Axelle
Il avait écrit. Il avait écrit et elle était là, hésitante au dernier instant devant une porte close.
Un, peut-être deux jours auparavant, jonglant entre son bureau de CaM et celui du Bailli, la tête lui tournant sous trop de chiffres, de lettres reçues, de consignes à donner, dannotations en tous genres, la nausée ne la quittait plus dans ce tourbillon incessant. Du moins croyait-elle que la cause de cet état fébrile était du à ce travail qui samoncelait sur sa table. A Embrun, les choses nallaient pas pour le mieux non plus et il sy tramait une horreur à laquelle elle sinterdisait de penser, sengouffrant avec plus de hargne encore dans ses charges. Elle sabrutissait de travail, sy perdait, sisolait autant quelle le pouvait. Si la Ruche et sa nonchalance lui manquait, si cest des volutes quelle préférait tracer en lieu et place de colonnes de chiffres, elle ne regrettait pourtant pas sa décision dêtre rentrée au Conseil Ducal et de faire de son mieux, apprenant tout ce quelle pouvait, et surtout apprenant sur « les autres ». En son fort intérieur, certains se gonflaient de son respect avec emphase, quand dautres, tout au contraire, se cassaient lamentablement la figure dans son estime.
Depuis combien de temps était-elle dans cet état étrange, presque irréel malgré les tâches profondément terriennes quelle accomplissait, quand sa main se saisit dune énième missive? Peut importait au final, car si elle louvrit sans plus dattention quelle nouvrait les autres, la plume déjà prête à répondre à une nouvelle demande, son regard, lui, se troubla aux premiers mots. Intriguée, elle sauta toute la page pour venir lire la signature et son cur fit un bond. Oh non, en aucun cas ce ne fut un bond de joie, mais dangoisse diffuse. Jamais, jamais ni lun ni lautre ne sétaient écrit, et cette missive à elle seule, peu importait son contenu, était suffisamment troublante pour que les amas de paperasses alentours soient oubliés. Et elle lut, avec la plus grande des attentions, la bouche troublée.
Un, peut-être deux jours auparavant, jonglant entre son bureau de CaM et celui du Bailli, la tête lui tournant sous trop de chiffres, de lettres reçues, de consignes à donner, dannotations en tous genres, la nausée ne la quittait plus dans ce tourbillon incessant. Du moins croyait-elle que la cause de cet état fébrile était du à ce travail qui samoncelait sur sa table. A Embrun, les choses nallaient pas pour le mieux non plus et il sy tramait une horreur à laquelle elle sinterdisait de penser, sengouffrant avec plus de hargne encore dans ses charges. Elle sabrutissait de travail, sy perdait, sisolait autant quelle le pouvait. Si la Ruche et sa nonchalance lui manquait, si cest des volutes quelle préférait tracer en lieu et place de colonnes de chiffres, elle ne regrettait pourtant pas sa décision dêtre rentrée au Conseil Ducal et de faire de son mieux, apprenant tout ce quelle pouvait, et surtout apprenant sur « les autres ». En son fort intérieur, certains se gonflaient de son respect avec emphase, quand dautres, tout au contraire, se cassaient lamentablement la figure dans son estime.
Depuis combien de temps était-elle dans cet état étrange, presque irréel malgré les tâches profondément terriennes quelle accomplissait, quand sa main se saisit dune énième missive? Peut importait au final, car si elle louvrit sans plus dattention quelle nouvrait les autres, la plume déjà prête à répondre à une nouvelle demande, son regard, lui, se troubla aux premiers mots. Intriguée, elle sauta toute la page pour venir lire la signature et son cur fit un bond. Oh non, en aucun cas ce ne fut un bond de joie, mais dangoisse diffuse. Jamais, jamais ni lun ni lautre ne sétaient écrit, et cette missive à elle seule, peu importait son contenu, était suffisamment troublante pour que les amas de paperasses alentours soient oubliés. Et elle lut, avec la plus grande des attentions, la bouche troublée.
