carla, Giulia, Sofia, Isabella... Ou s'était-il vraiment consolé?
Il passa machinalement sa main droite sur sa poitrine, comme sur une vieille blessure qui suppurerait encore.

La voix autoritaire de Xm le fit revenir au présent.


Mais parle! str.onzo! Gianni regimba sous l'insulte.

Hé! Du calme, bambina! Je ne suis que le messaggero, moi. Pas la peine de t'en prendre à moi, cela ne changera rien à l'affaire! Pas de ma faute à moi si tu es partie en laissant un marito et un bambino derrière toi, s'il t'a crue morte et s'il a épousé ta sorella en seconde noces! Porca madonna! Elle est bien bonne celle-là. Tu rends service aux gens et voilà comment ils te remercient...

Gianni continua à jurer et à maugréer un bon moment, passant en revue tous les saints de son calendrier personnel, allant et venant devant la table sur laquelle Xm était toujours assise, accompagnant ses invectives de force gestes vindicatifs de poings levés vers le ciel et de mains tendues devant lui, quêtant la compassion de son interlocutrice pour son triste sort, vouant, en italien, aux pires tourments de l'enfer, les ingrats, les infidèles, les voleurs, les bigames, les incestueux, les femmes... surtout les femmes.

Regagnant peu à peu son calme il se rendit soudain compte de l'énormité de la nouvelle qu'il venait d'asséner sans ménagements à son amie. Son mari avait épousé sa soeur en secondes noces, ignorant qu'elle était toujours vivante.
Xm se tenait raide, livide, les yeux fixes, la bouche entrouverte comme pour laisser passer un cri qui ne venait pas.
Gianni affolé se précipita vers elle, lui prit la main qu'il tapota maladroitement, l'appela, lui tapota la joue. Xm était sans réaction, elle semblait sur le point de s'évanouir et de s'affaisser sur le sol. Gianni la rattrapa in extrémis et passant un bras sous ses aisselles et l'autre sous ses genoux il la souleva de la table et jeta un regard circulaire dans la pièce à la recherche d'un banc ou d'un galetas où allonger son amie. Ne trouvant rien à sa convenance il avisa la première porte, qu'il poussa et qui se trouva être celle de la chambre que Gyllaume avait mis à la disposition de son invitée.
Il allongea Xm sur le lit qui s'y recroquevilla, les genoux remontés contre la poitrine. De douloureux sanglots commençaient à la secouer et elle frissonnait lamentablement.
Gianni, pris de pitié s'allongea à côté d'elle et la prit dans ses bras. Il berçait son amie comme il l'aurait fait d'un petit enfant malade, caressant ses cheveux et déposant des baisers légers sur son front.

Xm engloutie dans son chagrin recevait sans les sentir ces marques de compassion. Gianni baisait doucement son front ses paupières salées de larmes, puis à mesure que Xm tournait vers lui son visage, ses joues, puis ses lèvres et peu à peu ses baisers se prolongèrent et se firent plus insistants.
Xm tout d'abord indifférente, comme absente, finit par y répondre, tout d'abord hésitante, puis de plus en plus passionnée et exigeante.

Gianni soudain saisi d'un scrupule, s'écarta un instant de Xm qui s'était entre temps retournée et qui avait enserré ses jambes dans les siennes.

Cara, je sais que tu m'aimes bien et moi aussi, ti voglio bene, murmura-t-il, le souffle déjà oppressé par le désir qui s'éveillait en lui. Mais demain, il se pourrait bien que tu le regrettes...

Xm se serra davantage contre son ancien amant.

Alors là... répondit-elle en lui offrant à nouveau ses lèvres, si tu savais comme je m'en fiche!

Gianni n'en demandait pas plus pour se laisser convaincre. Après tout demain serait un autre jour...**



*pour tout savoir sur cette partir de la vie de Xm, lire "A toi mon fils, où que tu sois... Journal intime de Xm" actuellement sur RPartage...

** meuh non je ne plagie pas: juste une petit clin d'oeil à Scarlet et à Rhett

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