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[RP privé] Passage to Lausanne

Xmanfe1999
A la pointe du jour, Gyllaume avait fini par rejoindre ses pénates.
La soirée s’était terminée sans qu'il voie réapparaître Xm ou son étrange compagnon à la taverne, aussi, après bien des hésitations, avait-il décidé de rentrer, malgré son vœu de ne pas s’immiscer dans la vie d'une femme qu'il ne connaissait après tout que de la veille.

Il trouva la porte d'entrée déverrouillée, entra dans la maison, s'avança dans la cuisine et n'y trouva trace de personne, si ce n'est deux gobelets vides sur la table et le grand pichet complètement à sec... Eh bien!
Légèrement inquiet, il alla frapper doucement à la porte de la chambre de Xm. Pas de réponse.
Emporté par sa curiosité et soucieux du bien être de son hôtesse, il entrouvrit sans bruit le battant, qu'il referma presque immédiatement, regrettant, en honnête et droit gentilhomme qu'il était, d'avoir attenté à l'intimité d'une dame: Xm dormait profondément... nue dans les bras du soi-disant prêtre dont la soutane gisait sur le sol au pied du lit.
La porte se referma presque aussi silencieusement qu'elle s'était ouverte.
Gyllaume se retira sur la pointe des pieds dans sa propre chambre.

Dans la chambre de Xm, au moment où Gyllaume refermait la porte, Gianni remua dans son sommeil.
Sans donner à celui ou celle qui aurait pu les observer le moindre indice sur son état de veille quasi immédiate, il glissa la main sous l'oreiller pour y saisir la dague qui ne le quittait jamais. Le contact de l'acier tiédi par la chaleur du lit le rassura et il affermit sa prise sur la garde gainée de cuir. Il entrouvrit les paupières, juste assez pour jeter un regard circulaire sur la pièce, entre ses cils. Nessuno... Personne? Quelle absurdité. Xm...

Dans la lumière grise qui filtrait à travers les persiennes closes, il devinait, plus qu'il ne la voyait, sa silhouette endormie. Le dos tourné vers lui, elle reposait sur son côté gauche, blottie contre lui dans l'émouvant abandon du sommeil, la main droite glissée sous sa joue, l'autre comme suspendue au dessus de sa hanche voluptueuse.

Le souffle coupé, Gianni se redressa sur un coude pour la contempler plus à son aise.

Mamma mia...
Il l'avait pourtant vue ainsi des dizaines de fois. Serrée dans ses bras, embrassée, bousculée, prise...
Il se rappelait la première fois cet hiver là, sept ans plus tôt, dans les Alpes piémontaises. La violence et la passion de leur ... il n'osait même penser le mot qui lui venait à l'esprit.
L'aube presque virginale de ce matin de janvier 1457 était à des milliers de lieues de cette ... « rencontre » et son seul souvenir aurait pu en ternir l'éblouissante épiphanie.

Incrédule devant sa découverte Gianni laissa échapper un soupir étranglé.
Xm remua imperceptiblement et émit un petit ronflement.
Submergé par une vague incompréhensible de tendresse, Gianni se rallongea aux côtés de... sa maîtresse? Il n'osait penser à elle dans ces termes.
Lui qui l'aurait la veille renversée sans scrupule sur une botte de paille, il était là, respirant à peine, tremblant de la réveiller, paniquant à l'idée qu'elle le haïsse en le trouvant ce matin à côté d'elle, la bouche amère et la tête lourde du vin de leur hôte.
Mais non... ce n'était pas possible.
Elle avait forcément senti la même chose que lui... Au delà de la fulgurance du plaisir qui l'avait transpercé avec une intensité inouïe, il s'était senti saisi comme par un poing de fer. De son ventre, de ses nerfs, de sa chair il avait voulu la faire sienne et elle avait répondu à son étreinte. Ses barrières, ses peurs, ses craintes s'étaient effondrées les unes après les autres et elle s'était abandonnée... Elle aussi. Pouvait-il en être autrement ?
Un doute intolérable agaçait la conscience de Gianni comme l’arrière goût métallique d'un gobelet oxydé gâchant le meilleur nectar.
Et si?
Gianni déglutit difficilement.
Et si rien de tout ça n'avait été réel? Et si cet abandon n'avait été que le fruit de leur ivresse ? Et si... Et s’il était seul à aimer?

Gianni ferma les yeux et enfouit son visage dans la chevelure emmêlée de son amante.
Une sensation inconnue lui serrait la gorge, lui chatouillait le nez, lui piquait les yeux. Miarda! C’était grotesque. Voilà qu'il se mettait à pleurer comme un co.glione.
Un mélange inédit de douleur, de désir, de doute, de tendresse, de passion se bousculait dans son cœur de canaille solitaire.
Pour rien au monde il n'aurait voulu que cela continue. Bien trop compliqué.
Pour rien au monde il n'aurait voulu que cela cesse. La vie sans elle?

La main nerveuse de Gianni effleurait sans oser le toucher le dos svelte de sa belle. Un étrange sentiment de compassion, mêlé de répulsion et de révolte le saisit une nouvelle fois à la vue du réseau de fines cicatrices rosées qui marquait la peau autrement sans défaut de la jeune femme. Il soupira à nouveau.
Plaisir et douleur, cela semblait être la clef de bien des énigmes. Il avait l’impression maintenant d’en saisir toute la complexité. Que la douleur soit physique ou morale. Tout comme le plaisir d'ailleurs.

Après l'amour, ils avaient parlé pendant des heures.
Xm lui avait tout raconté : Gênes, le franciscain, son impuissance à la soigner, son incroyable quête à la recherche d'un vénérable moine médecin dans un pays lointain dont elle n'avait jamais entendu parler: le Cathay!
Gianni l'avait écoutée, fasciné.
Le Cathay, Fra Buffo en parlait quand il lisait aux hommes pour les distraire lors des longues nuits de veille en hiver "la Description du monde" de ce fêlé de Vénitien... comment s'appelait-il encore? Marco Polo?
A un moment, affamé, il s'était levé et était allé à pas de loup chercher quelque chose à manger à la cuisine. Bredouille, il était revenu et s'était recouché glacé aux côtés de Xm, et s'était gorgé de son parfum, de sa peau, de sa douceur sans pouvoir s'en rassasier.
Ils avaient parlé encore. Après le Cathay, il y avait eu les Japons où Xm avait séjourné trois longues années.
Perdu aux confins du monde connu et inconnu, à la limite de ce qu'il était capable d'entendre et de comprendre, il questionna Xm encore et encore. Ces îles, était-il possible qu'il s'agisse du Cipangu?
Xm l'ignorait. Elle les avait connues sous le nom que leur donnaient les Chinois: « ri-ben-guo » : le pays de la racine du jour... Le Pays du Soleil Levant.

Emerveillé, Gianni aurait pu l'entendre parler encore mais Xm, épuisée se blottit bientôt contre lui pour dormir.
Il osa alors lui poser la question qui lui brûlait les lèvres depuis des heures:

Et ces cicatrices, cara... tu ne les avais pas autrefois... dit il gêné, à l'idée de lui déplaire.
Qui est-ce qui t'a fait ça? On dirait qu'on t'a... fouettée?

Tout contrebandier qui se respecte savait bien quelles marques laissait le fouet et les cicatrices qui couvrait le dos de Xm des épaules aux reins y ressemblaient bigrement, même si elle semblait avoir bénéficié de soins qui en avait permis l'effacement progressif.

Oh...ça... répondit-elle d'une voix endormie. C'est une longue histoire... et je ne sais pas si je vais...

Xm n'acheva pas sa phrase. Elle se pelotonna contre Gianni et ronflait doucement à peine quelques secondes plus tard.
Gianni s'installa le plus confortablement possible pour ne pas la déranger et les recouvrit de la chaude courtepointe de duvet d'oie. Son estomac gargouillait mais il en avait vu d'autre. Il s'était endormi en quelques minutes.

Et voilà que cette porte s'était entrouverte puis refermée, que la dague inutile était restée sous l'oreiller, que le jour se levait, que Xm soupirait et s'étirait... que Xm se réveillait.


Buongiorno... sourit- elle les yeux encore fermés. Bien dormi?

Oh madonna... pensa Gianni.
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Xmanfe1999
Citation:
Buongiorno... sourit elle les yeux encore fermés. Bien dormi?


Gianni resta de longues secondes interdit, incapable d'émettre le moindre son. La question, pourtant banale, lui parvenait comme à travers de multiples couches de tissu qui lui auraient bouché les oreilles. Même penser lui paraissait difficile et les seuls mots qui lui traversaient l'esprit, encore et encore étaient:

Oh madonna...

Il ne savait même pas exactement quel sens leur donner, si grande était sa confusion. Il réussit finalement à s'arracher à cette ridicule apathie et à articuler :
Si, cara, très bien. Molto bene. Grazie....

