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[RP] A toi, mon fils...

Anaon

    *

    L'horizon n'est qu'un mur liquide, teintée d'un gris qui éclabousse le paysage en gerbes glaciales et fracassantes. La pluie s'abat avec la lourdeur des pierres dans la cimes des arbres, faisant du bruissement des feuilles un bruit de tempête et des routes de terres un véritable marécage. On croirait progresser dans un épais brouillard... Il n'y a rien d'autre de discernable pour le regard que les éclaboussures boueuses que font les sabots du cheval dans les mares. Des branches abattues percent parfois la monotonie du paysage, entravant davantage la progression déjà délicate sur le tracé malmené. La guerre, le passage, les brigandages ont laissé dans la terre des cicatrices que l'on a pas rebouché, créant des excavations remplies de la pluie nouvelle et des eaux limoneuses charriées par les rivières en crue. Un véritable bourbier où il est difficile d'avancer. Ils se sont arrêtés...

    A côté de la route martyrisée, une ruine esseulée tente vainement de faire tenir ses dernières fondations. Quelques vestiges de murs se dressent, fatigués, plantés dans le paysage tourmentés comme des vieillards qui, même debouts, demeurent marqués par l'usure et les affres du temps. De son affabilité d'autrefois, il ne reste à la ruine que quelques pierres imbriquées dont certaines s'élèvent encore suffisamment pour supporter ce qui semble être les restes du plancher d'un ancien grenier. L'avancée est étroite, les planches ont cédé à la pourriture et aux vers pour ne former qu'un abri qui ne fait pas même un mètre. C'est là qu'est l'Anaon, recroquevillée contre la peau minérale, serrée dans un manteau de cuir qui ne lui tient même pas chaud...

    Le petit chiot bâtard s'est lové dans le berceau formé de ses jambes repliées et de son ventre et la monture tente de trouver piteusement un peu d'abri sous les chevrons écroulés et le châtaignier rachitique qui étend ses ramures amaigries. Elle avait voulu pousser jusqu'au prochain hameau pour trouver un refuge raisonnable, mais après plusieurs heures passées sans avoir aperçu le moindre toit potable, elle avait décidé de faire halte. Visgrade menaçait à chaque pas de s'écrouler dans les fondrières, les prairies bordant la route n'offraient pas meilleur appui. Les bosquets étaient trop serrés et dénudés et aucune chaumière n'avait pointé son nez de la ligne d'horizon pour leur offrir l'espoir d'un gîte. Il n'y avait rien eu, rien d'autre que cet amas de pierre qui formait pour l'heure leur seul et unique salut. Elle remonte le col de son manteau. Elle est frigorifiée. Le regard azuré se pose sur Fenrir qui cherche un peu de chaleur puis sur l'ibérique qu'elle a couvert de sa cape. Elle n'a pourtant que cela à leur offrir... Le froid en guise de couverture et l'errance pour seule toiture. Château-Gontier n'est plus. Bourgogne lui a depuis longtemps fermé ses portes. Il n'y a d'ailleurs, là-bas, plus de bras qui veuillent s'ouvrir pour la laisser s'y réfugier.
    Le nez se tend au ciel. Elle espère que la pluie cessera.

    L'attention retourne au paysage tramé. Sur le plat de ses cuisses, pincés entre ses doigts, elle tient un vélin fatigué et une mine de plomb. Elle n'ose pourtant lui offrir sa pleine concentration, gênée par l'absurdité des pensées qui l'habitent. Les orteils bougent, faisant couiner le cuir trempé de sa botte qui baigne dans la boue. A nouveau, elle se fige.

    Le fracas de la pluie. Les soupirs las de sa monture.

    Une main n'y tient plus. Les doigts se faufilent avec précaution par le col de son manteau jusqu'à s'immiscer dans une poche logée près du cœur. Elle en extirpe un carré jaunit qu'elle garde au plus près d'elle pour le protéger de la pluie. Avec une infime délicatesse, elle défait le petit pli. Sur la peau fibreuse se dévoile un tracé, des lignes, des ombres. Le croquis d'un nourrisson sur lequel elle s'est abîmée les rétines. Son fils.... Le dessin avait été envoyé par une Rosalinde à laquelle elle n'avait jamais répondu et si la lettre avait trouvé les flammes, l'image, elle, n'avait jamais quitté la chaleur de son sein. Bien vite pourtant, elle replie le vélin de peur que l'humidité ne finisse de l'altérer et c'est à contre-coeur qu'elle le range à nouveau à l'abri de son regard.

    Les doigts hésitent puis s'affirment alors sur sa mine de plomb et le regard s'abaisse sur la feuille vierge posée sur ses jambes. Qu'importe l'absurdité, elle a besoin de s'exprimer.... de se... libérer.

    Citation:
    Premier jour du mois de juin, An 1461

      A toi mon fils,


    Tu as aujourd'hui quatre mois... Quatre mois, une semaine et quatre jours. Autant d'heures douloureuses qui t'ont tenu et te tiennent encore loin de moi. Depuis ce jour où tu es venu au monde, je n'ai pas eu l'heur de te rencontrer. Je ne connais pas ton rire et ne sais pas même la couleur de tes yeux... As-tu ceux de ton père? As-tu les miens? Ou encore, peut être, les perles grisées de ta grand-mère que j'ai déjà légué aux premiers fruits de mes entrailles... Je ne connais ton visage qu'à travers ce que j'imagine, dans ces pensées où l'espoir me nourrit une vision apaisante et réjouie te toi. Tu es heureux. Je ne peux le croire autrement ni ne le tolérer...

    Bourgogne t'es douce je l'espère. Ici, sur les routes du Maine, le temps pleure pour mes yeux asséchés et c'est tous les déboires de mon cœur qu'il trahit. Toi, tu es au chaud et bien au sec, j'en suis rassurée, mais si tu avais été là, ma vie n'aurait plus eu le goût des chemins et de l'usure. Pourtant, il me faudra encore vivre avec la boue avant de pourvoir, un jour, te retrouver.

    Là-bas, en Bourgogne, ils t'appellent Amadeus. C'est un joli nom... Je n'ai rien à en redire, mais pour mon cœur tu resteras toujours le "Très-beau". Tu ne connaîtras sans doute jamais ta véritable appellation, celle qui t'a été échu pour ton premier souffle de vie et celle qui restera l'unique à te définir. Sans doute ne parleras-tu jamais breton... Je ne sais si un jour je pourrais te l'apprendre. Tu dois d'or et déjà savoir, même si tu ne peux le comprendre, que je ne t'ai pas abandonné. Loin de moi cette aberration. Si je t'ai laissé partir loin de moi ce n'a été que pour ta sécurité. C'est difficile à admettre, je mène une drôle d'existence et n'ai pas beaucoup d'amis. Pour l'heure, ta vie sera plus douce si tu es tenu loin de moi... Un jour, tout ira mieux, nous n'aurons plus rien à craindre, je viendrais te chercher. Mais pour le moment, ne penses à rien de cela, non, dors sans peur, continue tes rêves dans ton couffin de lin blanc. Mais je te l'avoue... C'est une déchirure...

    J'ai mal, de savoir que lorsque tu penses "Maman" ce n'est pas moi que tu attends.... que lorsque tu souris, ce n'est pas moi que tu contemples. C'est une autre qui t'aime et te cajole, qui te rassure quand tu pleures. C'est dans ses bras à elle que tu t'endors, elle habite tes pensées et tes rires... Tu ne connais que son odeur, tu n'as besoin que de ses yeux et mes bras à moi n'enlacent que du néant alors qu'ils devraient rencontrer la douceur de ton petit corps. Pour toi, je n'existe pas. Tu ne me penses plus comme tu le faisais lorsque tu étais au creux de moi. Tu ne me sais pas...

    C'est elle que tu aimes...

    Pourtant... Je te rêve et dans cette illusion que je tisse, je te tiens contre mon sein. Je t'offre tendresse et caresse et tu me souris. Nous vivons là où il ne pleut pas, là où le monde ne se résume qu'à toi et à moi. Avec moi tu es... heureux.

    A toi, mon fils, désormais j'écrirais une lettre chaque semaine... Puisses-tu un jour savoir qu'elles existent...

      Je t'aime,
      Mammig


    Les doigts s'immobilisent au-dessus de la feuille... La poitrine se gonfle et se relâche dans un étrange soulagement. La pulpe des doigts frôlent doucement le vélin tavelé d'une écriture maladroite. Déjà le papier s'abîme de quelques gouttes de pluie qui s'y échouent malgré l'abri. Lentement, elle plie la lettre qui ne partira jamais. Elle la range près de son cœur, scellant là le début d'un étrange rituel...

    Les yeux se ferment. La main resserre son manteau. Elle repense ses mots, comme si au loin, un cœur pouvait les entendre... Ça lui redonne un peu de chaleur.

    Il pleut toujours.

