Luisa.von.frayner
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...c'est qu'on n'y échappe pas., JD Elendra
[Palais impérial de Strasbourg Chambre princière]
Depuis qu'Elendra était arrivée en Empire et qu'elle avait commencé à tenir son rôle de demoiselle de compagnie auprès de la princesse impériale, les soirées prolongées-confidences étaient devenues une habitude. Parfois, il y avait des choses à dire. Parfois pas. Mais on trouvait toujours le moyen de parler, d'imaginer un mariage, un château, une guerre surtout les guerriers un avenir, quoi. Mais quand même, il faut avouer que ça parlait beaucoup de mariage. Cela ne sera cependant pas le sujet de cette courte histoire, bien plus sanguinaire. Oh oui. Peut-être même qu'il va y avoir un mort. Ca vous intrigue, hein ? Sinon, faites semblant, et continuez tout de même votre lecture. Sauf si vous êtes déjà blasé, que vous avez déjà tout compris de l'histoire et qu'en gros, ça ne vous intéresse pas. On vous pardonnera, prômis.
Bon. Ce soir-là, comme tant d'autres, les deux jeunes filles avaient discuté jusqu'au bout de la nuit et avait fini par s'endormir comme des souches sur le grand lit princier qu'était celui de Luisa. Oui enfin, ça va, quand on a quatorze et treize ans, on peut bien se permettre de s'endormir entre amies, aussi sur-un-lit soit-on. De toute façon, voilà, c'était fait.
Endormie, peut-être éveillée, certainement entre les deux, Luisa se délectait d'une nuit aussi paisible. À vrai dire, presque toutes les nuits qu'elle avait passé depuis son retour en Empire l'avaient été, et les nuits mouvementées, déchirantes du Languedoc étaient loin. Elle ne voyait plus ce monstre s'emparer de ses parents, ne touchait plus ce sang et n'entendaient plus ces cris qui avaient été les objets de son tourment des années durant. Non, maintenant, c'était fini. Presque. En cours de finition. Ses cauchemars n'étaient plus que liés aux événements. Deux de suite après la mort de son cousin, Adrian, rien depuis, et rien avant depuis longtemps. L'angoisse était d'autant moins présente qu'avec le temps, elle avait su maîtriser plus ou moins ces instants et appris à rester calme, à ne pas crier une fois éveillée.
Une grimace s'imposa aussi lentement que possible sur le visage de la princesse alors qu'elle commençait à se sentir mal à l'aise. Une étrange chaleur venait de s'emparer du haut de ses cuisses, mais quelle chaleur ! Infiniment douce et caressante, elle n'avait rien de rassurant ni de maîtrisable. Une catastrophe naturelle. Les endroits de sa peau touchés par cette chaleur s'étiraient avec une lenteur effrayante, et l'incompréhension de Luisa accélérait inévitablement sa respiration. Une main se glissa vers cette peau tendue et ne put que se poser sur ce qu'elle ne connaissait que trop. Un léger gémissement acheva sa grimace, et la phrase habituelle se chuchota en boucle « calme-toi, ce n'est pas réel ». Il ne fallait surtout pas crier, Elendra serait réveillée, et elle serait bien obligée de lui partager ses frayeurs. Mais lorsqu'on rêve de mort, on préfère en avoir peur et honte plutôt que de le crier devant tous, surtout devant ceux qui ont perdu leur mère.
Tremblants, les doigts maculés reprirent leur place pour s'offrir aux yeux de Luisa. Hoquet de stupeur suivi d'un court sanglot. « Calme-toi, ce n'est pas réel. »
La nature était cruelle, dans les cauchemars. Dans la réalité aussi. Le toucher, la vue, ne semblaient pas mettre Luisa dans un état suffisant pour elle, puisque rapidement, l'odeur nauséabonde se glissa dans les narines de la princesse qui étouffa de peu un haut-le-coeur. Et une lancée de sueurs froides. Le nez se plissa pour moins voir, les yeux se fermèrent pour moins sentir et les mais restèrent dans les airs pour moins savoir. Ca recommencerait. Ca recommençait. Elle le savait, qu'elle ne serait jamais tranquille, que ça la poursuivrait jusqu'à sa propre mort. La mort. La nuit.
Comment penser ces mots sans éclater en sanglots ? Peu importait alors la présence d'Elendra, Luisa pleurait, parce que Luisa avait peur. Et qu'elle était seule.
« Calme-toi, ce n'est pas réel. »
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