Xmanfe1999
En fait d'écurie et de paille, Xm s'était vue offrir le gîte et le couvert dans une maison, certes petite, mais confortable et propre.
Gyllaume lui avait montré sa chambre et l'avait ensuite laissée seule, le temps pour lui, avait-il dit, de préparer un repas improvisé pour son invitée.
Epuisée par ses longues nuits de chevauchée, Xm s'était laissée tomber sur le lit, pensant se reposer quelques instants avant de redescendre faire honneur aux victuailles dont elle sentait déjà l'alléchant arôme, mais à peine avait-elle posé la tête sur le moelleux oreiller de plumes, qu'elle s'était enfoncée dans un sommeil, sans rêves cette fois-ci.
La nuit était à nouveau sur le point de tomber quand Xm s'éveilla, ragaillardie, à croire que depuis son départ de Genève, la nuit était devenue pour elle le jour, et le jour, la nuit... Elle renouait avec des habitudes de clandestinité acquises il y avait des lustres de cela, et cela fit naître sur ses lèvres un sourire à la fois amusé et nostalgique.
Xm s'étira et remit un peu d'ordre dans sa tenue et descendit vers la pièce principale de la maison, à l'étage inférieur, pensant y trouver Gyllaume. La maison était silencieuse et son hôte était apparemment sorti.
Elle trouva sur la table un couvert dressé pour une personne et, sous un linge propre, une assiette garnie d'une belle cuisse de poulet, d'une épaisse tranche de pain frais et d'une magnifique grappe de raisin d'un bleu-noir brillant fort appétissant. Tout cela était modeste, mais offert avec tant de générosité et de simplicité que Xm s'y attaqua avec bonheur. Ce n'est qu'en avalant le dernier grain de raisin que Xm découvrit sous son assiette un morceau de parchemin sur lequel Gyllaume avait griffonné quelques lignes:
Citation:Dame Xm,
J'espère que vous vous êtes bien reposée et que ce frugal repas vous permettra également de refaire vos forces. Voyant que vous dormiez, je n'ai pas voulu vous déranger et je suis sorti me renseigner sur l'arrivée éventuelle de votre ami. Je ne sais s'il s'agit vraiment de lui, car la description que vous m'avez faite de lui diffère en quelques points, mais un étranger est arrivé tout à l'heure. Je l'ai salué et il m'a répondu avec un fort accent italien... Je suis rentré en hâte mais vous dormiez encore, aussi ai-je juste pris le temps de vous écrire cette note. Tout à l'heure, l'étranger se trouvait à l'auberge où nous nous sommes rencontrés ce matin et je crois qu'il y est encore, vue la manière dont il buvait bière sur bière, je ne pense pas qu'il en sorte avant un bon moment. Venez dès que vous pourrez. S'il fait mine de partir, je tâcherai de trouver un prétexte pour le retenir.
Gyllaume
Xm reposa la lettre avec un sourire. Elle récupéra l'épée et le bouclier qu'elle avait déposés près de la cheminée avant de monter dans sa chambre et sortit.
L'air glacial de la nuit eut tôt fait de raviver ses doutes. Qu'allait-elle faire si l'étranger n'était pas Gianni? Allait-elle l'attendre encore longtemps? Elle ne pouvait assurément abuser de l'hospitalité de Gyllaume. Et si c'était bien Gianni mais qu'il ne lui apportait point les informations qu'elle attendait?
L'auberge n'était qu'à quelques pas de la maison de Gyllaume et le temps de faire le tour des différentes options qui s'offraient à elle, Xm se retrouva devant la porte, la main sur la poignée.
Le cur battant, elle actionna le loquet et poussa le battant.
Quelques curieux levèrent la tête quand elle franchit le seuil. Aucun d'entre eux n'était Gianni.
Elle allait battre en retraite, découragée, quand elle aperçut Gyllaume à une table, dans le fond de la salle, assis face à la porte d'entrée, qui lui désignait des yeux l'homme avec lequel il était attablé, absorbé dans une partie de cartes.
Xm crut que son cur allait s'arrêter de battre.
L'homme lui tournait le dos, mais pas de doute, c'était bien lui.
Sa stature impressionnante, même lorsqu'il était assis, sa chevelure aile de corbeau, semée à présent, semblait-il, de quelques fils d'argent, l'anneau d'or qui ornait son oreille gauche, qu'elle voyait briller par intermittence à travers les boucles qui recouvraient son col, la nonchalance même avec laquelle il se tenait sur sa chaise , chaque attitude, chaque détail lui criaient qu'il s'agissait bien de Gianni, malgré l'étrange costume dont il était accoutré.