La dérisoire platitude de sa réponse le dégoûta presque. Il aurait voulu que cet instant restât gravé dans la mémoire de Xm. Et tout ce qu'il arrivait à dire dans ce moment crucial, c'était qu'il avait très bien dormi. Le pire c'est que c'était vrai.
La révélation, l'angoisse et le doute n'avaient montré leur nez qu'au réveil, quand il avait mesuré toute l'étendue des conséquences de ses actes.

Xm s'étirait, souriante, à ses côtés. Les traits à peine marqués par le manque de sommeil, elle ne semblait même pas souffrir de la sournoise migraine qui commençait à battre entre les tempes de Gianni, due à leurs généreuses libations de la nuit. Une question incongrue lui vint à l’esprit. Il se demandait si le nom curieux de « Fendant » que les Valaisans donnaient à leur vin ne venait pas plutôt de sa tendance à lui fendre le crâne qu’à celle du grain de se fendre sous les doigts, comme on le lui avait expliqué.
Il eut soudain la vision délectable d'une baie mûre à souhait, juteuse et ferme. Avec un sourire gourmand, il se pencha vers Xm pour lui donner un long baiser.

Celle-ci finit par le repousser avec un rire dont la gaité sonnait faux à l'oreille de Gianni.
Il se laissa aller sur les oreillers et les bras croisés derrière la tête, dans une pause qui, il le savait, faisait ressortir la musculature finement dessinée sous sa peau matte, il l'observa, assise dans le lit.
Elle essayait vainement de remettre de l'ordre à sa coiffure, et ses cheveux ne cessaient d'échapper au lien qu'elle tentait de nouer autour d'eux et de retomber sur son dos martyrisé.
Gianni ne put s'empêcher d'étendre la main et d'en effleurer la peau.
Xm sursauta violemment et s’éloigna un peu plus, s’asseyant au bord du mit et mettant ainsi son dos hors de portée de caresse. Elle ramassa sa chemise sur le sol et l'enfila en hâte, cachant du même coup à un Gianni dépité, les trésors veloutés qu'il aurait voulu à nouveau cajoler.

Il protesta, mi-cajolant, mi-gémissant:


Che vergogna, cara. Tu t'habilles déjà?

Il essayait de prendre un ton badin pour dissimuler son trouble mais il soupçonnait que Xm n'en était pas dupe.
D'ailleurs, la hâte de Xm à se couvrir - elle en était déjà à enfiler ses braies et ses bottes - confirmait ses pires craintes quant à son attitude concernant leurs ébats de la nuit.


Cara, rien ne presse, plaidait-il, défaisant d'un côté les liens que Xm venait d'attacher de l'autre.
Amore, parvint-il à dire sans se trahir, reviens te coucher, viens dans mes bras, angelo, il est très tôt, nous avons à peine dormi. Et puis qu'est ce qui nous oblige à nous lever, de toutes façons?

L'insistance de Gianni finit par sembler suspecte à Xm, qui finissait de nouer les aiguillettes de ses braies et stoppa net.

Qu'est-ce qu'il y a, Gianni, lui demanda-t-elle, en lui lançant un regard en coin, tâchant de déchiffrer qui, de son sourire narquois ou de ses yeux au regard d'un sérieux inhabituel, était celui qui disait la vérité.

Che t'arriva?

La question, aussi anodine fut-elle, suffit à faire s'écrouler tous les espoirs de Gianni. Il décida, malgré la boule qui se formait dans sa gorge, de n'en laisser rien paraître et de se tirer de cette douloureuse impasse avec panache. Comme toujours. Le sel de la désillusion lui brûlait les paupières mais il ne se départirait pas de son sourire.

Rien, j'ai encore envie de toi, bella, est-ce un crime?

Il attrapa Xm par l'épaule et la renversa sur le lit.
Dénouant prestement les liens de sa chemise et glissant sa main sous le fin tissu blanc il empauma un sein qui frissonna, tandis que de ses lèvres il chatouillait le fin duvet entre son oreille et sa nuque.


Allons... tu ne peux pas partir si vite, tu vois bien. Tu n’es pas prête d’être débarrassé de moi…
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Le soleil de l'après midi s'insinuant entre les lames des volets les avait trouvés encore enlacés.
Gianni, de plus en plus troublé, ébloui, ébranlé.
Xm surprise et déstabilisée de ne pas ressentir davantage de culpabilité à goûter encore et encore à la félicité dans les bras de son ancien complice*.

A un moment, ils avaient entendu la porte de la maison se refermer assez bruyamment. Gyllaume leur signalait ainsi qu'ils avaient le champ libre et qu'ils pouvaient sortir de leur tanière pour se sustenter.
Xm réalisa avec embarras qu’il avait été dans la maison pendant toute la journée.
Pour dire vrai, ils mouraient de faim et dès que la porte se fut refermée et qu'ils eurent laissé passer un délai raisonnable pour être sûrs que leur hôte ne reviendrait pas, ils se précipitèrent dans la pièce principale pour tâcher d'y glaner quelque quignon pour apaiser leur appétit.

Gianni drapé dans le drap tel un Athénien, Xm plus simplement vêtue de sa chemise qui la couvrait jusqu'à mi-cuisse, ils firent irruption dans la pièce et y trouvèrent la table mise pour deux, du pain frais, du beurre et du miel, des fruits secs et du vin chaud encore fumant et fleurant bon les épices, cannelle, badiane et clou de girofle. Un feu crépitait haut et clair dans l'âtre.
Xm se demanda comment Gyllaume pouvait avoir encore envie de leur faire plaisir en gaspillant pour eux ces trésors, alors qu'ils l'avaient proprement chassé de chez lui.
Elle s'émut de cette délicatesse et s'attabla avec un entrain juvénile, s'installant à califourchon sur le banc.
Gianni s'assit de même en face d'elle, sa main effleurant la cuisse douce découverte sous la chemise.
Xm versa un bol de vin chaud épicé à Gianni, elle souffla dessus avant de le lui tendre.
Gianni prit le bol des mains de Xm sans la quitter des yeux. C'était le moment.


Xm, je crois qu'il faut qu'on parle, cara.

L'ombre d'un soulagement traversa le visage de Xm, transperçant du même coup le cœur du bandit amoureux.

Je ne savais pas comment te le dire, carissimo. Tu l'as deviné, n'est ce pas?

Gianni acquiesça.

Tu as quelqu'un, c'est ça? Pas de problème, angelo. Sei una donna libera. Il tuo marito ha due donne!** Il est bigame... C'est bien ça le mot? Pourquoi toi tu n'aurais pas un amant... Même plusieurs si ça te chante?

Malgré toutes les précautions qu'il prenait pour ne pas laisser paraître ses sentiments, Gianni sentait percer une amertume teintée de jalousie.

Qui était cette homme?

Et en même temps que sa jalousie s'entretenait du fait qu'il ignorait qui pouvait être l'amant de Xm, il ressentait une satisfaction un peu perverse, une joie malsaine à lui avoir ravi sa maîtresse ne serait-ce que pour une nuit.


Te voilà cornutto. Bien fait pour toi, "termine offensivo"***. songeait-il avec une méchanceté douloureuse.

Il s'absorba dans la dégustation de son bol de vin chaud, laissant le liquide brûlant, sucré et très épicé couler avec délice dans sa gorge. Fermant les yeux, il essaya de laisser couler la colère et la déception pour éviter de trop perdre la face dans ce qui allait suivre.

Xm le tira de sa rêverie.


Je dois rentrer à Genève, Gianni. Ma vie est là bas, caro. Si je t'ai demandé de trouver ces renseignements sur mon époux et mon fils... en fait... je ne sais pas. Je croyais au début que c'était , si cela était possible après si longtemps, pour pouvoir reprendre ma place auprès d'eux.

Xm marqua une pause. Elle aussi soufflait sur son bol de vin chaud pour se donner contenance.

En fait, je ne sais plus. Maintenant que tu m'as dis que Wilhelm avait épousé ma sœur, et que donc mon fils bien aimé bénéficiait de la véritable affection d'une marâtre bienveillante, je m'interroge... Même si j'ai honte de m'interroger.

La jeune femme leva les yeux de son bol et surpris une expression d'une tendresse et d'une compassion inusitée sur les traits de son vieil ami. Prenant conscience du regard étonné de Xm, celui ci reprit son masque habituel, d'ironie et de léger sarcasme.

Pourquoi honte, bella. La vie est ainsi faite. Qui va à la chasse perd sa place. Tu l'as perdue, non è più complicato di quello!****

Gianni pour sa part savait pertinemment que sa place était bel et bien prise.
Cependant, la perspective de ne plus revoir Xm commençait à faire en lui un travail de sape lancinant.
Tout en beurrant et en enduisant de miel de larges tranches de pain pour sa bien aimée, il cherchait désespérément un moyen de maintenir un contact, aussi ténu soit-il avec celle qui, d'une manière totalement inattendue, avait ravi son cœur.
Xm, gourmande, dégustait son vin chaud. Silencieuse depuis la dernière remarque de Gianni elle essayait d'atténuer sa gêne par des banalités.


