Adrian
Ce fut comme à son habitude au beau milieu de la cérémonie que le jeune Faucon choisit de faire son entrée, cette fois sans grand tapage et grand bruit. Il se présenta accompagné de Rufus et d'un homme d'arme à la porte de la Salle du Trône, où un assistant du Héraut vérifia son nom sur les registres, l'autorisant à pénétrer dans la salle du trône emblématique du comté. Les gonds jouèrent. Les poussées de deux gardes ouvrirent les portes qui ne firent que peu de bruit, leur bas étant posé sur des peaux de renards qui empêchaient trop de bruit de se répandre. Lentement, le passage fut laissé au jeune garçon et à ses deux hommes, qui avancèrent d'un seul homme dans la pièce, cherchant des connaissances.
Adrian avait bel et bien changé depuis la dernière allégeance. Il n'avait pas gagné en carrure, la base de sa stature de futur homme ayant été posée à Ryes par les soins des entraînements variés, l'impression majeure ressortant de lui étant encore et toujours celle d'un jeune garçon qui aurait grandi trop vite. Ses épaules s'étaient décuplées, et son corps s'était durci comme un épieu chauffé au feu, ses mouvements avaient plus de puissance ; mais il ne parvenait pas à ôter un dernier air dans sa posture, une dernière impression d'enfance. Les deux derniers mois à Isles lui avaient fait gagner en maturité, sans doute. Avoir assisté à la torture de Langue-de-serpent(1) lui avait retourné les tripes, et l'avait empêché pendant plusieurs jours de fermer l'oeil. Il avait entendu plusieurs fois ses cris en rêve. Et, comme les feuilles d'automne sont recouvertes par la neige puis par les fleurs et les fruits qui, pourrissant, viennent nourrir la terre avec les feuilles de l'année suivante, il avait placé un couvercle sur ce souvenir. Il avait appris à se défaire de ses émotions. Il avait appris à se fuir.
Il avait réorganisé Isles pour une gouvernance plus efficace, tournant les cultures vers une plus grande part de blé, dont le comté et Limoges, non loin, avaient besoin. Il avait racheté les bêtes des pâtures de ses serfs, et les avaient revendues plus cher au Comté, récupérant quelques subsides qu'il avait investi dans l'entretien de certains ouvrages qui en avaient bien besoin. Il avait fait pendre deux baillis qui s'étaient arrogés une bonne part des droits de succession des terres qui leur étaient allouées, et chassé de ses terres l'ancien intendant, qui, bien qu'apprécié, l'avait spolié d'argent et de nouvelles. On n'entretient pas un loup derrière son dos. L'avis général dans la Vicomté, bien qu'étonné de l'arrivée de ce jeune héritier qui faisait bien pale figure devant le souvenir de son père, était toutefois que ce jeune godelureau avait de qui tenir ; ferme quand il fallait l'être face aux personnages clés de ses terres, il s'était acquis une part de la populace en sortant du jeu certains grands du vicomté, ceci répondant à la loi qui veut que les petits soient toujours fiers de ce que l'on tape sur plus puissant qu'eux. Egoiste à la base, le jeune Faucon s'en était trouvé avec une réputation de main de fer qui avait gagné ses paysans. Ses choix, de plus, étaient globalement bien accueillis, car ses paysans préféraient l'assurance de manger tous les jours du pain à celle de gagner plus avec des bêtes, mais d'être les premiers touchés par la famine. L'aspect paradoxal de la chose, encore une fois, se trouvait dans le fait que le jeune Vicomte l'avait fait dans son intérêt : le blé étant appelé à croître en terme de prix dans les mois qui venaient.
Le jeune Vicomte avait désormais dans le regard quelque chose d'adulte qui surprenait l'interlocuteur, de la part d'un jeune homme de 14 ans. L'endurcissement des derniers mois auprès du Chevalier de Vergy avait porté ses fruits, et il était désormais presque un homme. Ne manquait alors, à ce moment-là, qu'un élément pour se faire : l'aspect sexuel de la majorité. Ce qui, gageons-le, ne tarderait pas trop à se faire, vous pouvez m'en croire. Mais le jeune Vicomte avait grandi, et ce n'était plus un personnage entre le monde de l'enfance et celui de l'âge adulte qui se présentait désormais, mais un tout jeune homme, avec encore quelques illusions, beaucoup de rêves, d'envies, et pas encore suffisamment de jugeote sur le monde qui l'entourait.
Il pénétra dans la salle, regardant autour de lui les groupes qui s'étaient formés. Et ce fut lorsqu'il repéra son Grand-Maistre, Enguerrand de Lazare, qu'il marchât à sa rencontre, observant au passage dans la foule quelques Licorneux qu'il ne connaissait pas. D'un geste de la main en arrière, il intima ordre à l'homme d'arme qui l'accompagnait : " Sers-toi à manger, reste proche, et ne fais rien de stupide. " Il accompagna le geste d'un regard qui en disait long sur ce qui se produirait en cas de "stupidité"...
Se présentant à proximité du groupe composé d'Enguerrand, Marie-Alice, Flaiche et ceux avec eux, il vit son Grand-Maistre occupé avec une enfant, venant juste de revenir de son allégeance à Ewaele de la Boesnière, la nouvelle régnante du Limousin-Marche.
- " Salutations. Grand-Maistre, Errante, Vicomte. C'est un plaisir de vous revoir. "
Il ne se présenta pas aux personnes du groupe qu'il ne connaissait pas, jugeant que cela aurait été par trop égocentrique, et attendit que l'on les présente pour s'enquérir de qui elles étaient. Adrian avait ainsi un sens très aigu de l'étiquette, lorsqu'il se trouvait face à des adultes, qui plus est face à des nobles. Il perdait de sa distance face aux enfants plus jeunes que lui, mais restait tout de même comme une personne taciturne et distante. Il salua néanmoins tout un chacun de la tête, et sourit même, ce qui montrait qu'il se sentait en sécurité.
