Le lendemain, vers onze heures le matin :
Spada courrait vers lAntre, un morceau de parchemin froissé fermement serré entre ses doigts. Le pigeon lui avait apporté ce message, qui lavait plongé dans la plus grande confusion
Citation:Bonjour dame Spada,
Dame Yunette ma dit une fois que, quand elle partirait, elle vous laisserait la garde de son fils Galaad. Je ne lai pas revue depuis lincendie, il ny a donc plus que Mathilde et moi-même pour nous occuper du petit
Auriez-vous la bonté de passer prendre Galaad ? Ce serait formidable.
Je vous préviens cependant que le petit est très perturbé par le départ de sa mère. Il la cherche partout ainsi que son ours en peluche. Jespère que vous saurez comment vous y prendre avec lui, cest un bon petit vous savez.
Nous vous attendons,
Bien à vous,
Marguerite
Oui, Spada avait promis à Yunette de soccuper de Galaad quand elle serait en voyage. Mais cétait beaucoup trop tôt ! Tout tombait au pire moment possible : les incendies, la formation de lieutenant
Yunette, ou étais-tu ?
Elle arriva devant la bâtisse, inspira un grand coup. A ce moment-là, elle était juste Spada, la jeune fille joyeuse et insouciante, avec pour seules responsabilités son chien et la police. Quand elle aurait franchi le seuil de lAntre, elle deviendrait beaucoup plus. Elle deviendrait tutrice dun enfant. Elle deviendrait une fille qui navait pas encore dix-huit ans, mais avec un enfant à charge. Elle deviendrait la tutrice de Galaad, le fils de Yunette.
Elle frappa trop coups sur la porte en bois. Trois coups qui résonnèrent comme la fatalité dans son cur. Elle essaya dadopter un visage serein, quand son regard fut capté par un reflet vermeil sur la poignée de la porte. Elle fixa la tache de sang, comprenant peu à peu ce que cela signifiait.
La porte souvrit sur Mathilde. La servante la dévisagea, sans sourire pour lui souhaiter la bienvenue.
Euh
Bonjour, je suis Spada
Je viens prendre Galaad. Marguerite ma écrit
Elle balbutia ces mots les yeux plantés là où se trouvait la trace deux secondes plus tôt.
Ah. Je vous avez pas reconnue. Entrez madmoiselle, le ptiot est dans sa chambre.
Mathilde sécarta pour laisser entrer une Spada toute intimidée. Celle-ci embrassa la pièce du regard, à la recherche de quelque chose, nimporte quoi, qui pourrait avoir lair familier, rassurant. Elle ne trouva pas.
Elle découvrit Galaad assis à même le sol, dans sa chambre. Il ne jouait pas, ne parlait pas, ne faisait rien. Son visage était soucieux, expression inattendue pour un enfant de deux ans à peine.
Galaad ?
Le petit releva la tête, et lui fit un sourire qui lui réchauffa le cur.
Pada !!!
Il courut vers elle, aussi vite que le permettaient ses petites jambes. Il lui prit une main.
Tu vas chercher Maman vec moi ? Elle est patie
Nounous vec elle, mais sais pas où i sont
Spada regarda lenfant, surprise par cette longue phrase. Elle était profondément touchée par ses paroles, et hésita avant de répondre.
Non Galaad. Nous ne suivons pas ta maman. Ta maman, tu comprends, elle est
en voyage. Elle va revenir, mais pas tout de suite. Pendant ce temps, tu vas venir vivre chez moi. Tu verras, on va bien samuser ! Tu aimes jouer avec Voyou ? Il sera là, lui aussi.
Il marqua un temps, comme pour accuser le coup. Quand il reprit la parole, sa voix tremblait un peu.
Pas Maman ?
Galaad
Tu es un grand garçon, hein ? Ca va aller, tu verras. Maman nest pas loin, elle va revenir. Je ne sais pas quand, mais je te promets quelle et toi, vous vous retrouverez bientôt. Tout sera comme avant, mais pour le moment, je vais être ta tata. Ca te va ?
Spada sen voulait considérablement pour tous ces mensonges. Cependant, elle ne voyait pas comment réconforter le petit autrement quen lui dissimulant la vérité. Et puis, peut-être tout nétait-il pas complètement faux
Tata Pada ? Vrai ? Voyou aussi ?
Elle acquiesça, la gorge nouée mais le sourire aux lèvres, pour Galaad. Cet enfant avait besoin damour, de réconfort. Il ne fallait quil comprenne à quel point la situation était grave. Très grave, même. Ces taches de sang
Le doute nétait plus permis, dorénavant. Yunette était partie, parce que quelque chose était arrivé, quelque chose qui lavait meurtrie, une fois de plus. Et que sétait-il passé, cette nuit-là ? La mairie et le « Modeste et sa Tyrante » avaient été ravagés par le feu. Un incendie survenu en pleine nuit, donc de toute évidence volontairement. Et maintenant, Yunette nétait plus là. Même si cette pensée lhorrifiait, il lui fallait admettre que tous les éléments saccordaient pour établir cette conclusion : Yunette avait mis le feu à la mairie et la taverne, puis avait fui.
Toujours en masquant son tourment derrière un visage jovial, Spada prit Galaad dans ses bras.
Tu veux prendre des affaires ? Ah, je vois que Marguerite a tout préparé. Tu viens, Galaad ?
Le fils de son amie la suivit en trottinant, pendu à sa main. Il lui parlait de Voyou, de son nounours qui devait sûrement soccuper de sa maman, des bonbons au miel quelle lui avait offert une fois et quil aimerait bien manger à nouveau
Comme sil navait plus de soucis. Les enfants ont cette capacité merveilleuse qui est de pouvoir ranger dans un coin de leur tête tous leurs tracas, quitte à les ressortir plusieurs jours, plusieurs années plus tard.
Ils dirent au revoir à Marguerite, qui les embrassa tous les deux, visiblement émue, puis saluèrent Mathilde, qui, malgré son air bourru, semblait touchée elle-aussi.
Quand elle passa la porte, Spada évita soigneusement de poser son regard sur les macabres traces vermeilles. Sans sen rendre comptes, elle pressa son pas, suivi du petit Galaad qui avait un peu de mal à suivre.
Peut-être était-ce Yunette. Peut-être avait-elle fait ces choses atroces. Mais, même si elle était lieutenant (en formation, certes), elle ne pourrait pas trahir son amie. Non, elle ne pourrait pas
Spada serra plus fort la petite main cramponnée à la sienne.