Il est vraiment bon, cet hypocras, tu ne trouves pas, caro? Je me demande ce qui a pris à Gyllaume de nous gâter ainsi? Du clou de girofle, de la cannelle! Tu te rends compte! Il est fou. Où a-t-il trouvé ces trésors? Je n'en ai encore jamais trouvé depuis que je suis arrivée en Helvétie.

La solution à tous ses problèmes percuta Gianni de plein fouet comme un coup de tonnerre. C'était tellement évident! Il remercia le dieu des voleurs dont Xm lui avait parlé des années auparavant et dont il avait oublié le nom, de lui souffler cette idée géniale.

Vraiment? Pas de poivre, pas de cannelle, de gingembre ou d'anis sur les marché de la confédération?

Mordant dans sa troisième tartine, Xm lui fit signe que non. Une goutte de miel perlait sur son menton. Gianni se pencha pour l'essuyer du bout de la langue. Xm le repoussa en riant. Elle se sentait à nouveau en confiance. Si Gianni recommençait à parler affaires, tout allait bien. L'inquiétante douceur qu'elle avait lu sur son visage tout à l'heure n'avait peut-être été qu'une illusion, une ombre projetée par le soleil rasant de cette fin d'après midi d'hiver...Elle sourit.

Dis-moi, carissima, tu ne m'as pas dit que tu tenais une herboristerie à Genève?

Xm approuva de la tête, lampant les dernières gouttes de vin chaud de son bol.

Ça te dirait d'ajouter quelques nouveaux articles à ton inventaire?

Xm reposa son bol vide.

J'allais justement te le proposer. Associé?

Gianni tendit la main.

Tope la, socia!

Décidément la vie était trop belle. Le ciel qui s'était voilé de gros nuages noirs semblait soudain se dégager. Le « cornutto » de Genève n'avait qu'à bien se tenir. Gianni pensa, avec raison: Tanto qu' ci è della vita, c'è di l' speranza*****.

Marquant une croix sur la croûte de la lame de son couteau, il attaqua la deuxième miche avec ardeur.




*Pour ceux qui l'aurait oublié ce récit se situe entre Noel et l'Epiphanie. A cette époque, Xm entamait une liaison passionnée avec le futur avoyer, Méliandulys.

** tu es une femme libre. Ton mari a deux femmes.
*** cocu, [...] con*ard
**** ce n'est pas plus compliqué que cela!
***** tant qu'il y a de la vie, il y a de l'espoir!

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La collation avait traîné en longueur et ce n'est qu'à la nuit tombée que Gianni et Xm avait regagné la chambre pour faire leurs préparatifs de départ. Gianni avait bien tenté d'entraîner à nouveau la jeune femme vers le lit, mais elle s'était montrée intraitable et il avait fini, résigné, par l'aider à endosser sa tenue de voyage. Il avait même tenu à l'aider à démêler ses cheveux et à les tresser en natte serrée pour les dissimuler sous le chapeau à larges bords. Xm avait rit de cette attention dont elle n'avait plus bénéficié depuis bien longtemps, excepté quelques jours plus tôt à Lausanne, quand Malika l'avait baignée, massée et coiffée...
Les mains adroites de Gianni avaient démêlé avec douceur l'écheveau soyeux et une fois la tresse achevée il l'avait nouée d'un lien de cuir. De son côté, bien que Xm l'ait regardé faire avec désapprobation, Gianni avait revêtu sa tenue de prêtre.

Gyllaume était revenu quelques instants plus tard, comme alerté de leur intention de prendre la route. Il considéra les deux associés avec une sollicitude inchangée, à l'égard de Xm et une méfiance accrue, à l'égard de Gianni.


Je ne saurai trop vous remercier de votre hospitalité, signor Gyllaume, sourit Gianni en tendant la main à leur hôte.
Nous avons, ma chère amie Xm et moi grandement apprécié votre bienveillance et votre générosité. Si d'aventure il vous arrivait de devoir traverser les Alpes, sachez qu'en annonçant mon nom, vous serez sûr de n'être inquiété par... aïe ...
Xm venait de lui envoyer un discret coup de coude dans les côtes... hum... inquiétés par personne. Gianni di Reggio est craint et respecté dans toute la Lombardie, l'Ombrie, la Ligurie, la Véné... Aïe!
Cette fois c'était une pointe de botte qui venait de faire connaissance avec son mollet.

Gyllaume, le sourcil levé accepta la main tendue, sans pour autant se départir de l'expression circonspecte que son visage prenait presque instantanément à la vue de l'intarissable italien.

Xm, à son tour, loua l'accueil en tous points inégalable de son hôte de deux nuits. Celui-ci retrouva le sourire en l'écoutant et fit mine de céder à un élan spontané pour la serrer un instant contre son cœur. Il en profita pour lui souffler à l'oreille:
Soyez prudente, ce faux frère ne me dit rien qui vaille...

Xm rendit son embrassade à Gyllaume et lui répondit sur le même ton:

N'ayez crainte, je ne serai nulle part plus en sécurité qu'avec lui... Mais...je n'en dirais pas autant de lui!

Gyllaume, surprit regarda Xm. Elle lui sourit et le gratifia d'un clin d'oeil.

Si vous passez par Genève, cher ami, conclut Xm, ne manquez pas de me rendre visite.

Gyllaume opina. Je vous le promets chère dame.

Avec un grand claquement de main, qui les fit sursauter tous les deux, Gianni donna le signal du départ.

Alora, siamo pronti*? interrogea Gianni.

Ramassant sa besace son épée et son bouclier, Xm sourit à Gyllaume et se tourna vers son vieil ami pour lui répondre:

Si, Gianni, andiamo*.

Siamo pronti? Somme-nous prêts?
Si, Gianni, andiamo! Si, Gianni allons-y!

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Le voyage de retour vers Genève avait été bien moins monotone que l'aller.
L'hiver semblait avoir accepté une trêve et ainsi, Xm et son compagnon inattendu n'avaient pas eu besoin de dépenser les quelques écus qu'ils avaient en poche. Avec le sac de nourriture que leur avait donné Gyllaume, ils avaient largement de quoi tenir une semaine, à condition de ne pas gaspiller. Ils se contentèrent donc de faire halte dans les granges isolées qu'ils trouvaient sur leur route. La plupart d'entre elles, en ce début d'hiver, étaient encore bien pourvue en fourrage, ce qui leur permettait, une fois leurs chevaux nourris, moyennant une petite pièce qu'ils laissaient en évidence pour dédommager le paysan de leur modeste prélèvement, de dormir au chaud et au sec.

A plusieurs reprises, Gianni avait tenté de retrouver l'intimité qu'il avait partagée avec Xm lors de cette nuit magique à Sion. Par des regards, des mots, des caresses esquissées, gentiment mais fermement repoussées par Xm, il avait sans succès essayé de recréer l'embrasement de désir qui les avait réunis l'espace d'une nuit et de presque un jour. Mais rien n'y faisait.
Enroulée dans sa couverture, la tête posée sur la selle de son cheval Xm dormait en lui tournant le dos et Gianni passait des heures à l'écouter respirer et parler doucement dans son sommeil. Il lui sembla l'entendre répéter souvent un nom... Hakim.

Gianni avait assez souvent eu affaire à des pirates barbaresques pour reconnaître un prénom arabe quand il en entendait un. Il s'interrogea pendant ses longues heures d'insomnie. Qui était-il? Pourquoi Xm répétait-elle son nom dans son sommeil? Pourquoi ne lui en avait -elle pas parlé?
Il est vrai que si elle s'était assez longuement épanchée sur son séjour en Asie, bien qu'elle soit restée assez évasive sur des pans de son histoire qu'il ne parvenait pas à remettre en ordre, son séjour à Damas, qui avait pourtant, d'après ses calculs sommaires, duré pas moins de deux ans, restait voilé d'un profond mystère, comme si Xm préférait éviter le sujet. A chaque fois qu'il avait souhaité orienter la conversation vers cet épisode de sa vie, Xm avait habilement éludé ses questions, changé de sujet , voire carrément ignoré ses interrogations.

