[ HRP : Excuses pour le retard : on ne fait pas le chemin pour le Mont-saint-michel tous les jours... ^^ ]
L'adolescence est peut-être l'époque la plus fatiguante et la plus énervante qui soit pour l'adolescent lui-même et son entourage. D'autant que le concept d'adolescence a quelque chose de récent et de nouveau, dans la société occidentale : jusqu'au début du XXe siècle, les enfants n'allaient-ils pas avec leurs parents dans les mines de charbon ? Ainsi, les enfants, à partir de 12 ans, étaient-ils parfaitement incorporés aux travaux de leurs parents, et considérés comme des adultes de fait. L'âge moyen du mariage de la jeune fille médiévale était de 12 ans. Celui du jeune homme démarrait la plupart du temps à 14 ans. Tout juste celui que Adrian effleurait du doigt.
Combien d'entre nous gardent un souvenir heureux de leur adolescence ? De cette période infâme et énervante où l'acné jaillit, où l'on remet en cause l'autorité, où l'on mue, la voix devenant faible et éraillée, et où l'aspect extérieur se modèle, se cambre, se déchire, pour parvenir à l'âge adulte ? Adrian commençait tout juste à toucher du doigt les modifications de son corps ; l'entraînement aux côtés de Cerridween de Vergy avait commencé à modeler son corps, avant même son esprit. Le maniement de la hache commençait à se perfectionner, ainsi que celui du bâton. Son corps commençait à s'adapter au port du harnois mythique du Destructeur ancestral, qui serait complètement adapté à sa morphologie pour son passage au grade d'Ecuyer de plein droit de la Licorne. Pour l'heure, en effet, les mailles venaient du surplus de Ryes, et la plupart des pièces d'armures diverses. Sa voix, auparavant faible et fluette, emplie d'hésitations, de blancs, de murmures, commençait parfois à se casser pour virer vers des extrêmes de gravité et/ou d'aigus surpuissants à briser des cristaux ; et Adrian, d'anticiper désormais craintivement les conséquences de sa mue, et de tâcher d'égaliser au maximum sa voix pour ne pas paraître ridicule. Il le fallait, pour la mémoire de son père. Pour Condé.
Quant aux problèmes de peau... Pour le moment, par Dieu, heureusement, il n'en était pas trop question. Et Adrian espérait qu'il ne ressemblerait jamais à ces boutonneux qui arpentaient les villages, la tête ressemblant plus à un surplus de boutons qu'à un visage.
L'adolescence s'accompagnait aussi d'un changement de comportement assez impressionnant parfois, surtout pour quelqu'un qui, comme Adrian, était intériorisé à l'extrême. Peut-être en raison des variations hormonales importantes qui accompagnaient le passage de l'état d'enfant à celui d'homme, avec la découverte des pulsions sexuelles ; sorte de version plus jeune du syndrome pré-menstruel d'agressivité, aussi appelé par les hommes le Purgatoire : le temps où l'on attend avec impatience le Paradis, j'ai nommé la ménopause. L'adolescent devient mesquin. Il devient méchant. Plus d'un siècle auparavant, la mémoire des pastoureaux(1) était toujours dans les esprits, et de leurs pillages effrénés. On se souvenait aussi, le long des côtes, des bandes de naufrageurs contrôlés par des anciens curés véreux, qui faisaient échouer intentionnellement les navires de commerce pour mieux les piller, canalisant ainsi de façon funeste les élans malveillants et anti-autoritaires de l'adolescence. C'était peut-être pour cela que le jeune Vicomte se révoltait si violemment contre toute personne se mettant en travers de sa route. Car il avait un équilibre horriblement précaire à trouver, entre les contraintes de sa famille et surtout de sa position de possible héritier présomptif du Prince de Condé, et son appartenance à la Licorne, avec son ancien statut d'enfant désireux de jouer et de volater, ainsi que son nouveau statut de Vicomte responsable de la vie de centaines d'hommes et de femmes sur ses terres. Si l'on y rajoutait une situation émotionnelle, et donc indirectement hormonale absolument instable, on pouvait facilement imaginer une balance parfaitement déséquilibrée, les poids volant d'un plateau à l'autre. Et les bases parentales qui auraient pu l'aider, par la présence d'un père, et celle d'une mère attentive, s'en trouvaient forcément absentes : Bralic étant mort et Daresha s'étant enfermée dans la folie.
On comprenait peut-être d'autant mieux en quoi le jeune homme se raccrochait autant à son Chevalier autant qu'il le détestait. Il n'avouerait pas avant plusieurs années qu'il l'admirait, préférant se persuader qu'il parviendrait à être meilleur qu'elle ; et chose difficile, pour un jeune adulte, que de partir de la Terre pour atteindre la Lune que représentaient sa mère, son père, son oncle, et son Chevalier. En tout cas, leur mémoire, et la vision qu'il avait d'eux.
