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[RP privé] Passage to Lausanne

Xmanfe1999
Ils avaient abreuvé les chevaux, trouvé dans une autre alcôve naturelle suffisamment de fourrage bien sec pour nourrir largement tout un équipage de pur-sang et finalement, ils avaient déniché pour eux-même de quoi se préparer un souper qui apaisa leur appétit aiguisé par le froid et la tempête.
C'est seulement après avoir subvenu aux besoins les plus élémentaires des animaux et après avoir contenté leur estomac que Xm consentit enfin à calmer son ardeur laborieuse et à s'asseoir autour du feu que Gianni venait d'alimenter pour la nuit. Se détournant à peine, la belle s'était dévêtue sans façon, puis avait soigneusement étalé ses effets à proximité du feu, avant de se glisser sous sa couverture. Gianni n'avait pu s'empêcher de lui jeté un regard à la dérobée. Cependant, l'italien, poussé par un accès de pudeur étrange s'était, de son côté, installé inconfortablement sur sa paillasse dans ses habits encore humides. Xm le regardait se tortiller une lueur moqueuse dans l'oeil.

Vai!, mets toi donc à l'aise! lui lança-t-elle d'un ton badin. Ne fais donc pas tant d'histoires! Ce n'est pas comme on ne s'était jamais vus nus...
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Xmanfe1999
Grelottant dans ses vêtements humides malgré le feu que Xm avait allumé entre eux - au sens propre comme au sens figuré - Gianni finit par se rendre aux arguments de sa compagne de voyage. Il se débarrassa de ses bottes et fit passer pourpoint et chemise par dessus sa tête. Au moment de se glisser hors de ses braies, il hésita. S'il se levait, l'impitoyable Xm verrait forcément dans quel embarrassante condition le spectacle de sa nudité avait plongé son ami. Il plaida:
Tourne-toi, je t'en prie, cara. Je n'ai pas l'habitude de me faire ainsi déshabiller des yeux, mi dispiace.

Un gloussement juvénile s'envola des lèvres de la jeune femme.

Himmel! Je ne te savais pas aussi pudique! En tout cas, l'autre nuit, à Sion...
Un regard foudroyant de Gianni dissuada la belle moqueuse d'achever sa phrase.

Ahhh ! Di accordo! Je ne regarde pas. Tiens, je ferme les yeux.

Les paupières exagérément plissées , le nez froncé dans une grimace comique, Xm fit mine de poser ses mains en coupe sur ses yeux pour se voiler théâtralement la face.
Pendant que Gianni finissait de se dévêtir, à demi plié en deux pour tenter de préserver sa virile dignité, la traitresse avait rouvert les paupières et observait à loisir, entre ses doigts discrètement écartés, le beau contrebandier dans toute sa splendeur.
De taille moyenne, eut égard à ses origines méditerranéennes, le calabrais aurait pu néanmoins inspirer les plus fameux sculpteurs de son temps. Sous sa peau, pâle aux endroits habituellement protégés du soleil, sa musculature élégante jouait à chacun de ses mouvements. Par une étrange association d'idées, Xm revit en pensée les dunes glisser et onduler sous le vent.
Alors qu'il se penchait pour se débarrasser de ses braies, la chevelure du contrebandier,aux longues boucles aile de corbeau, couvrait en partie son visage, hâlé par le grand air , tout comme l'étaient ses mains, longues, nerveuses et redoutablement adroites à toutes sortes d'arts, tous moins avouables les uns que les autres. Xm soupira doucement.
Il y avait quelque chose d'étrangement attirant, d'attendrissant, de poignant presque, dans le contraste de ce corps à la blancheur soyeuse de fleur et ce visage et ces mains, pour ainsi dire tannés par le soleil et les intempéries. Étrange comme soudain ce contraste lui apparaissait comme évident. Toute l'ambivalence de son caractère lui était soudain révélée. Fort, audacieux, désinvolte, volontiers sarcastique même... Tout cela n'était-il qu'apparences? Toute à ses réflexions, Xm avait, sans s'en rendre compte, laissé retomber ses mains de devant son visage et rouvert les yeux et détaillait maintenant l'italien qui, surpris, tentait de ménager sa pudeur en se couvrant de ses mains...


Hé! protesta-t-il. Tu as dit que tu ne regardais pas!

Retenant son souffle, ne le quittant pas des yeux, Xm ne disait mot.

Quoi? Qu'est-ce qu'il y a?
Gianni se sentait gêné et troublé à la fois d'être ainsi à la merci du regard sans détour d'une très désirable jeune femme qui, il aurait eu peine à l'oublier, était, elle aussi, nue sous sa couverture.
Xm sourit doucement.

Rien... répondit-elle. Je me disais... Gianni... amore... tu n'es peut-être plus tout jeune... Un sourire tendrement moqueur étincela dans ses yeux. Ma, Dio... tu es toujours aussi beau!

Gianni rougit violemment.
Ah! Sei pazza! *
Embarrassé, mais flatté, il s'empressa de se glisser sous sa couverture. Son cœur battait la chamade, et il se demandait bien comment il allait pouvoir dormir.

Pour les non italianophones: Sei pazza! : Tu es folle!

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Xmanfe1999
Contrairement à ses attentes, Gianni s'était endormi assez rapidement. Les émotions et la fatigue de la journée et de la soirée de tempête avaient eu raison de lui et il s'était irrésistiblement enlisé dans un sommeil sans rêves.
A en juger par la température de la grotte, qui s'était considérablement réchauffée depuis leur arrivée grâce aux torches allumées tout autour de la grande salle et au charbon de bois qui finissait de se consumer dans le brasero, il s'était passé plusieurs heures depuis qu'ils s'étaient couchés. La lueur émanant du feu, qui aurait dû s'éteindre depuis longtemps, continuait à projeter des ombres sur les parois de la grotte. Une étrange odeur sucrée et écœurante, qu'il ne reconnut pas immédiatement flottait dans l'air. Il se redressa sur un coude pour voir Xm penchée sur le brasero pour y jeter une longue brindille enflammée qu'elle venait de porter au fourneau de ce qui ressemblait à une petite pipe en bronze.


Tu ne dors pas?

Question idiote. Moins toutefois que la question inverse . Combien de compagnes d'une nuit, incommodées par ses ronflements après une soirée trop arrosée lui avait-elles demandé "Tu dors?".

Question idiote, donc. A l'évidence ce qu'il aurait fallu demander était: Pourquoi ne dors tu pas?

Dans la cas de l'autre question, la question qu'il aurait fallu poser était: Pourquoi persiste-tu à dormir alors que moi tu m'en empêches avec le bruit infernal que tu fais? Encore mal réveillé, Gianni en était là de ses divagations quand Xm lui répondit.

Oh, je réfléchissais et une idée en amenant une autre, le sommeil m'a fui. Et finalement je me suis souvenu que j'avais de quoi m'aider à dormir dans mon bissac.

Xm était assise en tailleur sur sa couverture. Elle avait passé sa chemise qui entre temps avait séché. Ses long cheveux longs un peu emmêlés s'étalaient comme une coulée de soie noire sur ses épaules. Ses jambes nues à la blancheur satinée, croisées sous elle , attiraient le regard de Gianni comme un aimant. Il déglutit quand elle changea de position pour détendre une jambe qui devait commencer à s'ankyloser. Elle tirait doucement sur la pipe, prenant de longues bouffées odorantes. Ses paupières semblaient lourdes et un léger sourire incurvait ses lèvres pleines.
Gianni la contemplait avec délices.


Des idées, quelles idées ?

Il en avait eu quelques unes lui aussi, plus tôt dans la soirée, dont il avait craint un moment qu'elles ne l'empêchent de dormir.
Xm souffla la fumée par le nez avant de répondre d'une voix un peu cotonneuse.

Oui, enfin... des souvenirs plutôt... Tu sais la dernière fois, dans la grange...

Gianni osait à peine répondre, de peur que l'espoir que sa belle amie lui raconte la suite de ses aventures s'évanouisse dans l'air comme la fumée de la pipe qu'elle lui tendait maintenant. Sans se méfier, il prit une bouffée. L'acreté inattendue de la fumée le saisit à la gorge. Un arôme à la fois brûlant, piquant et doux, vert et résineux envahit ses narines et ses poumons.
Il fut saisi d'une quinte de toux qui le laissa rouge et essoufflé. Xm lui reprit la pipe en riant.


