Nizam
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[Saumur, un 29 mars en fin de matinée]
Nizam avait une relation particulière à la Mort, la vraie, la Faucheuse, celle qui vous engourdit les sens avant que votre corps ne soit plus qu'une carne raide et froide. Il connaissait suffisamment le dogme de l'Eglise pour croire que si quelque chose l'attendait après son dernier souffle, ce serait une vue imprenable sur l'Enfer Lunaire, alors quitte à admettre un jour l'existence d'un tel endroit, qu'importe qu'il soit aujourd'hui plus ou moins damné que demain, il n'était plus à un détail près. Pourtant, ce serait faux de dire qu'il craignait nullement le jour où le coeur, enfin, aura droit à sa tranquillité, il se contentait de dissimuler comme le premier quidam sa peur du dernier battement, pour ne pas en être rongé chaque jour. Ceux osant défier cet instant et se vanter d'avoir aucune angoisse sont des menteurs, ou la fente de leur crâne est plus grande qu'il n'y parait. Le plus désagréable passé, le Balafré songeait que la dépouille se résumait à un amas de chairs dénué de vie et d'esprit, qui sera lentement grignoté selon la naturellement irrévocable putréfaction du moribond. En ce cas, pourquoi accorder à cet état où le bulbe s'atrophie tant d'importance ? La morale, toujours la morale... Le Blond s'en passait allègrement, ce qui expliquait peut-être pourquoi il pouvait discuter de sa tartine du matin avec la même insouciance que de la dernière et sanglante torture à la mode, entre autres, quoiqu'il avait un intérêt plus marqué pour la corde et les piques que pour le quignon et la mie. Horrible habitude que de n'être plus surpris et rarement touché par la fragilité du vivant, il l'avait déjà brisée avec un plaisir écorchant ce qu'il avait d'humain, sachant que tôt ou tard, il prendra la place du gisant.
Mais ayons des pensées plus réjouissantes, aujourd'hui il faisait une affaire ! Un engagement qu'il était à l'instant même entrain de rédiger au propre sur le coin sale d'une table. La pièce louée d'une auberge était plongé dans un silence tel que le seul bruit troublant le calme ambiant était le grattement rapide de la plume sur le parchemin poussiéreux qu'il avait "emprunté" au patron de l'endroit. La rédaction complète lui avait pris du temps, si les teneurs de l'accord étaient des plus originales, il s'était souvenu d'anciens contrats et s'évertuait à ce que la mise en forme soit idéale, conséquence d'une ironie et d'un humour douteux, sinon macabre.
Vendre sa main... Si elle n'avait pas intéressé à ce point une noble rencontrée deux jours plus tôt à Angers, il n'y aurait jamais penser. Les paroles de taverne avaient pris une tournure intéressante lorsqu'il constata le véritable attrait de la jeune femme dans l'acquisition du membre entier. Chacun sa fêlure. Dans cette même idée qu'une fois mort, l'utilité de sa main se remettait en cause, Nizam, quelque peu imbibé d'alcool, avait accepté et préparait le tarif tandis qu'une folle du couteau lui trouait la peau pour inscrire définitivement son choix sur sa paume, un C, la marque de propriété avant l'heure. Il avait seulement réfléchi à cette promesse orale une fois décuvé, trouvant au final des avantages à ce qu'une partie de son corps soit post-mortem profitable à un autre. Il avait été à deux doigts - riez donc devant cette boutade, le summum de l'humour est à nos portes - de se faire graver entièrement le nom de cette brune surexcitée sur sa main gauche, respecter le reste de l'accord ne semblait pas si compliqué. Il ignorait même si elle aura effectivement un jour son dû, mais comptait bien en réclamer le prix, voire plus, le cupide était conscient qu'il ne léguait pas sa main à la première gueuse venue.
Il souffla sur l'encre noire, se relut et un sourire de satisfaction fendit ses lèvres. Comment qu'il était trop doué l'Balafré.
Citation:
Contrat de vente d'organe :
Entre les soussignés Calyce de Dénéré-Malines - dite Calyce pour des besoins d'encre - futur acquéreur, et Nizam, futur manchot.
- Nizam accorde ce jour le droit à Calyce de disposer de sa main gauche, des ongles jusqu'à la naissance du poignet, dès lors que la mort du mercenaire sera avérée. L'acquisition posthume de ladite manus lui permet d'en jouir comme il lui plaira, pouvant l'exposer, la revendre ou la léguer à qui elle jugera méritant.
- La main devra par conséquent être détachée du corps du défunt et revenir à la nouvelle propriétaire dans les jours suivants le décès. Pour qu'il n'y ait pas méprise, Nizam arbore une charmante cicatrice en forme de "C" finement taillée - écorchée - sur la paume de sa main gauche.
- Nizam s'engage à prendre les dispositions nécessaires afin que la main désignée parvienne en bon état à Calyce lorsque, hélas, il ne sera plus.