Intriguée, les yeux encore insuffisamment accoutumés à la pénombre régnant à l'intérieur de la taverne, Xm s'approcha.
Alerté par le bruit des pas légers de Xm ou par l'appel muet que lançaient à la jeune femme les yeux de Gyllaume, l'homme se retourna à demi.
Aussitôt, un large sourire éclaira son visage ironique et il se leva, pour s'incliner devant Xm en lui indiquant la troisième chaise à leur table.
Ah! voilà une jeune personne qui va embellir un peu notre jeu mon fils... dit-il, s'adressant à Gyllaume.
Xm jeta un regard sidéré à Gyllaume, puis à Gianni, puis à nouveau à Gyllaume.
Venez donc vous asseoir avec nous, mon enfant.
Gianni tira la chaise et invita d'un geste Xm à s'y asseoir.
Savez-vous jouer au ramponneau?
Gianni, les yeux pétillants de malice, semblait beaucoup s'amuser de l'étonnement de Xm.
Notre ami, ici présent, a eu la bonté de m'y initier. Il est vrai qu'un homme d'église comme moi ne devrait pas s'adonner au jeu, mais voyez vous, ajouta-t-il en montrant de petits tas sur la table, nous jouons pour des lentilles... il ne peut rien avoir à cela qui déplaise à Deos, qu'en pensez-vous ma fille? conclut-il en gratifiant Xm d'un clin dil canaille.
Xm était partagée entre le désir de sauter au cou de l'incorrigible Gianni, le gifler ou éclater de rire.
Pour passer inaperçu, il n'avait rien trouvé de mieux que de se faire passer pour un prêtre... C'était à mourir de rire. Encore fallait-il espérer que cela ne deviendrait pas à mourir, tout court.
Encore sous le choc, Xm s'était assise, raide et mal à l'aise, en face de Gianni, qui avait pour sa part, du mal à contrôler son hilarité.
Xm jetait des coups dil inquiets autour d'elle, craignant que l'attitude de ce prêtre étrange attire l'attention, voire l'ire des buveurs.
L'atmosphère pesante qui régnait à son arrivée dans la ville s'était semblait-il dissipée, ou alors peut-être s'y était-elle simplement habituée, mais, ignorant tout des événements qui avaient mené à une exécution publique, Xm craignait que le moindre faux pas ne les mette, Gianni et elle, dans une situation dont son extravagant compagnon avait la spécialité.
Gyllaume se leva et salua poliment Gianni et Xm.
Je vais vous laisser. Vous devez sans doute avoir beaucoup de choses à vous dire.
S'inclinant vers Xm, il ajouta: Je reste dans les parages. N'hésitez pas à m'appeler si vous avez besoin de moi.
S'appuyant nonchalamment en arrière, un bras passé par dessus le dossier se sa chaise, Gianni lança à Gyllaume un regard de défi.
Je crois que nous allons nous débrouiller, merci, mi figlio. N''est-ce pas ma chère enfant?
Xm fusilla Gianni du regard, qui lui décocha un sourire désarmant de charme canaille. Elle eut un geste d'excuse envers Gyllaume.
Je vous remercie sincèrement de tout ce que vous avez fait pour moi, messire Gyllaume. Tout ira bien je vous assure. Vous pouvez me laissez sans crainte avec ce... cet... ce gentilhomme.
Xm eut quelque mal à qualifier Gianni de ce terme qui lui seyait assez mal.
Gyllaume s'inclina encore une fois et déposa un baiser sur le bout des doigts de Xm, puis s'éloigna vers le comptoir, position d'où il pourrait à loisir surveiller le couple. XM lui adressa un petit signe discret. Tout allait bien.
Eh bien dis-donc! Cara mia! Tu lui as tapé dans lil à ce campesino! Toujours la même, mi amore. On ne peut pas te laisser seule cinq minutes avec un homme, ils veulent tout de suite... Ouch!
Xm venait de décocher sous la table un coup de pied dans le tibia de Gianni qui grimaça.
Elle grinça entre ses dents.
Arrête ça tout de suite, tu veux? Je ne suis pas venue seule de Genève pour entendre ces bêtises! Et d'abord Gyllaume n'est pas un "paesano", c'est un homme charmant et très bien élevé, qui m'a offert gracieusement le gîte et le couvert, sans exiger aucune des privautés dont tu étais coutumier. D'ailleurs, depuis que je t'ai quitté, je n'ai rencontré que des hommes très bien. Tu ferais bien d'en prendre de la graine.
