Theolenn
[Péronne ...]
Quand on accomplit un long voyage, que par l'habitude du dépaysement l'on commence à se lasser des détails qui foisonnent pourtant tout autour de chacun des pas que l'on fait sans plus y penser, on rate bien souvent l'essence-même du chemin que l'on parcourt.
Par un heureux coup du sort, Theolenn n'est pas de cette engeance. Sa curiosité est naturelle et la notion d'habitude n'a pour elle aucune définition funeste. Le seul danger d'une vie où tout semble se ressembler, est de ne point cultiver son goût pour les petites choses, de ne plus s'attacher aux attentions toutes simples, de ne point entretenir, avec patience et reconnaissance, la flamme qui éclaire l'âme et nourrit l'imagination.
Car tout paraît banal qui n'est plus regardé avec le cur.
Nos voyageurs ont quitté Compiègne soulagés de s'être retrouvé, mais épuisés par une fatigue autant physique que mentale. Morelius a étonné Theolenn. Sa fougue à la sauver est intacte, sa rage de vivre, en ce qui la concerne, semble s'être décuplée. En la sortant du puits, cette caverne où le temps s'est arrêté, comme s'il s'étirait pour lui permettre de réfléchir au frais, Morelius ne s'est pas dégonflé. Il a même failli l'étouffer en la serrant dans ses bras, comme insensible aux odeurs terribles qui marquaient son corps et ses draps. D'ailleurs Theolenn à tout jeté de ce qui la recouvrait, en a fait un feu de joie, symbole de l'enfer qui attend celui qui a commandité le méfait dont ils furent, contre toute attente, les victimes triomphantes. Les bains pour la décrasser furent au nombre de trois. Ce n'est pas que le premier n'eut pas suffi, Morelius a frotté comme un forçat tant les directives de sa belle étaient précises et exigeantes. Mais l'odeur de la peur, celle que la mort qui rôde imprime au cur des fibres de la peau, n'est pas facile à déloger. Morelius l'a bien compris et, d'une patience d'ange, a frictionné le temps qu'il fallait pour que Theolenn, assoupie dans les vapeurs parfumées, accepte de manger un peu avant d'aller se coucher. La nuit, ce qu'il en restait, fut de courte durée.
Ils sont à présent à Péronne. Je ne sais pourquoi mais ce nom chante aux oreilles de notre rescapée comme une ville de soleil. On ne peut pourtant pas dire qu'il y brille particulièrement en ce début d'été, et lEspagne est loin, l'Italie tout autant, sinon plus.
Cela n'a pas d'importance, les décors sont souvent plus intérieurs qu'il n'y paraît. Et pour fomenter sa vengeance, madame fremen n'a pas besoin d'un lieu qui mette sa cervelle en vacances.
Péronne, au nom qui sonne si joyeusement, possède un magnifique château tout en rondeurs défensives. Si l'occasion se présentait, le visiter ne serait pas pour lui déplaire. En attendant que le hasard, ou n'importe lequel de ses acolytes, l'y invite, ce sont les étangs qui retiennent son attention. Ils sont nombreux autour de la ville, et propices à apaiser la colère au profit de l'intelligence. Véritables mystères aux profondeurs insondables, ils sont pour ceux qui ne les craignent point, source d'inspiration, de méditation constructive. Leur surface ne porte aucune trace des histoires glauques qui tapissent leur fond et pourtant, s'ils pouvaient raconter...
Mais l'eau régit la vie de la jeune femme, la moindre lutte contre l'attraction que cet élément exerce sur elle serait vaine par avance. De plus, une barque semble les attendre sur la berge herbue, aucun clapotis, aucun remous, même Mô pourrait accepter la balade de bon coeur... Mô qui l'arrête dans son élan premier pour lui montrer la pancarte, à demi effacée et à demi cachée par les herbes, qui annonce:
Quand on accomplit un long voyage, que par l'habitude du dépaysement l'on commence à se lasser des détails qui foisonnent pourtant tout autour de chacun des pas que l'on fait sans plus y penser, on rate bien souvent l'essence-même du chemin que l'on parcourt.