- En échange de l'organe, Calyce s'engage à respecter, du vivant de Nizam, une dette envers le jeune homme prenant la forme d'un service rendu. Ce service sera, au mieux, dans la limite de ses moyens, et devra pleinement exaucer le souhait du donneur.
- Le souhait peut être formulé à tout instant, seulement par Nizam.
- Tant que le souhait n'a pas été formulé, ni réalisé, ce contrat peut être rompu par l'une ou l'autre des parties, sans motif valable, ni réclamation.
- En outre, ce contrat sera considéré comme rompu si :
* L'une ou l'autre des parties ne respectent pas leur engagement.
* Calyce atteint de manière directe, ou indirecte, à la vie de Nizam, et vice versa.
* Le tragique décès de Calyce est à déplorer avant celui de Nizam.
Rédigé en ce 29ème jour du 3ème mois de l'an de Grâce 1461.
Signatures :
Entre les soussignés Calyce de Dénéré-Malines - dite Calyce pour des besoins d'encre - futur acquéreur, et Nizam, futur manchot.
- Nizam accorde ce jour le droit à Calyce de disposer de sa main gauche, des ongles jusqu'à la naissance du poignet, dès lors que la mort du mercenaire sera avérée. L'acquisition posthume de ladite manus lui permet d'en jouir comme il lui plaira, pouvant l'exposer, la revendre ou la léguer à qui elle jugera méritant.
- La main devra par conséquent être détachée du corps du défunt et revenir à la nouvelle propriétaire dans les jours suivants le décès. Pour qu'il n'y ait pas méprise, Nizam arbore une charmante cicatrice en forme de "C" finement taillée - écorchée - sur la paume de sa main gauche.
- Nizam s'engage à prendre les dispositions nécessaires afin que la main désignée parvienne en bon état à Calyce lorsque, hélas, il ne sera plus.
- En échange de l'organe, Calyce s'engage à respecter, du vivant de Nizam, une dette envers le jeune homme prenant la forme d'un service rendu. Ce service sera, au mieux, dans la limite de ses moyens, et devra pleinement exaucer le souhait du donneur.
- Le souhait peut être formulé à tout instant, seulement par Nizam.
- Tant que le souhait n'a pas été formulé, ni réalisé, ce contrat peut être rompu par l'une ou l'autre des parties, sans motif valable, ni réclamation.
- En outre, ce contrat sera considéré comme rompu si :
* L'une ou l'autre des parties ne respectent pas leur engagement.
* Calyce atteint de manière directe, ou indirecte, à la vie de Nizam, et vice versa.
* Le tragique décès de Calyce est à déplorer avant celui de Nizam.
Rédigé en ce 29ème jour du 3ème mois de l'an de Grâce 1461.
Signatures :
Le Blond quitta l'écritoire de fortune, il devait maintenant trouver la future propriétaire. Ou plutôt réveiller. La noble devait sans doute se remettre de son lever de coude, honteusement responsable de l'assèchement des tonneaux. Hier soir, blond et brune s'étaient retrouvés seuls, l'une boulassement atteinte, l'autre étrangement sobre. Les railleries douteuses filaient jusqu'aux premiers signes de fatigue. Le mercenaire avait demandé à l'angevine - en toute bonne foi, évidemment - de le loger pour la nuit, le problème fut quand ladite noble fut incapable d'aligner deux pas sans tituber, au risque de perdre son pari avec l'homme d'armes, comme quoi elle goûterait d'elle-même aux pavés avant d'être rentrée. Frileux, et d'une patience laissant à désirer, il l'avait aisément entraînée dans le premier taudis d'ouvert croisé sur leur chemin, où il demanda la meilleure chambre et l'y mena avant que l'alcool ne lui donne un air d'ivrogne. Un air de plus, disons. Il l'installa dans la chambre, autrement dit étala la jeune imbibée sur le lit tout en maugréant, lui ôta grossièrement ses chausses et tira le rideau effilé occultant la maigre fenêtre, en la laissant se perdre sous la couverture miteuse. Si la Boulasse faisait bien son travail, elle n'aurait aucun souvenir de cela le lendemain. Tant mieux. Nizam, lui, avait opté pour le vieux siège face à l'âtre, trônant dans ce qui s'approchait d'un salon vétuste, pièce étriquée qui jouxtait la chambre mais lui évitait le sol comme matelas, ou de partager la couche de la brune. Tant qu'elle n'avait rien signé, le Balafré ne s'y risquera pas.
Paupières rouvertes en matinée, il n'avait entendu aucun son provenant de sa voisine, la chambre, porte fermée, lui paraissait silencieuse. Ce fut donc lorsque le contrat fut prêt, soit après plus d'une heure comptant le temps de sortir de sa brume et d'se caler le ventre, qu'il décida de revenir dans la pièce de la dormeuse biturée. Trois coups bruyants furent donnés contre le bois - le but étant le réveil, pas la douceur - et il saisit la poignée pour ouvrir brutalement, débarquant à l'intérieur en criant ce qui devrait faire réagir du sang angevin.
- Calyce, l'vez-vous bordel ! Les royalistes nous attaquent !