Enjoy
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L'haleine chargée est évacuée d'un léger revers de la main. En une attitude et deux phrases, la paysanne avait été cernée. En résulte une immense déception et l'absence de confiance qui s'en dégage. Elle ne désirait pas continuer plus en avant. La répartie est un plat qui, comme la vengeance, se savoure quand il est bien glacial. Ne pouvant sustenter son appétit insatiable, elle se contente de lui offrir en présent sa plus belle indifférence. Ne pas être capable d'affliger autrui d'autre chose qu'un ferme-la, démontre une portée limitée criante.
Puis les réactions se bousculent au portillon. Tout d'abord celles de Moanaigh qui se parent d'un trait d'humour avec une pointe d'ironie. La mustélide lui procure une oeillade à la pupille brillante de sous-entendus. Ce barbu ténébreux n'était pas pour lui déplaire. Mais la prison de son coeur appartenait à sa terrible geôlière. La clé avait été gravée le long du Styx et le Cerbère montait la garde nuits et jours. Nonobstant cette réprobation légitime, elle n'en fut pas atteinte, bien au contraire. Jusqu'à ce que sa propre soeur ne la remette en place. Bien que partageant des liens de sang, il serait peut être temps que la potiche qu'elle représente que ce soit ici ou chez les Corleone prenne les devants. Ou qu'on la considère autrement. Les remontrances sont difficilement avalées, elles ont le goût de l'amertume. Se revoyant Saumuroise, sanctionnée par la main leste de Laell. Seulement, depuis bien du chemin avait été arpenté et son insolence, son irrespect voire son arrogance souffraient d'une légitimité sans partage.
Même au sein de la famiglia, les membres devaient subir un rite de passage. Supporter les affronts verbaux des deux vipères Corleoniennes. Si la personne ne pouvait encaisser les diatribes, sa place serait aux oubliettes. Avec son nom placardé sur le mur de la honte. Les informations avec le sang neuf, n'étaient partagées qu'une fois qu'ils avaient fait leurs preuves. A savoir, suivre le sillage de leurs semblables lors d'un assaut qui a toujours sa part d'imprévus. L'incertitude est une donnée avec laquelle il faut nécessairement flirter. Tel un funambule sur son fil de doutes, de l'échec ou du succès sa chance chancelle. Et lui procure cette dose d'adrénaline nécessaire pour entretenir sa motivation. Mais tant qu'un prétendu brigand n'a encore rien prouvé, il se tait, suit et ne pose pas de questions.
Si cela ne tenait qu'à elle, les recrues seraient ruées de coups, puis devraient endurer les invectives du groupe. Les mouflets seraient sélectionnés à la naissance selon leurs prédispositions afin de ne garder que les plus robustes. Et à l'aube de leur huitième années, ils seraient abandonnés à leur triste sort en pleine nature. Luttant contre les élements et les autres pour leur propre survie. Un peu à l'image de l'Agogé spartiate. Avec en guise de conclusion, un pacte de sang en jurant qu'ils ne trahiront jamais les leurs. Maintenant voilà, comment pourrait-elle se complaire dans ce genre de pratiques. Dès lors que la première impression qu'elle eut fait en entrant ici, était celle d'une appréhension envahissante. Alors qu'elle tenait la main de sa compagne. Et qu'autour d'elle, les sujets de conversation fleurissaient comme bourgeons au printemps sur les questions d'émotions et d'amour. Non vraiment, cela n'aurait aucun sens de le réclamer.