Une fin d'après midi maussade, ils chevauchaient en silence depuis des heures entre Fribourg et Lausanne. La journée, désespérément grise et humide avait semblé interminable à Gianni. En effet la nuit précédente, il avait encore entendu Xm répéter ce nom encore et encore. Elle avait même gémi et grincé des dents dans son sommeil, si bien que l'italien avait été à deux doigts de réveiller Xm pour la tirer de ce qui ressemblait à un cauchemar. Mais une caresse légère sur ses cheveux avait suffit à l'apaiser et le reste de la nuit s'était écoulé dans le calme limpide d'une nuit d'hiver, troublé seulement par le bruit rassurant des cheavaux qui bronchaient doucement dans leur sommeil.
Gianni cependant ne ferma pas l'oeil. Le lendemain, donc, alors qu'ils laissaient leurs chevaux récupérer au pas, après un long galop à travers la campagne, Gianni, épuisé et de mauvaise humeur, n'y tenant plus, jeta tout à trac au visage de Xm:


Dimmi, cara. * Ce Hakim, qui est-ce?

Interdite, Xm tira brusqement sur les rênes de son cheval, qui peu habitué à ce genre de traitement protesta en secouant violemment la tête.
Elle regarda Gianni, les sourcils froncés. Il était évident qu'elle avait parlé dans son sommeil car comment aurait-il pu connaître ce nom autrement?
Elle hésita un instant sur la conduite à tenir, mais il était tout aussi évident que cette fois, Gianni n'allait pas se contenter de faux fuyants. Elle soupira mais lui répondit doucement:


Ah caro, aspettavo che tu mi ponga la domanda...**
Elle soupira encore.
Je te préviens, si je commences à t'expliquer, cela risque d'être long.

Gianni eut un sourire d'encouragement.
Non ti inquieti, cara.*** J'adore les très longues histoires...

Avisant à quelque distance de là en haut d'une colline, une grange qui semblait abandonnée, Gianni fit avancer sa monture d'une légère pression des genoux.

Guarda!**** Je crois que nous allons pouvoir nous arrêter là un moment.
Si nous faisions un bon feu? Je me sens d'humeur à t'écouter toute la nuit.


Il clapa de la langue pour encourager son cheval à grimper la petite montée jusqu'à la grange. Xm talonna le sien et le suivit au petit trot.



pour les non italianisants:
Dimmi, cara : dis-moi chérie...
Aspettavo che tu mi ponga la domanda: j'attendais que tu me poses la question.
Non ti inquieti , cara : Ne t'nquiète pas, chérie
Guarda! : Regarde

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La grange était vaste et déserte. Elle contenait toutefois assez de fourrage pour nourrir ce soir leur deux chevaux, qu'ils rentrèrent, pansèrent et qui s'absorbèrent immédiatement dans la tâche de mastiquer pensivement leur ration.
Elle fournirait également à Xm et à son compagnon de voyage, une paillasse chaude et confortable. Quelqu'un avait laissé soigneusement empilé contre le mur une petite provision de bois sec. Il trainait même dans un coin un petit chaudron que Xm s'empressa d'aller remplir d'eau à la citerne qu'elle avait trouvé derrière le bâtiment en en faisant le tour pour s'assurer que tout était tranquille.
A sa grande surprise, Xm découvrit un petit appentis, invisible depuis le bas de la colline, qui jouxtait le bâtiment principal, sans doute un atelier de maréchal ferrant, car même si les outils en avaient disparu, il restait un foyer de forge et les vestiges d'un énorme soufflet de cuir dont la corde s'effilochait. Xm et Gianni s'en servirent comme de l'étoupe pour allumer un petit feu pour se faire un peu de soupe avec le lard et les fèves sèches que Gyllaume leur avait donnés.
Un fois le feu allumé et en attendant que leur soupe cuise, les voyageurs s'installèrent sur un banc qu'ils avaient trouvé poussé dans un angle de la petite pièce, blottis sous la même couverture, pour se tenir chaud.
Le regard perdu dans les flammes Xm semblait plongée dans une sorte d'hypnose dont Gianni hésitait à la sortir. Au bout de quelques minutes, il se décida cependant à lui demander:


Alora, bella, tu me la contes ton histoire?
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Xm réagit à la question comme si on l'avait piquée du bout du dague. D'un bond elle fut sur ses pieds laissant Gianni ébahi sur le banc. Pour se donner une contenance, elle alla touiller la soupe qui bouillonnait en commençant à répandre un fumet appétissant. Au bout de cinq bonnes minutes de touillage frénétique, elle posa enfin la cuillère et planta son regard d'obsidienne dans celui de son compagnon.

Mon histoire...
Elle prit une grande inspiration.
Mon histoire.

J'ai du mal à croire que tout cela me soit arrivé à moi. J'ai parfois l'impression que c'est arrivé à quelqu'un d'autre. En quelque sorte, c'est arrivé à quelqu'un d'autre. Comme toi, tu n'es plus le même Gianni que celui que j'ai connu il y a huit ans.


Gianni ouvrit la bouche pour répondre mais devant les yeux scrutateurs de Xm, il préféra ne rien dire. Elle l'avait sans nul doute percé à jour. Il se sentit rougir jusqu'à la racine des cheveux. Xm eut un sourire espiègle qui eut pour effet de chavirer encore un peu plus le cœur de son interlocuteur.

La soupe est prête, je te raconterai en mangeant.

Tout en continuant à observer Gianni avec attention, Xm pêcha deux écuelles de bois dans le paquetage que Gyllaume leur avait préparé. Elle coupa deux tranches de pain et distribua les cuillers. Gianni était heureux de trouver un dérivatif à son embarras dans le spectacle de ces activités simples.

La soupe était rustique mais délicieuse. Xm tira, pour s'asseoir en face de Gianni, près de l'établi, un billot qui trainait dans un coin. Elle plongea sa cuiller dans la soupe mais la reposa sans l'avoir goûtée.


Tu te souviens quand je t'ai parlé de mon départ des Japons? demanda-t-elle à Gianni qui, la bouche pleine opina du chef pour acquiescer.

Évidemment, qu'il s'en souvenait. Comment aurait-il pu oublier un récit si captivant? Il n'avait pas tout compris des explications de Xm, qui pour tout dire, lui avaient parfois paru être des élucubrations. Il avait cru remarquer aussi qu'elle passait sous silence les circonstances de son départ. En effet, pourquoi quitter ce pays où elle avait semble-t-il trouvé le bonheur? Cela resterait un mystère tant que Xm n'aurait pas décidé de lui en parler. Pour l'heure, il se contenterait d'apprendre ce qu'elle avait à dire concernant son voyage de retour. Il déglutit difficilement une grosse bouchée de pain et de soupe.

Pour sûr que je m'en souviens et...

Xm leva la main pour intimer le silence à son ami. Sa question, purement rhétorique, n'était en fait qu'une entrée en matière. Elle savait que si elle laissait Gianni parler, il serait question de tout sauf de ce qu'elle avait effectivement décidé de lui révéler. Son esprit curieux fonctionnait par associations, il posait sans cesse des questions, retenait toutes les réponses et ensuite assemblait les bribes disparates en une mosaïque logique et vivace qui lui apportait des connaissances bien plus vastes que son incapacité à lire et à écrire ne le laissait soupçonner. Xm avait toujours été impressionnée par son extraordinaire esprit de synthèse.
Gianni la regardait avec attention. Elle goûtait intensément le plaisir de le sentir suspendu à ses lèvres, cela lui rappelait les nuits passées auprès de Hakim, à lui raconter la vie aux Japons.
Elle secoua la tête pour revenir à l'instant présent.


Eh bien, reprit-elle. Quand la galère de mon...elle hésita sur le terme à employer. Ami? Amant? Elle finit par opter pour "maître". C'était finalement le plus approprié.

Quand la galère de mon maître Saburo m'eût déposée sur l'île de Ou Mun, au large des côtes de l'empire du Cathay, j'ai erré quelques heures sur les quais...
Le port était l'un des plus actifs qu'il m'ait jamais été donné de voir. Toutes sortes de navires s'y frottaient les uns aux autres. Des jonques , des sampans -
Gianni la regardait sans comprendre mais s'imaginait qu'ils s'agissait de bateaux asiatiques - mais aussi des chébecs, des boutres, et même d'énormes baggala.

Gianni était tellement abasourdi qu'il en avait lui aussi oublié sa soupe et regardait Xm bouche bée. Elle rit en lisant l'étonnement qui figeait son visage en une mimique incrédule.

Moi non plus je ne connaissais aucun de ces mots à cette époque. J'ai beaucoup appris depuis dans la bibliothèque de Hakim, justement...

Ce fut au tour de Gianni de secouer la tête pour s'assurer qu'il ne rêvait pas. Xm en profita pour avaler un morceau de pain et une cuillerée de soupe. Elle mastiqua lentement et accompagna sa première bouchée d'une gorgée de vin qu'elle lampa directement à l'outre généreusement allouée par Gyllaume. Elle clapa la lague pour en apprécier le bouquet, un peu gaché par son contenant, mais bon, à cheval donné on ne regarde pas les dents. Elle passa l'outre à Gianni qui semblait sur des charbons ardents, tant l'impatience d'entendre la suite le tenaillait. Il but longuement, reboucha l'outre, qu'il posa sur la table devant lui.
Xm reprit son récit.