Musique " Firefly Sanctuary", par Jalan Jalan
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Images originales: Charlie Bowater, Eve Ventrue - Proverbe Breton - Anaon dit Anaonne[Clik]





Anaon
    Citation:
    Quatre mois deux semaines et cinq jours,

      A toi mon fils,


    Il y a trois jours que je suis entrée dans Paris. J'ai délaissé les chemins de terre pour le pavé souillé de la capitale et bien qu'étant déjà empreinte d'une vague lassitude, j'avoue en ressentir une certaine satisfaction. La pluie m'est douce et agréable, mais quand elle coule dans mon dos au point d'en imprégner mes os, elle arrive à noyer le moindre de mes élans bucoliques.

    As-tu déjà vu Paris ? Un jour je t'y mènerais. S'il est une ville que tu dois voir ne serait-ce qu'une seule fois dans ta vie, c'est bien Paris. Quand tu auras vu la ville, tu auras compris l'Homme. Paris est humaine, mon fils. Les passants sont autant de vie charriée dans ses veines de pierres alimentant son cœur et ses poumons. Elle est riche et présomptueuse comme les nobles, elle est pauvre et misérable comme ses mendiants. Microcosme du monde cantonné par quelques remparts de roche. Tu verras, c'est une ville bien stupéfiante et l'on y trouve ce que l'on veut.

    Je te ferais voir la cité et ces lettrés. Je te montrerais Notre-Dame ! Je t'apprendrais un jour que tout mon être hait Aristote et ses fervents, mais comment ne pas frémir d'admiration devant une telle preuve de foi et de génie architectural. Nous passerons sur le Pont au Change et sa structure improbable. Je t'emmènerais aux galeries, pareilles à un cœur battant de tous les accents du monde. J'y ai flâné aujourd'hui en pensant à toi... Devant l'étale d'un sculpteur je me suis arrêtée. Il y avait un petit cheval de bois, des dés colorés. Des effigies de chevaliers et de minuscules trébuchets. Je les ai frôlés en souriant. Tu es encore jeune pour cela et je pense que tu ne manques de rien pour te divertir. Je suis curieuse de savoir quels seront tes goûts plus tard. Tu seras sans doute comme tous les petits garçons. Plein de fougue, d'une imagination qui dépasse l'entendement et une ambition plus féroce encore. Tu rêveras de chevalerie. Cependant, ne compte pas sur moi pour t'apprendre la guerre.

    Je t'apprendrais à vivre et à te préserver. J'aimerais te tenir à jamais loin des armes. M'assurer que tu vives dans un monde où tu ne verras pas le sang. Que pour toujours tu ne restes qu'un enfant qui se contente de vivre tout simplement. J'ai peur déjà de savoir que je n'y arriverais pas. De savoir qu'il faudra t'apprendre la douleur pour que tu puisses l'éviter. Qu'il sera des fois où je ne pourrais t'empêcher d'avoir mal. La naïveté... C'est sans doute le plus précieux des présents. Je te souhaite de pouvoir en jouir le plus longtemps possible.

    J'ai vu aussi des merciers et des tisserands étaler au regard des pans de rêves au toucher de soie ou de satin. J'ai imaginé les coudre pour toi. Préférerais-tu le bleu ou le vert ? J'aime le vert... C'est la couleur des ovate et du savoir. Puis, je me suis ravisée, frustrée de savoir que je ne peux sans doute rien t'offrir de plus que ce tu ne possèdes déjà...

    J'ai parcouru encore le marché, en t'imaginant, plus grand, courir entre les étales pour te cacher derrière les jupons des bourgeoises. Je ferai celle qui ne t'a vu en me parant d'un sourire. Tu te trahiras d'un rire, trop heureux de tes facéties. Je ferai mine de te chercher alors que je ne t'aurai jamais perdu... et je te trouverais en te soulevant dans mes bras.

    J'ai laissé mes doigts tanguer dans le vent. J'ai frôlé tes cheveux que j'ai imaginé...
    Ils n'ont caressé que le vide...

      Je t'aime,
      Mammig

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Images originales: Charlie Bowater, Eve Ventrue - Proverbe Breton - Anaon dit Anaonne[Clik]
Anaon

    Elle a fait une chose qu'elle n'avait pas fait depuis plus de deux ans. La chose la plus simple du monde. Elle s'est éloignée de Paris et de sa civilisation. Elle a trouvé une prairie tranquille et s'est allongée dans l'herbe. Tout simplement....

    La peau des avant bras s'offre langoureusement au soleil. Sa caresse est encore agréable et lui arrache quelques frissons. Bientôt la chaleur se fera lourde et pâteuse. Elle rendra l'échine des paysans poisseuse et fera rougir les champs de blé du sang des hommes qui se blesseront sur les faux. Et après l'hiver qui fait mal par sa morsure, l'été rappellera à son esprit les cicatrices qui ne supporteront plus la démangeaison du moindre tissu.

    Une joue en terre, l'œil d'un bleu sombre est tout absorbé par le ballet gracile d'un papillon perché sur un bouton d'or. Les éventails soyeux s'agitent dans une lente cadence, avec plus de douceur qu'un soupir sur une peau alanguie. Le cobalt poudreux qui nimbe ses ailes de velours n'a rien à envier à l'éclat céruléen et elle, elle n'ose battre des paupières de peur de faire fuir cette fragile apparition. Mais le papillon abandonne soudainement son piédestal pour éviter les canines du chiot fou qui tente de le happer.

    Les azurites suivent l'essor gracieux du rescapé qui s'envole pour l'éther, avant de tourner son visage pour regarder sa monture qui broute paisiblement en ignorant superbement le jeune chien qui court comme un dératé après le moindre brin d'herbe. Elle n'avait même pas pris soin de seller Visgrade. Le poil doré de l'étalon luit superbement à la lumière du soleil. Il est beau l'ibérique. Non, il est magnifique même, mais il commençe à se faire doucement vieux son isabelle. Isabelle. Elle l'a toujours appelé "l'isabelle" alors que la monture a toujours clairement été d'un palomino singulier.

    Elle accuse soudainement une plainte étouffée quand le pataud se fait brutalement rappeler à elle en se roulant sur son ventre avec toute la délicatesse du monde, avant de s'y frotter comme un abruti pour quémander subtilement quelques caresses.


    Citation:
    Quatre mois trois semaines et cinq jours,

      A toi mon fils,


    Est-ce que toi aussi, derrière les remparts qui te gardent du monde, tu sens la nature qui enfin se réveille ? A trop m'accrocher à la senteur des souvenirs, j'avais oublié, je crois, l'odeur de l'herbe nouvelle et de la terre féconde. Mais voilà que les fleurs ont éclos comme autant de prunelles s'ouvrant sur le ciel, aux couleurs et aux charmes qui rendraient les soieries de Croix-rousse aussi fades qu'une mer de pierre sous un ciel de larme. Le diapré des prairies est une ivresse pour le regard et j'espère que, même sans la comprendre, tu arriveras à en apprécier la beauté. Les pluies ont cessé pour t'offrir tardivement ton premier printemps et le soleil perce le ciel avec une vigueur qui a pourtant moins de chaleur que le sourire que je t'imagine.

    Je crois que j'ai rarement vu spectacle plus apaisant que le zéphyr faisant ondoyer l'herbe comme une verte chevelure. Les collines frissonnent, elle se déroule comme d'interminables rubans de satin. Oui... C'est cela que j'aime, ces couleurs satinées qui ne se dévoilent que lorsque l'herbe danse sous le vent. Et quand je la regarde, je ne peux m'empêcher de penser à la houle de Bretagne.

    Bretagne. Ses précipices, ses forets, son horizon d'azur perdue dans l'infini. Je te l'avoue, elle me rappelle des souvenirs amers. Je ne peux plus regarder un autel de pierre sans avoir le cœur qui se serre de concert avec une bile acide qui me ronge l'esprit, et pourtant... je me languis de ses landes et de ses falaises. As-tu déjà vu l'Armorique ? Sentir sur ses liserés rocheux le sel envahir tes narines ? Je serai surprise de savoir que l'on ne t'a pas encore emmené au cœur de Breizh, mais égoïstement, j'espère que ce n'est pas le cas. Je veux être la première à te faire découvrir la terre qui coule dans mes veines.

    Je veux te parler de ce monde où Aristote est désuet. Ou les gens apprennent encore à célébrer la vie et celle qui nous a vu naitre. Je ne forcerais pas tes choix ni tes pensées, mais je ne pourrai m'empêcher de te parler des valeurs que mon père m'a jadis inculqué. Je t'en parlerai ne serait-ce que pour que tu aies le choix et je ne pourrai jamais t'en vouloir de ne pas avoir voulu suivre le chemin qui fut le mien. Je le dis tellement moi-même : s'il y a un exemple à ne pas suivre, c'est bien celui de ses parents. Mais je te conterai Bocéliande, où il s'est joué l'histoire d'amour de Merlin et de Vivianne. Je te parlerai des Korrigans qu'il te faudra éviter et de loin, au-dessus des criques désertes nous essaierons d'observer les Mary Morgane. S'il est des femmes dont il te faudra éviter les filets, c'est bien celle-ci qui ne manqueront pas de te noyer de leurs passions au fond des eaux. Ensemble, nous chercherons les Morganed. Ce sont des petits êtres charmants aimant les côtes, pas plus grands que des enfants, aux yeux bleus et aux cheveux aussi blonds que des épis de blé. Les Morganed... Souvent il m'arrivait d'appeler affectueusement mes enfants ainsi...