Puis, plus la discussion s'étalait, plus la mustélide fronçait les sourcils. Tout d'abord, ses onyx foudroyèrent son Italienne au moment d'énoncer leur nombre devant au moins une personne douteuse. Pourquoi pas lui dresser la liste des noms aussi ? Évacuant l'incompréhension et ne lui en tenant pas rigueur plus que ça. Son allégeance lui était allouée jusqu'au trépas, l'Italienne savait ce qu'elle faisait. Des propositions avaient été faites et que les Corleone se chargent de l'organisation tombait sous le sens. Bien qu'elle ne remette pas en cause les compétences de son clan. L'expérience parlait de lui-même en faveur de la famiglia. Tout ceci se déroulait à merveille ou presque. Sa fierté écorchée un peu plus tôt fut ravalée non sans mal. Mais là son courroux risquait de s'abattre dans le sous-sol de la Tour. Que ce fusse une erreur d'inattention ou un aveu volontaire, le nom de la cible fut évoqué. La mustélide laissa transparaître son mécontentement par un long soupir. L'idée était de réussir le coup pour l'honneur de son cousin et de sa famille dans son entièreté. Et plus le débat se construisait, plus les chances de réussites s'amenuisaient car bien trop de gens étaient au courant.
La paysanne évoqua quelques petites choses, ce qui rassura brièvement la mustélide. Bien que la façon d'en parler, lui laissait croire que la gueuse en question les prenait vraiment pour des pécores incapables de différencier leur main gauche de la droite. Vrai que dans le milieu, ce ne sont pas tous des lumières mais de là à expliquer le fonctionnement d'une prise de mairie devant des Corleone. Sans aucun doute que la Praseodyme surnageait dans la graisse de son patelin. Pour n'avoir jamais pu esgourdir la légende de Sadnezz. Tout se perd, faut croire.
Elle les observe tour à tour, jaugeant la valeur de celle en qui la confiance n'est toujours pas acquise. Puis son regard se fait vide. Totalement ailleurs. L'envie de quitter la pièce, excédée, était forte. Mais elle ne pouvait s'y résoudre. En d'autres circonstances, ce fut sa raison qui l'aurait emportée. Ne pas envoyer au casse pipe ceux qui les suivent, et qui la suivront rien que pour ses beaux yeux. La responsabilité est grande. Et d'autant plus importante car la défaite lui est inacceptable. Surtout pour cette vendetta. L'honneur du barbu doit être lavé, elles doivent lui rendre ce qu'ils lui ont volé. De voir que leur façon de procéder est bafouée d'entrée de jeu, l'agace énormément. Prête à mourir pour eux, mais certainement pas capable d'accepter qu'il arrive quoique ce soit aux siens, qu'ils soient écossais ou italiens. Sous sa poitrine et dans ses pensées, ils ont tous la même importance. Son coude légèrement replié, elle lève doucement la main pour prendre la parole à son tour. Tout d'abord à l'attention de Laell.
Les chevaux de bois grincent. On ne peut se permettre de les amener avec nous. Ceci dit, si le bateau continue de fuiter alors qu'il n'est même pas encore entrain de mouiller en mer. Nous risquons de trouver leurs couinements indispensables...
Seule son Italienne pourra comprendre de quoi il en retourne. Contrairement à la légende urbaine, la catin-potiche, qui trône ici lieu, n'est pas à exclure définitivement des tractations. Désormais, elle s'adresse à la Flamboyante.
Tu peux refuser ta part. A mes yeux, ce n'est certes pas une question d'argent mais tout travail mérite salaire. Et mon métier, c'est prendre des mairies. Nos pratiques veulent que le butin sera équitablement partagé à la hauteur de ce qu'il se trouve dans les coffres. Que les membres de la famille et les autres se rassurent, tout le monde aura son dû. Et nous devrons tenir la place le temps de charger les charrettes.
La mustélide sait pertinemment que la motivation s'agrandit au fur et à mesure que les poches se remplissent. Si elles ne veulent pas tuer dans l'oeuf la participation des volontaires, il faut les rassurer concernant ce point crucial. Les bons comptes font les bons amis. Pour le reste, elle préfère sombrer dans un mutisme total. Bien des choses qui auraient dû rester sous silences ont été dites devant des gens qui n'ont pas encore gagnés leurs confiances.
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