Le port grouillait de monde. Des files interminables d'hommes vêtus de toutes sortes de costumes, plus ou moins vêtus, d'ailleurs, selon leur condition et leur occupation, s'étiraient le long des navires pour charger ou décharger les cales qui débordaient des marchandises les plus diverses. Soieries, épices, animaux vivants ou peaux, défenses et ivoire, bois précieux, lingots de métaux et aussi esclaves...

Gianni eut un regard surpris. Bien qu'ayant été en contact avec de nombreux marchands venus des quatre coins des terres connues, pour une raison obscure, il ne s'imaginait pas que l'esclavage eut cours dans ces contrées éloignées. Xm parut s'assombrir un instant à l'évocation de ce souvenir.

Des hommes et des femmes, aussi noirs que l'ébène, nus ou presque, étaient débarqués de navires dont j'appris plus tard qu'ils venaient de Zanzibar.

Gianni réagit comme s'il retrouvait enfin pied après avoir vainement tenté pendant de longues minutes de ne pas se noyer. Zanzibar. Voilà un nom qu'il reconnaissait. Il sourit, satisfait. Xm poursuivit.

Les hommes qui les menaient, armés de longues dagues recourbées aux poignées ouvragées, les tiraient les uns derrière les autres, attachés par le cou, avec pour certains une sorte de joug de bois qui leur immobilisait les mains de part et d'autre de la tête. Certains, les plus alertes et les plus forts, à ce qu'il me sembla, étaient également entravés et peinaient à suivre le train de leurs compagnons. J'étais fascinée. Si je connaissais l'existence des Nubiens par les récits des historiens romains que j'avais lus sur les conseils de mon précepteur, je n'en avais jamais vus et je ne pouvais m'empêcher d'admirer la musculature puissante des hommes et la grâce féline et la peau sombre et satinée des femmes...

Xm s'interrompit un instant. Les yeux papillonnants comme si elle se retrouvait huit ans en en arrière, éblouie par les reflets du soleil sur le bassin du port, étourdie par les odeurs, les couleurs, les cris et les chants rythmés des esclaves que l'on emmenait au marché.

Si j'avais su... murmura-t-elle.

Gianni fronça les sourcils. C'est à peine s'il avait entendu ce que Xm venait de souffler pour elle même, mais son expression rêveuse qui soudain s'était comme couverte d'un voile sombre provoqua chez lui un sourd malaise, teinté cependant d'une irrépressible curiosité.

Si tu avais su quoi? osa-t-il demander. A peine la question posée, il aurait pu se mordre la langue pour s'apprendre lui-même à être plus patient. Xm sortit de sa rêverie et eut un sourire étrange.

Tu aimerais bien le savoir, hein?

Devant la mine dépitée de Gianni, elle ne put s'empêcher d'éclater de rire.

Allons, je vais te raconter la suite tout à l'heure. Finissons notre repas et allons nous installer pour la nuit. Tu sauras bientôt tout ce que tu veux savoir sur moi... et peut-être davantage.

Son intérêt piqué au vif par cette remarque, Gianni attaqua avec entrain son assiette de soupe. Elle était froide, mais peu lui importait. Il savait que la nuit allait être longue. Et passionnante.
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Leur repas terminé, Xm et Gianni lavèrent sommairement leurs écuelles à l'eau d'une citerne dans laquelle se déversait l'eau de pluie recueillie par le grand toit de lauzes.
Puis, Gianni recouvrit soigneusement les braises dans le foyer de la forge pour n'avoir qu'à les ranimer le lendemain matin.
Xm de son côté s'était déjà débarrassée de ses bottes et attendait son compagnon de voyage, confortablement nichée dans la paille qu'elle avait généreusement recouverte de foin pour le confort. Enroulés dans leurs couvertures de voyage, ils seraient parfaitement à l'aise pour discuter et pour dormir.
Une lanterne sourde, que Xm avait trouvé posée sur un appui de fenêtre, avec un moignon de chandelle, les éclairerait chichement, sans risquer de mettre le feu à la grange.
Les animaux mâchonnaient tranquillement leur pitance et leur odeur et leur respiration chaude apaisaient Xm. Pour un peu, elle aurait fermé les yeux et se serait endormie, dans ses souvenirs colorés et épicés de Chine. Mais Gianni, arrivant à ce moment, après avoir fait un dernier tour d'inspection, la tira de sa torpeur en se laissant tomber dans la paille à côté d'elle.

Hé, cara, si tu crois que tu vas t'en tirer comme ça! Depuis le temps que tu me lanternes. Je veux tout savoir maintenant. Non addormentati*! Ne t'endors pas!
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L'impatience de Gianni était flagrante, aussi Xm décida-t-elle de le laisser encore un peu mariner dans son jus.
Elle avait acquis au contact de Hakim l'art subtil de prolonger l'attente, de souffler le chaud et le froid, de satisfaire à moitié pour éviter de lasser tout à fait, d'exaspérer un peu pour entretenir le désir tout en muselant la frustration.
Les yeux à demi fermés dans son douillet nid de paille et de foin elle lui répondit d'une voix languissante, comme sur le point de s'endormir.


Mmmm tu disais?

Elle essayait de ne pas rire,mais la curiosité qui tenaillait Gianni depuis leurs retrouvailles lui causait un amusement teinté parfois d'agacement. Mais ce soir là, elle se sentait en verve.

Elle rouvrit les yeux pour découvrir Gianni allongé maintenant lui aussi dans un creux qu'il avait ménagé tout près d'elle, chaudement enroulé dans sa couverture, avec à portée de main une outre de vin, au cas où leur longue conversation nocturne leur donnerait soif. Xm sourit et pinça gentiment le bout du nez de Gianni.

Ne fais pas cette tête là, je vais te la raconter la suite...

Xm se redressa un peu dans son nid de paille, car bien qu'elle ait feint de s'endormir quelques minutes plus tôt, la fatigue accumulée du voyage menaçait de prendre le dessus sur sa volonté de soulager l'insatiable curiosité de son ami si elle restait allongée.


A force d'errer dans le port avec mes vêtements nippons et mon baluchon sur le dos, je finis par attirer l'attention des marchands qui surveillaient le débarquement de leurs cargaisons. L'état d'hébétude dans lequel je me trouvais après ma fuite des Japons...
Xm suspendit un instant sa phrase pour faire signe à Gianni de ne point l'interrompre... mon état quasi second m'empêcha de remarquer l'intérêt que suscitait ma présence sur les quais. A la vérité, lorsque j'y ai repensé par la suite, l'arrivée et le départ précipité de la galère qui m'avait amenée dans le "Port de la Baie" avaient à eux seuls causé une certaine agitation sur le môle. L'ordonnancement impeccable du gréement et l'ensemble parfait avec le quel l'équipage maniait les avirons étaient sans doute pour quelque chose dans l'étonnement des badauds, mais mon air hagard et les vêtements éclaboussés de sang que j'avais refusé de quitter depuis mon départ d'Osaka avaient fini de faire de moi le centre d'intérêt du port, au moins pour la matinée...

Xm s'interrompit un moment le temps de prendre une gorgée de vin. Gianni ne la quittait pas des yeux, les lèvres entrouvertes, le souffle à peine perceptible, de peur que le moindre son de sa part rompe le charme et sorte la jeune femme de son flot de souvenirs.

J'étais debout sur le quai à observer depuis un temps qui me semblait infini les allées et venues autour de moi. Mon balluchon, dans lequel j'avais rassemblé hâtivement mes maigres possessions avant de partir, ne cessait de glisser de mon épaule. Pourtant, le bol de céramique que Saburo m'avait légué avant de mourir, sa boite à thé en laque rouge, le coffret de bois dans lequel je rangeais mes objets rituels ne pesaient pas bien lourd. Mais le chagrin et le découragement qui m'habitaient depuis des jours, pesant impitoyablement sur tout mon corps, me laissait sans forces et sans réaction. Les hommes de Saburo avaient dû eux même me passer mon wakizashi dans ma ceinture et attacher mon katana dans mon dos.

Gianni regardait Xm sans ciller, mais il avait de plus en plus de mal à se taire. Le voyant sur des charbons ardents, Xm se redressa complètement et tendit la main vers son sac de fonte. Elle en tira un paquet long d'une quarantaine de centimètres, soigneusement enveloppé d'un carré de soie noire, qu'elle déplia sur ses genoux, devant un Gianni de plus en plus médusé.
Dans la lumière douce , le fourreau d'ébène d'une courte épée courbe luisait avec des reflets sourds. Xm saisit la garde gainée de cuir de galuchat et décorée près de sa garde de cordons de soie entrelacés et tira doucement l'arme de son fourreau. Un glissement metallique tinta aux oreille du contrebandier qui ne pouvait quitter la lame des yeux.
Xm sourit.


