Aurel
[1450]
Ça n'irait pas. Ça n'irait pas, quelque chose ne va pas. Peut-être les pierres ? Peut-être les pierres. Il faut réordonner les pierres, qu'a dit l'homme d'église ? Les pieds vers l'Est, la tête vers le soleil qui meurt. Le foutu soleil. Les gens n'ont pas compris que la mort venait avec l'aube et que son apogée allait avec celle de l'astre. Il faudra qu'on l'enterre lui, en perpendiculaire du soleil, c'est à noter. Dix pierres sur les segments du haut et du bas, pour les deux mottes de terre. Il va falloir plus de pierres, et de poids égal, sinon ça n'ira pas. Les pierres de même taille se cueillent sur la plage, il sait ça. Il faut partir cueillir, et revenir arranger ce qui ne va pas. La symétrie est la clef d'une conscience propre. Peu de gens le savent. Les pauvres.
Aurel a relevé un bout de chemise jusqu'au nombril, et entasse les cailloux dedans. Les mêmes cailloux, et ça va déjà un peu mieux. Et pourtant il l'a dit, aux gens, qu'il fallait que les choses soient dans l'ordre. Car c'est ainsi que le monde marche, les pains du plus gros au plus petit, triés par masse, et pour tout ainsi, pour les pierres, les gobelets, les chiffons, mais les gens ne pigent pas, ou ils font semblant de rien y entraver, et c'est malheureux. On dit que la faux lui est tombée sur la tête avant de lui ôter les deux derniers doigts de sa main ; peut-être qu'elle a grignoté un bout de son âme au passage, car ce garçon est fou, a grandi fou, et a donné un homme fou. Mais Aurel tente de ranger son monde aussi clair que dans sa tête.
Et c'est idiot, d'enterrer les gens le citron vers l'Ouest où que le soleil se pieute, parce que ça voudrait dire que l'âme se pieute aussi, alors que c'est le corps qui se pieute. Il faudra qu'il en touche un mot à un prêtre. Aurel finit d'entourer de cailloux là où ses deux parents ont été portés en terre. Peut-être que là dessous c'est bien noir et silencieux, on n'entend plus les gens ni les rumeurs, et on peut passer l'éternité à y compter les grains de terre, et le soleil ne nous atteint plus. Il ne sait pas trop ce qu'il construit, le fils, avec ses pierres alignées, ça ressemble à un rempart contre le temps. Et puis il n'a rien de mieux à leur offrir, à ses vieux clamsés, que de les encadrer avec un principe de symétrie. Un peu comme s'il les bordait avant la dernière traversée.
Et puis il s'en va, parce que demain c'est dimanche.
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Ça n'irait pas. Ça n'irait pas, quelque chose ne va pas. Peut-être les pierres ? Peut-être les pierres. Il faut réordonner les pierres, qu'a dit l'homme d'église ? Les pieds vers l'Est, la tête vers le soleil qui meurt. Le foutu soleil. Les gens n'ont pas compris que la mort venait avec l'aube et que son apogée allait avec celle de l'astre. Il faudra qu'on l'enterre lui, en perpendiculaire du soleil, c'est à noter. Dix pierres sur les segments du haut et du bas, pour les deux mottes de terre. Il va falloir plus de pierres, et de poids égal, sinon ça n'ira pas. Les pierres de même taille se cueillent sur la plage, il sait ça. Il faut partir cueillir, et revenir arranger ce qui ne va pas. La symétrie est la clef d'une conscience propre. Peu de gens le savent. Les pauvres.
Aurel a relevé un bout de chemise jusqu'au nombril, et entasse les cailloux dedans. Les mêmes cailloux, et ça va déjà un peu mieux. Et pourtant il l'a dit, aux gens, qu'il fallait que les choses soient dans l'ordre. Car c'est ainsi que le monde marche, les pains du plus gros au plus petit, triés par masse, et pour tout ainsi, pour les pierres, les gobelets, les chiffons, mais les gens ne pigent pas, ou ils font semblant de rien y entraver, et c'est malheureux. On dit que la faux lui est tombée sur la tête avant de lui ôter les deux derniers doigts de sa main ; peut-être qu'elle a grignoté un bout de son âme au passage, car ce garçon est fou, a grandi fou, et a donné un homme fou. Mais Aurel tente de ranger son monde aussi clair que dans sa tête.
Et c'est idiot, d'enterrer les gens le citron vers l'Ouest où que le soleil se pieute, parce que ça voudrait dire que l'âme se pieute aussi, alors que c'est le corps qui se pieute. Il faudra qu'il en touche un mot à un prêtre. Aurel finit d'entourer de cailloux là où ses deux parents ont été portés en terre. Peut-être que là dessous c'est bien noir et silencieux, on n'entend plus les gens ni les rumeurs, et on peut passer l'éternité à y compter les grains de terre, et le soleil ne nous atteint plus. Il ne sait pas trop ce qu'il construit, le fils, avec ses pierres alignées, ça ressemble à un rempart contre le temps. Et puis il n'a rien de mieux à leur offrir, à ses vieux clamsés, que de les encadrer avec un principe de symétrie. Un peu comme s'il les bordait avant la dernière traversée.
Et puis il s'en va, parce que demain c'est dimanche.
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