Fil_d_ariane
[Huit jours plus tôt
]
Lentement il dénuda son épaule. Sa main était chaude, ses doigts se faisaient légers et il lui arrachèrent un petit frisson. Quand ses lèvres remplacèrent sa main qui descendait le long de son bras, elle sentit une douce chaleur lenvahir.
Elle se sentit à létroit dans cette robe aux motifs compliqués tressés de fil dor. Elle sentait malgré lépaisseur du tissu sa main qui à présent glissait sur sa taille et remontait vers sa poitrine.
Il lui chuchotait des mots insensés, des mots interdits à loreille. Des mensonges assurément, mais ils lenivraient, elle se sentait femme entre ses mains.
Le collier de diamants qui descendait jusquà léchancrure de ses seins disparut prestement et ses lèvres brulantes remplacèrent le contact intime des pierres. Cétait un obstacle dont il venait de saffranchir et elle ne perdait pas au change. Elle put glisser ses doigts dans ses cheveux épais en rejetant la tête en arrière pour offrir sa gorge désormais découverte à ses baisers experts.
Vous êtes fou !
Vous me rendez fou. Fou de désir.
Et si mon mari arrivait maintenant ?
Ou - bli - ez-le donc, il - soccupe - de - ses - invités.
La musique du rez-de-chaussée emplissait la maison et les jardins. Cétait la fête, les mets les plus fins ravissaient les palais et le vin coulait à flot, sans cesse renouvelés par un cortège de domestiques aussi discrets quefficaces.
Le bal masqué battait son plein et nul navait encore remarqué la disparition de la maîtresse de maison et de son dernier cavalier. Qui sen souciait dailleurs ? A cette heure avancée de la nuit, dautres couples les avaient précédés à la recherche dun peu intimité. Elle était la maîtresse de maison, soit ! Mais bien malin dailleurs celui qui laurait reconnue et aurait décelé que son galant nétait point son mari.
Ma mie ? Vous sentez-vous bien ?
Ciel mon mari ! Lexpression nétait pas nouvelle pour ne pas dire éculée, des millions de femmes lavaient déjà prononcées depuis que Eve était apparue sur la terre. Et des millions de femmes la prononceront sans doute encore avec ce même sentiment dangoisse et de frustration dici la fin du monde.
Non ! Et mer
de pas maintenant ! Pas ici !
Cachez-vous ! Filez ! Vite !
Où ça ? Il ny a pas dissue !
Ma mie ? Vous allez bien ? On vous a vue quitter la réception avec un homme et je minquiétais ! La fois se fit plus insistante et le poing frappait désormais la porte de façon ostentatoire.
Pour la discrétion cétait raté ! Bien la peine de porter un masque !
Je sais pas moi ! Débrouillez-vous ! Pensez à ma réputation ! Pensez à nous !
ENFONCEZ CETTE PORTE ! VITE ! Il y a quelque chose de louche là-dedans.
Panique à bord ! mais parfois cest quand tout est perdu que lesprit recèle des ressources inespérées.
Le collier
dites que jai voulu le voler. Criez, mais CRIEZ BON DIEU !
Non ! Pas ça ! Surtout pas ! Pas le collier ! Tout mais pas le collier !
Mais il n'écoutait plus, il le ramassa et le fourra dans son manteau. Alors que la porte tremblait sous les coups de boutoir et quil sapprêtait à sélancer sur le balcon, il revint sur ses pas et lembrassa violemment.
Nous navons pas fini ! Considérez que ce nétait quun avant-goût de ce que je vous offre sil mest permis déchapper à votre mari. Adieu Marquise !
Avec un sourire ravageur, il rabattit son masque et disparut dans le jardin alors que la porte souvrit avec fracas sous la ruée des gardes du corps.
Hiiiiiiiiiiii ! Au voleur ! Mon collier ! Quel talent ! Quelle actrice ! Quelle énergie dans ce cri, comment ne pas y croire ?
Mon Dieu ma mie, vous êtes toute rouge ! Vous a-t-il fait du mal ? Le scélérat ! Rattrapez-le ! RATTRAPEZ-LE !
Il... il m'a arraché mon collier ! Elle porta la main à son cou, sentant encore la brulure des lèvres sur sa peau quelques minutes plus tôt. Mais la chaleur qui l'irradiait ne provenait pas uniquement de cette étreinte fugitive.
Le collier... non... faites qu'ils ne le retrouvent pas ! prononça-t-elle tout bas.
Le service de sécurité sortait de sa torpeur, déjà les hommes qui patrouillaient dans le jardin convergeaient vers lombre qui senfuyait.
Là-bas, je le vois ! Avec le manteau ! Sus !!!
Fil_d_ariane
[Une semaine plus tôt]
Toujours rien ! On continue vers la vieille ferme !