Xm se demanda si elle pouvait classer le Sultan de Damas dans la catégorie des hommes bien, et décida qu'elle répondrait à cette question en temps utile.
Elle ajouta, vengeresse: Et ça fait pas cinq minutes, ça fait sept ans.
Gianni fit mine de faire amende honorable. Il leva les mains en signe d'apaisement.
Scusi, bellissima. Tu sais comme je suis. Je ne peux pas supporter de voir un autre que moi te tourner autour. Perdona me.
Xm soupira. Le charme de Gianni avait déjà commencé à faire son effet. Sept longues années plus tard et quelques ridules au coin des yeux, un sourire et quelques phrases flatteuses susurrées de sa voix profonde avec son accent chantant provoquaient encore en Xm le trouble qui l'avait fait tomber dans ses bras la première fois.
La différence est qu'à présent elle n'était plus seule. Elle n'était plus sans défense non plus, et cette fois-ci elle ne succomberait pas.
Elle fronça les sourcils.
Trêve de badinage, "cari-ssimo" - elle prononçait volontairement ces quatre syllabes avec une affectation exagérée, pour juger de la manière dont Gianni prendrait le mépris qu'elle s'appliquait à feindre.
Gianni joua lui aussi à merveille l'orgueil et la sensibilité blessés. Il secoua la tête, douloureusement.
Che vergogna! Pourquoi es-tu si méchante avec moi, cara mia? Moi qui suis venu de si loin pour te voir?
Si Xm n'avait su à cet instant précis que le jeu qui les avait occupés pendant six mois, sept ans auparavant, venait de recommencer, elle s'en serait voulu.
Mais elle connaissait Gianni par cur: même s'il ne savait ni lire ni écrire, et si son esprit aventureux l'avait emporté sur les chemins de la contrebande et de la clandestinité, il était d'une intelligence rare et était passé maître dans l'art des faux semblants et des négociations complexes. Leur passe d'armes ne faisait que commencer.
Inflexible, en apparence, Xm se pencha vers son interlocuteur.
As-tu les renseignements que je t'ai demandés par pigeon?
Gianni se pencha à son tour vers Xm, faisant mine de se rapprocher pour entendre, malgré le caractère particulièrement inapproprié de l'endroit, la confession de sa belle compagne.
Certo. J'ai toutes les informations que tu m'as demandées... Mais peut-être pourrions-nous aller en parler dans un endroit plus tranquille?
Un sourire narquois à peine perceptible incurvait les lèvres fines du faux curé.
Tu as raison, rétorqua Xm en se levant. Tout plutôt que de continuer à attirer l'attention avec un olibrius de ton espèce.
Olibrius? Ce n'est pas un tout petit oiseau très joli, ça??? Gianni était tout sourire.
Xm soupira, excédée.
Attends-moi ici, je vais demander à Gyllaume s'il nous autorise à passer un moment chez lui pour discuter.
Xm avait insisté sur les deux derniers mots. Gianni, comprenant le message arborait une expression angélique.
Discuter, si, bene. Assolutamente.
Xm s'était éloignée entre les tables pour aller parler à Gyllaume. La discussion avait duré quelques minutes avec force regards aller et retour de la part du jeune Sédunois de Gianni à Xm. Il semblait agité et inquiet, mais Xm avait apparemment réussi à apaiser ses craintes et il l'avait laissée regagner la table où Gianni l'attendait patiemment, ayant suivi chacun des ses mouvements avec une attention de matou aux aguets.
C'est d'accord. Gyllaume nous fait la grâce de nous accueillir pour discuter chez lui. Mais il veut que tu promettes de bien te tenir.
Gianni prit un air offensé.
Bien me tenir? Ma, je suis un prêtre, madonna...
Gianni...
Si, je me tiendrai bien. Lo juro.
Gianni leva la main droite et adressa une mimique d'un sérieux presque comique à Gyllaume, qui n'avait cessé de le surveiller de loin.
Gyllaume le considérait froidement, un sourcil levé, lui faisant bien comprendre qu'il n'était pas dupe de ses simagrées.
Il interrogea Xm du regard, qui le rassura d'un signe de la tête.
Allons-y, nous n'avons que trop tardé, souffla Xm.
Après toi, bella ragazza... je te suis._________________