Pas si fort... regarde.
Elle tira une longue bouffée paresseuse et rendit la pipe à Gianni qui l'imita avec plus de succès cette fois. Il n'eut qu'un tout petit toussotement. Xm le gratifia d'un sourire approbateur. Étrangement, la tête commençait à lui tourner légèrement. Il réussit à répondre d'une voix encore étranglée.

Oui? ... dans la grange disais-tu?

Xm hocha la tête.

J'avais commencé à te raconter mon retour du Ni-hon, et de mon passage à Ou Mun...

Gianni était bien réveillé à présent. Sentant que Xm était enfin prête à lui livrer la suite de ses pérégrinations, il s'installa confortablement pour l'écouter. Au dehors, la tempête continuait à faire rage. Mais dans la grotte chaude et intime comme un ventre, les parfums, le soleil et les couleurs d'horizons lointains étaient sur le point de s'animer.
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Gianni retenait son souffle.
Xm s'était installée en tailleur, arrangeant la couverture comme une cape autour de son corps dénudé . Seule en dépassait sa tête aux cheveux défaits, dont elle tortillait, d'un air absent, une mèche autour de son doigt.
Elle tirait de temps à autre une profonde bouffée de sa pipe.


Tu te souviens que je t'avais dit que mon arrivée dans le port d'Ou Mun, malgré toute l'agitation qui y régnait avait attiré l'attention?

La fumée qu'elle rejetait en parlant formait un nuage odorant devant son visage.

L'italien hocha la tête.

La jeune femme fronça les sourcils. Son regard se perdit à nouveau dans le vague. Elle se sentait comme replongée dans l'ambiance irréelle de ce matin de la fin du printemps 1454, alors qu'elle se trouvait sur le quai de ce port grouillant de vie que l'on nommerait bien plus tard Macao...
A ce moment rien n'existait pour elle que l'hébétude dans laquelle l'avait plongée la douleur de la mort de son maître bien aimé.


Voyant que Xm semblait à nouveau avoir perdu le fil de son récit, Gianni se décida à parler.

Si, je m'en souviens, continue... prego.

Xm frémit soudain, comme si la voix de son compagnon venait de la tirer d'un profond sommeil.

Eh bien... Je me trouvais sur ce quai, depuis ce qui m'avait semblé être des heures, mais qui n'avait peut-être été qu'un instant, quand je sentis une main se poser pesamment sur mon épaule.
Traversée par un éclair de panique, je mis instantanément la main à la garde de mon sabre, prête à le tirer pour défendre ma vie, preuve que malgré mon état d'extrême fatigue et d'étrange catatonie, les enseignements de mon maître n'étaient pas complètement perdus dans les méandres de mon esprit perturbé.
Le temps de pivoter sur moi-même pour faire face à mon éventuel adversaire, j'avais tiré de son fourreau ma lame et me tenais en garde... pour me retrouver face à un groupe d'hommes enturbannés, armés eux aussi de lames courbes, toutes pointées sur moi.
L'homme qui, je supposai , avait posé la main sur mon épaule, me regardait crânement, un sourcil levé, l'air mi-amusé, mi- étonné. Je le détaillais, fermement campée sur mes jambes, prête à en découdre.
Il était élégamment vêtu d'une tenue qu'il m'avait déjà été donné d'admirer quand j'avais, lors de mon voyage vers l'Orient, traversé la Corne d'Or. Une sorte de robe assez ample, d'un tissu épais de laine noire brodé en bas des manches et autour de l'encolure ainsi qu'à l'ourlet qui lui arrivait un peu en dessous des genoux...


Gianni se racla discrètement la gorge.
Sa belle amie était encore partie pour une des digressions dont elle était coutumière et qui pouvait aussi bien durer des heures que la plonger inopinément dans un silence sont rien ne pouvait la tirer...
Gianni , crispé attendait la réaction de la capricieuse narratrice. Un rire léger s'éleva de ses lèvres en même temps qu'un nouveau nuage de fumée...


Je m'égare encore... pardon.

Je me retrouvai donc face à un groupe de... Je ne savais pas trop de quoi en fait.
De marchands?
L'homme en noir qui occupait le centre du groupe et qui paraissait en être le chef en avait en tout point l'allure.
Son costume richement brodé, la dague courbe au fourreau orné de gemmes qu'il portait à la ceinture le définissaient sans doute possible comme un homme important, aux ressources suffisantes pour se payer une escorte armée.
Quelque chose cependant dans son expression démentait cette première impression. Son sourire, peut-être?

S'agissait-il plutôt de brigands? De pirates?
Les sept ou huit hommes qui entouraient l'homme en noir, armés chacun de deux lames, un long cimeterre et une dague, vêtus à la diable et pour certains, marqués de cicatrices d'armes blanches au visage, ou au torse - certains d'entre eux n'étaient en effet vêtus que d'une simple paire de braies assez étranges dont l'entrejambe descendait presque aux genoux - n'auraient pas déparé la racaille bigarrée peuplant les geôles de n'importe quelle cité portuaire d'Italie.


Xm s'interrompit un instant, considérant son compagnon d'un oeil amusé.

En fait, si je n'avais pas été aussi... désespérément malade... je les aurais reconnus tout de suite pour ce qu'ils étaient. Une fichue bande de malandrins, d'aventuriers et de coquins. Exactement comme toi et ta bande de vauriens!

Xm sourit devant l'air outragé du contrebandier - mollement outragé, certes, sans doute à cause des vapeurs délétères dont sa belle amie l'enveloppait depuis un bon moment, mais outragé tout de même..

Je t'assure. Avec un turban et un " qaftan" vous auriez vraiment fait illusion... Avec une moustache et une barbe pour parfaire le déguisement, et vous auriez fait des marchands d'esclaves zanzibariens tout à fait crédibles...
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Malgré l'étrange langueur qui avait lentement pris possession de tout son corps, Gianni se sentait de plus en plus fasciné par les paroles de sa compagne de voyage. Il avait même l'impression, sous ses paupières de plus en plus pesantes, de percevoir des bribes de la scène, d'être ébloui par l'éclat des lames étincelant au soleil . Pour un peu, il aurait senti la vibration imperceptible émanant de chaque arme pointée sur l'aventureuse jeune femme. Secouant la torpeur qui menaçait de l'emporter vers un sommeil tentateur, il se redressa sur un coude et appuya sa joue sur sa main.

Et alors? risqua-t-il d'une voix pâteuse.

Et alors? Xm sourit. Dans la lueur rougeoyante du brasero, ses yeux brillaient comme des escarboucles. Elle se redressa elle aussi, resserrant sa couverture autour d'elle.

L'homme que j'avais, à juste titre, comme j'allais m'en apercevoir tout de suite, identifié comme étant le chef de cette sinistre bande leva la main. Il cracha quelques mots dans sa langue et ses sbires reculèrent d'un pas en rechignant quelque peu toutefois. Il resta seul à portée de mon sabre pointé sur sa gorge et de ma dague, qui visait elle, une partie tout aussi précieuse de sa personne...

Gianni grimaça, portant instinctivement la main à son entrejambe. Xm s'interrompit le temps de tirer à nouveau une bouffée de sa pipe, un sourire narquois aux lèvres. Comme celle-ci s'était éteinte, elle la ralluma à l'aide d' un brin de paille tiré de sa couche improvisée et qu'elle plongea dans les braises. Gianni suivait chacun de ses mouvements comme si sa vie en dépendait.

Je me suis souvent demandée, poursuivit Xm, ce qui, à cet instant, avait décidé l'homme en noir à prendre ce risque. J'étais pour ma part déterminée à vendre chèrement ma peau et je crois bien que s'il avait agi différemment, j'aurais expédié quelques uns de ces mécréants ad patres avant de succomber sous le nombre. Mais il est vrai, après tout, que j'étais armée d'une des plus belles lames des Nippons et j'avais reçu l'instruction d'un de ses meilleurs maîtres. Et surtout, je n'avais à ce moment plus rien à perdre. Sans doute l'avait-il lu dans mes yeux.

La conteuse fit à nouveau une pause, le temps de tirer une nouvelle bouffée. Gianni tendit la main et tira lui aussi sur la pipe. Il n'osait poser les questions qui lui brûlaient les lèvres. Une des plus belles lames? Le meilleur maître?
Xm avait été des plus évasives à propos de son séjour sur ces îles lointaines et il se doutait qu'elle lui cachait encore bien des choses. Récupérant la pipe avec un sourire, elle la tapota contre le rebord du brasero pour la vider et la remplir à nouveau.