Tapi derrière un fourré le fuyard retenait sa respiration. Cétait passé à deux doigts pour quils lui tombent dessus. Et avec le soleil qui se levait il serait bientôt visible à des lieues à la ronde. Il fallait que ça cesse, quil trouve un abri sûr, et surtout quil se débarrasse de son habit de fête qui détonnerait dans le paysage dici peu.
Depuis quil avait fui la villa romantica il navait pas eu une minute de répit. Ses poursuivants étaient tenaces, stimulés sans doute par la prime que leur maître avait du offrir pour sa tête. Cest quil en avait les moyens le bougre, il pouvait même se loffrir mille fois, mais lui navait quune tête justement et il comptait bien la garder encore quelques années sur ses épaules.
Dans son malheur il avait quand même eu de la chance. Aucun chien ne sétait lancé à ses trousses, la Marquise ayant une phobie pour ces animaux son mari les avait bannis de ses domaines. Et surtout un brouillard à couper au couteau sétait abattu sur la région peu de temps après le début de la course-poursuite.
La nuit navait été quune grande partie de cache-cache, mais à présent le manteau gorgé deau commençait à se faire lourd, les jambes étaient douloureuses et la fatigue se faisait ressentir. Il fut tenté de fermer les yeux. Oh pas longtemps, juste quelques secondes. Allez, une minute tout au plus.
Ce fut le son des cloches qui le réveilla. Le brouillard sétait dissipé et il aperçut les portes de la ville. Il était tout près, bien plus près quil le croyait. Le chemin empierré qui nétait quà un jet de pierre était déjà rempli des charrettes des paysans qui venaient vendre leur production sur le marché.
En quelques foulées il se mêla à la foule des habitués et franchit les portes sous lil indifférent de la garde de nuit qui piétinait en attendant sa relève. Au premier coin de rue il séclipsa vers les échoppes des tisserands.
Les étals venaient tout juste douvrir mais les marchands nattendaient pas encore les premiers clients. Pour preuve ils étaient encore à se saluer les uns les autres et échanger quelques plaisanteries grivoises autour de la première infusion du matin.
Profitant de laubaine, le fuyard pénétra dans la première échoppe vide baptisée pompeusement « aux ciseaux dargent » sassurant que personne ne le voyait, puis il retira ses vêtements, les dissimulant du mieux quil le put parmi les marchandises exposées. Il en choisit dautres moins voyants pour lui, il navait que lembarras du choix.
Au moment de partir il déposa quand même quelques pièces sur le comptoir puis il ressortit le sourire aux lèvres aussi discrètement quil était entré pour se mêler aux villageois.
La pression retomba, à présent nul ne pouvait reconnaître en lui en homme sortant tout droit dune fête et ayant passé la nuit dehors. Ses poursuivants pouvaient bien retourner la ville, rien ne le distinguait d'un honorable citadin. Il pouvait saccorder un solide petit déjeuner dans la première auberge avant de rentrer chez lui prendre un repos bien mérité.
Bon sang le collier !
Il se frappa la tête. En voulant faire vite il lavait oublié dans le manteau abandonné chez le tisserand. Mais comment peut-on être aussi c
!
Plus quà y retourner.
Fil_d_ariane
Larrestation de Panperdu dans le quartier des tisserands navait provoqué que peu démois et était passée quasiment inaperçue. Il faut dire que tout sétait passé très vite, à une heure matinale où le marché commençait tout juste à sinstaller. Lindividu nétait pas du coin et comme rien ne manquait dans les étalages les commerçants sen moquaient un peu. Un voleur avait été arrêté ? Et bien bon débarras, un de moins ! Pour une fois que le guet servait à quelque chose.
Peut-être que quelques-uns sétaient-ils étonnés de voir le guet collaborer avec la maréchaussée et une garde privée, mais après tout peut-être nen était-il pas à son premier larcin et sétait-il attiré toutes les polices du comté aux trousses.
Beaucoup de peut-être, oui. Mais pas assez pour susciter lintérêt.
Seul le propriétaire des « ciseaux dargents » avait été interrogé. Et encore navait-il eu droit quà quelques questions de routine, laffaire sétant déroulée devant son étal. Connaissait-il le suspect ? Non. Lui manquait-il quelque chose ? Non. Avait-il vu quelque chose ? Non plus. Avec les enquêteurs moins on en disait, mieux on se portait. Dici à ce quils en viennent à laccuser dune complicité quelconque qui les arrangerait bien
il ny avait quun pas quil ne souhaitait pas voir franchi. Pas de vagues ! Oh non, surtout pas, cest mauvais pour les affaires ça.
Plusieurs jours sétaient écoulés et notre marchand avait presque oublié cette affaire.
Allons ! Venez ! Approchez ! Regardez ! Qui veut du beau drap des Flandres ?
Fil_d_ariane
Une semaine ! Une semaine complète quil recherchait ce damné manteau. Et jusque là
choux blanc.