Citation:
Paris, Avril 1461
Axelle,
Des semaines déjà que je vous oppose un silence têtu à vous qui ne mavez jamais demandé la parole et voilà quaujourdhui je me décide à le rompre, sans trop savoir pourquoi.
Il nest pas dans mes coutumes décrire, encore moins aux femmes, mais ce soir lidée mest venue et ne sen va pas. Cest à vous que jai envie dadresser quelques mots, à vous qui mavez offert un asile quand je venais de trouver un refuge. Cest diffèrent vous savez ? Le refuge est une chance, lasile, une salvation.
Je nai pas eu loccasion daller à la Ruche depuis fort longtemps, et jai parfois limpression que je serai incapable den retrouver le chemin tant les évènements menchainent les uns après les autres, à des taches qui nauraient jamais dû mincomber. Je cumule, Axelle, jalterne. Vous me connaissiez garde, modèle, me voici comptable. Mon père serait presque fier de moi s'il ne s'agissait pas d'une maison close, l'Aphrodite.
Héritier prématuré, je me retrouve Pape au sein dune église de chair et dargent, où les prières ont des accents dextase et la rédemption celle de lengourdissement des sens. On dirait que cet endroit a été créé pour moi, vous ne trouvez pas ? Alors, enchainé là ou ailleurs Mon bureau manque diaboliquement de peintures. A défaut de vous entrainer au sol pour le recouvrir de pigments divers et variés, il faudra me faire songer à vous commander quelques tableaux, que je puisse mévader entre deux lignes de chiffres.
Jespère que ce courrier vous trouve en bonne santé, remise, fière, vivante. On ne se rend pas toujours compte du luxe que cela peut être, ou, comme toutes les bonnes choses, on sen rend compte trop tard.
Je me souviens de votre sourire, Axelle, de la courbe de votre épaule quand elle se dénude, de la façon que votre bouche a de soupirer lorsque je vous touche, du gout de votre peau quand elle devient brulante, de votre voix extatique lorsque vous jouissez et je mexplique de cette façon mon silence vous concernant. Les images que je porte de vous sont si nettes quelles gardent tout leur tangible, même éthéré, même amaigri, même rongé par les réalités qui lentourent Je vous promets donc une visite, un jour, quand jen aurais le temps. Ne me demandez rien de plus précis, je serai bien incapable de vous le dire et ne voudrais pas vous décevoir dune date tronquée à laquelle vous ne me trouveriez pas. Cest une question de temps, et de force. Je manque de lun comme de lautre.
Les livres de compte sont bien plus intransigeants que les femmes, qui leut cru ?
Je vous préviendrais dès lors que je pourrais les délaisser.
Je vous embrasse, baisers de papier à défaut dessaimer sur votre peau et ma langue et mes doigts.
A.T
Axelle,
Des semaines déjà que je vous oppose un silence têtu à vous qui ne mavez jamais demandé la parole et voilà quaujourdhui je me décide à le rompre, sans trop savoir pourquoi.
Il nest pas dans mes coutumes décrire, encore moins aux femmes, mais ce soir lidée mest venue et ne sen va pas. Cest à vous que jai envie dadresser quelques mots, à vous qui mavez offert un asile quand je venais de trouver un refuge. Cest diffèrent vous savez ? Le refuge est une chance, lasile, une salvation.
Je nai pas eu loccasion daller à la Ruche depuis fort longtemps, et jai parfois limpression que je serai incapable den retrouver le chemin tant les évènements menchainent les uns après les autres, à des taches qui nauraient jamais dû mincomber. Je cumule, Axelle, jalterne. Vous me connaissiez garde, modèle, me voici comptable. Mon père serait presque fier de moi s'il ne s'agissait pas d'une maison close, l'Aphrodite.
Héritier prématuré, je me retrouve Pape au sein dune église de chair et dargent, où les prières ont des accents dextase et la rédemption celle de lengourdissement des sens. On dirait que cet endroit a été créé pour moi, vous ne trouvez pas ? Alors, enchainé là ou ailleurs Mon bureau manque diaboliquement de peintures. A défaut de vous entrainer au sol pour le recouvrir de pigments divers et variés, il faudra me faire songer à vous commander quelques tableaux, que je puisse mévader entre deux lignes de chiffres.
