Sathi
Elle a beau chercher, pour ce que l'interrogation est tût, aucune réponse ne saurait être trouvée, et si l'on dit souvent que le regard interprète ce que le coeur ne dit pas, les fenêtres de l'âme Judéenne restent insondables.
Aussi aurait-elle pu se risquer à la poser de vive voix, mais surement n'aurait-elle eu droit qu'à réponse détournée de la part d'un Judas qui se contentait souvent de ne jamais en dire plus qu'il n'en faudrait.
L'homme est mystère et la nubienne ne cherchera pas à percer ce dernier.
A l'image du seigneur, le minois féminin préfère afficher ce même air détaché, masque parfaitement hermétique dont l'homologue s'est paré.
Ainsi donc l'attention se porte ailleurs. Sur Amadeus pour commencer, le temps qu'une main attentive repousse légèrement, non plus ce bout d'étoffe rose mis hors de portée après qu'on le lui ait demandé de s'en débarrasser, mais un bout du pan de la pelisse qu'elle porte et dont la petite poigne s'est emparée, cherchant sans doute à compenser le manque.
Mais le paternel avait ordonné et la nourrice, pour bien faire, avait obéit.
A demi dissimulé sous le noir tissu, la main qui le repousse dévoile à la vue un visage enfantin reposé. Endormi le bambin. Et si on y regardait bien, on ne manquait pas de voir le sourire sétirer à la commissure de ses lèvres, là d'illuminer ses traits. De cette image, Giulia ne se lassait jamais pour ce qu'elle lui faisait repenser ceux de son fils, quand bien calé au creux de ses bras, après qu'il eut tété, il la récompensait de cet éclat.
Amadeus, petit être qui par sa seule présence donnait à Giulia l'impression de voir s'envoler la neurasthénie qui pesait lourd sur sa vie. Petit homme qui, tout du long de ces cinq jours, viendrait égayer son voyage.
La compagnie du fils est bien plus appréciable que celle du père que la nubienne, le temps passant, jugeait comme étant un être froid.
L'enfant sourit, babille.
Le père reste impassible, silencieux.
Le véhicule file, tout comme le temps et seuls quelques mots se sont fait entendre depuis leur départ, mais pas de quoi faire rétorquer Giulia qui se contentera d'acquiescer d'un mouvement de tête avant qu'une main, le regard curieux de découvrir le contenu du panier qui se trouve à leurs pieds, ne vienne soulever les linges qui le couvre.
Deux jours, cantonnée dans cette voiture, plongée dans ce climat glacial qui peinerait probablement à se réchauffer.
L'ambiance est lourde à l'intérieur, qui oppresse. Besoin d'air, la main nourricière entrouvre alors le fenestron, tout juste de quoi laisser s'infiltrer une brise légère que le soleil a rendu agréablement douce. Soupir lié au bien-être un instant retrouvé mais qui se voit bien vite perturbé. Les paupières closent s'ouvrent lorsque sous le corsage se font sentir chaleur et tension relatives à la montée de lait.
La synchronisation est de mise entre la nourrice et l'enfançon. Le voilà, ce dernier qui commence à gesticuler, cherchant à enfouir son visage contre la poitrine gorgée.
Giulia comprend regard rivé sur l' "affamé" avant qu'elle ne le relève sur Judas et que par l'usage de quelque mots elle vienne briser le silence :
- Je crois que votre progéniture à faim. Peut-être serait-il bon de nous arrêter un peu, le temps que je me charge de le nourrir. Après quoi nous pourrions en faire autant en nous rassasiant... * désignant le panier logé à terre*... de quelques unes de ces victuailles. Qu'en dites-vous ?
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A chaque vie son début et sa fin.
" Mon agonie sera sans doute très longue, peut-être sans fin. Mais qui sait où le soleil se cache, la nuit ? Qui peut dire où les hommes se rendent lors de leur dernier voyage ?"
Sathi
La réponse qu'elle obtenue fut sans surprise. Sa main au feu elle aurait pu mettre, son esprit ayant deviné les dires de son interlocuteur. Prévisible Judas ? Lui comme bien des autres d'ailleurs. C'est que la nubienne disposait d'une sagacité particulière, un sens aigüe de la perspicacité.
- Soit !
Puisqu'elle n'avait pas d'autre choix que celui là, elle nourrirait l'enfant sous les yeux de son père. Peu lui importait en fait ! Le moment de partage entre elle et Amadeus ne demandait pas nécessairement d'intimité et faire comme si Judas n'était pas là n'avait rien de difficile en somme tant l'homme était empreint de cet air absent. Et puisqu'il fallait, en plus, ne pas perdre de temps...
Giulia acquiesça donc sur un signe de tête tout en s'affairant à donner position confortable à l'enfant, ne portant pas pour l'heure d'intérêts au panier empli de vivres. Priorité à Amadeus pour qui la pelisse s'entrouvrit, découvrant la partie haute du buste féminin couvert d'une chemise bouffante par dessus laquelle un corset de cuir brun était passé.
Les gestes s'opérèrent donc avec aisance, sénestre soutenant la tête du petit tandis que la dextre, elle, saisissait l'un des lacets qui tenait chemise fermée. Cordon tiré, la peau mordorée se découvrit doucement avant que la rondeur d'un sein ne soit dévoilé en son entier.
Oublié Judas... Le temps tout du moins que son regard se focalise sur le tout jeune Von Frayner. Avec attention, la nourrice procéda à l'approche, offrant à la bouche gourmande le bout d'un sein sur lequel perlaient déjà les premières gouttes de lait, et après s'être assurée de la bonne prise effectuée, elle releva les yeux sur le paternel, une question lui brûlant le bout de la langue.
Elle savait qu'ils avaient à se rendre au nord de la Bourgogne, et ce pour un temps bien défini. Mais qu'y aurait-il à faire une fois sur place ?
Une première fois la question avait été posée avec pour retour une réponse sans fond ni forme. Un simple " vous verrez" avait clos la discussion avant que le seigneur n'échappe à la curiosité naissante de la nubienne. Mais qu'en serait-il cette fois, alors qu'ils étaient là, enfermés dans ce qu'on pouvait comparer à une cage mobile ? Cette fois, point d'échappatoire...
Une seconde fois, elle se risqua à en savoir plus sur le pourquoi de ce voyage espérant bien obtenir une réponse plus développée que la précédente :
- Et à présent, puis-je connaître les raisons d'un tel voyage ? J'imagine aisément que je vous serais utile, autrement pourquoi vous encombrer de ma présence... Sans compter que pour Amadeus, il aurait été plus confortable de rester au Clos Saint Hermine plutôt que d'avoir à être bringuebalé en tous sens dans un espace aussi peu vivable que celui dans lequel nous nous trouvons.
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A chaque vie son début et sa fin.
" Mon agonie sera sans doute très longue, peut-être sans fin. Mais qui sait où le soleil se cache, la nuit ? Qui peut dire où les hommes se rendent lors de leur dernier voyage ?"