Lhomme était revenu sur ses pas dans le quartier des tisserands peu de temps après larrestation de Panperdu, alors que la garde le traînait vers la prison. Cest en courant derrière le groupe pour voir qui était linnocent qui avait été saisi à sa place quil saperçut quil ne portait que sa chemise sur le dos. Mais alors
on lui avait bien dit que cest le manteau quil portait qui lavait trahi, alors où était-il passé ?
Le procès navait pas trainé. Il faut dire que quand le juge était également le mari de la victime et le plaignant, laffaire devenait prioritaire. La Marquise, en actrice consommée et soucieuse dentraîner les recherches loin de son amant et de son collier, avait formellement reconnu son agresseur en la personne de Panperdu et elle avait attiré sur elle la sympathie du jury acquis davance à sa cause dans son exposé. Laccusé ne fut même pas entendu et le verdict tomba sans surprise. Vingt ans de galères ! Que cela serve de leçon, on ne sattaque pas aux grands de ce monde et affaire classée !
Et le fruit du larcin, le collier dans tout ça ? Le juge était tellement furieux quon ait osé toucher à sa femme et bafouer son honneur quil ny pensa même pas tout au long de ce procès qui fut peut être le plus court quil ait jamais instruit de toute sa carrière. De toute façon, il serait toujours temps de procéder à un interrogatoire plus tard.
Plus question dapprocher le condamné une fois que le maillet était tombé. Cest donc la Marquise qui se chargea de franchir les barrages et de linterroger. Pour apprendre quil ne savait rien du collier ni ce quétait devenu le manteau quil essayait.
« Ce collier ne doit jamais refaire surface, me suis-je bien fait comprendre ? » Disparus les sourires enjôleurs, les mots tendres et les palpitations quand elle se laissait aller dans ses bras. Sil voulait la revoir et
espérer encore quelque chose delle
il DEVAIT le retrouver.
Lhomme sétait éloigné des salons et des mondanités, désormais cest habillé comme un homme du peuple quil arpentait le marché de laube au crépuscule depuis une semaine à la recherche dindices. Il avait retrouvé un à un tous les hommes et femmes qui sétaient tenus prêts de létal du tisserand au moment de larrestation et les avait interrogés lair de rien, quelques pintes et des compliments habilement distribués déliant les langues.
Panperdu essayait un manteau au moment où il avait été interpelé. Il ne lavait plus quand on lemmena. Il avait donc dû tomber dans la mêlée. Mais ensuite ? Avait-il rejoint un étalage ? Quelquun sen était-il emparé ? Cétait chercher une aiguille dans une botte de foin. Il se donnait encore trois jours avant dorienter ses recherches dans le monde fermé par nature des bijoutiers et des recéleurs.
Citation: Un manteau mouillé dites-vous ?
Un manteau mouillé ? Il se trouvait à quelques pas à peine, retournant pour la centième fois le stock dun marchand quand il entendit ces mots. Il failli pousser un cri et se retint pour ne pas se jeter sur le bras de la femme.
Senquérir dun manteau navait rien dincongru dans le quartier, mais dun manteau « mouillé »
il ne pouvait sagir que DU manteau.
Lhomme décida de la suivre, elle représentait le meilleur indice quil ait déniché jusquà présent. Quand elle senquit de la prison, un grand sourire sélargit sur son visage. Il avait vu juste, il en était désormais certain. A présent il fallait ne pas la perdre de vue et trouver un moyen de laborder et de la soustraire à la foule.
Un chien énorme lui collait aux chausses et dissuadait quiconque de se mettre en travers du chemin de sa maîtresse. Abandonnant toute idée dagir dans la précipitation et connaissant sa destination, il la devança pour trouver un point dobservation qui le dissimulerait à ses yeux. La prison, construite à proximité du tribunal, occupait une énorme tour qui dominait à la fois le large et les eaux protégées du port de guerre. Ainsi les malheureux condamnés aux galères navaient que quelques pas à faire quand on les tirait de leur cellule pour les enchaîner à nouveau à un banc de nage.
Dissimulé dans lombre dune porte, il avait vu Anya frapper à la porte de la prison et se faire rembarrer par le factionnaire. A présent, elle pleurait, assise à quelques pas de là, le dos appuyé contre un mur de lesplanade. Loccasion attendue.
Bonjour damoiselle. Pardonnez-moi, mais je nai pu mempêcher de vous entendre bien malgré moi alors que je me rendais au tribunal, et votre détresse ma ému au plus haut point. Pas de laissez-passer, cest ça ? Je suis greffier, si vous mexpliquiez de quoi il sagit, je pourrais peut-être vous offrir mon aide ? Ma pause nest pas achevée, que diriez-vous que nous en parlions devant une infusion ?
Assis non loin de là, le molosse poussa un grondement sourd.