Vas-y doucement avec ça, caro, tu n'as pas l'habitude...

La jeune femme alluma la deuxième pipe avec l'art consommé d'une adepte de longue date. Elle s'éclaircit la gorge, recrachant par les narines des volutes de fumée bleutée.

L'homme en noir fit alors quelque chose qui me surprit totalement et qui lui permit, je m'en aperçus, hélas, trop tard, de prendre l'avantage. Plongeant son regard d'ambre dans le mien, il écarta ma lame d'une main presque désinvolte et s'inclina profondément, accompagnant ce que j'interprétais forcément comme un salut d'un geste que je voyais pour la première fois: sa main droite voltigea de son front à ses lèvres puis à son coeur. Il se redressa en me regardant toujours avec intensité et s'adressa à moi dans sa langue.
J'étais toujours campée sur mes deux pieds mais le sabre dans ma main droite, pointait, inoffensif, vers le sol tandis que ma dague, j'ignorais comment,avait glissé de ma main gauche et gisait à mes pieds.
Je restais interdite, les bras ballants, ne comprenant un traître mot de ce l'homme en noir me disait.
Je sentais confusément le port tourner autour de moi, et, après ces semaines en mer, les planches du quai me donnaient la nauséeuse sensation d'onduler sous mes pieds. Je vis, comme à travers un voile de mousseline, les acolytes de l'homme en noir rengainer leurs armes sur un ordre bref qu'il leur cracha sur le même ton que lorsqu'il s'était adressé à eux précédemment et qu'ils avaient reculé d'un pas. Puis soudain tout devint blanc. Mon sang résonnait à mes oreilles comme un tambour, le souffle me manqua et je m'effondrai sur le sol.

Quand je repris connaissance j'étais à bord d'un navire qui voguait vers l'Ouest...

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Dans l'alcôve au fond de la grotte, où la tempête n'était qu'une lointaine rumeur, Gianni , dans sa demi torpeur contemplait la belle conteuse.
La fumée de sa pipe, douce et âcre à la fois, s'enroulait en volutes bleutées autour de son visage, où les braises mourantes du brasero traçaient des arabesques changeantes.
L'Italien s'agitait sous sa couverture, cherchant paradoxalement à adopter une position moins confortable, pour essayer de lutter contre le sommeil qui menaçait de l'envahir. Tout plutôt que de perdre maintenant le fil de ce passionnant récit!
Xm sourit et lança à Gianni une de leur deux selles afin qu'il s'y appuyât.


Hai sonno, caro?* Tu es fatigué? Tu veux que je me taise?
No! Non fermarti!* Prego...
protesta Gianni d'une voix pâteuse.

Il cligna plusieurs fois des yeux, provoquant un éclat de rire léger et malicieux de la part de sa compagne.


Povero Gianni! On dirait que je t'entraîne dans mes turpitudes et que tu n'y es pas préparé... railla la jeune femme.
No, no, sono molto bene, je vais très bien, je t'assure, continue...

Xm adorait se faire prier et son beau contrebandier se prêtait à cet exercice avec tant de bonne grâce qu'elle avait du mal à se refuser ce petit plaisir.

Bien, je te disais donc que quand je repris connaissance, j'étais à bord d'un navire qui voguait vers l'Ouest...
Comment pouvais-je en être sûre? Et bien, il est vrai qu'au moment de mon réveil, je l'ignorais.
Je me trouvais dans une pièce sombre. Seul le balancement régulier de la houle m'indiquait sans doute possible que je me trouvais sur un navire. D'après ce que je devinais de la pièce dans laquelle je me trouvais, il ne s'agissait pas d'un bâtiment européen, comme la nave génoise sur laquelle tu m'avais fait embarquer des années auparavant...


Gianni tressaillit douloureusement à ce souvenir soudain remonté à la surface.
Il avait réussi,à la demande de Xm, à force de persuasion, de demi-mensonges et de presque vérités, assortis les uns et les autres d'une bonne quantité d'or, à faire embarquer sa belle amie, encore déguisée en homme-pour changer!-à bord d'un navire en partance pour Constantinople...
L'Italien soupira, une moue nostalgique aux lèvres. S'il avait su à cette époque, jamais il ne l'aurait laissée partir.

Xm eut un toussotement impatient.


Dis, tu m'écoutes?

Si, cara, pardon. Je repensais au jour où tu as quitté Gênes... où tu m'as quitté. Je me disais...
Xm haussa imperceptiblement un sourcil. Gianni connaissait bien ce subtil indice d'agacement et bredouilla :
No... niente... non è importante...Continue.

Bon... La pièce était sombre mais je pouvais tout de même distinguer un certain nombre de détails qui ne laissaient aucun doute sur l'origine du vaisseau dont elle était semblait-il la cabine principale.
De gros coussins recouverts de soie, semés ça et là sur le plancher de bois sombre, une aiguière de cuivre posée sur un plateau du même métal, visiblement de facture orientale, à côté d'un étrange dispositif composé d'un réservoir de verre , comme une bouteille à long col, surmonté d'un genre de brasero, à laquelle était relié un long tuyau terminé par un bec d'ivoire.
Sans doute cette cabine, comme le suggérait la richesse de son ameublement, était celle du capitaine du navire, si j'en jugeais , en outre, par les instruments de navigation posés sur une table au centre de la pièce.
Négligemment posés sur une liasse de parchemins que je reconnus quand je me levai et m'approchai de la table, comme des cartes marines, un magnifique astrolabe de cuivre luisait faiblement dans la lumière de la lune qui filtrait à travers les panneaux ajourés obturant la rangée de fenêtres qui tenaient toute la largeur de la paroi de bois à l'arrière de la pièce. Une sorte de pince à pointes sèches et une précieuse boussole reposaient à ses côtés.
Mon précepteur, bien des années auparavant avait tenté de m'en expliquer le fonctionnement, lorsqu'il avait essayé en vain de m'inculquer quelques rudiments de la géographie du monde connu... je les avais maintenant sous les yeux et la beauté délicate et mystérieuse de ces raretés m'émerveillait.
J'en étais là de mes réflexions quand j'entendis des pas.
Quelqu'un venait!


Xm fit une pause, jouissant sans vergogne de l'impatience grandissante de son auditeur.
Elle tira de sa pipe une longue bouffée imprudente, qui la fit tousser. Les yeux pleins de larmes, mais un sourire indéchiffrable aux lèvres, elle reprit, sitôt qu'elle se fut essuyé les yeux et qu'elle eut récupéré son souffle.


J'étais encore peu sûre sur mes jambes après mon étourdissement et une vague d'angoisse me saisit. Je portai instinctivement la main à ma ceinture, pensant y trouver ma dague, pour découvrir que non seulement quelqu'un m'avait dépouillée de mes armes, mais qu'en lieu et place de ma veste ceinturée et de mon pantalon serré aux chevilles, je portais une sorte tunique jusqu'aux genoux, sans ceinture, largement fendue jusqu'en haut des cuisses et sur le devant, plus bas que le sternum, et rien d'autre! La sensation d'être presque nue accrut mon malaise et je cherchai désespérément autour de moi de quoi me défendre, car s'il s'avérait que je me trouvais, comme je le soupçonnais, sur un navire de pirates barbaresques, il y avait fort à parier que je serais amenée, tôt ou tard, et sans doute plus tôt que tard, à défendre ma vie, ou tout au moins ma vertu.

Le compas et ses pointes effilées se matérialisèrent comme par magie dans ma main droite alors qu'au travers des interstices entourant la porte de la cabine, la lumière d'une lanterne jetait des rais étroits dans la pièce.
Je reculai jusqu'à la couche où je m'étais réveillée quelques minutes auparavant et finis par m'y retrouver assise alors que le loquet était soulevé avec précaution.
Pas de ceinture! Pas de manche avec une poche assez profonde pour y dissimuler mon arme improvisée! La cacher derrière mon dos serait par trop évident, d'autant qu'un éventuel assaillant aurait vite fait de me désarmer dans l'état de faiblesse où je me trouvais encore. Je tâtai à l'aveuglette autour de moi et enfouis prestement ce qui me sauverait peut-être la vie sous un coussin, au moment même où la porte s'ouvrit.
La silhouette du porteur de la lanterne se découpait en ombre chinoise dans l'encadrement de la porte.