    La Bretagne est belle, Kenan, un joyau noyé dans l'écrin des guerres et des querelles politiques qui voilent toute la richesse dont elle est gorgée. Un jour, je te montrerai ses trésors et te conterai milles et une légende. Je te raconterai aussi des mythes qui n'en sont pas. Que t'apprend-on en Bourgogne ? Souvent les gens m'accusent de superstition. J'appelle cela de la prudence. Par étroitesse d'esprit, ils s'obstinent à ne croire que ce qu'ils voient ou les arrangent, et ils arrivent à se surprendre de tomber un jour sous les griffes d'une galipote ou des stratagèmes d'une lavandière.

    Est-ce que l'on te berce déjà d'histoire ? Est-ce qu'elle chante le soir pour t'endormir ? Où es-tu à cet instant où je t'écris ? Que fais-tu alors que je regarde les fleurs nouvelles qui fanent dans mon esprit qui à nouveau se lamente d'être tenu si loin de toi ?

    Le semaine prochaine tu auras cinq mois. Déjà...
    Cinq mois de trop que je ne te connais pas.

      Je t'aime,
      Mammig


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Images originales: Charlie Bowater, Eve Ventrue - Proverbe Breton - Anaon dit Anaonne[Clik]

Anaon
    Il y a trois jours, les feux ont brillé en place de Grève. Des torches à taille humaine défiant la nuit dans les rires et les chants qui comblaient son silence. L'humeur était joyeuse en cette nuit de solstice. La Saint-Jean pour les uns. Tantad pour elle. Elle s'est joint à la foule sans pourtant s'y mêler. Assise sur la marche d'une porte quelconque, elle observait en silence le brasier et les silhouettes mouvantes. Dans ses mains, elle tenait une petite ramure de châtaigner et une branchette de sauge. Cela faisait longtemps qu'elle n'avait plus fêté les calendaires. Depuis la funèbre Modra Necht qui l'avait marqué d'un sourire d'ange. Si depuis ce jour macabre sa foy ne s'était pas amoindrie, l'Anaon n'avait pourtant plus été depuis lors un exemple de fidélité. Elle avait au moins cela de respectable... de ne pas misérablement et systématiquement solliciter les faveurs divines. Elle ressentait néanmoins le besoin d'un peu de soutien et aussi l'envie de renouer avec les rites qui ont jalonné sa vie pendant tellement d'années. Elle avait donc prévu de veiller devant le feu, toute nuit durant, comme elle le faisait, avant, contemplant son trépas sans en ressentir la moindre fatigue. Puis à l'aube, quand des braises il ne restera que des cendre, elle ira prélever la poussière de suie qu'elle ramènera avec elle. Mais d'abord...

    Elle s'était alors levée pour s'approcher des flammes, ignorant les danseurs s'animant autour du brasier en une guirlande vivante. La chaleur ignée avait envahi son visage et de la poche interne de son gilet, elle avait tiré une petite croix druidique. Habituellement, elle ne regardait même plus l'objet symétrique, plus avec une telle conviction dans le regard comme elle l'avait en cet instant. Elle porta le pendentif à ses lèvres et l'y laissa posé, puis ses yeux se fermèrent et dans son âme fusèrent les paroles rituéliques qu'elle entendait enfant quand son père l'emmenait au cercle.

    Les branches furent jetées aux flammes, puis elle ouvra l'autre paume dans laquelle se trouvait un petit bout de papier. Elle abandonna son billet aux langues de feu. Sur ce bout de vélin, il y avait de gravé tout l'amour d'une mère, emprisonné dans quatre petites lettres. Caël.

    Citation:
    Cinq mois et trois jours.

      A toi mon fils,

    J'ai pris un peu de retard cette fois pour t'écrire, et je m'en excuse le plus sincèrement du monde. Ces deux derniers jours ont été un peu chaotiques et j'ai préféré attendre d'avoir l'esprit et le cœur clairs pour te coucher ces quelques mots.

    Ce vendredi dernier, alors que tu as eu cinq mois, c'était le solstice d'été. Les fervents d'Aristote et de Christos l'appel Saint-Jean, nous, nous l'appelons Tantad, le "Feu-Père". C'est une grande fête où l'on allume un grand feu qui crache des brandons qui se disputent la clarté de la nuit avec les étoiles. On veille tard en se racontant des histoires, en chantant ou en dansant. Parfois ils font passer le bétail entre les flammes pour le purifier ou bien les jeunes s'amusent à sauter par-dessus le feu comme nous le faisons, nous, pour Beltaine. C'est la fête du 1er Mai, où les unions se forment, où les jeunes couples qui se promettent l'un à l'autre sautent par-dessus les braises pour se prouver leur amour et consolider leur serment. Moi, je n'ai jamais sauter par-dessus le feu.... j'aurais aimé. A mon âge, pourtant, il est trop tard pour penser au mariage.

    Pendant cette nuit, on écrit des vœux que l'on confit au feu et on y fait brûler des plantes qui donneront aux cendres des vertus guérissantes. Tantad est aussi la fête du clan. Pour nos ancêtres celtes et leurs héritiers d'aujourd'hui, l'existence est formée de cercles – çà je te l'apprendrai - qui représente l'homme pour plus le plus petit jusqu'au concept d'univers et d'existence pour le plus grand. Chaque cercle à sa fête, outre le neuvième, Tantad est celui du trois. Le Un représente l'individu, le Deux est le couple et le Trois pour la famille et le clan. C'est à ce jour que l'on honore le sang qui nous unit et la terre qui est nôtre. Cette nuit, je n'avais plus ni sang ni sol, ni même de clan vers qui me rapprocher. Alors j'ai pensé à vous...

    Fêter le clan, c'est chercher à renforcer les liens qui unissent. La seule bonne union est celle qui se lie dans le bonheur. Alors il faut œuvrer pour ce bonheur, et pour y arriver, il faut savoir faire la part des choses. Il en va de la sécurité et du bien-être de tous. Il faut traiter avec bienveillance ceux qui le mérite, mais il faut aussi savoir garder ces distances avec ceux qui peuvent nous nuire. Ne pas faire confiance les yeux fermés. C'est le jour où il faut se rendre compte de ce qui fait mal au clan. Moi, j'avais oublié. J'ai fermé les yeux et ouvert mon cœur aux mots-poisson enrobés de miel. J'en ai délaissé mon clan... Ma chair et mon sang.... Et maintenant... maintenant que l'illusion est tombée il ne me reste que le sillage des mensonges pour saler ma bouche et des tas de remord pour paver mes insomnies.

    Des regrets.

    J'avais pourtant appris à ne jamais regretter, à me dire que dans chaque erreur, se cache une vérité, un savoir. Ne serait-ce que le seul fait de comprendre qu'il n'y a plus à recommencer. Les échecs forment ce que nous sommes. Les victoires ne sont que des baumes au cœur. Je regrette douloureusement un 21 décembre... Et maintenant, je regrette un début de décembre. Faire des erreurs pour apprendre, oui, mais il est des sacrifices qui ne valent pas le peu de choses que l'on y gagne... J'y ai tellement perdu... Tellement...

    Je regrette...
    Et pourtant... Si de cette bavure il n'y avait rien eu... Tu n'aurais pas été là...



      Je t'aime,
      Mammig

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Images originales: Charlie Bowater, Eve Ventrue - Proverbe Breton - Anaon dit Anaonne[Clik]
Anaon
    La nuit noire s'est faite blanche et ses yeux sont rouges de ne pas trouver le sommeil. Les cauchemars succèdent les soirs sans rêves dans une cadence coutumière, mais cette nuit, les démons qui ont forcé la barrière de ses songes n'ont rien des croque-mitaines qui se cachent sous les lits juvéniles. Non, ils sont de ceux qui laissent pantelant au réveil et font douter de la frontière entre le rêve et la réalité. Recroquevillée sur sa paillasse, ses doigts crochetés serrent un pan de drap contre sa poitrine dénudée. Les jointures de ses phalanges sont blêmes de trop se crisper. Le regard vide reste braqué sur une bougie qu'elle a allumée pour éloigner les ombres... mais le petit spectre dansant ne fait qu'accentuer les ténèbres à la lisière de sa vision. Fenrir est allongé au pied du lit, surveillant "sa mère" d'un œil inquiet et sa nervosité grandit quand s'accroît l'angoisse dans le sang de la mercenaire.

    Elle entend des mots alors que sa chambre est muette. Elle revoit des horreurs. L'envie de sommeil a laissé place à la terreur de s'endormir et épuisé, le corps ne sait plus s'il rêve encore où s'il subit les yeux grands ouverts. Elle ne se raccroche qu'à une certitude... Elle doit faire quelque chose. Les azurites glissent lentement vers le bureau éclairé par la bougie.

    Les instants s'écoulent avant que le couinement du chiot ne vienne trancher son hésitation. Vaseuse, elle se lève lentement pour aller s'asseoir avec hésitation sur la chaise qui trône devant le pupitre. Latence... Les doigts se nouent autour de la plume. Un vélin vierge est sorti.

