« Mais arrête ! »
Ou l'art de s'adresser à un rongeur pour lui donner des ordres à voix basse histoire de respecter le Saint Orateur et son discours à la façon Aislynn. Mais pourquoi gigotait-il ainsi ? Ne comprenait-il pas qu'il lui suffisait de se calmer pour qu'elle le laisse tranquille ? Alors qu'elle avait déjà libéré le cabot, la mioche se demandait que faire du rat. Il se débattait en possédé entre ses mains, affaiblissant de son poids ses bras, apeurant de ses menaces une gamine qui n'avait pourtant pas froid aux yeux : simplement, ne sachant que faire de lui, elle paniquait un peu. Le libérer ? Comment s'en débarrasser de manière à ce qu'il ne dérange plus ni le chien ni la cérémonie ? Comment éviter qu'il ne se venge après qu'elle l'ait déposé ? Elle détournait parfois le visage pour éviter un coup de patte, ou éloignait tant bien que mal la bestiole, mais plus elle la tenait loin, et plus elle la tenait avec peine.
Et pif, un constat lui vint. Elle n'avait pas une fois entendu prononcer le nom d'Elisabeth. Il était bien question de Gautier, pourtant. Taros et elle ne pouvaient pas s'être trompés de funérailles. À moins... qu'il y ait eu deux Gautier morts en même temps ? Ou qu'il ait eu un jumeau du même nom que sa mort aurait foudroyé ? Ah mais non, Aislynn, trêve d'imagination ! La gamine se souvint avoir lu, sur l'affiche, que l'Elisabeth était épouse de ce Gautier. Mais comment reconnaître l'épouse d'un défunt qu'on n'a jamais rencontré ? Taros pourrait sans aucun doute répondre à cette question, puisque les adultes qu'elle aimait détenaient la Vérité. Coup d'oeil en direction de la porte - le Parrain était toujours absent et l'office, lui, commencé. Pourrait-il encore entrer ? La laisserait-il seule ? Si elle s'efforçait d'être pieuse, la fillette n'était pas tout à fait patiente, et d'avoir de la compagnie, ça désennuyait un peu. Enfin, avec ce gros amas de poil qu'elle tenait, elle avait de quoi s'occuper : l'ennui, c'est qu'elle ne savait pas comment !
« J'crois en Dieu, le Très-Haut tout puissant,
Créateur du Ciel et d'la Terre,
Des Enfers et du Paradis,
Juge d'notre âme à l'heure d'la mort,
Et en Aristote, son prophète,
le fils d'Nicomaque et d'Phaetis,
envoyé pour enseigner la sagesse
et les lois divines de l'Univers aux hommes égarés.
J'crois aussi en Christos,
Né de Maria et de Giosep.
L'a voué sa vie à nous montrer l'chemin du Paradis.
C'est ainsi qu'après avoir souffert sous Ponce,
L'est mort dans l'martyre pour nous sauver.
Il a rejoint l'Soleil où l'attendait Aristote à la droite du Très-Haut.
J'crois en l'Action Divine;
En la Sainte Eglise Aristotélicienne Romaine, Une et Indivisible;
En la communion des Saints;
En la rémission des péchés;
En la Vie Éternelle;
AMEN »
Ce fut récité comme un automatisme. Et pif, ça lui revint. Les gens importants, durant les offices, s'asseyaient tout à l'avant - et ça, ce ne pouvait qu'être la Vérité, puisqu'elle tenait l'information de sa Neti.
« Ah, mon p'tit... 'fin, mon gros... j'crois qu'on vient d'avoir un éclair d'génie ! »
Noble ou pas, une épouse d'un mort, c'était sûrement la personne la plus importante des funérailles quand il s'agissait justement des funérailles de son époux ! Elle savait où chercher, donc. Et dès qu'elle y verrait quelque chose derrière toutes ces grosses têtes, elle la trouverait, son Elisabeth !
Mais en attendant, 'fallait régler l'problème du rat...
« T'dois aimer l'maïs, hein, toi ? »
C'est qu'elle en avait, justement, dans sa poche...