Jespère que ce courrier vous trouve en bonne santé, remise, fière, vivante. On ne se rend pas toujours compte du luxe que cela peut être, ou, comme toutes les bonnes choses, on sen rend compte trop tard.
Je me souviens de votre sourire, Axelle, de la courbe de votre épaule quand elle se dénude, de la façon que votre bouche a de soupirer lorsque je vous touche, du gout de votre peau quand elle devient brulante, de votre voix extatique lorsque vous jouissez et je mexplique de cette façon mon silence vous concernant. Les images que je porte de vous sont si nettes quelles gardent tout leur tangible, même éthéré, même amaigri, même rongé par les réalités qui lentourent Je vous promets donc une visite, un jour, quand jen aurais le temps. Ne me demandez rien de plus précis, je serai bien incapable de vous le dire et ne voudrais pas vous décevoir dune date tronquée à laquelle vous ne me trouveriez pas. Cest une question de temps, et de force. Je manque de lun comme de lautre.
Les livres de compte sont bien plus intransigeants que les femmes, qui leut cru ?
Je vous préviendrais dès lors que je pourrais les délaisser.
Je vous embrasse, baisers de papier à défaut dessaimer sur votre peau et ma langue et mes doigts.
A.T
Le ton de la lettre, certains mots lalertèrent encore davantage, confusément. Un pressentiment, un simple pressentiment suffit à la décider. Au revoir paperasses, il lui fallait partir, impérativement. Elle nétait de toute façon plus capable de rien. Elle laissa juste quelques consignes pour le plus urgent, avisant que son absence serait courte durée et quitta le Château de Pierre-Scize sans autres explications, ne laissant à personne le temps de la retenir. Les remontrances seraient pour plus tard, elle sen moquait bien.
Les relais de Lyon étaient vides à cette heure tardive, et seuls les ivrognes trouvaient encore la force de brailler à la lune des chansons grivoises. Après un moment dattente qui lui paru une éternité, un jeune coq à la veste rouge lui désigna une voiture en partance pour Paris. Durant le trajet chaotique, ses pensées vadrouillaient, un sourire se dessinant à ses lèvres au souvenir de sa dernière escapade à la capitale, pour sassombrir aussi vite en songeant à cette missive qui lui brulait les doigts au fond de sa poche.
Cette fois ci, elle ne prit aucun plaisir à redécouvrir les façades serrées aux colombages savants. La foule, les rires, les cris glissaient sur elle sans trouver la moindre prise. Il lui fallait trouver un guide, cest tout ce qui lintéressait. Et cest une vielle mandiante qui vit sa journée sagrémenter dune poignée décus pour la conduire à ce lieu énigmatique quétait lAphrodite. La vielle, puante mais pleine de zèle face à laubaine de la journée trouvée sous les traits dune gitane provinciale paumée, se fendit durant tout le trajet dexplications sur les lieux traversés dont la Bestiole navait que faire, mais qui pourtant resta stupéfaite devant la façade dentelée et vertigineuse dune cathédrale, et elle ne desserra les dents que pour répéter après la femme.
Notre Dame.
Arrivée devant létablissement, la vieille au sourire édenté tendit à nouveau la main, estimant certainement que son érudition valait bien un complément. Mais peu dhumeur au badinage, cest un grondement sourd qui lui répondit, la laissant sévanouir dans la foule en maugréant.
Le butoir à tête de lion fit son office, et après quelques mots rapides échangés avec le portier, indifférente aux tentures lourdes, aux chuchotements et aux parfums capiteux, elle se retrouva devant une porte close. La porte du bureau dAlphonse.
Et après toute cette cavalcade, elle hésitait à frapper, laissant ses yeux se perdre sur les nervures du bois. Après tout, pas un seul mot de sa lettre ne linvitait à venir. Non, pas un seul, mais il lui avait écrit, simplement écrit et elle frappa trois petits coups.
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