Judas
[Mai 1460]
Amadeus - Foulques Von Frayner. Fils de Judas.
C'est ce qu'il avait répondu lorsqu'on lui avait mandé le nom de son enfant. Amadeus pour les intimes. Le bel enfant, le doux mensonge. Né Kenan, le Très Beau en Breton. Les yeux de sa mère, sa bouche, les cheveux corbeaux de son père.
Kenan, fils d'Anaon. Premier né de Judas, dernier de la Roide. Enfant d'hiver s'épanouissant dans un jardin secret. Si belles appellations pour une vérité aussi tue. Tabou de l'un, fantasme de l'autre.
Judas observe la Dague offerte par l'Amante delaissée. Amante de Paille comme dirait la Dentelière. Navrée en silence de partager outre son Autre les tournures de phrases qu'il emploie. Blessée cent fois sans doute du doute, de cette éternelle intuition d'être l'ombre de toutes. La Dague. présent symbolique à bien y regarder. Et regarder, diable sait qu'il a le temps cette nuit... Les mains nerveuses tournent et retournent le bel objet, Judas pense à ce qu'il représente. Anaon, l'Anjou. Les histoires d'amour sont ennuyeuses et répétitives, il n'y a rien de nouveau à aimer une fois, puis deux. Le coeur bat sa même mélancolique mécanique, et toujours la tête se figure que c'est la trève. Que cette fois ci n'a rien à envier à la précédente, celle que l'on croyait aussi spéciale et éternelle. Frayner soupèse d'une main délicate l'objet, le regard navré. C'est tellement insidieux, l'amour. Comme ce couteau, comme ce cadeau à double sens, comme ses décisions à double tranchant.
La lame vient se planter dans la chair, se parant d'une sanglante trainée. Lentement, l'estoc dessine sa découpe, chemin net d'un sillon humain dans un champs. Là où ses amantes préféraient lui offrir des correspondances dissimulées, elle lui avait offert la mort. Juste avant qu'ils ne se quittent, la Dague avait changé de main. Ses nouvelles propriétaires l'utilisaient souvent, machinales. Comme une prédiction de sombre augure, le présent était le dernier. Un carré de viande pourpre fut soigneusement détaché de la carcasse. Judas travaillait soigneusement, toujours lorsqu'il découpait le produit de ses chasses. Son esprit vagabondait pourtant aux entailles sur le visage d'Ann, ces stigmates frappantes qui avaient impressionné le seigneur la première fois. Le couteau tenta de garder son assiduité, mais même consciencieux, Judas peinait à garder la constance de sa concentration.
Pourquoi diable avait-il fallu que l'on lui demande d'égrener le nom de son fils? Ce fils qu'il lui avait pris, sans demander. Sans regarder en arrière. Et plus le temps passait et plus une question le hantait. Lui en voudrait-elle longtemps? Combien de jours, combien de mois ou d'années? Elle lui manquait. Et plus elle manquait, plus il s'en éloignait. La crainte d'assumer la réaction à froid, à Roide. La crainte qu'elle veuille briser le non dit, qu'elle foute tout en l'air. Tant de mois sans lui parler... Tant de fois à tuer les rejetons de son esprit. Judas séjourne en Bretagne, n'y tenterait-il pas de soigner le mal par le mal? Judas montre son enfant à qui veut bien s'extasier devant et lui trouver des ressemblances avec son épouse. Pur masochisme et amour de l'ironie?
La lame se plante raidement entre deux côtes, les mains se nouent, dérangées. Comme l'objet brûlerait par dessous les gants il est abandonné dans son écrin morbide. L'estomac se révulse, aigreur en bouche. Anaon trône là, conquérante sur les sièges de Petit Bolchen. Là voilà qui chute de cheval, soudain elle est alitée, grosse d'un enfant. Usée. Anaon crie sa colère, front contre son front, les yeux se défient. Une senestre gantée la frappe, les lèvres viennent lui murmurer des amours menaçantes. Elle chevauche, libre et presque charismatique son destrier maudit. L'amante lui tend la main, cette main qu'il tire avec violence aussi fort qu'il le peut. Instant contusionné, Roide disparait, et au creux de son gant... Une dague.
Les yeux du seigneur reviennent à l'objet, refont la mise au point. Focus intermédiaire. Elle est là, encore, toujours. Fétiche-totem, gardien de trop de souvenirs. Demain il s'en séparera. Sabaude a beau perdre ses paris, Judas fera générosité en se soulageant d'un fantôme. Pour une Anaon qui s'en vient à lui pour le désemparer, il y a encore de la distance à semer... Le temps que le déni durera.
