Fleur_des_pois
Les Halles. Quartier de Paris grouillant de vie. Mélange de tous les genres. En une heure, on pouvait en apprendre plus sur l'humanité que n'importe où ailleurs. On y vendait de tout, à tous les prix. Consommables, vêtements, matières premières, animaux. C'était toujours bruyant, souvent sale, parfois dangereux. Noblesse et gueusaille s'y côtoyaient en une sorte de ballet étrange. Les étals des marchands regorgeaient de mille et unes choses, que l'on achetait à prix d'or, ou pour trois fois rien.
L'un de ses étals n'était pas bien grand, et autant à l'écart que possible. Il s'agissait d'une petite guérite de bois, à l'intérieur de laquelle il y avait juste assez de place pour que deux personnes de moindre corpulence puissent y tenir. L'occupante n'était pas une marchande habituelle. Elle avait loué à une connaissance cette minuscule cabane. Cela ne s'était pas fait de bon coeur. Ni pour l'une, ni pour l'autre. Mais Louisette devait un service à sa loueuse, aussi avait-elle du accepter le marché.
Celle qui s'y tenait à présent, accoudée au guichet de la porte à double-battant, regardait d'un oeil morose les éventuels acheteurs qui circulaient dans les rues. Il s'agissait de Fleur-des-Pois. Ou Gaia Corleone, de son véritable nom. Les affaires ne marchaient pas fort en ce moment, pour l'empoisonneuse. Elle avait un grand besoin d'argent, et donc, d'un pigeon à qui refourguer le plus possible de fioles. Au coeur des Halles, l'Ortie n'allait pas s'époumer pour qu'on vienne lui acheter ses poisons. Ce genre de commerce était plus discret. Et « ceux qui savaient » préféraient ne pas être vu en sa compagnie dans un endroit trop fréquenté.
Aujourd'hui, elle vendait ses attrape-nigauds, comme elle les nommait. Philtre d'amour, elixir de Longue Vie, onguent de Jeunesse Eternelle, potion pour devenir plus intelligent, pierre qui donnait du courage, sérum de Vérité... Qu'elle vendait pour une somme absolument astronomique. Sans aucun remord, d'ailleurs.
Cela faisait déjà deux longues heures qu'elle guettait le client. Personne ne daignait s'arrêter, malgré le regard de certaines femmes qui semblaient intéressées. Mais devant leurs époux, mieux valait jouer l'indifférence. A ce train-là, Fleur n'aurait rien vendu avant midi. Et cela n'était pas tolérable. Puisque le client ne venait pas à elle, il lui fallait venir au client.
Observant avec une acuité nouvelle les allées et venues, la Fée porta son regard sur une jeune femme. Joliment vêtue, elle fleurait bon l'argent sonnant et trébuchant. Ses cheveux étaient roux, son teint de lait, ses lèvres cerises. Elle était jolie. Et comme souvent les femmes belles, elle devait sans doute désirer garder pour toujours ces traits finement dessinés.
Sans doute que si elle n'avait pas elle-même trainé « dans le milieu », Fleur aurait également souhaité figer dans le temps la perfection de ses traits. L'opposée exact de l'acheteuse potentielle, Gaia arborait le teint mat des filles du sud, une épaisse chevelure noire qui cascadait jusqu'entre ses reins, de grands yeux bruns et une bouche ourlée et souriante. De petite taille, ce qui lui avait donné son surnom de « Fée ». Et dotée de formes appréciables. Elle avait compris depuis bien longtemps qu'un beau visage inspirait confiance. Ne lui aurait-on pas donné le Bon Dieu sans confession, alors qu'elle avait un passé aussi sombre qu'un ciel d'orage ?
Mais voilà que l'ange roux s'éloignait déjà de sa vue. Avait-elle posé un regard sur sa cahute ? Trop absorbée à contempler sa robe élégante, Fleur n'y avait pas pris garde. Si jamais elle avait laissé s'échapper une cliente...
Heureusement, elle n'était pas encore loin, tout juste quelques pas. Et doublement heureux, il n'y avait guère de monde aux alentours. La demoiselle était riche de toute évidence. Elle était jeune. Elle était belle. Elle serait sans doute naïve, comme bon nombre de jeunes filles.
Damoiselle ? Damoiselle ? Euhm... Ravissantee beauté aux cheveux roux ! Oui, vous, ajouta-t-elle comme l'autre se retournait. Je... Oh, je suis désolée, je vous contemple depuis tout à l'heure et je... C'est trop bête. Approchez donc ! Il se pourrait bien que je puisse vous venir en aide.
Avant que l'interpellée n'approche, Fleur lissa rapidement le devant de sa jupe grenat, et réajusta son bustier vert. Sa chemise blanche bordée de dentelle laissait voir ses épaules, mais tant pis. L'Ortie n'avait plus guère le temps de faire sa toilette.