Par un heureux coup du sort, Theolenn n'est pas de cette engeance. Sa curiosité est naturelle et la notion d'habitude n'a pour elle aucune définition funeste. Le seul danger d'une vie où tout semble se ressembler, est de ne point cultiver son goût pour les petites choses, de ne plus s'attacher aux attentions toutes simples, de ne point entretenir, avec patience et reconnaissance, la flamme qui éclaire l'âme et nourrit l'imagination.
Car tout paraît banal qui n'est plus regardé avec le cur.
Nos voyageurs ont quitté Compiègne soulagés de s'être retrouvé, mais épuisés par une fatigue autant physique que mentale. Morelius a étonné Theolenn. Sa fougue à la sauver est intacte, sa rage de vivre, en ce qui la concerne, semble s'être décuplée. En la sortant du puits, cette caverne où le temps s'est arrêté, comme s'il s'étirait pour lui permettre de réfléchir au frais, Morelius ne s'est pas dégonflé. Il a même failli l'étouffer en la serrant dans ses bras, comme insensible aux odeurs terribles qui marquaient son corps et ses draps. D'ailleurs Theolenn à tout jeté de ce qui la recouvrait, en a fait un feu de joie, symbole de l'enfer qui attend celui qui a commandité le méfait dont ils furent, contre toute attente, les victimes triomphantes. Les bains pour la décrasser furent au nombre de trois. Ce n'est pas que le premier n'eut pas suffi, Morelius a frotté comme un forçat tant les directives de sa belle étaient précises et exigeantes. Mais l'odeur de la peur, celle que la mort qui rôde imprime au cur des fibres de la peau, n'est pas facile à déloger. Morelius l'a bien compris et, d'une patience d'ange, a frictionné le temps qu'il fallait pour que Theolenn, assoupie dans les vapeurs parfumées, accepte de manger un peu avant d'aller se coucher. La nuit, ce qu'il en restait, fut de courte durée.
Ils sont à présent à Péronne. Je ne sais pourquoi mais ce nom chante aux oreilles de notre rescapée comme une ville de soleil. On ne peut pourtant pas dire qu'il y brille particulièrement en ce début d'été, et lEspagne est loin, l'Italie tout autant, sinon plus.
Cela n'a pas d'importance, les décors sont souvent plus intérieurs qu'il n'y paraît. Et pour fomenter sa vengeance, madame fremen n'a pas besoin d'un lieu qui mette sa cervelle en vacances.
Péronne, au nom qui sonne si joyeusement, possède un magnifique château tout en rondeurs défensives. Si l'occasion se présentait, le visiter ne serait pas pour lui déplaire. En attendant que le hasard, ou n'importe lequel de ses acolytes, l'y invite, ce sont les étangs qui retiennent son attention. Ils sont nombreux autour de la ville, et propices à apaiser la colère au profit de l'intelligence. Véritables mystères aux profondeurs insondables, ils sont pour ceux qui ne les craignent point, source d'inspiration, de méditation constructive. Leur surface ne porte aucune trace des histoires glauques qui tapissent leur fond et pourtant, s'ils pouvaient raconter...
Mais l'eau régit la vie de la jeune femme, la moindre lutte contre l'attraction que cet élément exerce sur elle serait vaine par avance. De plus, une barque semble les attendre sur la berge herbue, aucun clapotis, aucun remous, même Mô pourrait accepter la balade de bon coeur... Mô qui l'arrête dans son élan premier pour lui montrer la pancarte, à demi effacée et à demi cachée par les herbes, qui annonce:
Sur le panneau, il y a écrit:
« La fosse Madame »
Le seigneur de Bruntel, aveuglé de jalousie, noya son épouse dans ces marais, gare à vous ...
Le seigneur de Bruntel, aveuglé de jalousie, noya son épouse dans ces marais, gare à vous ...
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