Lanceline
-
Ma pauvre muse, hélas ! qu'as-tu donc ce matin ?
Tes yeux creux sont peuplés de visions nocturnes,
Et je vois tour à tour réfléchis sur ton teint
La folie et l'horreur, froides et taciturnes.
Baudelaire, VII - La muse malade in Spleen et Idéal, Les Fleurs du mal.
[Et sinon, comme titre, on avait aussi : « La bouche ventrale est garnie de dents qui ont la même structure et la même formation que les écailles placoïdes. » - Manuel de biologie animale, Anne-Marie Bautz et Alain Bautz, Éd. Dunod. - (Cace-dédi à JD Arnaut.)]
Le soleil brillait. Il faisait beau. Trop, peut-être. Mais la Balafrée était contente. Elle aimait et était aimée en retour. Vivre d'amour et d'eau fraîche ? Oui, on pouvait dire que ça lui convenait. Plus ou moins, en fait : à ne vivre que de ça on finissait toujours par crever -enfin, vous allez me dire que de toute façon, on en crève toujours de vivre-.
Mais ne parlons pas de cela : elle était heureuse. Elle aurait été une enfant qu'elle irait sautillant dans les rues d'Agen. Rues qui étaient d'ailleurs plus ou moins désertes.
Elle s'arrêta devant l'auberge où elle savait qu'Arnaut logeait. Attendit. Longtemps. Elle faisait les cent pas devant quand elle se décida à pousser la porte.
Elle se dirigea vers le comptoir avec un grand sourire, s'y accouda et regarda l'aubergiste, battant des cils :
- Bonjorn. Un dénommé Arnaut logerait-il chez vous ? C'était une question rhétorique hein, elle savait qu'il créchait là. Est-il descendu ?
Oui Damoiselle. Il est parti, tôt, ce matin. Il me semble même qu'il avait repris ses affaires. D'ailleurs, il a payé sa chambre.
Elle fronça les sourcils.
- Il a... payé sa chambre, dites-vous ? Et... Il n'a rien laissé ? Rien dit ?
Non.
- Ah...
... Eh bien... au revoir. Et mercé.
Elle fit demi-tour. Il y avait une explication. Sûrement qu'il y en avait une. Peut-être qu'il l'attendait au coin d'une rue, un grand sourire aux lèvres, s'écriant « Surpriiiiiiiise ! ». Ou pas.
Il était parti. Et il n'avait rien dit.
Une raison. Il avait une très bonne raison. Qu'il n'avait pu lui révéler pour cause, disons, secrète. Mais oui. Elle y croyait vachement, la Balafrée.
Elle referma la porte derrière elle, se trouvant à nouveau dehors elle bifurqua sur la gauche. L'endroit ne lui plaisait pas. Le lit était trop dur. La chambre trop sale. Le bain pas assez chaud. Il avait préféré changer d'établissement sans le signifier au propriétaire. -Depuis quand son fiancé faisait-il montre de compassion ? Ah oui, depuis qu'il la connaissait, il changeait (un peu).-
C'était donc cela. Elle allait le retrouver. Forte de cette résolution, son pas se ragaillardit et, décidée, elle entra dans toutes les autres tavernes de la ville. Demanda si son cher fiancé de Bazaumont couchait désormais là. La même réponse tomba à chaque fois.
Non.
Et il n'y avait pas beaucoup d'autres endroits où dormir.
Peut-être était-il entré dans une maison, comme cela ? Pour... heu... voir. Mais oui, Line, bien sûûûr.
Alors elle déambula sans but dans Agen, espérant lui tomber dessus au coin d'une rue.
Et après ?
« Tudieu ! Vous ne pourriez pas faire attention ? »
_________________