« Puisse les vautours venir, s’en repaitre puis disparaître, chargés des miasmes, de cette corruption trop attachée à ce duché pour qu’il parvienne un jour à s’en relever. » Étrange prière que celle formulée en silence par Line alors qu’elle assistait à une joute lentement malsaine. Le trône restait, disait-on, quand les régnants, glorieux comme pâles passaient, de là dérivait l’attention manifestée au choix des paroles et des gestes. Aux premiers, il était offert le nom scandé et des mouvements gainés de solennité, le tout ayant valeur de crédo et devait inspirer les troubadours. Aux autres, le simple rappel de l’attachement à la Touraine, comme une menace implicite vis-à-vis de celui qui occupait le siège ducal. Ce faisant, il lui était jeté à la tête à la fois la mémoire des siècles passés et la faiblesse de son indigne carcasse. L’insulte était vive et pourtant passait, à condition d’être partagée par la majorité sûre de son droit.
Cette belle assemblée, si rapide à décider de l’opprobre à lancer au nom d’une histoire trop lointaine, et était juste capable d’ânonner un même serment dépourvu de tout sens, des mots mâchés ou déclamés sans conviction, au point d’en perdre toute valeur. Une récitation aimable, simple qu’il fallait renouveler tous les deux mois au risque de perdre les terres. Une corvée, à vrai dire, qui obligeait à rompre avec la morne retraite sans gloire.
Tout au long de la confrontation, Line avait serré les dents, se gardant bien d’intervenir car tel n’était pas son droit. Si Montlouis avait été là, il aurait été en mesure de rappeler l’honneur fait au vassal et l’honneur fait au suzerain. Servir et protéger, l’association qui permettait au monde de survivre. Des mots, toujours des mots, et des gestes aussi.
Si Line était venue plus tôt, elle aurait pu remarquer que le duc n’avait pas manifesté une insistance similaire quant à la manière si protocolaire et, bien ridicule, usitée par la vicomtesse de Rivau. Il ne lui avait fait aucun reproche ni même avait insisté pour voir le genou à terre quand la dame, qui n’était pourtant pas grosse, s’était juste inclinée. Mieux, il avait semblé ravi alors même que l’insulte aurait dû être relevée. Cartel ne pouvait pas compter sur les mêmes arguments quoique les siens fussent plus visibles, la boiterie, le genou qui coinçait régulièrement, et sa cécité. Belle preuve de noblesse que de se faire s’agenouiller un aveugle. Belle Touraine. Après, Line devait concéder que le duc n’était pas accoutumé aux règles qui liaient les gens d’armes, jamais Cartel n’aurait fait étalage de ses faiblesses ni demander un quelconque passe-droit, c’était à celui en face de s’en rendre compte et d’appliquer la bienséance adéquate.
Apparemment lassé, Cartel se détourna, non pas sans avoir lâché une dernière tirade qui n’aurait pas dû être prononcée, quoique elle puisse devenir prémonitoire. Le duc, impatient et heureux de s’estimer gagnant, le voyait déjà sorti de la salle, pourtant, le manchot n’alla pas loin. Line était appelée et à défaut de pouvoir croiser son regard, elle savait que Cartel assisterait à sa propre prestation.
Une légère douleur s’empara de ses omoplates involontairement contractés à l’entente de l’invitation ducale, et elle se félicita d’avoir désormais suffisamment de maîtrise d’elle-même pour éviter que l’on entende ses dents grincer. « Sa chère Gerfault ». N’était-elle donc considérée que comme une oiselle ? D’autres mots prononcés, en privé, vinrent se rappeler à ses oreilles, l’oiseau n’était apprécié qu’au bras et non pas quand il faisait usage de ses serres. Sa grâce devait aimer l’ironie. La belle journée commencée était sujette à toutes les trahisons. Elle s’avança.
Un pas lent, choisi, lui-aussi. Nul honneur n’est plus grand que s’avancer devant un duc, et cela plus encore quand une personne d’une telle qualité l’occupe. Nul doute que votre panache saura repousser au loin nos ennemis, qu’ils soient angevins, berrichons ou romains.
Puis, à son tour, elle s’agenouilla, même là, le choix était double. Gauche ou droite ? Et qui s’en rappelait encore, le droit pour le roi, le gauche pour Dieu. En vérité, cela n’en était pas un vu les beaux espoirs. Elle posa le gauche à terre.
Nous, Line de Gerfault, vous reconnaissons, vous, Pikattosai de Chouzé sur Loire, vassal de Zebracolor, duc des Roches-l’Évêque, baron de Bourgueil et membre de la noble maison du Val de Loire, comme Duc de Touraine et notre légitime suzerain.
Qu’il soit su et entendu qu’en bonne vassale, nous vous jurons fidélité, aide et conseil pour nos terres de Restigné.
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Line de Gerfault, Dame de Restigné, fiancée de Pierre du Val de Loire, duc de Montlouis, baron de Saint-Cyr
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