L'homme s'avança dans la cabine. La lanterne qu'il tenait devant lui, à hauteur d' épaule, me permettait maintenant de le reconnaître.
L'homme en noir!
Quand il me vit assise sur sa couchette, son visage grave au teint olivâtre s'éclaira soudain d'un sourire qui découvrit une denture d'une blancheur parfaite et qui alluma son regard noir de suie une lueur malicieuse.
Il semblait sincèrement satisfait, voire soulagé de me voir réveillée et renouvela le salut étrange dont il m'avait gratifiée plus tôt, sur le quai du port de Ou Mun. Cette fois il ajouta quelques mots:

Salaam aleikum...




Pour les non italianisants:
Hai sonno, caro?* Tu as sommeil, mon cher?
Non fermarti!* Ne t'arrête pas!

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Xm observait son auditeur avec attention. Ses yeux brillants la fixaient sans ciller, un vague sourire éclairait son visage. Il avait l'air d'avoir soudain réalisé:

Un musulmano! Era un musulmano! s'écria-t-il.

Xm eut un haussement d'épaule agacé.

Évidemment que c'était un mahométan, idiot, je t'ai dit avant, que lui et son équipage venaient de Zanzibar, si tu m'écoutais au lieu de me zieuter bêtement! rétorqua la jeune femme en rajustant la couverture autour d'elle.

Gianni suivit involontairement le geste du regard et du faire un effort de volonté pour lever à nouveau les yeux vers le visage de son amie. La bouche sèche, il se redressa et tendit la main vers l'outre de vin qu'ils avaient dénichée plus tôt dans les réserves cachées des brigands.

Xm l'arrêta d'un geste:


Je serais toi, je prendrais un peu d'eau plutôt... Tu m'as l'air assez distrait comme ça!

Gianni soupira mais prit sans broncher la gourde que lui tendait sa compagne. Il but longuement l'eau fraîche, puisée aux sources glacées des eaux souterraines de la grotte.

Grazie... Xm , mi dispiacce, j'avais oublié que tu me l'avais dit... Continue, je t'en prie, je ne t'interromprai plus. Lo prometto!

Passons. De toutes manières, à ce moment, je n'en étais point certaine. De plus, je ne comprenais pas un traître mot de ce qu'il me racontait.
Après m'avoir saluée, il avait commencé par poser sa lanterne sur la table et par en allumer plusieurs autres tout autour de la cabine. Sa splendeur dépassait de beaucoup, à la lumière des bougies, ce que j'avais pu en deviner dans l'obscurité. Je découvris notamment un angle au fond, sous les fenêtres de poupe, une table basse chargée de plateaux sur lesquels s'entassaient des fruits et ce qui me sembla être des pâtisseries.

Pour la première fois depuis des jours, j' eus l'eau à la bouche et mon expression dût en dire plus long que ne l'aurait fait n'importe quel discours, si j'avais été à même de comprendre ce que me disais mon étrange hôte et de lui répondre. Mais pour l'heure, j'en étais incapable et c'est en joignant le geste à la parole que celui-ci me fit comprendre de m'asseoir à la table et de me servir.

Faible et désarmée comme je l'étais, j'osais à peine bouger, , mais la faim fut la plus forte et je cédai finalement à son irrésistible appel.
Tout en prenant soin de faire toujours face à mon hôte, je reculai lentement et je m'installai à genoux devant la table, aussi dignement que mon vêtement trop court me le permettait. Je dois dire que notre pirate n'en perdait pas une miette et que même si son discours ne subissait pas d'interruption, ses regards s'attardaient impudemment sur moi. J'étais cependant bien trop affamée pour en avoir cure et je mordais a belles dents dans tous les fruits qu'il m'offrait après me les avoir obligeamment épluchés de sa dague.
Au bout d'un long moment, aussi longtemps qu'il faut pour ingurgiter une demi douzaine de délicieux gâteaux et trois ou quatre fruits, n'en pouvant plus de l'entendre déblatérer sans faiblir dans sa langue barbare, je me mis, en roulant des yeux de manière exagérée, les mains sur les oreilles et en secouant la tête je m'exclamai:

Je ne comprends rien, pitié! Taisez-vous!

Je laissai retomber mes poings sur la table dans un geste où la rage le disputait à l'impuissance. J'envoyai rouler un plein plateau de fruits dont je venais de me délecter, qui s'éparpillèrent sur le sol recouvert de tapis.

Apparemment choqué par mon éclat de voix, l'homme se tût brusquement.
Il en ramassa en soupirant un des fruits, qui se trouvait à portée de sa main et le considéra un instant, une moue soucieuse aux lèvres, comme s'il pensait y trouver la clef d'un mystère.

La peau épaisse et granuleuse, d'un rouge doré éclatant, cachait des quartiers juteux et acidulés dont la fraîcheur sucrée m'avait pleinement désaltérée, plus qu'aucun des fruits qu'il m'avait jamais été donné de goûter auparavant.
Il me tendit le fruit et me dit un seul mot: "naranjah", avec une sorte d'autorité qui traduisait son désir d'être compris.
Je secouai la tête. J'étais repue, un fruit de plus et je risquai fort d'être malade.
Il recommença le même geste, avec un autre mot: "jeruk".
Je ne comprenais pas plus.
Naranjah ou jeruk, je n'en voulais plus. Non, merci! J'essayais de mettre toute la courtoisie et la fermeté possible pour refuser.
Au bout d'une demi douzaine de tentatives, découragé, il renonça et reposa le fruit sur la table.

Devant son air accablé, j''eus soudain une illumination: loin de lui le souhait de me faire manger encore de ce fruit! Il cherchait simplement quel nom je lui donnais dans ma langue. J'étais consternée.
A supposer que nous ayons pu trouver une sorte de lingua franca pour communiquer, comment aurais-je pu connaître le nom d'un fruit que je n'avais jamais ni vu ni goûté auparavant?
L'entreprise était désespérée.
Je fouillais ma mémoire, essayant de trouver une quelconque analogie, une idée, une image. J'allais abandonner moi aussi quand je fus saisie d'une subite inspiration.
Je pris à mon tour dans ma main, le fruit dont la couleur éclatante évoquait presque l'or en fusion : la pomme d'or des Hespérides, c'est incontestablement de cet incomparable délice que la légende parlait et je le lui tendis en prononçant clairement:

Milo! Milo krusou?

Mes leçons de grec étaient si loin! J'aurais pu me gifler pour ne pas avoir été plus attentive pendant toutes ces années.

Mon hôte sembla pourtant réagir. Je répétai:

Milo?

L'homme semblait hésiter. Le mot lui rappelait visiblement quelque chose.
Je jouai ma dernière carte en jetant finalement:

Mela! Mela di oro!

Cette fois, il opina énergiquement du chef en me prenant le fruit des mains.

Mela di oro!
Un sourire triomphant illumina son visage.
Mela di oro! Mela di oro! Il jubilait.

La signora parla italiano?

J'étais abasourdie. Au beau milieu de la Mer du Cathay, dans la cabine d'un pirate mahométan, des années après mon départ de Gênes, voilà que je me retrouvais à parler italien!
Je répondis, soulagée.

Si, parlo!

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Gianni, qui depuis un bon moment flottait dans un agréable cocon de sensations cotonneuses et de rêveries inavouables entretenues par le mirage obsédant de la silhouette de Xm sous sa couverture, se redressa soudain, toute son attention ranimée par cette stupéfiante révélation. Pour un peu, il en aurait renversé la gourde que son amie avait obligeamment placée à portée de sa main.

No, no lo credo! Il musulmano parlava italiano? Ma tu scherzi! *

Xm savourait l'effet de la dernière péripétie de son récit, un sourire un peu moqueur aux lèvres.

La pure vérité, caro, toute nue et pure comme au sortir de son puits!

Gianni fronça les sourcils, cherchant vainement à saisir l'allusion.

Oublie ça, se hâta d'ajouter Xm, avec le soupçon de condescendance qu'elle avait parfois du mal à juguler devant l'ignorance du contrebandier.

Aussi vrai que Fra Buffo est un gros mécréant d'abbé défroqué!