    Citation:
    Cinq mois, une semaine... et... trois jours,



    Je me souviens.... C'était huit jours après le celui de ta naissance, quinze ans auparavant. Le mois de janvier avait été plutôt doux à comparer de novembre et de ses neiges précoces. J'étais allée au marché ce jour-là pour acheter quelques provisions... J'avais le ventre lourd et bien rond. Je n'aurais jamais du bouger dans cet état, mais je vivais seule... Alors je devais me débrouiller seule.

    J'avais acheté de quoi palier aisément aux jours à venir. Un peu de surplus que j'aurais pu éviter, le cellier étant loin d'être vide... Je quittais le marché avec, dans mon panier, deux pots de confiture, un peu de sanglier, quelques légumes ayant passé l'hiver et surtout deux miches de pains. J'avais fait un détour par la place de l'église pour rentrer quand je vis près du parvis une mendiante psalmodiant quelques piteuses demandes. Elle me paraissait vieille, voutée et faible. Je me trompais. Je lui ai tendu une miche complète de pain. Matériellement, je ne manquais absolument de rien. Ce jour-là, ma bonté m'a perdu. Elle m'a accompagné sur quelques pas, le bras noué au mien et je ne sais, ce jour-là, qui des deux soutenait l'autre. Je n'ai pas eu le temps de voir la main se lever, ni même de comprendre ce qu'elle empoignait. Je n'ai pas même senti la douleur fulgurant dans mon crâne. Tout s'est fait noir.

    … Je me souviens... Je me souviens d'une sensation... d'humide. Une fraicheur poisseuse d'abord... puis une perception de chaleur... mais sur quelques parties de mon corps seulement. Puis arrivera comme une houle sur la grève la douleur lancinante qui m'engloba le crane. Je me souviens d'une frustration. Celle de ne pas pouvoir bouger comme je le voudrais. Et tout est arrivé comme un éclair. J'ai brutalement ouvert les yeux puis la panique m'a fauché comme gerbe de blé. J'ai voulu bouger et je me suis rendu compte que j'avais les poignets liés, bras écartelés sur une paillasse de fortune. Rare sont les fois où j'ai ressenti une telle terreur. Et puis j'ai vu le monde autour de moi.
    J'étais dans une grotte aménagé à la va-vite comme refuge de secours. Quelques semblants d'étagère, un autel rudimentaire et la paillasse fait de broc constituant l'unique mobilier de cet...antre. Des pots sur les planches, des plantes sèches et des restes d'animaux pendaient dans l'air par des lanières coincées dans les cavités du plafond, comme des mobiles macabres. Il y avait un feu qui brulait près de moi. Une chèvre attaché à un piquet. Et cette femme.

    Découverte de sa cape qui me l'avait voilé à demi, j'ai eu la désillusion de constater qu'elle n'avait rien de vieille. Elle était au contraire habité d'une vigueur sans âge. Quand j'ai parlé de sorcière par la suite, nombre se sont moqués de moi, mais je t'assure que ceux qui ont été présent ce jour-là ont frissonné de soulagement quand, plus tard, ses chairs encore vivantes ont brûlées sur le bucher. Elle s'est approchée de moi et je me souviens de son regard de damnée aux éclats de folie. Elle a soliloqué des incantations obscures, m'a forcé à boire des breuvages pour hâter mon accouchement, mais le terme mêlé au choc de cette rencontre aurait été largement suffisant. C'est là que j'ai mis au monde mes premiers enfants.... sur une couche de paille, dans une caverne perdue je ne sais où, sous les malédictions d'une femme du sabbat.

    Quand le travail a réellement commencé, elle a amené la chèvre vivante et lui a ouvert la gorge au-dessus de mon ventre. J'ai peut-être eu de la chance... Ma panique a été telle que, somme toute, j'ai eu un accouchement relativement rapide... Chabrière a couvert mes cris jusqu'à ce que deux loups se mêlent pudiquement à la fête. Il y en toujours eu plein dans cette forêt... Nous avons eu pourtant très peu d'ennui avec eux... Et je me souviens... la première à être venue au monde à été Mélusine, ma fille... Sans un bruit, sans un cri. Elle l'a posé avec soin sur la paille avant d'extraire sans amour mon fils vagissant qu'elle m'a posé sur le ventre comme on abandonne une carcasse avec dédain. J'ai hurlé quand elle a emmailloté m'a fille qu'elle disait vouloir faire sienne... Puis nous avons entendu des voix au loin et les branches qui craquent sous les pas. A son tour, elle a paniqué. J'ai vu la peur lui ronger les pupilles, rouge comme le brandon qu'elle a tiré des flammes... Et elle a offert le bois à la morsure du feu, les étagères, l'autel... ma paillasse. Puis elle s'est enfuie, avec ma fille dans les bras.

    J'ai eu de la chance... J'ai eu beaucoup de chance. J'aurais pu mourir, j'aurais dû mourir, dévorée vive par l'incendie en ayant offert à mon fils pour seul instant de vie qu'une longue agonie. Mais ils sont arrivés, mes Amis... Je serais capable de tous te les citer si je le voulais. Mais je ne pouvais me réjouir d'être en vie tant que ma fille ne serait pas en sécurité... Et puis.... et puis il l'a trouvé... Il me l'a ramenée.... Saine... Sauve. Breccan...C'était un licorneux que je connaissais bien plus joyeux qu'austère... Il m'a ramené mon bébé...

    Quand tu es né... J'ai attendu des jours qu'il te ramène à moi... J'ai regardé cette fichue porte en espérant à m'en crever le cœur qu'elle s'ouvrirait...Mais il n'est pas venu... Brec' ne t'a pas ramené...

    Je vous ai perdu... Je vous ai perdu... Je n'ai jamais su vous garder.... Dès la première minute de votre vie je n'ai... pas su vous protéger...


    Les mots tremblent. La main se lève lentement pour abandonner le vélin. Non... Elle n'a jamais été capable. Elle n'est qu'une incapable. La deuxième fois, c'est à l'amour qu'elle a cédé. Malgré tout... Les doigts se crispent sur la plume d'oie. Le calame organique crisse avant de se briser soudainement dans un craquement sec en vomissant des gouttes d'encres sur le vélin tavelé. Non...Non... Elle n'a pas su et ne saura jamais... Les serres se resserrent contre ses tempes. Insupportable fatalité.

    Elle se hait... Elle se déteste...

    Soudain plume et encrier sont jetés sur le sol ou sur le chiot qu'elle ne voit pas. Une main rageuse empoigne sa chemise qu'elle passe à la va-vite avant de quitter la chambre dans un claquement de porte qui manque de se refermer sur le dogue qui ne lâche pas d'une semelle.

    Elle a besoin d’exploser à la faveur de la lune, à qui veut bien l'entendre. Un cri déchirant dans la nuit avant de s'éclater les genoux sur le pavé. Et là, prostrée sur elle, imperméable aux coups de langue du chiot qui tente de réconforter, attendre, que tout sentiment se soient échapper. Et ces larmes de plombs qui ne couleront pas...

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Images originales: Charlie Bowater, Eve Ventrue - Proverbe Breton - Anaon dit Anaonne[Clik]








Anaon
    Citation:
    Cinq mois, deux semaines et quatre jours,

      A toi mon fils,


    Je me demande bien souvent si tu es heureux. S'il on prend de toi, si tu ris plus que tu ne pleurs... Je sais que matériellement, tu ne manques de rien. Tu dois être bien nourri, lové dans des linges fais d'étoffe les plus soyeuses... Au sec quand le ciel pleure, nimbé dans la fraicheur quand le soleil se fait morsure. Mais je sais aussi qu'il faut plus que de beaux habits et de belles victuailles pour être heureux. Le vrai bonheur ne s'encombre pas de fioritures.

    Sait-on réellement s'occuper de toi ? Te donne-t-on assez amour ? Tu grandis dans une battisse ou les murs n'ont jamais vibré d'un rire d'enfant... Ou bien le cristal des souvenirs a tellement pris la poussière que même les pierres ne s'en souviennent. Et celle qui se croit être mère sort à peine de sa candeur... Comment pourrait-elle prendre soin de toi, elle, qui a fait parler son insolence plutôt que la raison un jour où elle portait encore la vie dans ses entrailles ? Gamine capricieuse et irraisonnée, qu'adviendra-t-il le jour où, à nouveau, elle s'amusera à provoquer les foules de mercenaires à tes dépens ? Si j'avais pu te graver de mon sceau, tu aurais dû te cacher d'un seul homme, mais tu n'aurais rien eu à craindre du monde entier...

    T'aime-t-on vraiment pour ce que tu es, ou est-ce que l'on t'exhibe comme le trophée, la preuve, la resquille de chair et de sang qui joue les cache-misère d'un hyménée foireux et foiré ? Je ne veux pas que tu sois qu'une simple fierté... On peut être fier d'avoir un bon cheval, un bon chien de chasse ou encore une belle bague. On peut exhiber une belle toile pour faire saliver ses voisins, parader dans ses atouts pour attiser les jalousies. On n'a pas le droit d'être fier d'un enfant... Pas comme cela. La fierté est égocentrique, c'est une prétention pudique qui prend des airs de dignité, mais qui n'attend que d'être flattée. Les fiers se foutent de ce qui les rendent fier, ils ne désirent qu'être remarqués et enviés pour cela. L'objet d'une fierté n'est qu'un faire valoir. On n'est pas fier d'un enfant... On l'aime et on se sacrifie à lui.

