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[RP] La monnaie de sa pièce

Yunette
Toulon, 69 quartier de la mésange, il y a quelques semaines.

Cet après midi là, Yunette profita que Galuche était parti inspecter son oliveraie pour se rendre au quartier de la Mésange. Au 69 très exactement. Elle avait laissé les enfants à Mathilde et Marguerite, la première nommée s'était adoucie quelque peu, surtout avec les enfants qui, bien qu'ils la faisaient tourner bourrique, lui arrachaient facilement des sourires.

Elle se rendit donc chez la Mathi, sans prévenir son homme. Elle était mal à l'aise de trahir sa promesse... espérant qu'il ne douterait pas d'elle à cause de cela, mais elle se devait de faire cette démarche seule. Son Modeste voulait l'accompagner, cela partait du meilleur sentiment du monde, sans nul doute s'inquiétait il de ce qu'elle pourrait trouver en ce lieu de perdition. C'est qu'il la protégeait sa tyrante... Mais, ce jour là, elle était têtue, et voulait tenter de retrouver... sa mère et non pas la tenancière du bordel.

Quelques deniers à la main, la somme qu'avaient coûté les friandises au miel, elle s'arrêta devant la porte. Indécise... Frappera ? Frappera pas ? Frappera... Elle toqua trois coups brefs à la porte, le visage face au judas, la tête droite, les yeux prêts à affronter qui ouvrirait la petite ouverture. Des pas se firent rapidement entendre derrière la porte.

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--La_mathi


Marthe était affalée dans un fauteuil, réfléchissant aux investissements à faire afin d’améliorer son établissement. L’argent ne manquait pas, grâce à Flaminia et Lambda, qui ne chômaient pas, mais elle voulait toujours plus. Trois coups frappés à la porte la tirèrent de ses pensées et elle se leva aussitôt, ajustant son corsage et tapotant sa chevelure, pour aller ouvrir.

Un coup d’œil par le judas, pour apprécier l’éventuel client, la surprit : c’était sa fille, qui s’était enfin décidée à venir. Son cœur tressaillit, car elle ne s’y attendait plus guère, se disait que les gens bien pensants qui l’entouraient l’auraient mise en garde contre elle, et particulièrement le vieux cureton, son grand père.

Elle ouvrit la porte en grand pour l’accueillir, s’effaça pour la laisser entrer et lui prit le bras pour l’amener au salon où elle la fit s’asseoir, sentant chez Yunette, malgré le sourire amène, suinter le dégoût et la défiance. Sa gorge se serra, mais peu de temps… elle reprit aussitôt contenance, et lui sourit.


Eh bien ! Tu te décides enfin ! J’ai cru que jamais tu ne viendrais me rendre visite. Tu m’as reconnue bien sûr… Je t’ai cherchée longtemps, tu t’es sauvée comme une voleuse… Enfin, te voila, c’est l’essentiel.

Le regard de Marthe courait sur le joli visage de sa fille, aux traits plus doux que ceux de Lambda, moins vulgaires, bien que ressemblants, et appréciait les courbes féminines de la jeune femme. Une bouffée d’orgueil et de colère mêlées la souleva un instant puis retomba. Le moment n’était pas encore venu où elle pourrait enfin se venger de cet abandon, pour lequel elle ne se sentait aucunement fautive, tant l’immoralité avait pris place en elle. Qu’un sursaut de tendresse la prenne, elle l’enfouissait aussitôt au plus profond : elle savait que la tendresse n’apportait pas la richesse, mais bien des déceptions. Cela faisait bien longtemps qu’elle avait fait une croix sur l’amour, l’amitié, la charité. Elle était maintenant bien loin de tout cela. Et de se sentir par instants attendrie par la jeune femme la mettait intérieurement en rage.
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Fleur épanouie
Yunette
Elle se laissa entrainer dans l'antre de la Mathi. Elle était bien loin de l'antre des Dieux de son homme, son état d'esprit était différent aussi. Là bas, elle était sereine, épanouie, là... Là, elle se sentait oppressée, épiée, jugée, jaugée. Stressée. Se forçant à respirer calmement elle écouta les paroles de celle qui était sa mère. Ou qui l'avait été... Le serait elle à nouveau ?