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Absent jusqu'en aout!
Amadeus - Foulques Von Frayner. Fils de Judas.
C'est ce qu'il avait répondu lorsqu'on lui avait mandé le nom de son enfant. Amadeus pour les intimes. Le bel enfant, le doux mensonge. Né Kenan, le Très Beau en Breton. Les yeux de sa mère, sa bouche, les cheveux corbeaux de son père.
Kenan, fils d'Anaon. Premier né de Judas, dernier de la Roide. Enfant d'hiver s'épanouissant dans un jardin secret. Si belles appellations pour une vérité aussi tue. Tabou de l'un, fantasme de l'autre.
Judas observe la Dague offerte par l'Amante delaissée. Amante de Paille comme dirait la Dentelière. Navrée en silence de partager outre son Autre les tournures de phrases qu'il emploie. Blessée cent fois sans doute du doute, de cette éternelle intuition d'être l'ombre de toutes. La Dague. présent symbolique à bien y regarder. Et regarder, diable sait qu'il a le temps cette nuit... Les mains nerveuses tournent et retournent le bel objet, Judas pense à ce qu'il représente. Anaon, l'Anjou. Les histoires d'amour sont ennuyeuses et répétitives, il n'y a rien de nouveau à aimer une fois, puis deux. Le coeur bat sa même mélancolique mécanique, et toujours la tête se figure que c'est la trève. Que cette fois ci n'a rien à envier à la précédente, celle que l'on croyait aussi spéciale et éternelle. Frayner soupèse d'une main délicate l'objet, le regard navré. C'est tellement insidieux, l'amour. Comme ce couteau, comme ce cadeau à double sens, comme ses décisions à double tranchant.
La lame vient se planter dans la chair, se parant d'une sanglante trainée. Lentement, l'estoc dessine sa découpe, chemin net d'un sillon humain dans un champs. Là où ses amantes préféraient lui offrir des correspondances dissimulées, elle lui avait offert la mort. Juste avant qu'ils ne se quittent, la Dague avait changé de main. Ses nouvelles propriétaires l'utilisaient souvent, machinales. Comme une prédiction de sombre augure, le présent était le dernier. Un carré de viande pourpre fut soigneusement détaché de la carcasse. Judas travaillait soigneusement, toujours lorsqu'il découpait le produit de ses chasses. Son esprit vagabondait pourtant aux entailles sur le visage d'Ann, ces stigmates frappantes qui avaient impressionné le seigneur la première fois. Le couteau tenta de garder son assiduité, mais même consciencieux, Judas peinait à garder la constance de sa concentration.
Pourquoi diable avait-il fallu que l'on lui demande d'égrener le nom de son fils? Ce fils qu'il lui avait pris, sans demander. Sans regarder en arrière. Et plus le temps passait et plus une question le hantait. Lui en voudrait-elle longtemps? Combien de jours, combien de mois ou d'années? Elle lui manquait. Et plus elle manquait, plus il s'en éloignait. La crainte d'assumer la réaction à froid, à Roide. La crainte qu'elle veuille briser le non dit, qu'elle foute tout en l'air. Tant de mois sans lui parler... Tant de fois à tuer les rejetons de son esprit. Judas séjourne en Bretagne, n'y tenterait-il pas de soigner le mal par le mal? Judas montre son enfant à qui veut bien s'extasier devant et lui trouver des ressemblances avec son épouse. Pur masochisme et amour de l'ironie?
La lame se plante raidement entre deux côtes, les mains se nouent, dérangées. Comme l'objet brûlerait par dessous les gants il est abandonné dans son écrin morbide. L'estomac se révulse, aigreur en bouche. Anaon trône là, conquérante sur les sièges de Petit Bolchen. Là voilà qui chute de cheval, soudain elle est alitée, grosse d'un enfant. Usée. Anaon crie sa colère, front contre son front, les yeux se défient. Une senestre gantée la frappe, les lèvres viennent lui murmurer des amours menaçantes. Elle chevauche, libre et presque charismatique son destrier maudit. L'amante lui tend la main, cette main qu'il tire avec violence aussi fort qu'il le peut. Instant contusionné, Roide disparait, et au creux de son gant... Une dague.
Les yeux du seigneur reviennent à l'objet, refont la mise au point. Focus intermédiaire. Elle est là, encore, toujours. Fétiche-totem, gardien de trop de souvenirs. Demain il s'en séparera. Sabaude a beau perdre ses paris, Judas fera générosité en se soulageant d'un fantôme. Pour une Anaon qui s'en vient à lui pour le désemparer, il y a encore de la distance à semer... Le temps que le déni durera.
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Absent jusqu'en aout!