Ambre..
- Ambre détestait Nathan.
Nathan détestait Ambre.
C'était dit, c'était clair. Inutile de tergiverser. Au premier regard, ils s'étaient détestés. Une moquerie, une réponse cinglante : le ton s'était élevé, et toute possibilité sociale avait définitivement coulé avant même de voir le jour. Le beau blond et l'enfant brune s'évitaient donc comme la peste. Mais entre eux... entre eux, il y avait Euzen. Amant de l'un, frère de l'autre. Et quand Ambre venait quérir auprès de son frère le réconfort ou les conseils qu'une fillette peut attendre de son aîné, Nathan voulait lui parler. Quand Nathan espérait avoir un peu de tranquillité avec Euzen, Ambre s'avisait d'avoir soudain un besoin urgent de son frère. La situation était tendue, chacun des trois prêt à craquer, et tout cela basculait souvent vers les cris, les larmes, les coups, ou les disputes... Jusqu'au jour où Ambre avait compris, du moins dans l'un de ses aspects, la relation qui unissait son frère et l'exécrable Nathan. Oh, bien sûr, elle n'avait strictement aucune idée de la véritable nature de leur lien, et il ne lui serait même pas venu à l'esprit que deux hommes puissent entretenir une relation "amoureuse", mais elle avait fini par voir la tristesse et la colère de son frère, un soir où il s'était disputé avec Nathan. Elle l'avait trouvé seul dans une taverne, à côté d'une chaise renversée, dans un état d'énervement qui avait inquiété l'enfant. La porte s'était ouverte derrière elle. C'était Nathan. Ils se regardèrent, et le blond ressortit après avoir seulement jeté un oeil à l'intérieur. Et cette scène étrange avait laissé Ambre perplexe.
Alors, elle s'était approchée de son frère, avait posé sa joue sur son torse mince, et lui avait demandé, en quelque sorte, si Nathan était si important pour lui qu'il soit la cause de sa tristesse. Euzen, après un silence, avait répondu qu'ils étaient amis, seulement amis, mais qu'ils venaient de se disputer. Et la fillette s'était étonnée, sans le dire, qu'une dispute entre amis puisse le bouleverser à ce point. Elle prit seulement conscience que Nathan était très important pour Euzen. De cette déduction , prenant sur elle, la jouvencelle résolut de faire des efforts pour être plus gentille avec le blond, dans l'espoir que cela fasse plaisir à son frère.
- C'est ainsi que le lendemain...
Après avoir traversé rapidement, accompagnée de son cocher, la grand-place de Bourges, Ambre pénétra dans la taverne où on lui avait indiqué que son frère se trouvait. Elle passa la porte et retira sa capeline : elle trouva là Pouïkie, June, Kye, Johanara, Euzen... et elle prit place aux côtés de celui-ci. Pas de Nathan à l'horizon pour le moment. La fillette profita de son absence pour chercher la tendresse de son frère, car elle était encore fatiguée et étourdie : en effet, une dizaine de jours plus tôt, elle s'était blessée à la main et la plaie s'était infectée, provoquant chez la petite un accès de fièvre. Après un peu de repos, cependant, elle avait eut l'autorisation de revenir un peu en taverne, si son frère y était...
Alors qu'Ambre se laissait un peu cajoler par un Euzen distrait, le beau Nathan fit son apparition, une jolie boîte en carton à la main, visiblement éméché ou... drogué. Ce qui parut n'étonner personne. Il semblait de fort joyeuse humeur. C'était le moment où jamais... Ambre se leva, s'approcha du blond, et lui demanda tout à trac si elle pouvait lui donner un bisou. La drogue aida peut-être le blond à se montrer conciliant car il la laissa faire... Sous les yeux d'un Euzen plutôt étonné, Ambre posa donc ses lèvres sur la joue laissée accessible, puis se hâta de retourner s'assoir avec la satisfaction du devoir accompli - un peu gênée tout de même. Elle marmonna à son frère :
'ce que je ferais pas pour toi, quand même...
Puis elle se tint coite, n'en ajoutant pas davantage. Elle suivit du regard le Sidjéno qui se pavanait avec une boîte luxueuse qui semblait contenir des pâtisseries qu'il nommait "macarons", chose qu'Ambre ne connaissait pas. Elle s'enquit poliment de leur nature, prenant grand soin de faire preuve de gentillesse, et Nathan qui semblait aussi surpris qu'elle accepta la proposition de paix en lui offrant de goûter un des macarons.
Dans un silence un peu étrange, la fillette croqua du bout des dents dans le biscuit délicat, suivie du regard par la moitié de l'assemblée, puis mâcha avec application. Il lui vint à l'esprit que Nathan avait peut-être profité de l'occasion pour l'empoisonner, vu qu'il la détestait, mais il avait l'air tellement étonné de la voir manger qu'elle finit par oublier cette idée tandis que la saveur délicieuse et sucrée emplissait sa bouche. Jusqu'à ce qu'elle sente un étourdissement lui prendre le front et l'esprit entier.
Soudain, elle lâcha son macaron, les doigts ayant perdu toute force. Etait-ce la fièvre qui la reprenait ? Tout le monde la regardait. Euzen venait de sortir. Nathan la fixait. Il serait malpoli de laisser ce délicieux petit gâteau par terre... n'est-ce pas ? Alors, avec précaution, elle se pencha sur sa chaise pour le ramasser... et s'effondra face contre terre, le corps secoué de quelques très brefs spasmes; et elle resta là, les yeux à peine entrouverts, luttant pour rester éveillée malgré la violence du vertige... Puis tout devint blanc autour d'elle.
Elle vit Nathan se pencher sur elle, et perdit connaissance.
_________________