Je me décide enfin, oui. J'ai failli ne jamais te rendre visite... Je n'en avais guère l'envie.


Les mots s'échappaient de ses lèvres, malgré elle. Elle aurait voulu rester stoïque, ne pas faire montre de la moindre émotion. Que ses mains ne tremblent pas, que sa voix sorte assurée de sa gorge... Elle aurait voulu n'en avoir rien à faire que sa mère... Par Aristote, sa Mère... soit là. Elle rêvait de ne ressentir que dédain et dégout pour elle... Mais elle avait une furieuse envie de se blottir contre cette poitrine usée, contre cette femme de fard et d'artifices vêtue. Une longue respiration plus tard, elle reprit.


Que viens tu faire à Toulon ? Ce n'est pas ville où tu trouveras nombre de clients... Et bien sûr que je me suis sauvée... Regarde toi, mère, regarde où ta cupidité t'a menée ! Tu voulais faire de moi... la même chose qui t'a rendue malheureuse... Je ne veux pas de ça ! Cette vie que tu mènes n'est pas la mienne.


Un peu plus d'assurance dans ses mots... ses paroles se firent claires et elle regarda celle qui avait été sa mère dans les yeux, lâchant une dernière phrase.

Galuche m'a demandé ma main. Et j'ai dit "Oui". Ça, vois tu, ça... tu ne me l'enlèveras pas.

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--La_mathi


"Regarde toi, mère... où ta cupidité t'a menée"

Petite punaise. D'un coup de talon je t'écraserai.

Un rictus de haine à peine ébauché, vite effacé d'un coup d'hypocrisie. L'hypocrisie, elle ne connaissait plus que ça, la seule façon d'obtenir ce que l'on voulait, quand ce que l'on désirait réellement n'existait plus que dans des rêves épisodiques et aléatoires. Vouloir, désirer, deux notions différentes aux yeux de Marthe. Et ce qu'elle voulait, maintenant, ce pourquoi elle avait abandonné la Lorraine, c'était elle, le fruit de son seul amour, son sang. Elle ne comprenait pas que cette petite peste soit si différente, cela l'enrageait, la faisait brûler d'une farouche envie de la briser menu, de l'entraîner dans les détours de la débauche, de la salir, de la rouler dans la boue.

Et la voici, toute fière de lui annoncer son mariage avec l'homme avec lequel elle l'avait vue, à la sauterie des gens bien pensants. Pourtant, la Mathi l'avait jaugé, cet homme. Qu'il aime sa Yunette, peut-être, mais elle avait senti chez lui la noirceur, il avait bourlingué, côtoyé la bassesse, frôlé le meurtre, le crime.

Marthe posa sur son visage un sourire amène et, s'approchant de Yunette, la prit dans ses bras, l'attirant contre son coeur qui battait, non de joie de serrer sa fille, mais de plaisir à l'idée de ce qu'elle lui réservait.


Mon petit, mon tout petit ! Me pardonneras-tu un jour ? Te marier ? Mais c'est parfait, cela ! Si tu savais le bonheur que j'éprouve à cette nouvelle ! Mais, est-il le père de ce petit garçon ? Me conteras-tu ce que tu as fait depuis que tu as disparu ?

Elle lui ébouriffa les cheveux, dans un geste qu'elle pensait maternel, pensant à la façon dont elle l'amènerait à ses fins.

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Fleur épanouie
Yunette
Les pensées de Yunette s’entrechoquaient dans sa tête, refusant de se mettre dans l’ordre et de lui faire comprendre quoique ce soit sur la réaction de sa mère. Elle qui comptait lui porter l’estocade en lui annonçant son proche mariage se retrouvait enserrée en ses bras contre un cœur dont l’émotion ne semblait pas feinte. Aurait-elle réellement retrouvé sa mère ? La mère des nuits de maladie qui la veillait, lui épongeant le front ? Elle l’espérait, de tout son cœur, elle l’espérait. Sa main dans ses cheveux lui amena une bouffée de nostalgie, la ramenant à un passé pas si lointain. Se défaisant de son étreinte, elle s’assit, prenant sa main dans la sienne, en un geste enfantin, naturellement.

Ma…man, oui, Maman.

Ce nom en sa bouche la rendait étrange, elle qui avait renoncé à le prononcer encore.