A l'évocation de son compère et lieutenant depuis maintes années - à l'occasion son secrétaire aussi - Gianni laissa échapper un rire sonore qui l'étonna lui même. Décidément cette pipe que Xm lui avait fait fumer avait des effets étonnants.
Après s'être senti comme dépouillé de sa force et de sa volonté, puis plus tard tenaillé par un désir que seule la force de son amour inavoué avait permis de museler, pour retomber ensuite dans une voluptueuse ivresse, bercé par la voix un peu rauque de sa douce amie, le Calabrais avait soudain l'impression d'être rechargé d'une énergie nouvelle, comme si chaque son, chaque couleur, chaque odeur était décuplé et venait agacer sa conscience.

Il acheva de se redresser et s'appuya confortablement à la selle qui lui avait jusque là servi d'oreiller.
Il avait chaud, il avait faim, il avait soif, il avait une irrésistible envie de franchir les quelques aunes qui le séparaient d'Xm et de la saisir aux épaules pour la renverser séance tenante sur sa couche improvisée. L'odeur de la paille lui chatouillait agréablement les narines et lui remettait en mémoire leur derniers ébats, il y avait de cela des siècles!

Un regard sévère de la jeune femme suffit à lui ôter brutalement toute velléité d'audace folâtre et il baissa le nez, penaud, rougissant comme un valet de ferme qui soupire après sa maîtresse. Xm éclata d'un rire où se mêlaient raillerie affectueuse et tendresse désabusée.


Gianni, Gianni, Gianni... Tu sei cosi prevedibile! Ah! Vieni qua!*
ronronna-t-elle en s'allongeant et en soulevant sa couverture, laissant entrevoir à un Gianni balbutiant de confusion le satin crémeux de sa chair ferme et douce.

L'italien se glissa sans un mot à ses côtés les yeux fermés pour masquer les larmes d'émotion qui menaçaient de déborder de ses cils longs et recourbés comme ceux d'une fille.
Il laissa échapper un gémissement ravi alors que sa main trouvait tout naturellement sa place sur la courbe pleine de la hanche de celle dont il aurait voulu faire son amante, et alors que sa bouche et son nez fouillaient les odeurs chaudes et enivrantes lovées dans les boucles d'ébène de sa chevelure fine comme un duvet, entre son oreille et la naissance de sa nuque.

D'une voix presque mourante, les yeux toujours fermés, il supplia:


Je t'en prie, continue... raconte encore. Continua la tua storia! Raconte le marchand pirata... Chi era?*

Xm, douce et cruelle, comme il avait appris à ses dépens à l'aimer follement, se serra encore un peu plus contre lui, glissant une jambe tiède entre ses genoux tremblants. Elle souffla à son oreille dont, taquine, elle mordilla le lobe, envoyant des frissons délicieux jusqu'au plus profond de son ventre:

As-tu déjà entendu parler d'un certain Ibn Battuta?

Le coeur cognant dans la gorge, incapable de parler Gianni grogna que non. Xm caressa son front d'une main apaisante.

Alors tiens toi bien et prépare-toi à entendre des choses extraordinaires! Parce que tout ce que je vais te dire est l'exacte vérité! Aussi nue et pure que moi!

Le rire de la conteuse se répercuta sur les parois de la grotte.
C'était comme si une dizaine de Xm s'étaient rassemblées pour se moquer de sa faiblesse.
Gianni serra les dents et enfouit son visage contre la peau tendre du cou de sa compagne.
La peste soit de la méchante, elle le rendait fou! Dieu seul savait ce qui avait pu la rendre aussi dure et insensible parfois. Mais diantre, pour rien au monde il n'aurait renoncé à la sublime torture qu'elle lui faisait subir.


Diablesse! Me lo pagherai un giorno!* murmura-t-il à son impitoyable maîtresse.

Pour toute réponse elle rit de plus belle et ébouriffa les boucles brunes d'un Gianni mortifié mais heureux, malgré tout, d'être peau à peau elle. La rieuse se redressa sur un coude et considéra sa victime avec un sérieux revenu d'on ne sait où, comme s'il ne l'avait jamais quittée.

Tu as déjà eu affaire à des pirates mahométans dis-moi?

Le Calabrais opina sans hésitation.

Claro! D'où crois-tu que je tenais toutes les jolies choses que je t'ai offertes quand tu étais avec moi, répondit-il en faisant doucement courir ses lèvres sur une veine qui battait au cou de sa belle. Elle frissonna.
Elle était loin d'être aussi calme et sereine qu'elle voulait lui faire accroire, constata-t-il avec une certaine satisfaction.


Et bien l'homme en noir s'appelait Abu Abdullah Muhammad Ibn Abdullah Al Lawati Al Tanji Ibn Majid Ibn Battuta.
C' était paraît-il le plus talentueux de tous ceux qui écument les mers chaudes, de Zanzibar à Aden...


No, no lo credo! Il musulmano parlava italiano? Ma tu scherzi! * : Non, je ne le crois pas! Le musulman parlait italien? Tu plaisantes!
Gianni, Gianni, Gianni... Tu sei cosi prevedibile! Ah! Vieni qua!* : Gianni, tu es tellement prévisible! Ah, viens ici!
Diablesse! Me lo pagherai un giorno!*: Diablesse! Tu me le paieras un jour!

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Eberlué, Gianni essayait de répéter le nom de l'homme en noir:

Abu Abdullah Muhammad...

Xm lui vint en aide.

Abu Abdullah Muhammad Ibn Abdullah Al Lawati Al Tanji Ibn Majid Ibn Battuta... un rire cristallin ponctua l'interminable énumération.

Madre de Dio ! Je me demande comment tu fais pour te souvenir d'un nom pareil !

L'instruction, mon cher Gianni, l'instruction! C'est que qui fait toute la différence !


Xm omit d'ajouter qu'elle-même, instruite ou pas, avait mis plusieurs semaines à se rappeler de ce nom et que Abu Abdullah Muhammad Ibn Abdullah Al Lawati Al Tanji Ibn Majid Ibn Battuta s'était nommé Abu pendant la presque totalité de leur voyage en mer.

Couchée sur le flan, la tête reposant sur sa main levée, Xm faisait face à son compagnon. Un sourire satisfait sur ses lèvres entrouvertes, elle jouait distraitement avec le lien de cuir que Gianni portait autour du cou.
Son regard s'arrêta un instant, sur la poitrine large de l'italien et sur l'anneau sigillaire passé dans ce lien.


Tu le portes toujours?


La main de Gianni, qui s'insinuait doucement sous la chemise de Xm, s'arrêta net. Sans un mot, il opina du chef.

C'est l'anneau sigillaire de ton père ! Tu as le droit de le porter fièrement à ton doigt ! Tu es son seul et unique héritier !

Un brusque éclair de colère passa sur le visage du calabrais. Il se redressa brutalement, renversant Xm sur la couverture.

Et héritier de quoi, je te prie? D'un château brûlé ? D'un domaine mis à sac ? Des dettes et du déshonneur ?

Gianni se pencha sur Xm.

Tu ne sais pas de quoi tu parles. Taci ti, vipera !

Xm encaissa l'insulte d'un battement de cil.
Vipera? Carrément !

Elle s'assit elle aussi, repoussant la couverture. Sa fine chemise délacée baillait sur son épaule et Gianni pouvait entrevoir des trésors d'ombre et de nacre dans son échancrure.

Et bien, qu'est ce que ça serait si je t'avais traité de bâtard !
Je n'ai fait que dire la vérité! Tu portes l'anneau comtal de ton père comme une croix autour du cou, alors que tu devrais fièrement la brandir comme un étendard!
Depuis ton plus jeune âge, tu fuis, tu te caches, tu vis comme un brigand, sans femme, sans maison, sans terre!
Ne crois tu pas qu'il serait plus que temps que tu revendiques tes droits?


Gianni s'était dégagé de la couverture et debout, dangereusement près des braises qui rougeoyaient dans le brasero, commençait, comme un danseur ivre hésitant d'un pied sur l'autre, à se rhabiller.

Il écumait de rage devant son impuissance à y parvenir et pestait contre cette femelle perfide qui parlait de choses qui ne la concernait pas, des choses qu'elle ne comprenait pas, des choses dont jamais, jamais personne, surtout pas elle, n'avait le droit de lui parler...

Gianni...

Le haut de chausse jeté sur l'épaule, il levait un pied nu pour enfiler une botte et invariablement retombait juste au moment exact où son pied allait entrer dans la botte.

Personne n'avait le droit de lui parler de son père, personne n'avait le droit de lui rappeler les années d'errance et de privation après sa condamnation et sa déchéance et pour finir la confiscation de leurs biens, de leurs terres et même de leur nom et de leurs titres, maudite femelle pour qui se prenait-elle...