    Je doute souvent d'avoir fait le bon choix... Et comme bien souvent jusque là, j'ai dû faire le mauvais... Je ne supporte pas le fait de t'imaginer passer de bras de maîtresses à bras de catins. Pour préserver mes nuits, je me persuade que tu es élevé sainement, chérit comme il le faut... mais je crains que dans ton monde de paraître il n'en soit pas toujours le cas...

    Qu'ai-je fais ?





      J
      e t'aime
      Mammig


    La mine de plomb cesse sa danse. Les prunelles contemplent les courbes italiques et les lignes fuyantes. Elle s'amuse avec amertume de ces "on" qui tavèlent sa lettre.... Des "on", qui prennent grand soin de masquer les "ils"... et surtout le "Il". Elle inspire. Dans aucune de ses lettres elle n'en a parlé, ni même, ne serait-ce que mentionné. Et pourtant, Il est là. Constamment. Derrière chaque mot, chaque crainte. Comme une ombre qui plane à la lisière de sa vision. Un cadavre dans son placard qui ne peut s'empêcher de gratter la porte. Il. Omniprésent aux abonnés absents.

    Elle détourne son regard de la lettre pour échapper aux réflexions qu'elle suscite... mais elle se retrouve nez à nez face à la manifestation la plus criante de son obsession. Entre ses doigts, encore reliée à une chaine serpentant entre ses phalanges, une petite fiole de verre subit le malmenage inconscient de sa main. Elle s'immobilise brutalement. Les doigts pincent les maillons d'argent qui se déroulent lentement alors qu'elle lève le pendentif à son visage. La prison translucide ballotte mollement dans le vide. Poussière de rêve. De la drogue. Du poison.

    Du poison... C'est le seul et unique cadeau qu'il ne lui ait jamais fait. Le seul... en dehors d'un fils. Du poison... Si son esprit occultait la plupart du temps les réflexions quant à ce sujet, elle avait toujours vu dans cette unicité une signification.... profonde. Malsaine, mais impérissable et incontestable. Au final, ce n'avait été qu'un avertissement. C'est ce qu'ils avaient toujours été l'un pour l'autre. Du poison. Une drogue qui rend accroc. C'est ce qu'elle avait cru... être sa drogue comme il avait été la sienne. Mais non.

    Le poing se referme sur la chaine à mesure que sa poitrine se recroqueville. Elle a cru ses mots tendres. Elle a bu ses boniments. Elle s'est noyée dans ses sentiments. A force de patience, elle a accepté de l'Aimer... Comme une abrutie, elle a embrassé un mensonge... Il lui a menti. Il s'est joué d'elle. Oui, il s'est payé sa tête ! Comment pourrait-il en être autrement ? Il l'a traînée plus bas que terre, il l'a détruite comme un sournois là où elle s'était rebâtie pour lui. Les paroles qu'il lui a crachées le jour où il lui a enlevé son fils reviennent comme un flot de venin dans son esprit échauffé. Le deuil à cela de tragique qu'il remplace les souvenirs tendres aux profits des blessures. Une rupture, ce n'est rien d'autre qu'un deuil.

    Endeuillée, encore. A cause de sa connerie. Parce qu'elle avait été naïve, parce qu'elle n'a rien voulu voir venir. Pucelle défigurée qui s'est éprise du prince salaud. Elle s'était jurée aux noms du plumage, du ramage et de tout ce que l'on veut qu'on ne l'y reprendrait plus. Et elle, pauvre conne, elle s'est lamentablement parjurée. Et lui... et lui... Lui l'a bouffé par dedans comme un ver dans ses tripes. Si elle ne l'avait pas connu elle n'aurait pas souffert. Elle serait restée à Paris. Si elle ne l'avait pas connu, elle aurait peut-être déjà retrouvé ses enfants. Sa fille serait peut-être encore vie...

    Si
    Si
    Si...

    Elle se lève soudainement. La main balance rageuse la fiole au sol.
    Sous un coup de talon l'ampoule éclate dans une agonie stridente.

    Elle s'assoie violemment sur le lit, tournant le dos à sa lettre et à la fiole éventrée, cadavre d'un souvenir. Elle attrape Fenrir qui gratte en bas de la palliasse et le serre contre son cœur. Alors elle s'allonge sur le côté et se recroqueville contre la boule de poil.

    Elle a mal. Ce n'est pas qu'une page qui s'arrache. C'est le goût d'une trahison qui dégouline dans son âme sans qu'elle ne parvienne à l'en chasser. Un mensonge de plus d'une année. Elle se hait. Car elle a consciemment fermé les yeux. Elle se hait, parce qu'elle l'a laissé s'enraciner dans son cœur. Et elle sait qu'elle aura beau abattre l'arbre, jamais elle n'arrivera à l'en déloger. Il sera toujours là.

    A Lui, elle lui aurait tout dit, et plus encore.


Musique " Je Te Dis Tout", par Mylène Farmer
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Anaon
    Citation:
    Six mois, déjà...

      A toi mon fils,


    Comme tu as dû le constater, je suis peu régulière dans mes lettres... J'avoue avoir du mal à tenir mes promesses. Avant, ma parole était d'or et aurait valu tous les serments du monde. Mais d'avant, il ne me reste que si peu de choses... Je me sens l'âme d'une statue érodée, je suis... comme une grande maison décrépie. Autrefois, ses murs vibraient de rires et de vie, maintenant, il ne reste que des fenêtres ouvertes qui laissent s'engouffrer l'air et la poussière. Vide... mais pleine de souvenir qui sont comme des cadavres que je suis obligée de fouler du pied... Désormais, je marche sur mes convictions, sur ma morale, mes idéaux... Et le pire dans tout cela... c'est que bien souvent... je m'en fou...

    Avant... Je pense souvent à Avant. J'en viens même à regretter le deuil qui me rongeait à cette époque. Il a fait un trou béant dans ma poitrine, mais il n'y avait que cette douleur-là pour entacher mes rires. J'aurais aimé que tu connaisses cette Avant-là, mais je suis bien consciente que si certaines tragédies ne s'étaient pas produites, jamais tu n'aurais vu le monde...

    La chaleur est insupportable à Paris, même la nuit n'arrive pas à chasser les vestiges du jour. Mais la capitale se fait au moins plus tranquille. La lune brille ce soir, elle accroche dans des arrêtes lumineuses les reliefs de la ville. C'est joli... Et toi ? Que voient tes grands yeux innocents ? Je ne sais quel ciel tu contemples... J'ose espérer Bougogne. J'ose espérer savoir où tu te trouves. C'est rassurant... De me dire que, si je le pouvais, je pourrais te revoir sans avoir à écumer le royaume en entier. Mais je ne viendrais pas... Pas maintenant... Bien que l'inquiétude me ronge de ne rien savoir, je ne peux pas quitter Paris. Toi, tu es en sécurité.

    J'estime n'avoir de comptes à rendre à personne, mais je voudrais obtenir ton pardon, le tien et le tien seul. Je ne sais si un jour tu liras ces lettres, si tu dois le faire, sans doute que cela se ferra dans bien des années quand tu seras à-même de les comprendre et quand, très certainement, moi je ne serais plus là. Je pourrais te décrire comment je suis ou comment j'étais... Te dire le Pourquoi de tout cela... mais je ne veux t'accabler des malheurs qui ne sont pas tiens. Mais une fois encore, je veux que tu comprennes que si je ne viens pas te rejoindre, c'est par obligation... Et par amour. Je dois retrouver... quelqu'un...

    Là est toute ma raison de vivre... Toute ma raison de souffrir, de mentir et de fuir. Le seul fil d'Ariane qui m'accroche à la raison et me retient à la vie... Tu trouveras peut-être cela désuet ou méprisable... Vivre pour quelqu'un. Vivre uniquement par amour. Quel sera ton point de vue à ce sujet plus tard ? J'avoue craindre que tu ne suives un exemple que j'aimerais te voir éviter... mais pour cela, je ne peux qu'espérer que tu réussies à réfléchir par toi-même pour trouver les réponses qui te sembleront les plus justes.
    L'Amour... Une obsession, un besoin. Une ligne de vie. Ce peut être l'amour d'un homme, l'amour d'une terre... l'amour d'un enfant... Qu'importe sa forme, il est tout aussi fort et despote. Il peut mener à la folie, au bonheur, à la mort... Ceux qui se défendent obstinément d'aimer et qui lui rit sans vergogne au nez sont souvent ceux qui ont été les plus blessés ou qui en demeurent les plus frustrés. Hypocrites. Prétentieux. Je n'ai pas honte d'avouer avoir aimé, un homme, une première fois. Un homme à qui j'ai donné mon cœur et ma main et pour qui j'aurais offert ma vie. Oui, je n'ai pas honte d'avouer, avoir aimé au point d'avoir été prête à me jeter au fond du lac quand l'au-delà me l'a arraché. Vivre seule, sans lui m'était impossible... mais... Je portais la vie, celle que nous avions créée ensemble... Alors, à défaut de mourir par amour j'ai décidé de vivre pour lui. Par amour pour mes enfants... Et je ne vis encore que pour cela...