Tendant la main vers la jeune rousse, elle poursuivit son interpellation :
Voilà fort longtemps qu'il ne m'a été donné de contempler si joli minois. Approchez, approchez, je vous en prie ! Une rose telle que vous devrait pour toujours conserver l'éclat de ses pétales. Je vous en prie, approchez-vous de moi.
Un large et joyeux sourire fut lancé à la demoiselle. Oserait-elle venir ?
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L'un de ses étals n'était pas bien grand, et autant à l'écart que possible. Il s'agissait d'une petite guérite de bois, à l'intérieur de laquelle il y avait juste assez de place pour que deux personnes de moindre corpulence puissent y tenir. L'occupante n'était pas une marchande habituelle. Elle avait loué à une connaissance cette minuscule cabane. Cela ne s'était pas fait de bon coeur. Ni pour l'une, ni pour l'autre. Mais Louisette devait un service à sa loueuse, aussi avait-elle du accepter le marché.
Celle qui s'y tenait à présent, accoudée au guichet de la porte à double-battant, regardait d'un oeil morose les éventuels acheteurs qui circulaient dans les rues. Il s'agissait de Fleur-des-Pois. Ou Gaia Corleone, de son véritable nom. Les affaires ne marchaient pas fort en ce moment, pour l'empoisonneuse. Elle avait un grand besoin d'argent, et donc, d'un pigeon à qui refourguer le plus possible de fioles. Au coeur des Halles, l'Ortie n'allait pas s'époumer pour qu'on vienne lui acheter ses poisons. Ce genre de commerce était plus discret. Et « ceux qui savaient » préféraient ne pas être vu en sa compagnie dans un endroit trop fréquenté.
Aujourd'hui, elle vendait ses attrape-nigauds, comme elle les nommait. Philtre d'amour, elixir de Longue Vie, onguent de Jeunesse Eternelle, potion pour devenir plus intelligent, pierre qui donnait du courage, sérum de Vérité... Qu'elle vendait pour une somme absolument astronomique. Sans aucun remord, d'ailleurs.
Cela faisait déjà deux longues heures qu'elle guettait le client. Personne ne daignait s'arrêter, malgré le regard de certaines femmes qui semblaient intéressées. Mais devant leurs époux, mieux valait jouer l'indifférence. A ce train-là, Fleur n'aurait rien vendu avant midi. Et cela n'était pas tolérable. Puisque le client ne venait pas à elle, il lui fallait venir au client.
Observant avec une acuité nouvelle les allées et venues, la Fée porta son regard sur une jeune femme. Joliment vêtue, elle fleurait bon l'argent sonnant et trébuchant. Ses cheveux étaient roux, son teint de lait, ses lèvres cerises. Elle était jolie. Et comme souvent les femmes belles, elle devait sans doute désirer garder pour toujours ces traits finement dessinés.
Sans doute que si elle n'avait pas elle-même trainé « dans le milieu », Fleur aurait également souhaité figer dans le temps la perfection de ses traits. L'opposée exact de l'acheteuse potentielle, Gaia arborait le teint mat des filles du sud, une épaisse chevelure noire qui cascadait jusqu'entre ses reins, de grands yeux bruns et une bouche ourlée et souriante. De petite taille, ce qui lui avait donné son surnom de « Fée ». Et dotée de formes appréciables. Elle avait compris depuis bien longtemps qu'un beau visage inspirait confiance. Ne lui aurait-on pas donné le Bon Dieu sans confession, alors qu'elle avait un passé aussi sombre qu'un ciel d'orage ?
Mais voilà que l'ange roux s'éloignait déjà de sa vue. Avait-elle posé un regard sur sa cahute ? Trop absorbée à contempler sa robe élégante, Fleur n'y avait pas pris garde. Si jamais elle avait laissé s'échapper une cliente...
Heureusement, elle n'était pas encore loin, tout juste quelques pas. Et doublement heureux, il n'y avait guère de monde aux alentours. La demoiselle était riche de toute évidence. Elle était jeune. Elle était belle. Elle serait sans doute naïve, comme bon nombre de jeunes filles.
Damoiselle ? Damoiselle ? Euhm... Ravissantee beauté aux cheveux roux ! Oui, vous, ajouta-t-elle comme l'autre se retournait. Je... Oh, je suis désolée, je vous contemple depuis tout à l'heure et je... C'est trop bête. Approchez donc ! Il se pourrait bien que je puisse vous venir en aide.
Avant que l'interpellée n'approche, Fleur lissa rapidement le devant de sa jupe grenat, et réajusta son bustier vert. Sa chemise blanche bordée de dentelle laissait voir ses épaules, mais tant pis. L'Ortie n'avait plus guère le temps de faire sa toilette.
Tendant la main vers la jeune rousse, elle poursuivit son interpellation :
Voilà fort longtemps qu'il ne m'a été donné de contempler si joli minois. Approchez, approchez, je vous en prie ! Une rose telle que vous devrait pour toujours conserver l'éclat de ses pétales. Je vous en prie, approchez-vous de moi.
Un large et joyeux sourire fut lancé à la demoiselle. Oserait-elle venir ?
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