Il fallait donc se représenter tout cela pour bien comprendre comment put réagir Adrian à la prise de parole de la mioche dans les jupes de l'Errante Licorne, j'ai nommé Maeve. Froissé instantanément par la prise de parole de la pisseuse, il chercha à répliquer. Aussi lui lança-t-il avant l'entrée fracassante de l'Ysengrin et voyant MarieAlice se détourner vers Shiska un simple et fusant :
- " Mon nom est Adrian Fauconnier, et il est encore plus poli d'attendre que l'on nous ait salué pour se présenter. "
Il ne rebondirait pas sur la seconde remarque, tout aussi stupide que le début de son intervention. Et comme chacun s'en doute, la première impression était toujours la plus forte ; aussi Adrian n'apprécia-t-il pas dès le départ cette pisseuse qui le rabrouait, et qui lui présentait sa conne de frangine par-dessus le marché ! Après tout, qu'est ce qu'il en avait à foutre, de son nom et de celui de sa frangine ? Tu te prends tant que ça pour le centre du monde, petite ? Bref. Il serait plus simple de dire qu'une crispation des mâchoires accompagna sa réponse, et un regard peu amène à la jeune fille, les charbons se fixant sur ses yeux, le Faucon instinctivement tâchant de la faire plier par son regard. Evidemment, surtout à l'adolescence, il serait stupide de croire que ce genre de choses guiderait à jamais son comportement : combien de fois a-t-on vu devenir amis des gens qui s'étaient tapés dessus ? Mais la jeune Alterac ne partait pas gagnante d'avance, avec lui ; en effet, hormis Luthi', Adrian appréciait les discrets, les gens qui parlaient peu, qui restaient à leur place, qui oeuvraient en silence. Il aurait fait un bon bénédictin. Seul le jeune protégé d'Ilmarin défrayait la chronique, avec sa gouaille et son torrent permanent de débilités lui sortant de la bouche. C'était aussi l'un des aspects qu'il appréciait chez son Chevalier.
Il avait un à-priori négatif sur elle, mais était toujours poli. Déjà par réflexe, et ensuite parce qu'elle était fille de MarieAlice ; il fallait ainsi comprendre qu'il y avait en Limousin quelques familles dont il valait mieux se faire des alliés plutôt que des ennemis, pour éviter des conflits inutiles ; Adrian avait ainsi compté les Arduilet-Brassac-Boesnière, qui formaient le parti le plus puissant du comté ; les Alterac-Lazare, moins puissants, mais Licorneux, donc importants ; les Saincte-Merveille, peu représentés aujourd'hui ; et enfin les Ysengrin, dont l'un des tout derniers représentants venait d'entrer de façon fracassante, comme il l'avait fait en Franche-Comté il y avait peu de temps(2). Le Comté reposait ainsi pour une grande partie sur ces familles nobles, dont il valait mieux avoir des alliés. Aussi, moitié par réflexe que par intérêt, le jeune garçon finit-il finalement par adoucir son regard, avant d'incliner profondément son buste devant les deux jeunes filles ; il signifiait ainsi à la jeune fille qu'elle avait malgré cela plus ou moins raison, et se fiant à la règle du "1 partout, balle au centre !", il espérait ainsi qu'elle cesserait de l'importuner et que la "paix" se ferait. Il accompagna son inclinaison du buste d'un simple :
- " Content de vous rencontrer, demoiselles Alterac. "
Considérant le tout comme suffisant, il ne répondit pas à la dernière assertion de la jeune fille ; déjà parce que s'il l'avait fait, il aurait été cassant : quand on enguirlande quelqu'un sur la politesse et qu'on le tutoie juste derrière, ça s'appelle donner des bâtons pour se faire battre. Ensuite parce qu'il trouvait cela tout simplement superflu : la Licorne sur son mantel ne parlait pas suffisamment ? Il n'avait jamais entendu parler de gens qui aient portés une Licorne pour le fun, ou pour le prestige ; Licorne signifiait sacrifice, combats, pluie, boue et sang : en Limousin, personne ne l'ignorait, et le charisme du Grand-Maistre de Lazare était suffisant pour conduire nombre de nobles dans leurs rangs. Aussi Adrian, préoccupé lorsqu'il parlait par le fait d'aller à l'essentiel, ne répondit-il pas. La troisième raison étant qu'il détournât la tête, pour observer le jeune Ysengrin. Il n'avait ainsi jamais vu un Ysengrin de près, bien qu'il ait jà entendu parler d'eux par son père notamment ; il avait entendu parler de leur côté preux, batailleur, très noble et à cheval sur l'honneur. Et bizarrement, le comportement emporté du jeune Ysengrin lui plût. Il avait l'aspect analytique des hommes qui réfléchissent plus qu'ils n'agissent, et classait perpétuellement les gens en fonction de leur situation en "utiles" ou "inutiles". Les jeunes filles lui étant pour l'instant inutiles, il s'en était détourné pour se centrer sur l'utile. Et l'Ysengrin lui paraissait un possible compaing : du même âge, de même prestance, de même rang, l'association des deux aurait pu effectivement former une franche camaraderie, ce qui, chez les nobles, signifiait un rapprochement familial intéressant. Adrian, à la fin de l'échange avec Ewaele, s'était déjà dit qu'il se débrouillerait pour rencontrer l'Ysengrin, d'une façon ou d'une autre. Oui. Cela mènerait à quelque chose d'intéressant. Il continuât ainsi à observer les allégeances se faire, attendant de une le moment où il pourrait demander à son Grand-Maistre de lui parler, et de deux le moment où il pourrait placer sa propre allégeance. Il attendait aussi une possible discussion dans laquelle il pourrait s'incorporer. Pour nouer connaissance, et s'introduire dans les cercles politiques du Limousin.
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(1) : On retrouve le terme Pastoureaux lors de la révolte des Pastoureaux de 1320, aussi connue sous le nom de seconde croisade des Pastoureaux.
En 1320, les Pastoureaux, sorte de vagabonds et de miséreux, traversèrent le sud-ouest de la France en semant la terreur sur leur passage. Cette croisade, menée par des fanatiques et des illuminés, choisit pour cible les Juifs dAquitaine, de la vallée de la Garonne et des Pyrénées. Les autorités ont beau essayé de venir au secours des Juifs, des milliers seront tués, dont 160 à Castelsarrasin. Beaucoup sont forcés d'accepter le baptême. (source Wikipédia)
(2) : Voir les allégeances en Franche-Comté d'il y a quatre mois, et la réaction à l'entrée d'Adrian.