Gianni!

Son nom avait cinglé dans la caverne et il s'était tu. Il s'était laissé retomber à terre et, ses bottes pendantes entre ses genoux remontés, il avait regardé Xm longuement.

Je t'en prie. Ne me reparle plus jamais de ça. Mai più !

Avec un soupir, il posa ses bottes à terre et fit passer le lien de cuir par dessus sa tête. Il lança la bague au milieu de ses affaires, pèle mêle dans son havresac ouvert.

Xm lui rendit son regard et lui sourit avec douceur.

Perdona mi !, dit-elle dans un souffle.

Gianni hocha la tête, sa colère retombée.

Xm rit doucement.


Si tu veux vraiment partir je t'aiderai à te rhabiller mais il vaut mieux, crois-moi, essayer de mettre ton haut de chausse avant d'enfiler tes bottes!

L'italien réalisa quel spectacle comique il devait offrir aux yeux espiègles de sa compagne.
Cul nul dans la poussière avec ses bottes dans une main et son haut de chausse sur l'épaule ! Il envoya balader le tout sur sa couche et se leva, devant celle qu'il ne pouvait appeler sa bien aimée, nu, dans toute l'assurance tranquille de sa virilité.

Xm leva les yeux vers lui et lui tendit la main.


Viens! murmura-t-elle avec un sourire.

Il s'assit, puis s'allongea à nouveau à côté d'elle. Il était perdu.

Il tendit la main vers la couverture pour l'étendre sur eux deux, mais Xm arrêta son geste.


Attends! Nous ne sommes pas à égalité là...

Elle s'assit à nouveau et saisissant l'ourlet de sa chemise de ses mains croisées devant elle elle la fit passer par dessus sa tête révélant aux yeux avides de l'italien les courbes attendrissantes de sa poitrine menue, à peine plus pleine que celle d'une jeune fille.

Gianni s'appuya confortablement sur la selle qui lui servait d'oreiller et prit sa compagne dans ses bras, la serrant avec délicatesse contre lui, caressant ses cheveux comme si elle était la chose la plus précieuse au monde. Ses doigts minces suivaient la courbe émouvante du sein gauche où courait une mince cicatrice, de l'aisselle à la pointe tendre du mamelon.


Cara...Ne parlons plus de tout cela... Raconte -moi encore ton histoire.

La cruelle se dégagea d'un mouvement fluide et se retourna pour faire face à son ami. Elle s'installa à califourchon sur ses genoux et se pencha sur lui, ses cheveux défaits voilant en partie son visage et effleurant la poitrine de l'infortuné contrebandier.

Demain... lui chuchota-t-elle à l'oreille.
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Gianni se réveilla dans l'obscurité la plus totale.
Il tâtonna à coté de lui. La place où Xm s'était endormie était vide et froide. Il frissonna, nu dans la couverture qui avait glissé, découvrant ses épaules et son torse. Il tendit l'oreille et n'entendit que le bruit de l'eau dans le fond de la grotte. Il était seul !
Une vague incontrôlable de panique glaça ses entrailles. Au moment où ses lèvres allaient s'entrouvrir sur un appel, une main se plaqua sur sa bouche et une voix chuchota à son oreille:


Chhh pas un bruit, on a de la visite...

Xm... Gianni tendit la main pour tâcher de la trouver dans les ténèbres. Sa main rencontra la froideur dure et rêche d'une haubert de mailles sous une cape de laine. Surpris, il faillit laisser échapper un juron contre la main qui le bâillonnait. Il saisit le poignet de la belle et écarta doucement sa paume de son visage.

Qu'est ce qui se passe ?

Gianni commençait à discerner, dans l'obscurité qui lui donnait l'impression de coller à ses yeux et à sa bouche telle une poix épaisse et visqueuse, les mouvements de sa compagne, comme entourée d'une aura à peine discernable.
Xm tenait à la main une lanterne sourde sur laquelle elle avait posé un pan de sa cape. Elle l'écarta un peu pour qu'il puisse mieux y voir.

Tu n'entends pas ?

Gianni se redressa sur son séant et écouta de toutes ses oreilles.
En se concentrant, l'Italien parvient à distinguer, malgré le clapotis régulier de la rivière souterraine, des raclements de sabots, des murmures étouffés de voix, des cliquetis de harnachements et des heurts d'armes contre le sol et les parois du conduit qui menait à la grotte.

Dio, i briganti ?

Xm acquiesça d'un grognement. Elle posa sur le giron de Gianni ses affaires qu'elle avait rassemblées pendant que celui-ci dormait encore.

Habille-toi vite... Ils seront là dans un instant.

Pendant que le contrebandier revêtait en hâte braies, chemises, bottes, ceinturon, Xm ramassait les derniers témoins de leur présence dans la grotte et remettait en place tout ce qu'ils avaient dérangé dans l'alcôve.
Alors que Gianni s'apprêtait à se revêtir de sa cape et que les voix lui semblait dangereusement proches, Xm lui tendit un haubert.


Tiens, enfile ça d'abord...

Le calabrais considéra l'armure avec une certaine perplexité. Elle semblait faite d'un assemblage de mailles brillantes comme de l'argent à la lueur de la lanterne. Elle semblait solide mais quand il la passa, elle lui parut bien légère.

Ma ? Dove l'hai trovata ?

Xm repoussa la question d'un geste agacé.

Plus tard... Il faut nous cacher... Je pense qu'ils ne sont pas plus que cinq ou six, mais nous ne pouvons pas nous permettre de les confronter directement. Il va nous falloir les prendre par surprise. Viens, j'ai trouvé l'endroit idéal pour ça...

La jeune femme prit la main de son compagnon et le guida vers une faille presque invisible dans la paroi de la grotte, cachée par une légère avancée qui faisait comme un repli dans la carapace d'un pachyderme.
La largeur de la fissure permettait tout juste à une homme d'y prendre place et Xm força Gianni à s'y enfoncer en marche arrière.


Tiens, prends ça, ajouta-t-elle en lui mettant un épée dans la main. Ne bouge pas, jusqu'à mon signal!

Le contrebandier eut envie de protester. Sa fierté masculine souffrait un peu de laisser ainsi à sa compagne l'initiative du guet-apens. Il se tut néanmoins. Son air grave et froidement décidé le rassurait suffisamment sur les compétences de la jeune femme en la matière.

Xm prit la lanterne et s'éloigna sans bruit.

Ehhh où vas-tu ? souffla Gianni. Son appel resta sans réponse. Les voix des brigands étaient distinctes maintenant. D'une seconde à l'autre ils allaient déboucher dans la grande salle.

Dio mio,
murmura Gianni pour lui même. Protégez Xm. Prenez-moi s'il le faut, mais faites qu'elle s'en sorte.

Il se signa et porta pour finir ses doigts à ses lèvres. Il ne portait plus depuis longtemps de médaille bénie, convaincu qu'il était que le dieu des hommes de bonne volonté ne devait plus s'intéresser à lui depuis belle lurette, mais l'habitude était ancrée depuis l'enfance et après tout cela ne faisait de mal à personne.
Il resserra sa prise sur la garde de l'épée et tâcha de respirer le plus calmement et plus silencieusement possible. Son coeur battait à ses oreilles. L'heure était venue de prouver à sa bien aimée qu'il n'était pas qu'un simple contrebandier et que le sang de ses ancêtres normands coulait toujours vif dans ses veines.


Venite, sporchi ladri ! grinça-t-il entre ses dents. Je vais vous faire tâter de mon épée si vous essayez de toucher à ma ...

Il n'eut pas le temps d'achever sa phrase. La lumière inonda soudain la grotte. Les bandits étaient là.
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La grotte était à présent pleine du vacarme des hommes et des chevaux.
Malgré le bruit, qui envahissait ses oreilles, de son propre sang courant dans ses veines à un rythme accéléré, Gianni se rendait bien compte que la petite troupe - Xm avait vu juste, ou presque, il y avait là sept coureurs de chemins - était complètement inconsciente de leur présence.
Leurs rires, la manière dont ils s'interpelaient les uns les autres joyeusement, témoignaient de l'assurance tranquille avec laquelle une bande bien organisée retrouve sa tanière après un mauvais coup.