    On peut trouver cela étrange, faible, pitoyable de n'accepter de vivre que pour quelqu'un d'autre... Et pourtant, cela peut être vrai. Je ne vois pas d'intérêt à l'existence si on ne la vit que pour soit-même... A quoi cela servirait ? Errer sans but, sans attache, sans raison... Il n'y a que les fantômes qui rôdent sur terre ainsi... Moi, je sais que chacune de mes respirations a lieu d'être... Chaque journées passées n'est pas vaines...

    Vivre et mourir par Amour... Naïf ? Et pourtant, si l'Amour ne mérite pas que l'on survivre ou que l'on se sacrifie pour lui, dis-moi...

    Qu'est-ce qui en vaut la peine ?

      Je t'aime,
      Mammig


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Anaon


    La pluie se brise sur la vitre en une myriade de traînées fluides. Un martèlement sec qui syncope le silence. Le temps malade distribue dans la salle une lumière moribonde, déployant sur les murs et les meubles son ambiance opalescente. Un début de fumet sillonne l'espace de la grand-salle. L'heure de sonner Sexte approche et quelques travailleurs se sont déjà accordés le luxe d'une légère collation. Trois hommes discutent et plaisantent avec une discrétion polie dans un coin de la taverne, mêlant leurs murmures à la mélopée reposante de la pluie. L'Anaon a changé de décor, elle a troqué l'exiguë de sa chambre pour apprécier le calme de la salle commune.

    Ses doigts fins déchirent et mélangent avec grand soin différentes herbes sur un bout de vélin. C'est la pause après le labeur. L'argent accumulé du temps du chaperonnage de Yolanda ne suffisait plus, il fallait à nouveau travailler. C'est ce qu'elle a recommencé à faire, en se dégotant comme toujours de petits gagne-pains par-ci par là. Un gibier de rapporté contre une semaine d'hébergement, une vieille de soignée contre un repas, un coup de main à l'écurie à déduire du prix de la chambre. Ce qu'elle préfèrait néanmoins c'est travailler à l'écurie. Elle avait ce don-là, de se rendre indispensable en matière d'équidé. Ou bien souvent de le faire croire... Sincère avec les particuliers, elle a néanmoins toujours su embrouiller les maquignons à son avantage. Exagérant les défauts d'un cheval, mettant le doigt sur LE détail qui flinguait tout l'argumentaire adverse. Alors elle s'affirmait comme étant LA personne pouvant régler les problèmes qu'elle soulevait elle-même. Au final, c'était toujours le cas, l'Anaon connaissait bien son boulot, mais généralement la situation n'était pas aussi dramatique qu'elle voulait bien le faire croire. Qu'importe, çà lui offrait du travail. Si elle restait souvent honnête, il fallait bien l'avouer que ses petites manigances frôlaient parfois l'escroquerie. Mais la mercenaire partait du principe que lorsque l'on était trop con pour ne pas maitriser son métier on ne méritait pas la moindre générosité. Impitoyable certes, mais le don culotté de savoir se vendre.

    Il n'y a qu'Eldrick que la balafrée n'a jamais cherché à embrouiller. Le tenancier de son auberge fétiche. "Au poney fringuant". Au vu de l'enseigne vieillotte et du poney mascotte qui crachait désormais ses poumons dans sa stalle, la balafrée préférait l'appeler "Au poney qui tousse"*. C'en est presque affectueux. Et puis l'auberge a certes du vécu, mais reste coquette et tranquille. Elle dispense quelques cours au gamin du couple pour lui apprendre convenablement ce qu'il n'apprendra pas dans sa pseudo-école. Et de temps à autre, elle fait bosser les chevaux en compensation du prix de sa location. C'est ce qu'elle faisait avant que la pluie n'éclate. En témoigne encore les mèches trempées qui lui collent au visage.

    Elle entasse le mélange d'herbe dans le fourneau d'une pipe. Des trucs pour s'apaiser, d'autre pour ne pas dormir, quelques herbes pour le goût et le reste pour l'expérience. L'Anaon se prépare un concentré de saloperie que même les toxicos de nos jours ne fumeraient pas. Un cocktail Molotov qui lui fera claquer une bonne plâtrée de neurones. Elle se saisit de son attirail d'allumage. Le métal vient claquer le silex dans un son rêche. Clac. Crac. L'amadou se pique d'une teinte ignée. D'un souffle elle l'attise avant d'y coller la mèche soufrée qui s'embrase lentement. Ça lui arrive à la mercenaire de se prendre de petits trips au goût d'herbes cramées. Pipe au bec, les doigts approchent le lumignon du tas de verdure rabougries. Son corps n'est pas encore accoutumé à ce genre de vice. Chaque inspiration brulante a le goût de la découverte. Les sourcils se froncent plissant le front blanc de quelques rides. Ses mains tremblent et çà l'agace, mais toute bonne névrosée qu'elle est, elle se persuade que c'est le froid qui les fait vibrer. Le froid oui. Elle qui n'a qu'une tunique sur le dos pour ne pas crever de chaud malgré la pluie. Ça grésille. L'herbe entame sa consomption. La balafrée re-tasse et recharge. L'allumette lèche une dernière fois la surface végétal avant de s'essouffler dans un froissement d'air.

    La femme ne saurait même pas dire si elle aime fumer ou non. C'est juste une envie mécanique, presque un réflexe. Elle tire sur le bois qui noie sa bouche d'un goût chaud et indescriptible. Elle se cale confortablement contre le dossier de sa chaise, de profil à la table et le pied prend appui sur le siège voisin. Les azurites contemplent les minuscules cascadent qui ruissellent contre la paroi transparente. Diable, que c'est reposant. Une trainée de fumée s'étire d'entre ses lèvres. Puis l'attention revient à la table où elle avise une mine de plomb qu'elle enlace de ses doigts. Elle rapproche un vélin du bord. Profitons comme il se doit de cet instant d'accalmie.

    Citation:
    Six mois, trois semaines et deux jours.

      A toi mon fils,


    T'ai-je déjà parler du jour de ta naissance ? Dans la famille où tu te trouves, ils pourront te raconter ce qu'ils voudront, ce ne sera jamais rien que des mensonges. Il n'y a que deux personnes sur cette terre qui seront capables de te raconter la vérité : moi-même et Cerdanne. Cerdanne ? C'est la première à t'avoir tenu entre les mains. Une mercenaire très fréquentable – tout dépend du point de vu – encore pétrie de la jeunesse que je n'ai plus. Des prunelles outremers pour un arrière-gout de Provence. Si je devais compter les amis que je possède sur cette planète je n'aurais qu'un seul doigt à déplier. Ce jour-là, elle était là, comme elle a pu l'être à bien d'autres occasions.

    Nous étions en Anjou, en plein cœur de l'hiver, pris entre l'enclume de la guerre et le marteau de la froidure. Le duché n'était qu'une immense plaie à ciel ouvert, béante, suintant des cadavres et exhumant mille et une maladie qui ne cessaient de corrompre le sang des soldats. J'en ai vu passer des malades avant de refuser de les prendre en charge. Je n'en pouvais plus d'être pressée de m'occuper des autres, de supporter les injures muettes d'un soit-disant aimant. Alors, j'ai fini par prendre le temps de m'occuper de toi, de nous. J'en avais bien le droit, non ? J'en avais même le devoir.

    Nous étions à Angers, dans l'Hôtel particulier de la Duchesse de Brissac, -une brave gamine-, le 21 Janvier de l'an 1461. J'espère que sur cette date je ne t'apprends rien. Nous nous sommes bien vite retrouvées seules, Cerdanne et moi, dans une chambre de la bâtisse. Rejointe un instant par Yolanda Isabel qui n'a pourtant pas tenu le... "choc". Oh ! Et toi tu n'as pas été bien long à venir et tu n'as fait aucune histoire. Je n'ai pas été anéanti et n'ai même pas crié de douleur. Tu nous as même fait la grâce de te présenter coiffé. Tu es né protégé de ta matrice, intact et tu n'as alors pas subi le traumatisme de la vie. Un enfant de la chance. Un enfant Roy. Tu sais ce que l'on dit des êtres qui naissent coiffés ? On les dit destinés à un grand avenir, chargé de hautes responsabilités et de richesses. C'est l'ange gardien qui veille dans l'enveloppe organique. C'est pour cela qu'il ne faut jamais la détruire, je l'ai moi-même conservée, dans un linge de soie, lové dans un coffret en bois. Mais ce n'est pas avec moi qu'elle devrait être, mais avec toi....

    J'avais fait mener du miel pour te présenter au monde. Les abeilles sont les messagère des dieux, c'est à elle qu'il faut confier tes peines. Une âme divine sera toujours là pour t'écouter et te couvrir de conseil. Si j'avais été en Bretagne, nul doute qu'un druide aurait été là pour t'accueillir, mais cela n'a pas été le cas. Ton grand-père l'était lui, mais je dois déplorer sa perte depuis bien des années déjà. Alors je t'ai fait gouter le miel. Ta première saveur.