Voici une des seules choses que j'ai pu sauver de mon séjour au Nihon. C'est comme tu le vois une épée courbe, un sabre, qui sert... Enfin, non, je ne vais pas t'expliquer cela maintenant, sans quoi nous nous éloignerons encore de notre sujet.

Fasciné, Gianni tendit la main vers le wakizashi.

Je peux?

L'italien était grand amateur d'armes de qualité. Il lui avait été donné dans son activité "professionnelle" d'en convoyer un certain nombre, rapières de Tolède ou katzbalger d'Allemagne. Il n'en avait jamais vu dont l'acier luise de cette manière, dont le tranchant affuté avec art en produisant comme un motif de vague sur la lame semblait capable de trancher sans effort jusqu'à l'os. L'envie irrésistible de caresser le fil de cette arme à la glaciale beauté le prit soudain mais Xm arrêta son geste en saisissant son poignet. Elle reprit le sabre dégainé et, en tournant la lame vers le haut elle laissa retomber la pièce de soie légère qui l'avait enveloppée sur le tranchant. Le tissu retomba de chaque côté sur ses genoux, proprement coupé en deux sans être le monde du monde effiloché.

Cette fois, Gianni n'y tint plus.


Madonna! par quel prodige? C'est de la sorcellerie! Jamais arme de taille n'a eu pareil tranchant. Non é possibile!

Xm rengaina calmement le sabre qu'elle enroula à nouveau soigneusement dans la soie, en deux morceaux maintenant.

Cela n'a rien de surnaturel, mon ami. Au Nihon, tous les hommes de noble naissance et les femmes aussi, portent ce genre d'arme. Et encore, celle-ci n'a rien d'exceptionnel. Les meilleurs forgerons de l'empire sont capables d'en produire de bien supérieurs. Que dirais-tu si tu avais pu voir mon katana. Il était presuqe deux fois plus long et largement aussi tranchant. La tsuba (Xm désigna la partie métallique ovale qui séparait la garde de la partie tranchante de l'arme) en était en or, ciselé de la plus délicate manière. Une arme antique qui avait été léguée à mon maître par son maître et ainsi de suite depuis des générations...

Xm sourit avec amerture.

Elle gît à présent au fond de la mer d'Arabie... Mais c'est là une histoire qu'il te faudra attendre encore un peu, ajouta-elle, la voix voilée par l'émotion. La jeune femme se rallongea dans la paille et se tut.
Son insatiable compagnon protesta.


Je t'en prie, cara, ne t'arrête pas... Prego.

Mais à vrai dire la fatigue commençait pour lui aussi à se faire sentir. Il s'allongea lui aussi et tendit la main pour caresser la joue de son amie qui semblait soudain d'une humeur bien chagrine.

Ca va? souffla-t-il. Tu veux dormir?

Xm cligna des yeux sans répondre.

Tu me raconteras la suite demain? risqua-t-il.

Demain. Promis, chuchota Xm qui souffla la lanterne sourde avant de s'enfoncer davantage au chaud dans la paille.
Au bout de quelques minutes, n'entendant plus rien que le souffle régulier de sa compagne, Gianni sortit avec précaution de son trou et tendit la main vers le sac où Xm avait rangé son wakiza... comment avait-elle dit déjà? AAh madonna, la sua spada giapponese quoi... Son âme de voleur s'agitait à l'idée du profit qu'il pourrait tirer d'un tel objet sur les marchés d'armes clandestins du Levant et de la Calabre, de dizaines d'épées similaires, s'il parvenait à en trouver la source ou à en arracher le secret à la belle endormie...
A peine son esprit eut-il formulé ces pensées qu'il en ressentit un intense culpabilité qui se glaça dans son estomac quand la voix de Xm claqua dans le noir.

N'y pense même pas, amico. Si tu y touches sans ma permission, tu le regretteras. Et si tu me le voles... je te tue.
Réalisant la futilité d'une protestation, Gianni retourna penaud se recoucher. Au bout d'un moment, il osa un timide "Buena notte".
Xm ne lui répondit pas.

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La nuit fut brève et agitée pour Gianni, qui s'était un bon moment tortillé dans la paille avant de parvenir à s'endormir.
S'il était, évidemment, de par ses activités habituelles, accoutumé à dormir dans les conditions les plus difficiles, il n'avait cependant jamais apprécié le confort relatif des granges et du fourrage.
Certes, la paille était chaude et sentait bon, pourvu qu'elle ne soit pas humide, ce qui lui évoquait immanquablement celle du cachot où son père avait croupi de longs mois avant d'être finalement pendu.
Mais il y avait les rats! Madonna, comme il haïssait les rats!

Depuis son enfance calabraise et plus encore depuis qu'il fréquentait les ports, pour y trouver des marchandises intéressantes à trafiquer, son imagination s'était nourrie des récits des anciens dans son village et de ceux des marins qui racontaient, fait bizarre et inquiétant, des invasions de rats.
La peste, qui avait ravagé Gênes un peu plus de cent ans auparavant, avait, paraît-il, été annoncée par des flots de rats noirs s'échappant comme une marée des flancs de vaisseaux étranges, venus d'Orient.
De là à rendre les rats responsables de la peste il n'y avait qu'un pas, que certains franchissaient allègrement.
Gianni était de ceux là et son aversion, bien que maîtrisée par la raison, avait toujours été la cause d'une certaine ironie de la part de ses hommes.


Allons donc, capo, disaient- ils, quand ils le voyaient se lancer dans une chasse quasi obsessionnelle. Les rats, c'est comme les loups, il y en a partout! Tu ne peux les tuer tous!

Il était bien obligé d'admettre qu'ils avaient raison.
Les rats faisaient partie du monde comme les colombes, comme bien d'autres choses encore, belles et bonnes, ou laides et mauvaises.

Gianni fut tiré de son demi-sommeil par un grattement dans la charpente. Il se tourna vers Xm, dont un rayon de lune éclairait le pâle visage endormi. Une colombe, voilà à quoi elle le faisait penser.
Une colombe douce, libre, légère et insaisissable, qui parfois se changeait brutalement en gerfaut, sans que rien ne permette de le prédire.

Le grattement se fit à nouveau entendre et Gianni, tout à fait réveillé cette fois, sentit son cœur se glacer à l'idée que des rats puisse venir blesser sa colombe. Il décida de rester éveillé pour empêcher les gaspards de venir lui grignoter les oreilles ou le nez pendant la nuit.
C'était ce qui arrivaient aux enfants pauvres qui dormaient dans des taudis infestés de rats, lui avait dit sa nonna, sa grand-mère, quand il était petit, dans le manoir de son père.


Si tu n'es pas sage, tu iras dormir dans la grange avec les serviteurs et les rats viendront te bouloter les oreilles! lui avait-elle dit plus d'une fois.
C'était il y a bien longtemps, il devait avoir cinq ans à peine. Il avait été sage et pourtant... C'était avant la condamnation de son père et la perte de ses biens. Avant la fuite vers l'arrière pays et les nuits dans les granges avec les enfants pauvres et les rats...

Gianni frissonna. Dehors, dans la nuit, le vent s'était levé.
Autant pour se réchauffer que pour se tirer de ses désagréables ruminations, il se rapprocha de Xm et se serra contre elle.
Elle allongea un bras et lui caressa doucement l'oreille.


Ne t'inquiète pas, caro, souffla-t-elle d'une voix endormie, ce n'est qu'un rat, peut-être même seulement un loir... Et il a bien assez à manger pour s'intéresser à tes oreilles.

Il la vit sourire dans le rayon de lune et se sentit soudain ridicule.

Décidément, elle le connaissait mieux que lui même. Et elle ne dormait jamais que d'un œil!

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La journée suivante avait été froide et humide.
Gianni, d'une humeur maussade après sa nuit passée à écouter le loir - ou le rat- gratter dans la grange, n'avait pas tenté de tirer Xm de la rêverie qui l'avait absorbée toute la journée.
Ce n'est qu'en arrivant aux abords de la forêt bien au nord ouest de Lausanne que Gianni se décida à adresser la parole à sa compagne de voyage. Depuis Sion, ils avaient traversé plus d'un bois. En fait ils avaient fait un grand crochet pour éviter Lausanne. Gianni ne comprenait d'ailleurs pas pour quelle raison ils restaient ainsi à l'écart des villages. Il avait interrogé Xm à ce sujet, qui était restée des plus vagues, évoquant la présence de brigands qu'elle avait réussi à éviter à l'aller et qu'elle craignait de rencontrer au retour. Gianni s'en était d'ailleurs senti un peu vexé. Croyait-elle qu'avec lui elle soit moins en sécurité que seule? Xm avait protesté que seule, l'esquive était bien plus facile, ce sur quoi il ne pouvait que lui donner raison.
Cependant leurs réserves commençaient à s'épuiser et la chasse dans ces semaines hivernales, grises et glacées les laissait sur leur faim. Rien ne semblait vouloir bouger dans ces sombres sous-bois. Aussi quand ils arrivèrent aux alentours de Vallorbe, Gianni prit-il la décision d'entraîner Xm vers une auberge, que cela lui plaise ou non.

