Et lui durant tout ce temps là, son petit foyer lui manquait-il ? Si on lui avait posé la question, la réponse aurait été positive, avec les airs d'une parfaite sincérité. D'ailleurs peut être s'était-il lui même un peu convaincu, à force de l'affirmer avant tant de conviction. Enfin toujours était-t-il -et il pouvait en avoir honte- que son chez lui et les femmes qui le peuplaient ne l'avaient guère manqué, tant son quotidien était autre et ses pensées envolées à mille lieues de là.
Alexandrie, la navigation, la richesse accessible, les nouvelles langues, le voyage et la découverte, il se vantait même à des fillettes d'être un grand aventurier-explorateur. C'était moche mais face à l'ennui d'une vie politique, les ennuis que pouvaient lui apporter deux femmes -la nouvelle de l'enlèvement d'Anne Margery dès la première lettre d'Elisabeth en était la preuve directe, ou tous les autres ennuis de la vie sédentaire, Gautier n'avait pas eu si hâte de rentrer. Encore avec Maureen, il avait pu voyager, mais à présent, Clément né et lui marié, ce temps des voyages était certainement résolu. Quant à Elisabeth, ce n'était pas le même caractère. Elle avait besoin de son petit confort, elle aimait l'influence et les relations qu'elle possédait en France et elle n'apprécierait pas la précarité d'un voyage en bateau jusqu'au bout des mers. Du moins c'est ce que Gautier imaginait car en attendant, par exemple, c'était elle qui réclamait un lit commun quand le brun s'attendait à des manières : des chambres séparées.
Le jeune homme, qui pensait avoir tout appris d'Elisabeth, n'était pas déçu -il s'attendait à bien pire d'une petite nobliote- mais mettait tout de même de claires limites à ce qu'il pouvait espérer d'elle et de leur relation. Sans conteste il se trompait, était présomptueux et aurait bien des surprises, avec son petit air blasé. Oui décidément, il n'avait rien compris ni retenu du peu qu'il avait pu partage avec la blonde.
Gautier savait à présent qu'il pourrait vivre en relative harmonie avec son épouse mais la jugeait un peu plate et surtout bien trop fière. Un peu plate... à croire qu'il avait tout oublié. Sans doute la soirée qui sannonçait le ferait changer d'avis.
Finalement, malgré son réel altruisme, Gautier pouvait avoir un caractère abject. Déjà, il était devenu père d'un garçon qui l'avait complètement séduit. Le brun en était devenu barjot d'orgueil. Ensuite, il ne supportait pas que sa femme le regarde de haut, ce qui était sans doute la cause des ressentiments "plats" qu'il gardait d'elle après une longue séparation : il diminuait une femme qui en de nombreuses disciplines le surpassait. Et puis, bien qu'elle fut tout de même justifiée par sa vivacité d'esprit -quoi que parfois, il fallait se demander..., sa suffisance égalait presque celle d'Elisabeth, ce qui était contradictoire puisque Gautier lui reprochait sans cesse ce trait de caractère. Depuis peu, il savourait quelques gouttes de pouvoir, et il comprenait comment il transformait les gens. Gautier plaçait "le Roi Eusaias mon parrain" à tout bout de champ ce qui était ironique puisqu'il ne l'avait pas supporté lors de la bonne campagne et n'approuvait pas ses agissements. En attendant les gens le considéraient d'avantage une fois la phrase casée dans la discussion et il en riait le soir dans son lit. "Quel bon tour je joue à tous ces idiots" se disait-il. Gautier jouissait de toutes ses portes qui s'ouvraient, du champ des possibles qui s'élargissait. Hier encore il avait berné quelqu'un : il lui avait vendu des dattes à 13 écus 50 en lui promettant qu'elles se revendaient à 19 écus, tandis qu'elles n'en valaient maximum que 11. Il devenait riche, se réjouissait de son audace, de son insolence, de son adresse et de sa ruse : il s'aimait.
Et en vérité, ses défauts ne faisaient que s'accentuer quand il était loin des deux "femmes de sa vie" : aucun caractère fort pour le remettre à sa place, même si la blonde le replaçait plus facilement que la brune, la dernière avait plus un effet inconscient sur lui.
Même le nom Vaisneau ne lui déplaisait plus tant que ça. D'une part l'image de son frère s'effaçait de plus en plus et d'autre part il n'avait de nouvelles ni de sa nièce ni de sa soeur Alix, ce qui contribuait à le faire s'imaginer seul Vaisneau restant. Il pensait à présent pouvoir donner une saveur plus personnelle à son nom, ce qui se passerait si Alix ne le reniait pas.
Gautier était rentré à Sémur depuis quelques jours déjà et lui qui s'attendait à retrouver une couche toute chaude ne constatait que le départ de son épouse en Languedoc. Cela ne le contrariait pas vraiment, il pouvait mener ses petites affaires, passer des heures complètement idiot par Clément. Rien ne pouvait plus abrutir Gautier que son enfant. Il profitait également de la présence de Maureen qu'il aimait plus que jamais. Il faut avouer que venir le rejoindre quand il lui annonce être pratiquement sur le lit de mort à cause d'une maladie contagieuse, ça conserve les sentiments. Gautier avait compris la pérennité de leurs liens.
Le Vaisneau menait sa petite vie, plus ou moins mouvementée et divertissante dans le bonheur et la joie, sans oublier sa femme non mais en suivant pratiquement les principes de Lao Tseu : il ne s'impatientait pas, il ne redoutait rien, il savait qu'elle arriverait et il serait là pour laccueillir. Quelque chose comme ça.
Toujours est-il que quand en pénétrant dans leur chambre il vit l'état de la pièce et sa femme dans cette magnifique tenue, il ne poussa pas de cris de surprise -je vous l'épargne. Tout de même, il marqua un temps d'arrêt; il n'avait pas prévu une telle attention, ni une nuit de noce dès son arrivée. Et Gautier décida de jouer, de s'amuser, comme il faisait depuis son retour en France.
Il fit mine de ne pas l'avoir vu et procéda comme habituellement : il s'assit sur une chaise et défit ses chausses. Puis il se releva, comme s'il sapprêtait à enlever le reste, ses yeux croisèrent ceux d'Elisabeth et il exprima un vif mouvement de surprise.
- Mon Dieu ! Quelle est cette sombre et belle inconnue dans ma chambre ?
Puéril, oui tout à fait.
Il s'approcha doucement d'elle et intentionnellement dans un geste le plus tendre qui soit, il lui effleura l'épaule.
- Savez-vous, ma Dame, que le vert vous va à ravir ? On dit toujours que c'est le bleu qui convient aux blondes. Le mieux est encore un compromis comme votre séduisante tenue. Elle doit beaucoup à son mannequin, il faut l'admettre.