    Je n'ai pu profiter de toi que quelques minutes après ta naissance. Quelques minutes que je pourrais compter sur les doigts de mes deux mains. Puis l'on t'a pris. On t'a emmené. Sans prendre les habits que je t'avais brodés. Sans la coiffe qu'il te fallait conserver. Sans un regard. On t'a arraché à moi et depuis.... Je ne sais plus rien.

    Et après çà... Du vide.

    Je ne pourrais te décrire ma déchirure. On a jamais su inventer les mots pour çà. Mais rares sont les instants de véritable bonheur que j'ai pu ressentir, mais je peux te le dire, avec toute la sincérité du monde, à l'instant où je t'ai tenu dans mes bras, j'ai à nouveau compris ce que cela voulait dire le mot "heureuse". Le bonheur pur et sans bavure.

    Bien trop court...
    Mais j'espère que toi, malgré l'ignorance de mon existence tu peux gouter à la joie d'être heureux.

      Je t'aime
      Mammig


    La mine s'immobilise. La scène est toujours aussi nette dans sa tête et le moindre mot prononcé est resté aussi cuisant qu'un fer chauffé à blanc. D'une bouffée profonde, l'Anaon essaie de bruler le rappel des injures qu'on lui a crachées ce jour-là. Sans pousser le masochisme au point de ressasser ces paroles assassines, elle ne peut nier que leur souvenir est là, comme un venin empoisonnant sans relâche son inconscient. Indélébile. C'est dingue comme l'amertume peut être plus forte que les bons moments.

    Le visage saccagé se tourne mollement vers la fenêtre. Le ciel continue son déluge. On croit percevoir au loin le doux ronronnement des nuages. Apaisant. Et à cet instant, elle se fait la réflexion con qu'elle voudrait bien mourir un jour de pluie.


* Merci Tolkien, Merci Naeulbeuk

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Anaon
    *

    Néant.
    Ténèbres sous les paupières.

    La poitrine se gonfle et s'abaisse d'une cadence régulière. Apaisée. Les limbes du sommeil la drapent avec affection. Dans son voile d'ombre, la conscience a tu ses effusions pour embrasser le repos... jusqu'à ce qu'une sensation ne vienne chatouiller la lisière de son éveil. Frisson d'un sens. La conscience ouvre un œil paresseux dans les recoins sombres de son crâne. Une... une odeur... d'argan. Les narines se gonflent. Et la senteur laiteuse de l'enfance. La conscience s'étire langoureusement en s'extirpant de son cocon de rêves et de somnolence, puis elle se déploie, lentement, jusqu'au autre de ses sens. Une agréable chaleur effleure sa peau. La perception du monde se répand dans ses veines. Le jour. Les volets sont restés ouverts. Les yeux demeurent clos, la conscience n'est pas assez éveillée pour permettre le mouvement. Elle perçoit pourtant le doux frôlement sur son visage. Sensation d'abord ensuquée. Claire par la suite. Elle est éveillée, elle se force à ne pas sourire. Le monde tangue sous elle. Elle sent le poids plume qui s'est immiscé sur le lit à ses côtés. Toujours le frôlement sur son visage. Des gloussements étouffés parviennent à ses oreilles. Derrière la barrière de ses paupières, elle imagine le visage malicieux de son fils, deux mains plaquées sur ses lèvres qui tentent de bâillonner son rire pour ne pas trahir leur facétie. Le frôlement toujours. Les longs cheveux de sa fille penchée sur elle chatouillent ses pommettes dans l'attente de la voir se réveiller. Tout contre les draps, un coin de lèvre se relève. Elle sait ce qu'il adviendra. Parfum et jeux des doux matins où la maréchaussée lui octroie le bonheur de vivre. Ses paupières frémissent sous les filins d'or pâle. Elle va bondir dans un faux cri de bête, attrapant ses chenapans d'un tour de bras. Puis elle va les dévorer de baisers et de tendresse alors qu'il tenteront de lui échapper en riant.
    Le sourire s'aiguise. 1...2...et...
    Les paupières s'ouvrent.


    ...


    J'aurais voulu les garder closent pour toujours...




    Les poutres du plafond se distinguent au-dessus d'elle. Les veines mortes du bois. Les paupières battent de l'aile. Il n'y a pas de visage penchée sur le sien. Les doigts frôlent la texture sous con corps. Étoffe rêche. Il n'y a pas son grand lit. Il n'y a pas son fils ni sa fille... Le regard se voile rageusement. Ténèbres sous les paupières. Elle prie ses rêves de la happer encore. Elle les supplie de ne plus jamais lui permettre le réveil. Qu'il la garde drapée dans l'illusion. Qu'elle s'en étouffe et qu'elle en crève... dans un sourire. Mais rien n'y fait. Les traits crispés de la mercenaire se froissent puis se relâchent sous la défaite. L'odeur de l'argan n'est qu'un filet de souvenir. Les rires, des échos lointains, étouffés de poussière. Elle ouvre les yeux.

    Sa chambre de Paris. Emplie d'un vide chirurgical. Le strict minimum dans l'ameublement et son agencement. L'Anaon se redresse puis s'assoie sur ses draps. Elle sait que le sommeil ne reviendra pas. Un regard dépité balaye la petite pièce. Il n'y a pas le grand miroir, ni les coffrets qui veillaient ses petits trésors de femmes. La grande armoire n'occupe pas tout un pan de mur. Ce n'est pas même le soleil qui la cueille à la fenêtre. Seule la lumière moribonde d'une nuit sans lune s'infiltre par le verre. Les genoux se replient pour se coller contre sa poitrine dans une position enfantine. Le réveil est douloureux, c'est le cas de le dire. La mercenaire se laisse le temps de digérer ses souvenirs. Mais les rires et les sourires muets flottent toujours dans un recoin de sa tête. Comme si la chambre en était remplie.

    Un soupir las alors que le dos épouse la petite tête de lit qui lui casse la colonne. Les bras se croisent sur eux-même tandis qu'elle regarde Fenrir dormir paisiblement au pied de la paillasse. Qu'est-ce qu'elle fou là... Si la vie n'avait pas été chienne, elle n'aurait jamais dû y être. Le cœur se recroqueville. Les grands yeux bleus de l'Anaon se glacent. Ils frôlent les larmes amers. Sa fille ne la réveillera plus jamais en jouant de ses cheveux sur son visage. Et son fils... ses fils ne sont pas là. De leurs rires, il ne reste bien que ce que sa déraison veut bien lui distiller. Il n'y a qu'elle. Elle et son chien. Seule. La mercenaire se sent violemment seule... Le regard s'agite autour d'elle comme une gamine perdue en quête d'un visage familier. Il n'y a rien. Personne. Il n'y a plus Judas. Cerdanne ne donne plus signe de vie. Yolanda ne répond pas à ses missives. Elle se surprend même à regretter le visage bourru d'Eikorc. Elle a froid. Terriblement.

    Le pied se pose après l'autre sur le plancher. Le molosse redresse à peine une oreille au grincement des lattes. La mercenaire se dirige vers son petit pupitre où elle prend place mollement. Elle tire à elle un vélin et sort une plume d'oie toute neuve. Débute encore son étrange rituel. Inutile rituel. Les doigts qui se sont saisis de la plume s'immobilisent. Qu'en découle-t-il au final de ces écris qui ne partent jamais ?

    Rien...

    Mais... c'est son unique compagnie et sa seule consolation. Le seul moyen d'épancher sa conscience et de ne pas pété définitivement une durite. Le regard se porte sur le rebord de sa fenêtre où sommeille deux petits coffres. L'un, élégamment ouvragé, protège la matrice et les lettres de Kenan et l'autre... plus sobre... Les azurites restent figées sur le second coffre. Puis l'attention vient se braquer sur le vélin.

    Citation:
    Sept mois et trois jours,

      A toi mon fils,


    T'ai-je déjà vraiment parlé de ceux qui sont tes demi-frère et sœur ? Oui, il y a eu une lettre parlant de leur naissance, lettre qui sera sans doute retirée des autres, le jour où ces mots trouveront enfin la force de te parvenir. Trop sombre, pour tes grands yeux... et écrite avec trop... d'égarement.

    Ils ont quinze ans désormais, mais mon esprit se rappelle encore clairement de l'époque où je pouvais les porter chacun dans le creux de mes bras. Des jumeaux offerts par la providence quand je ne les attendais pas. Moi, tout juste vingt ans et jamais mère, le deuil pour seul homme à la maison. Les débuts ont été rudes, je te l'accorde, mais toutes les difficultés du monde n'auraient pas été à la hauteur du bonheur qu'ont pu me procurer ses courtes années d'allégresses.

    Nous vivions tous les trois dans une grande maison, en lisière de la ville, près d'un stade de soule. J'avais repris pendant un temps l'élevage de cochon de mon défunt fiancé au détriment de l'élevage de chevaux que je rêvais d'avoir. Puis, quand les bêtes sont mortes, j'ai décidé d'œuvrer différemment pour ma ville et mes enfants. En les protégeant. Les bureaux de la maréchaussée sont devenus ma deuxième maison. L'argent ne nous manquait pas et les années suivantes ont vu mes affaires se fructifier au point de nous mettre définitivement à l'abri du besoin. J'étais même devenue, quelques part, mécène et gardienne de ma ville. J'ai financé nombre de fêtes, réouvert l'école, restauré les bains... Tout celà dans le simple but d'offrir à mes enfants une ville qui ne leur causerait jamais de larme.