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Plus que quelques lieues, se disait Gianni et nous serons au chaud au sec et nous pourrons enfin remplir nos panses creuses, se réjouissait-il en silence. Il allait ouvrir la bouche pour plaider sa cause et convaincre Xm - il savait bien que jamais il ne pourrait la plier à sa volonté - de le suivre dans une auberge, quand un éclair déchira la nuit qui commençait à tomber.
Un temporale? In questa stagione?*s'écria-t-il incrédule.
Xm se tourna vers lui. La pluie qui s'abattit soudain sur eux comme un rideau glacé ne lui laissa pas le loisir de répondre. La violence et la soudaineté de l'orage les saisit comme une main qui aurait tenté de les éparpiller dans la forêt. La température avait sournoisement augmenté pendant la journée et le contraste entre le sol glacé et l'air doux qui passait par dessus les montagnes au sud était responsable de cette intempérie inhabituelle. La pluie battante semblait prendre en verglas presque à vue d'oeil sur les cailloux durs et glissants de l'étroite route qui traversait la forêt. Les chevaux, rendus nerveux par la foudre qui venait s'abattre plus haut sur un sapin qui brûlait d'une flamme jaune dans la nuit maintenant complètement noire, roulaient des yeux fous et dérapaient lamentablement au risque de jeter leurs cavaliers à terre.


Il faut nous abriter! cria Xm à son compagnon dans le tumulte du tonnerre et le bruits des branches tourmentées par le vent violent. Je crois qu'il y a des grottes par là.

Gianni devina à la faveur d'un éclair la direction qu'elle indiquait. Découragé il pesta. Il fallait faire demi tour.
Andiamo, je te suis, cria-t-il. Tu connais mieux la région que moi...
Il talonna furieusement sa monture qui se dérobait et suivit Xm. Comment allaient-ils trouver l'entrée d'une grotte dans cette noirceur de four?
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Trempés jusqu'aux os, glacés, le visage fouetté par les branches, Xm et Gianni avaient fini par mettre pied à terre pour pouvoir s'enfoncer dans le sous bois, tirant leurs chevaux derrière eux.
La tempête ne donnait aucun signe d'accalmie et seuls les éclairs, qui illuminaient violemment la forêt, leur permettaient de ne pas se perdre de vue l'un l'autre. Leur lumière froide et blanche, presque éblouissante, suivie immédiatement par l'obscurité la plus complète, donnait au moindre tronc, au moindre rocher un relief fantasmagorique, menaçant.

Xm, courbée contre le vent, protégeant son visage d'un pan de sa cape avançait, imperturbable. Elle finit cependant par confier au contrebandier les rênes de sa monture. Elle extrait de son paquetage sa longue lame japonaise et cria à Gianni:

Ça devient franchement inextricable par ici, il va falloir que je nous taille un chemin...

Incapable de parler contre le vent qui lui giflait la figure, Gianni lui fit signe qu'il comprenait et, enroulant autour de son poignet les rênes des deux chevaux, il lui emboîta le pas.

Aussi incroyable que cela puisse paraître, Xm avait l'air de savoir où elle allait. Elle semblait guidée par un fil invisible et continuait à avancer en dégageant le chemin devant eux à grands coups de wakizashi.
Gianni voyait par intermittence, à chaque fois qu'un éclair le lui permettait, le sabre étincelant couper comme du beurre des branches qui faisaient bien l'épaisseur de trois de ses doigts. Jamais il n'avait vu d'autres lames que celle d'une hache pour accomplir aussi facilement un telle tâche.
Après une dizaine de minutes de leur progression, pendant lesquelles il crut bien que la foudre allait s'abattre sur eux une bonne douzaine de fois, il cria à Xm, d'une voix où perçait l'angoisse:


Tu es sûre que c'est par là?

Xm se retourna pour lui répondre.

Tu sens cette odeur d'eau?

Gianni se demandait bien comment son amie pouvait sentir une odeur d'eau au milieu d'un orage.


Cette odeur de pierre mouillée, de champignons , de silex frappés ensemble?


Gianni la regarda. Elle avait pourtant l'air parfaitement saine d'esprit, même avec ses cheveux mouillés plaqués sur le crâne et les mèches folles qui se collaient sur son front. Il huma l'air autant qu'il le pouvait sans se noyer.

Un odore di cave*? proposa-t-il en mettant ses main en cornet autour de sa bouche pour se faire entendre.

Oui...Une odeur de carrières...Tu vois? Tu la sens, toi aussi... ou de cave plutôt. Nous ne devons plus être très loin!


Ils se remirent en route, suivant la piste de l'odeur qui devenait de plus en plus forte à mesure qu'ils approchaient une paroi rocheuse que le couvert des arbres leur avait caché jusque là.
Un nouvel éclair leur dévoila une clairière semi circulaire. Au delà se dressait un mur abrupt, entièrement recouvert d'un entrelacs serré de fougères, de longues racines d'arbrisseaux aux branches dénudées et secouées par la tempête.

Ils ne pouvaient pas aller plus loin.


Questo è un vicolo cieco! cria Gianni, un cul-de-sac! Il faut faire demi tour!

Xm lui fit signe d'attendre. Elle lui montra de l'extrémité de son sabre un espace encore plus sombre que la nuit, dissimulé derrière un rideau de lierre persistant, que le vent poussait vers l'intérieur de la paroi...

Guarda! Eccola! La grotta!
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Arrivée devant l'entrée de la grotte, Xm avait repoussé les racines et les branchages pour laisser passer Gianni et les chevaux, puis elle était entrée à son tour et avait laissé retomber le rideau naturel derrière elle. Soudain, il faisait presque aussi noir que si elle avait refermé sur eux la porte d'un tombeau.

Bouche bée, les yeux écarquillés pour tenter de capter le moindre rai de lumière, Xm était tout d'abord restée immobile et silencieuse. Puis elle avança en tâtonnant et sa main rencontra la croupe soyeuse d'un des chevaux, qui frissonna et hennit nerveusement dans le noir.


Tout doux, murmura-t-elle tout va bien ce n'est que moi.

Gianni l'appela à son tour à mi-voix: E adesso?

Maintenant?
répéta-t-elle, Un peu de patience, amore...

Tout en gardant sa main sur le flanc du cheval, Xm longea doucement l'animal en remontant jusqu'à sa tête. Elle donna au passage au jugé une petite tape sur le postérieur de Gianni dont la voix trahissait la nervosité.
Resta calmo, caro, il n'y a pas de rats dans les grottes! Elle ajouta, taquine, Qu'est ce que tu voudrais qu'ils mangent? Tes oreilles?

Gianni bougonna qu'il devait surement y en avoir, qu'elle n'en savait rien, que ces saletés de "roditori" devaient sans doute être très à l'aise dans ce genre de trou à rats, justement...

Chhh... fit Xm, laisse moi écouter.

Gianni avait beau tendre l'oreille, il n'entendait rien que la rumeur de la tempête qui faisait rage à l'extérieur et qui s'éloignait derrière eux à mesure qu'ils avançaient, pouce par pouce...
Xm lui saisit la main.
Fais moi confiance, laisse-toi guider.

L'obscurité avait été un soulagement après le déchainement d'éclairs aveuglants qui s'était abattus sur les voyageurs. L'air immobile de l'entrée de la grotte avait fait un contraste agréable avec les bourrasques furieuses du flanc de la montagne. Pour un peu, Xm aurait trouvé la température presque agréable, maintenant que le vent ne plaquait plus sur son corps ses vêtements trempés.
Elle avançait prudemment dans l'obscurité presque totale, tâtant le sol du bout de sa botte à chaque pas, et balayant de son sabre l'obscurité devant elle et de part et d'autre, comme une aveugle.

La grotte avait tout d'abord renvoyé à l'oreille exercée de Xm, un son ample comme celui d'une grande salle dallée. Les sabots des chevaux avaient résonné pendant quelques minutes sur un sol de granit. Leurs fers avaient même fait jaillir quelques étincelles bleues dans l'obscurité. Puis le son s'était comme rétracté sur lui même. Les pas des humains et des chevaux s'étaient étouffés sur une couche plus meuble, qui dégageait un forte odeur d'humus.
Soudain, l'épée dégainée de Xm heurta une paroi rocheuse avec un tintement clair.