Rufus, pendant ce temps, resta trois pas en arrière de son maistre, attendant que l'on ait besoin de lui.
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(1) : Cf Gargote Limousine "Le calme entre les tempêtes".
Adrian avait bel et bien changé depuis la dernière allégeance. Il n'avait pas gagné en carrure, la base de sa stature de futur homme ayant été posée à Ryes par les soins des entraînements variés, l'impression majeure ressortant de lui étant encore et toujours celle d'un jeune garçon qui aurait grandi trop vite. Ses épaules s'étaient décuplées, et son corps s'était durci comme un épieu chauffé au feu, ses mouvements avaient plus de puissance ; mais il ne parvenait pas à ôter un dernier air dans sa posture, une dernière impression d'enfance. Les deux derniers mois à Isles lui avaient fait gagner en maturité, sans doute. Avoir assisté à la torture de Langue-de-serpent(1) lui avait retourné les tripes, et l'avait empêché pendant plusieurs jours de fermer l'oeil. Il avait entendu plusieurs fois ses cris en rêve. Et, comme les feuilles d'automne sont recouvertes par la neige puis par les fleurs et les fruits qui, pourrissant, viennent nourrir la terre avec les feuilles de l'année suivante, il avait placé un couvercle sur ce souvenir. Il avait appris à se défaire de ses émotions. Il avait appris à se fuir.
Il avait réorganisé Isles pour une gouvernance plus efficace, tournant les cultures vers une plus grande part de blé, dont le comté et Limoges, non loin, avaient besoin. Il avait racheté les bêtes des pâtures de ses serfs, et les avaient revendues plus cher au Comté, récupérant quelques subsides qu'il avait investi dans l'entretien de certains ouvrages qui en avaient bien besoin. Il avait fait pendre deux baillis qui s'étaient arrogés une bonne part des droits de succession des terres qui leur étaient allouées, et chassé de ses terres l'ancien intendant, qui, bien qu'apprécié, l'avait spolié d'argent et de nouvelles. On n'entretient pas un loup derrière son dos. L'avis général dans la Vicomté, bien qu'étonné de l'arrivée de ce jeune héritier qui faisait bien pale figure devant le souvenir de son père, était toutefois que ce jeune godelureau avait de qui tenir ; ferme quand il fallait l'être face aux personnages clés de ses terres, il s'était acquis une part de la populace en sortant du jeu certains grands du vicomté, ceci répondant à la loi qui veut que les petits soient toujours fiers de ce que l'on tape sur plus puissant qu'eux. Egoiste à la base, le jeune Faucon s'en était trouvé avec une réputation de main de fer qui avait gagné ses paysans. Ses choix, de plus, étaient globalement bien accueillis, car ses paysans préféraient l'assurance de manger tous les jours du pain à celle de gagner plus avec des bêtes, mais d'être les premiers touchés par la famine. L'aspect paradoxal de la chose, encore une fois, se trouvait dans le fait que le jeune Vicomte l'avait fait dans son intérêt : le blé étant appelé à croître en terme de prix dans les mois qui venaient.
Le jeune Vicomte avait désormais dans le regard quelque chose d'adulte qui surprenait l'interlocuteur, de la part d'un jeune homme de 14 ans. L'endurcissement des derniers mois auprès du Chevalier de Vergy avait porté ses fruits, et il était désormais presque un homme. Ne manquait alors, à ce moment-là, qu'un élément pour se faire : l'aspect sexuel de la majorité. Ce qui, gageons-le, ne tarderait pas trop à se faire, vous pouvez m'en croire. Mais le jeune Vicomte avait grandi, et ce n'était plus un personnage entre le monde de l'enfance et celui de l'âge adulte qui se présentait désormais, mais un tout jeune homme, avec encore quelques illusions, beaucoup de rêves, d'envies, et pas encore suffisamment de jugeote sur le monde qui l'entourait.
Il pénétra dans la salle, regardant autour de lui les groupes qui s'étaient formés. Et ce fut lorsqu'il repéra son Grand-Maistre, Enguerrand de Lazare, qu'il marchât à sa rencontre, observant au passage dans la foule quelques Licorneux qu'il ne connaissait pas. D'un geste de la main en arrière, il intima ordre à l'homme d'arme qui l'accompagnait : " Sers-toi à manger, reste proche, et ne fais rien de stupide. " Il accompagna le geste d'un regard qui en disait long sur ce qui se produirait en cas de "stupidité"...
Se présentant à proximité du groupe composé d'Enguerrand, Marie-Alice, Flaiche et ceux avec eux, il vit son Grand-Maistre occupé avec une enfant, venant juste de revenir de son allégeance à Ewaele de la Boesnière, la nouvelle régnante du Limousin-Marche.
- " Salutations. Grand-Maistre, Errante, Vicomte. C'est un plaisir de vous revoir. "
Il ne se présenta pas aux personnes du groupe qu'il ne connaissait pas, jugeant que cela aurait été par trop égocentrique, et attendit que l'on les présente pour s'enquérir de qui elles étaient. Adrian avait ainsi un sens très aigu de l'étiquette, lorsqu'il se trouvait face à des adultes, qui plus est face à des nobles. Il perdait de sa distance face aux enfants plus jeunes que lui, mais restait tout de même comme une personne taciturne et distante. Il salua néanmoins tout un chacun de la tête, et sourit même, ce qui montrait qu'il se sentait en sécurité.
Rufus, pendant ce temps, resta trois pas en arrière de son maistre, attendant que l'on ait besoin de lui.
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(1) : Cf Gargote Limousine "Le calme entre les tempêtes".