    Je ne sais si tu leur ressembleras. Ils ont eu mon visage, ovale, la douceur des traits qui me définissaient antan. Ils n'ont pas eu les yeux bleus, mais gris, comme ceux de ma propre mère. Mais de plus en plus avec l'âge, ils arboraient le visage de leur père... Ils avaient les cheveux blonds clair, comme lui. Mais leurs caractère... Ah ! Surtout leurs caractères ! Le nombre de fois où j'ai regardé mon fils en croyant y voir mon promis sous des traits de gamin... Les mêmes conneries et la même gouaille... Je ne crois pas qu'ils aient manqué de la présence d'un père. Si j'ai souffert de l'absence de celui que j'ai aimé, je crois que eux étaient tout de même... heureux.

    Si ma fille était calme et réservé, son frère était trublion pour deux. Je n'avais jamais remarqué, qu'enfant, nous étions capables d'une telle imagination d'absurdités et catastrophes en tout genre. J'avais d'autant plus oublié notre capacité fulgurante à les réaliser. Même si, figure maternelle, je devais me faire sévère, j'avoue que souvent, face à leurs bêtise, une fois la stupeur passée, j'avais plus envie de rire que de crier. Parce qu'il me le rappelait Lui. Comme je le disais toujours du père comme du fils : "Il me les a toutes faites".
    Oh ! Il aimait la pêche et il aimait les histoires ! Haut comme trois pommes, il a réussi à me ramener fièrement un serpent d'eau, témoin de sa victoire chevaleresque sur "le serpent géant du lac de l'Ombre" qui terrorisait les petits gardons. Par la suite on m'a supputé l'idée de le renommé "Perceval". J'avoue n'avoir toujours pas compris pourquoi... Il n'en manquait pas une non plus pour y entrainer sa sœur. J'ai dû aller les chercher, un jour, en haut d'un arbre car "Chevalier-Charmant avait voulu sauver sa princesse prisonnière de la plus haute salle de la plus haute tour, mais le vil dragon en avait profiter pour détruire les escaliers". Et, à défaut de voir l'échelle tombée au sol se relever seule, Chevalier-Charmant avait dû ravaler sa fierté pour hurler à l'aide et faire rappliquer "Ogre-Maman". Et moi, je me devais de me contenter de l'honneur qu'il m'avait fait de l'inclure dans son histoire... Je crois que la ride du lion éternellement gravée sur mon front témoigne du soucis qu'ils ont pu me causer !

    On ne s'ennuyait jamais non. J'avais même, quelque part, oublié d'être triste malgré le vide qui me gangrenait la poitrine. Parce qu'ils étaient là... Qu'aurais-je eu a demandé de plus... Ils étaient là...

    Ils étaient...

    Le bonheur et la chance sont volage...
    Tu n'auras, malheureusement jamais l'heur de connaître ta sœur, mais j'ai espoir, qu'un jour, tu puisses rencontrer ton frère...Ô! de çà, j'aimerais tellement pouvoir t'en faire la promesse...

      Je t'aime,
      Mammig



    Les mots font mal. Ils n'épanchant que dalle. L'absence, ce n'est qu'un flot continu de douleur. L'Anaon se lève, abandonnant la lettre pour rejoindre le rebord de sa fenêtre. Les doigts effleurent le petit coffre. Le second, le plus sombre. Celui que l'on ne regarde pas. Les mains s'en saisissent avec amour. Elle s'assoit à sa place, collant son dos contre le chambranle. Les bras se resserrent avec une tendresse vigoureuse, collant l'objet de bois contre sa poitrine. Elle sent con cœur qui cogne contre le végétal mort. Contre la tombe organique. Contre sa fille en cendre, entassée dans cette boite.


Musique " You Are Gonna Die", par Marc Streitenfed, "The Grey"

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Images originales: Charlie Bowater, Eve Ventrue - Proverbe Breton - Anaon dit Anaonne[Clik]



Anaon

- 21 Septembre -


    Elle vient tout juste de rentrer et dépose sur son bureau ses trouvailles de l'après-midi. De petites branchettes de chêne, de châtaignier, de pin, de noisetier et autre ramilles encore piquées de feuilles d'un vert éclaboussé d'ocre. La femme s'assoit sur sa chaise pour contempler ses premiers fruits de l'automne. L'Anaon l'avait senti, il y a quelques jours de cela, dans la moindre de ses parcelles, comme un frisson dans ses veines, la certitude, la révélation. L'Automne était là. Déterminé, bourreaux de l'été. Là, vainqueur humble et souverain. La mercenaire s'en était sentie comme.... apaisée, étrangement... renouvelée. Émotion éphémère. Il n'avait fallu
    qu'un regard sur la capitale pour sentir à nouveau le goût infâme de la misère dans la bouche.

    Ce samedi-là, elle avait pris son jour à la boucherie, aux dépens des réticences de son patron. Mais rien ni personne n'aurait pu l'empêcher de célébrer ses croyances. Bien que célébrer soit un bien grand mot. Qu'importe, elle travaillera demain, le jour du Seigneur n'est pas le sien. Aujourd'hui, Alban Elfed n'attendait qu'elle. Alors elle était partie avec Fenrir par les bois qui bordent la capitale pour ensuite ramener ses petits trésors.

    Précautionneusement, les mains rassemblent les petites branchettes pour en faire un fagot. Un tout petit fagot qu'elle enserre d'une tige de lierre, fine et souple, en un nœud végétal. Soupire. Il y a un côté rassurant dans ses gestes routiniers autant qu'il y a à la fois un détestable côté d'automate. Il n'y a pas la saveur de la joie des fêtes partagées... La balafrée réfléchit un instant avant de laisser courir ses doigts sur le long de la tresse qui pend sur son épaule droite. Cette tresse, qui s'achève en dessous de sa hanche, pour lui rappeler le souvenir de la chevelue qui lui inondait le dos il y a des années de cela. Le reste de ses mèches ont retrouvé une certaine longueur, frôlant les omoplates là où la nuque était avant toute à nue. Les fines ondulations reviennent. Les doigts agiles défont l'interminable tresse avec tendresse. Elle libère une mince cascade de vague sur son épaule et alors, elle coupe quelques cheveux de cette chute qu'elle enroule avec précaution autour de son petit fagot. Il sera pour Kenan.

    Kenan. Voilà trop longtemps qu'elle n'a plus rien couché sur le vélin pour lui. Mais ces derniers jours n'ont pas été simples pour elle. La balafrée ricane soudainement dans le silence. Cite-moi un seul jour qui ait été simple durant ses dernières années qui ont vu tes épaules se rapprocher du sol ! Elle se masse les tempes en se parant d'un sourire qui fait mal. Elle est lasse. Plus lasse que jamais. Ses derniers jours, elle les a passés enroulée autour d'une mèche de cheveux noires qu'elle a vénérée comme un veau d'or. Elle a alors vu sa lucidité crever son cocon. Que son fils n'est pas là et qu'il ne lui reviendra pas. Qu'il vit heureux sans elle et qu'il n'a pas besoin d'elle. Que ces lettres qu'elle lui écrit ne sont qu'un leurre pour elle-même, comme une pommade qu'elle applique pour ne pas voir la plaie qui se fait de plus en plus béante. Ca ne fait rien avancer. Ca l'apaise comme çà la tue à petit feu. Il faudrait... qu'elle n'y pense plus. Qu'elle oublie. Qu'elle le laisse vivre sans elle, comme on deuil que l'on achève, une âme que l'on libère. Elle ricane encore. Elle rit de douleur. Demander à l'Anaon de ne plus penser à ses enfants serait comme ordonner à la pluie de ne plus mouiller.

    Son rire se perd en un début de sanglot asséché de ses larmes. Le poing se serre contre sa tempe. Puis la douleur crée la colère. Et la fatalité s'en mêle. Tout son corps se relâche jusqu'à la moindre parcelle de volonté. Elle est lasse. Dieux, qu'elle est lasse... Elle voudrait tant... dormir réellement. D'un sommeil sans rêves. Fermer les deux yeux à la fois, cette fois. Et ne plus sentir ni le goût de l'alcool, ni les douleurs de son corps, ni sa détresse, ni l'amour, ni la haine. Les yeux de la mercenaire se ferment. Elle goute à la mort.

    La libération. La consécration.
    L'ultime abandon.

    Abandon.... Les lèvres se pincent. Le cœur se serre. Les paupières s'écartent. Elle se redresse. Diable, elle se sent rouillée et raide, déjà refroidie alors que son cœur pulse encore. Elle attrape une bandelette de vélin.

    Citation:
    Huit mois.

    Je t'aime,
    Mammig


    Le papier est enroulé et glissé entre les lanières du petit fagot. La femme se lève. Il faut qu'elle aille boire. Il faut qu'elle meurt ce soir encore.

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Images originales: Charlie Bowater, Eve Ventrue - Proverbe Breton - Anaon dit Anaonne[Clik]


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