Gianni s'arrêta net.
Ché cosa?
Nous y sommes,
répondit simplement Xm. Ne bouge pas.

Elle lâcha la main de l'italien qui se sentit aussi seul et perdu qu'il ne l'avait jamais été, lui qui avait toujours vécu depuis la mort tragique de son père, entouré d'une troupe bruyante et chaleureuse de brigands. La solitude, le noir, l'humidité. La phobie des cachots lui serrait la gorge à l'étouffer et si sa fierté ne l'en avait pas empêché il aurait gémi d'angoisse. Au lieu de quoi il appela doucement: Cara?

Sono li davanti, sta tranquille.

Gianni entendait Xm se déplacer latéralement et il devina au son de frottement soyeux qu'elle produisait en bougeant qu'elle suivait la paroi de la salle au toucher.
Détail inquiétant, le son ténu semblait s'éloigner de lui.


Sono arrivata quasi. Encora un minuto!


Pas de doute sa voix s'éloignait. Une panique folle s'empara du contrebandier. Malgré son âge, son courage, son expérience, tout ce qui évoquait un cul-de-basse fosse, un donjon, des oubliettes, lui faisait perdre tous ses moyens.
D'une voix forte qu'il voulait maîtrisée il appela son amie.


Bella, ma ché cosa fai?
Pas de réponse.
Puis un bruit de métal frottant une pierre. Une étincelle puis le noir.


Ach donnerwetter! Verdammte Feuerzeug! Sch.eisse! Une étincelle encore puis à nouveau le noir.
Xm jurait dans la langue de son père et à l'entendre il valait sans doute mieux que Gianni ne comprenne pas un traître mot de ce qu'elle disait.

Tu vas marcher espèce de cochonnerie de briquet de m...!
Xm ponctuait chaque juron d'un coup de briquet d'acier sur le silex. Une étincelle encore puis une flammèche qui grandit au point de produire une lueur suffisante pour éclairer un passage comme un long corridor devant lui.
Après quelques minutes qui semblèrent une éternité, précédée par un froissement d'air caractéristique, Xm apparut, une torche de pin dans la main.
Gianni dut plisser les yeux pour les accommoder à la lumière revenue. Son étonnement dut se lire sur son visage car Xm rit doucement.


Quoi? Où j'ai trouvé ça?
Ne t'inquiète pas, ce n'est pas de la magie, j'ai mes sources c'est tout.
Tu peux laisser les chevaux ici, de toutes manières ils ne passeraient pas plus loin. Nous viendront les nourrir et les abreuver tout à l'heure. Viens, je vais te faire visiter nos quartiers.

Et elle s'enfonça dans le couloir, la torche tenue loin et haut devant elle.
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Xmanfe1999
La lumière de la torche s'éloignait rapidement.

Gianni, sidéré, voyait sa tremblotante mais rassurante lueur diminuer aussi se hâta-t-il d'entraver les chevaux et d'emboiter le pas à Xm dans le corridor qui s'enfonçait dans la montagne, devenant de plus en plus étroit à chaque pas.
Alors qu'il n'avait presque plus qu'un infime halo pour le guider, trébuchant sur les inégalités du sol et s'éraflant les mains aux parois rocheuses pour se rattraper, il aboutit, derrière un tournant inattendu du conduit, qui lui avait valu de foncer tête baissée dans un mur râpeux, à une vaste salle circulaire, éclairée par une douzaine de torches, disposées à intervalles réguliers dans des supports fixés aux parois.
Xm attendait, les poings sur les hanches.


Alors? lui lança-t-elle insolemment. Que dis-tu de notre gîte pour cette nuit?

Gianni jetait des regards éberlués autour de lui. Xm le jaugeait avec ironie. Elle n'ignorait rien de sa phobie pour les espaces clos et cela semblait l'amuser prodigieusement. Son rire si caractéristique s'éleva soudain renvoyé en douzaines d'échos. Vaguement inquiet, malgré la présence de son amie et la lumière brillante des torches, Gianni examina les lieux. La salle souterraine s'étendait sur une cinquantaine de pas, à partir du centre où se tenait Xm. Son plafond, d'où tombait de temps à autre une goutte froide se perdait dans l'ombre, mais les flammes des torches y faisaient scintiller des lustres et des candélabres de pierre de l'ocre le plus foncé au blanc le plus pur. Par endroit il sembla même à Gianni que quelque magicien avait déposé une mousse de cristaux givrés en masses aériennes. Au fond de la salle, dont le sol s'étendait en pente douce, l'italien pouvait apercevoir dans les ténèbres, le reflet des torches sur une surface liquide, dont il ne pouvait deviner les limites, noire comme le charbon. On entendait au loin un bruit d'eau constant, comme une cascade, a des lieues sous leurs pieds. Gianni sentait peu à peu l'angoisse de sa phobie faire place à l'émerveillement devant la beauté des lieux.
Xm se rapprocha de lui, les lèvres toujours incurvées par ce même sourire ironique.


Alora, ti piace? répéta-t-elle.

Ma, comment... l'étonnement privait Gianni de la parole. Xm prit sa main et l'entraîna vers le fond de la salle vers ce qui se révéla être, à mesure que le contrebandier et son amie s'en approchèrent et qu'il distinguait mieux, une alcôve de la taille d'une belle chambre, tapissée d'une couche épaisse de feuilles mortes réduites à l'état de tourbe, qui étouffait les échos sonores de la grande salle. Un léger courant d'air y circulait, faisant voleter les petits cheveux autour du visage pâle de Xm, preuve qu'une cheminée naturelle devait s'insinuer jusqu'à la surface.
Au centre de cet alcôve Xm avait ménagé un espace autour d'un brasero de fonte sur pieds dans lequel brûlait allègrement des morceaux de charbon de bois. La légère fumée montait droit vers le plafond plus bas de la salle et disparaissait dans les anfractuosités de la roche.

Bienvenue aux grottes de Vallorbe!
Tu ne veux pas venir t'asseoir?
ajouta Xm sans lâcher la main de son ancien complice. Elle s'assit sur une couverture qu'elle avait étalée sur une paillasse. Une autre était disposée pour Gianni de l'autre côté du brasero. Plusieurs autres étaient entassées contre la paroi dans le fond de la petite salle. Xm entreprit de retirer ses bottes.
Gianni s'assit en face de sa belle amie.


Vas-tu enfin m'expliquer? Dove siamo? Che cosa e questo posto?

Ce que c'est que cet endroit?
Xm eut un geste circulaire.

Mon cher, un contrebandier comme toi devrait le savoir: c'est un repaire de brigands!

Una spelonca di ladri... C'est bien ce que je craignais, cara. Je croyais que tu cherchais à les éviter!

Moi? Je ne sais pas, peut-être. Après tout un peu d'action ne me ferais pas de mal. Et à toi non plus, je dirais.

Perfide, elle ajouta:
Je vais finir par me demander si à force de porter la soutane tu n'aurais pas perdu quelque chose...

Atteint dans son orgueil de mâle, Gianni ramassa une des bottes de Xm et la leva au dessus de sa tête, faisant mine de la lancer vers elle.

Mala cagna! je vais t'apprendre!

Xm leva les mains en signe d'apaisement.
Hééé! du calme. Scusami... Je suis désolée. Je n'aurais pas dû dire ça. Je sais que tu as de bonnes raisons de détester ce genre d'endroit.
Xm tendit la main vers son ami.

Tu me pardonnes?

Gianni saisit la main et en profita pour attirer la jeune femme contre lui.

Claro. Je te pardonne. Mais tu vas devoir payer d'un baiser pour ton insolence!

L'espace d'une minute le contrebandier faillit oublier la promesse qu'il s'était faite au début de leur périple de ne pas chercher à entretenir une flamme qu'il savait devoir être éphémère. Les lèvres douces de Xm sous les siennes la chaleur de son corps à travers ses vêtements trempés de pluie, l'abandon même dont elle faisait preuve à cet instant , tout lui faisant croire qu'un avenir était possible pour eux deux. Et puis le charme se rompit. Xm s'écarta de lui, et se leva, lui pinçant affectueusement le bout du nez au passage.

Allons, j'ai payé et avec intérêts! Maintenant, viens m'aider pour les chevaux. Il faut trouver des seaux pour leur donner à boire. Ces vauriens doivent bien en avoir planqué quelque part. Elle s'éloignait à nouveau vers la grande salle, laissant Gianni dépité et plus malheureux que jamais.

Il l'entendit farfouiller dans les recoins de la salle et s'exclamer triomphalement au bout d'un moment.
Aaah voilà! je savais bien que ces coquins avaient tout ce dont peut avoir besoin!

Un bruit d'éclaboussement. Bon alors! Tu viens m'aider, espèce de "pigro"!
Fainéant, moi?
Gianni bondit sur ses pieds. C'est ce qu'on va voir!
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