Fleur_des_pois
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| Le 13 Mai 1461 |
- {Paris - Cour des Miracles}
Les affaires marchaient chaotiquement. Prise par son « autre emploi », le pillage de mairies, Gaia ne consacrait plus qu'une parcelle de sa vie aux poisons. Et cela ne lui plaisait guère. Certes, elle avait signé un contrat en or avec son amie. Payée pour éliminer l'époux de l'Ecossaise avec le propre argent de la victime. La situation amusait l'Ortie au plus haut point. N'était-ce pas délicieux ? De même, après avoir battu le pavé un jour aux Halles, elle avait écoulé une bonne partie de ses fioles. Mais tout ceci ne saurait lui suffire. Elle était avant tout empoisonneuse. Et même si voler l'argent des maires pour se le mettre dans la poche était plaisant, cela ne valait pas son métier d'origine.
La porte de la chambrée qu'elle occupait aux Cinq Sens s'ouvrit soudain, cédant la place à un garçonnet. Blond et mal fagoté, il avait un air roublard que seuls les enfants des rues possédaient. Cette mine, la Fée l'avait aussi. Bien qu'elle s'amusât parfois à la cacher sous un sourire innocent. Quittant le lit sur lequel elle s'était allongée, Gaia s'approcha du môme. Elle était à peine couverte, et sa chemise de corps ne laissait pas grand place à l'imagination. Ses formes étaient visibles, mais cela ne la dérangeait pas. Quant au gamin, ce n'était pas lui qui allait se plaindre de la vue.
Que me veux-tu ? demanda-t-elle d'une voix chantante mais impérieuse.
Vous m'aviez d'mandé d'vous prév'nir si que'qu'un vous d'mandais, et j'ai une lettre pour vous. Rapport à Trifouilli.
Donne-moi ça.
Arrachant la missive des mains de son coursier parisien, Fleur lut les quelques lignes avec avidité. Cet Haldor avait frappé à la bonne porte, c'était certain. Manier la belladone ? Le Lutin s'en donnerait à coeur joie. U sourire se dessina sur ses lèvres. Voilà qui changeait agréablement des contrats habituels.
Bien. Je vais m'y rendre. Fais atteler la carriole, je suis en bas dans quelques minutes.
- | Le 15 Mai 1461 |
- {Fort de Hauterive}
La route avait été plus longue que prévue. L'impatience gagnait l'empoisonneuse. Haldor Von Stern l'intriguait. Qui avait besoin de faire planter de la belladone dans son jardin ? Sûrement quelqu'un qui avait un nombre conséquent d'ennemis... ou de personne à supprimer. Et que signifiait « monter une affaire » ? Désirait-il en faire commerce ? Ce genre de produits se vendait d'ordinaire sous le manteau. Une bourse rebondie, pas de nom. Effets assurés. Oserait-il ouvrir une échoppe de poisons ? En plein quartier des Halles ? Entre le vendeur de saucissons et celui de pain frais ? Tout ceci sortait de l'ordinaire. Et naturellement, cela plaisait à Fleur.
Enfin, elle fut en vue du fort. Les ceps de vigne s'alignaient en longues rangées. Cela ne semblait pas être très entretenu. Quoique plus loin, il lui sembla distinguer des travailleurs. Le travail des champs avait toujours révulsé Gaia. S'abimer les mains et se mettre le dos en bouillie ? Pour être payé une misère ? Il n'y avait que les idiots pour faire ce genre de labeurs. Et l'Italienne n'était pas idiote.
La Fée tira sur les rênes de son âne brun et laineux. A ses côtés, dans la carriole, Dandelion regardait les alentours de ses vifs yeux marron. Le petit chien noir et blanc à la patte manquante l'accompagnait partout. Son seul véritable ami en ce monde.
Pour l'occasion, Fleur avait enfilé une robe bleu myosotis galonnée d'or. Epousant parfaitement les formes rondes de son buste, elle laissait aperçevoir la naissance de sa poitrine. Ses longs et brillants cheveux bruns étaient comme de coutume, libres de mouvements. Comme d'habitude, Gaia était renversante sans trop se donner de peine.
Un garbe s'en vint à sa rencontre. L'affaire devenait sérieuse. Sortant la lettre du Von Stern de sa besace, elle la présenta à l'individu, le sommant dans un sourire cajoleur de la laisser passer. Ce qu'il fit en se grattant la tête, rendu incrédule par la vision féérique du Lutin, qui mena son âne en riant.
Le pont-levis fut ainsi traversé sans la moindre encombre. Haldor lui avait demandé de le rejoindre dans un lieu bien précis. La tour Sud du Fort. La bâtisse était plutôt imposante. Les murs blancs, le toit d'ardoise. Tout ceci sentait les moyens financiers. Parfait, cela n'en était que mieux.
Abandonnant l'âne laineux au milieu de la cour à un serviteur empressé, Fleur pénétra dans la tour désignée, suivie de Dandelion. Levant le nez, elle examina les alentours. Bien aménagé, sans ostentation. Sobre mais élégant. Tout ce qu'elle appréciait. Mais comment trouver le bureau ? S'avançant de sa démarche dansante, l'Ortie ne tarda pas à se retrouver nez-à-nez avec un homme, un autre serviteur sans doute, vu sa tenue.
Je me nomme Gaia Corleone, et j'ai rendez-vous avec ton maître, Haldor Von Stern. Va annoncer ma venue, je te prie.
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