Gianni sentit un frisson glacé parcourir son échine. Lui et sa troupe de vauriens avaient souvent été confrontés à de bandes rivales, pour la défense de leurs territoires respectifs et ils étaient, la plupart du temps, sortis sans dommages des vigoureuses échauffourées dans lesquelles il lui était malgré tout déjà arrivé de perdre un ou deux compagnons, ou de gagner une ou deux cicatrices supplémentaires, dont celle qui ornait sa pommette droite.
Jamais cependant ils n'avaient eu affaire à un tel ramassis de maufaiteurs, tous lourdement armés et dont l'allure trahissait la brutalité et l'expérience du combat.
L' Italien sentait une angoisse étrangement mêlée d'impatience prendre possession de lui.
Comment Xm pensait-elle qu'ils allaient pouvoir sortit vivants de ce guêpier? Tout juste seraient-ils capables de vendre chèrement leur peau, d'éviter d'être pris et tourmentés pour leur arracher la raison de leur présence en ce lieu.

Gianni n'osait imaginer ce que ces rustres feraient subir à sa belle si par malheur - ce qui vu leur nombre était fort probable - ils avaient raison d'eux. Sa main s'affermit encore un peu plus sur la garde de son épée et ses mâchoires se crispèrent dans un rictus haineux. Plutôt la tuer lui-même que de la laisser vivante aux mains de ces animaux ! Le cœur battant à tout rompre, le contrebandier tâchait de contrôler sa respiration et le cri sauvage qu'il sentait naître dans sa gorge.

Du calme ! S'il donnait l'alarme aux brigands maintenant, c'en était fait de lui et de sa belle compagne. Il fallait attendre le moment opportun. Il parvint non sans mal à prendre quelques respirations étranglées, qui lui parurent aussi bruyantes que le soufflet d'une forge. Rien cependant ne semblait inquiéter les bandits, qui s'installaient à même le sol pour se restaurer, après avoir nourri et abreuvé leurs chevaux.

Ils venaient d'allumer un grand feu au centre de la salle pour y faire cuire leur pitance. Certains, ayant posé leurs boucliers à l'envers à terre y déposaient les vivres qu'ils tiraient de leurs havresacs.
Il y avait là des fruits séchés, de la viande et des saucisses sèches, du pain sortant du four dont l'odeur chaude venait chatouiller les narines de Gianni jusque dans sa cachette, de grands quartiers de lard bien gras, des volailles déjà plumées et même quelques fromages enveloppés dans des feuilles de châtaignier.
D'autres détachaient de leurs selles des fontes rebondies d'où ils sortaient des outres de peaux qu'ils commencèrent immédiatement à faire circuler entre eux. Les conversations se firent plus fortes et plus animées.

Avec un rire encore plus gras que sa panse, l'un des plus grands parmi ces rustauds dont la taille avoisinait déjà pour la plupart les six pieds - de la racaille alémanique ou suédoise à en juger, selon les critères du Calabrais, par leurs cheveux filasses, leur teint rougeaud et leur idiome qui se crachait plutôt qu'il ne se parlait - plongea la main dans les plis de ses amples braies pour en extraire un ciboire. Il le tendit vers un routier qui détenait une des outres et dans un vocable qu'il n'était pas donné à Gianni de comprendre, ordonna apparemment à son compère de le remplir. Celui-ci marqua un temps d'arrêt, et au regard de convoitise qui alluma brièvement ses prunelles, Gianni jugea que s'il hésitait, ce n'était pas à l'idée de profaner un objet sacré en s'en servant comme hanap... L'Italien se signa rapidement. Il semblait évident que cette fois un monastère avait dû faire les frais des appétits des brigands.
Visiblement la rapine avait été bonne et ils allaient faire bonne ripaille.


Maladetto Tedesco ! Voler les moines ne t'a pas suffi, - grinça-t-il pour lui même, il faut en plus que tu souilles ce que tu as dérobé ! Sacrilegio !

Gianni dégoûté, détourna le regard de la scène répugnante qui se déroulait devant lui.

Où Xm avait-elle bien pu trouver refuge ?
Les yeux de Gianni balayaient fiévreusement la grotte depuis sa cachette, dont le repli calcaire projetait une ombre bienvenue sur son occupant.

Comment avait-elle réussi à dissimuler et à calmer les chevaux ?
Gianni continuait à cogiter et à inspecter vainement du regard tous les recoins sombres de la grotte quand un bref éclair lumineux, un reflet de torche sur une lame peut-être, attira son regard vers un étroit pilier de pierre tendu comme un doigt monumental vers le plafond de la grotte, à une dizaine de pas de la brèche dans laquelle il s'était enfoncé.

Une silhouette plus sombre encore, si c'était possible, que l'ombre qui l'environnait, était tapie derrière le stalagmite.
Gianni ferma les yeux un moment, comme pour en chasser la lumière des torches qui l'empêchait de distinguer plus clairement la tache d'ombre.
C'était forcément Xm.
Qui d'autre ? Pourtant, en rouvrant les paupières, alors que ses yeux, à nouveau habitués à l'obscurité, distinguaient vaguement le visage noirci de poussière de la belle, Gianni eut l'impression de voir soudain une toute autre personne.
Une concentration sans faille figeait ses traits, qu'un sourire cruel rendait presque méconnaissable.
Elle souriait !
Lui crevait de peur à l'idée de la voir malmenée par ces routiers et elle souriait !
Gianni secoua la tête comme pour chasser de sa vue ce fantôme ricanant qui lui faisait signe de l'autre côté de la salle.
Pas de doute, dans la lumière diffuse qui atteignait la limite de sa cachette, Xm lui adressait un message codé : elle désignait du doigt le plus grand des bandits, qui se tenait maintenant debout près du lac souterrain et s'y soulageait d'importance, pissant sans retenue, le ciboire à la main.
Elle pointa ensuite son index vers sa poitrine puis le passa en un geste éloquent sous sa gorge de gauche à droite.
Elle termina en pointant le doigt vers le Calabrais et en abaissant la paume vers le sol.
Gianni écarquillait les yeux, tout le temps que dura la communication silencieuse. Son regard allait de la silhouette sombre de Xm derrière son pilier de pierre à la brute qui n'en finissait pas de pisser...

Xm quitta sa cachette et s'avança sans un bruit, la dague nue à la main, vers l'homme absorbé dans la contemplation de son interminable jet, qui rejoignait en un arc glougloutant la surface du lac sombre et glacé.
Elle n'était plus qu'à une longueur de bras du mastodonte.
Gianni se retint à grand peine de crier à son amie de renoncer à son sinistre plan.
Même amoindrie par la trivialité de son occupation, la puissance du brigand lui apparaissait dans toute sa mortelle nonchalance.
Xm n'était plus qu'à un pas.
Gianni, fasciné, retint sa respiration. La jeune femme sembla se ramasser comme un fauve. Elle n'allait tout de même pas... ?

Gianni étouffa un cri. Le temps d'un battement de cœur, Xm avait bondi. Sa main gauche s'était plaquée avec force sur la bouche et le nez du routier qui, avant même d'avoir eu le temps d'émettre un cri, s'était écroulé sur les genoux, la dague de Xm enfoncée jusqu'à la garde dans la nuque.
Avec une agilité et une force qu'il n'aurait pas pu croire abritées dans un corps si voluptueusement féminin, la jeune femme accompagna la chute du colosse qui s'effondra en silence dans la poussière.
Le ciboire, qu'il n'avait même pas eu le temps de lâcher, roula à côté de lui avec un tintement qui demeura inouï dans le brouhaha des voix avinées de ceux qui festoyaient à quelques pas de là.

Gianni jeta un regard vers eux. Pas un ne se doutait de la scène brutale qui venait de se jouer derrière leurs dos. Xm fit signe à l'Italien de la rejoindre. Elle avait saisi les jambes du mort mais ne pouvait parvenir seule à tirer son cadavre hors de la vue de ses compagnons, si d'aventure il leur prenait à eux aussi une envie d'ajouter leur contribution au sombre courant souterrain.

Le souffle coupé par ce dont il venait d'être témoin, le contrebandier fit de son mieux pour rejoindre sa complice aussi silencieusement que lui permettaient ses jambes un brin flageolantes. Il saisit les épaules de l'homme. Il y avait sur le sol une infime tache de sang que Xm se hâta de faire disparaitre dans la poussière, d'une semelle indifférente.
Entre temps, ell avait récupéré son arme et l' avait nettoyée sur les vêtements du mort.

