Kelen
Jour. Paris. Les passants passent et repassent. A côté d'eux, ignorés par tous, un homme affalé contre un mur, ronflait profondément. Une bouteille vide, signe de la cause de son sommeil, était serrée contre lui, comme si quelqu'un se serait avisé de la voler.
Un passant s'arrêta à quelques pas de lui, plus noble de dégaine. Il dévisagea la carrure d'un ancien soldat, et jugea celui-ci suffisant pour ses affaires. Son nez se replissa en sentant l'odeur de vinasse mélangée à celle de la crasse. Il faudrait lui ôter cette chemise jaunie, trouée et trop étroite qui couvrait à peine cette affreuse bedaine de bière dont la main de l'endormi venait justement d'en secouer les graisses. La grimace de dégout s'atténua en visualisant la hache rouillée, visiblement peu entretenue par les traces de sang séchées qui la couvrait, et qui servait de compagne à l'homme.
Un coup de pied jaillit dans les côtes de l'ivrogne, qui grogna et ouvrit les yeux d'un air pâteux pour voir qui osait déranger sa tranquillité. Veut un coup de hache dans sa face de rat, çui-là ?
Dégage poiscaille.
Un vocabulaire à la hauteur de sa tenue pensa le bourge.
- T'veux gagner une belle somme ?
L'intérêt s'alluma dans les yeux du poivrot qui relâcha légèrement la prise sur sa hache, et baissa le bras qui tenait la bouteille dont il comptait se servir pour lui fracasser le crâne.
- Rapporte moi la tête de ce gars-là. Il vit dans l'coin.
Le parchemin, représentant un autre homme, tout ce qu'il y a de banal atterrit dans la grosse main de Kelen.
Un grognement conclua l'affaire.
Mais d'abord, une bière, une fille, et d'quoi grailler.