Dans son visage d'un calme olympien, ses yeux brillaient avec une intensité qu'il ne lui avait jamais vue jusqu'à cette nuit, même dans leurs moments les plus passionnés.
Exaltation?
S'il avait connu ce mot, c'est sans doute celui qu'il aurait employé pour décrire ce qu'il lut dans les yeux de son amante à cet instant.
Il se contenta pour l'heure de se taire, incapable du moindre mot. De toute manière, le regard impérieux que lui jeta Xm, une fois qu'il eurent tiré le corps à l'écart, ne lui inspira aucun commentaire.
Pour sa part, elle articula silencieusement en le regardant bien en face :

Plus que six !
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Encore sous le choc du spectacle macabre auquel il venait d'assister, Gianni regagna à pas de loup la cachette que Xm lui avait désignée du doigt. Le visage de la jeune femme exprimait toujours la même excitation sauvage et l'Italien commençait à douter qu'il ait jamais vraiment connu la femme qu'il avait à présent sous les yeux.

Tapi dans son recoin de roche, il l'avait vue retourner se dissimuler, elle aussi, derrière son pilier de pierre. Puis l'attente avait commencé.

A l'évidence, quels qu'aient été ses talents d'assassin - car il n'y avait véritablement pas d'autre mot pour qualifier ce dont Xm venait de faire la démonstration - quels qu'aient été ses talents, donc, il était exclus d'affronter une telle troupe de soudards à deux contre six...
La meilleure tactique était, ainsi que Xm le lui avait hâtivement exposé alors qu'ils dissimulaient le corps du premier rustaud, d'attendre tranquillement qu'un besoin naturel les obligent, comme celui que Xm venait d'expédier, à s'isoler pour les occire un à un...

Le plan était d'une simplicité enfantine, trop simple, même. Restait à espérer que leurs généreuses libations ne les poussent pas à aller se soulager deux par deux, voire tous ensemble... Ces malappris en auraient bien été capable, juste pour voir lequel d'entre eux pisserait le plus loin... Et puis, encore fallait-il compter sur leur bêtise ou leur ébriété pour qu'ils ne s'aperçoivent pas que leur nombre s'amenuisait peu à peu.
Tout cela n'avait aucun sens... Cela ne marcherait jamais... Il fallait être complètement idiot ou complètement fou pour y croire... Or Xm n'était ni l'une ni l'autre... Elle devait forcément être consciente de cette faille dans sa stratégie. A moins que l'ivresse du sang n'ait totalement brouillé son esprit. A moins qu'elle ne sache pertinemment que cela ne pouvait que mal tourner, à moins que tout ce qu'elle souhaite, ce soit l'affrontement direct, rapide, brutal, désespéré... Tuer, tuer et tuer encore...

Le Calabrais ne savait plus à quel saint se vouer. Cette nouvelle Xm, qu'il découvrait jour après jour depuis leur départ de Sion, le déconcertait chaque jour un peu plus. L'effrayait même... Elle seule savait que qu'elle avait derrière la tête...

Le temps semblait s'être arrêté.
Gianni, à qui les circonstances avaient miraculeusement fait retrouver quelques bribes de vieilles prières oubliées, les répétait pour s'occuper l'esprit ... Ces satanés brigands n'en finissaient pas de se remplir la panse et de boire tout ce qui pouvait leur tomber sous la main. Cela durait depuis des heures... A croire que leur estomac n'était qu'un trou sans fond... Les secondes s'égrenaient, interminables et Gianni priait toujours en silence... Les versets se succédaient, répétitifs... soporifiques... au point que le contrebandier finit par piquer deux ou trois fois du nez, pour finalement s'endormir pour de bon...

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S'était-il assoupi quelques secondes ou quelques minutes ? Ou sa plongée dans le sommeil avait-elle duré des heures ?

Gianni aurait été bien incapable de le dire tant la torpeur qui l'avait saisi avait été profonde.
Il avait perdu toute notion du temps et du lieu où il se trouvait, aussi, quand quelque chose de lourd roula à ses pieds, il sursauta violemment et laissa échapper un cri se surprise:
"Ma ché...?".
Il ouvrit les yeux pour découvrir un spectacle d'horreur qui lui arracha cette fois un gémissement de dégoût: une tête coupée gisait à quelques centimètres de ses bottes!
Cette vision macabre eut sur lui l'effet d'une douche froide; tout lui revint immédiatement en mémoire: la grotte, les rustauds, Xm poignardant le premier des brigands, la longue attente et puis le sommeil qui avait fondu sur lui comme un rapace.
Il secoua la tête. Il était complètement éveillé maintenant.
La lumière qui éclairait violemment la grotte à l'extérieur de l'anfractuosité dans laquelle il s'était mussé l'aveuglait encore.
La lumière? Des torches ?
Par la grâce de la sainte Madonne, mais que se passait-il ?
Pour sûr le plan élaboré par Xm avait fait long feu! Vite, debout!

Le cliquetis de lames entrechoquées, les ahans d'efforts de plusieurs personnes, les jurons étouffés de voix grossières... on se battait, à plusieurs.
Il hurla :
Xm!

Un rire sonore lui répondit alors qu'il se précipitait hors de sa cachette, l'épée à la main.

Ah tout de même, tu te réveilles? Je me demandais si tu allais encore jouer longtemps au bel endormi !

Comment pouvait-elle plaisanter en un moment pareil ?
Dans la lumière de plusieurs torches jetées au sol, la jeune femme virevoltait entre trois brigands qui la serraient de plus en plus près, chacun brandissant une arme.
A chaque fois que l'un d'entre eux s'avançait pour tenter de lui porter un coup, l'un d'une dague mauresque, l'autre d'une claymore invraisemblablement longue et lourde, et le troisième d'un chandelier - Gianni n'en croyait pas ses yeux, le troisième homme tenait dans son énorme poing velu un lourd candélabre d'argent qu'il tenait par le haut, utilisant son pied massif comme une massue- à chaque fois, la riposte de la féroce bretteuse faisait mouche. Sa longue épée courbe dans la main droite et son poignard dans la gauche, elle tenait en respect ses trois agresseurs, sans pour autant les repousser totalement, alors que Gianni ne doutait pas un instant qu'elle était capable de leur infliger bien pire que les quelques estafilades qu'elle semblait leur avoir équitablement distribuées depuis le début de leur affrontement. En fait elle semblait jouer avec eux comme une chatte avec trois souris bien grasses, elle semblait même vouloir les attirer plus près...

Sans doute encore trop saouls et trop préoccupés par la furie qui tourbillonnait en face d' eux, les bandits n'avaient pas encore réalisé qu'ils se trouvaient à présent pris entre deux feux et qu'un piège mortel était en train de se refermer sur eux. Le corps décapité de leur camarade qui gisait dans la poussière à quelques toises aurait pourtant dû les en avertir. La femme déchainée qu'ils avaient devant eux était la Mort en personne, pire, elle était le Diable monté des Enfers pour les y précipiter.

Xm exultait, les joues en feu, les cheveux plaqués par la sueur, les yeux étincelants.


Alora, vieni ad aiutarmi, caro*? Viens t'amuser un peu! Ces "porci" ont besoin qu'on leur apprenne un peu les bonnes manières. Ils ne veulent pas se laisser saigner par une dame!

Les porcs en question se retournèrent comme un seul homme, inconscients du véritable danger qui se trouvait dès lors dans leur dos, et non face à eux, comme le sexe, la carrure et l'allure de leur nouvel adversaire aurait-pu le leur laisser penser. Gianni réalisa avec effroi leur erreur et sentit son sang se glacer: il allait falloir faire face. Il affermit sa prise sur son épée et se campa solidement sur ses jambes.
Certes il n'était qu'un contrebandier, habitué aux coups en douce et aux escapades furtives et son épée jusqu'alors n'avait jamais servi qu'à intimider les sergents du guet trop regardants à l'entrée de certaines villes, ou les partenaires indélicats en affaire - voire quelques maris jaloux - mais en aucun cas il n'était un pleutre et si ces marauds voyaient en lui un foudre de guerre, il allait leur en donner pour leur argent! Ils allaient goûter à la furia calabrese !


Arrivo, amore ! Je prends celui avec la grosse épée! Essaie d'amuser encore un moment les deux autres le temps que je lui règle son compte!

Alora, vieni ad aiutarmi, caro* Alors, tu viens m'aider, chéri?

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