Je ne sais si je saurais trouver en mon cœur la force de te pardonner ce que tu avais osé vouloir faire de moi, mais j’ose espérer qu’Aristote le fera. Je coule des jours plus qu’heureux avec Galuche, il me comble, vraiment, je n’aurais pu rêver mieux. Pour ce qui est du père… Il l’est, par adoption en quelque sorte. Et, avant que tu ne tires de conclusion hâtive, non, je n’accumule pas les amants. Un soir, un seul soir j’ai subit l’étreinte d’un inconnu…

Sa main libre se serra tandis qu’elle contait ce fameux soir, faisant blanchir ses jointures.

Et Galaad est né. Joli nom n’est ce pas ? C’est une trouvaille de Galuche et Kylah ! J’ai appris à l’aimer cet enfant, il est beau n’est ce pas ? Parfois je lui trouve une ressemblance avec Papé… Le père de… mon père, tu sais, Philippe. Tu ne m’avais jamais parlé de lui ! Enfin… Nous parlions de moi…
Et bien, depuis mon départ, j’ai parcouru le chemin qui m’a menée ici, et j’ai trouvé des amis, une famille.


Son regard s’illuminait tandis qu’elle parlait, heureuse de partager ce moment avec sa mère, chose qu’elle n’aurait osé espérer un jour, ne se rendant pas compte qu’elle ne partageait rien et ne faisait que donner… encore.

Et les toulonnais m’ont même élue maire ! Et j’ai été Procureur, tu te rends compte ? Quelle fierté ! Comme Papé ! j’aurais aimé que tu vois ça !

Ainsi continua-t-elle un moment, babillant telle une gamine, papillonnant sur les mots et les souvenirs, souriant à la Mathi, à sa mère retrouvée. Celle ci lui montra combien elle était fière et la gamine se sentit grandie dans ces yeux. Avoir fait le bonheur de sa mère, du moins le croyait elle lui tenait bien plus à cœur qu'elle ne l'aurait cru. Elles discutèrent longuement et Yunette rentra chez elle heureuse de l'avoir retrouvée.


«.·´*`·.(¸.·´(¸.·* *·.¸)`·.¸).·´*`·.»



Quelques jours plus tard, sa situation avait bien changé. De rayonnante de bonheur elle avait pâli, s'était amaigrie, perdant un peu de ses rondeurs de jeunesse. En quelques jours... C'est une Yunette bien diminuée qui vint chercher du réconfort, la mère des nuits de maladie, qui sait. Elle toqua à la porte et entra sans mot dire lorsque la Mathi lui ouvrit. Elle s'installa dans le même siège et la regarda, l'observant avant de laisser libre cours à ses larmes.


Il est parti... Tu te rends compte ? Parti ! Je... je ne sais pas quoi faire ! Et je me suis dit que peut être, tu pourrais m'aider ? M'aider à aller mieux... Je ne sais comment, mais... je sais que tu le peux ! Tu es une maman non ? Donc tu es magicienne des soucis ! C'est comme ça que je fais avec les petits... non ?

Risible moment que cette jeune femme suppliant sa mère de lui offrir une solution à son mal être. Ironie du sort que cette mère soit telle que cela... Yunette ne savait pas... Oh non, elle ne savait pas ce qui se passait dans l'esprit de sa génitrice tandis qu'elle se blottissait dans ses bras.
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--La_mathi


Marthe avait souri, montré de l'émotion, pas toujours feinte elle devait bien se l'avouer, en écoutant Yunette se livrer, lui conter ses joies, sa vie, ses espoirs. Elle la laissa longuement parler, tandis qu'en elle s'agitaient des pensées contradictoires. Ce fut un soulagement que de la voir partir : elle pouvait ainsi remettre de l'ordre dans ses idées, reprendre la trame de son plan qu'elle n'avait pas abandonné, non, mais laissé de côté en voyant sa fille.

Quelques jours durant, elle fut peu expansive, se montra peu encline à houspiller les filles pour qu'elles travaillent plus, et elles restèrent étonnées de la voir ainsi plongée dans un "presque" mutisme. Quels sentiments mornes pouvaient ainsi la miner ?

Lorsque l'on frappa à la porte, quelque temps après, La Mathi se leva comme un diable et s'empressa d'aller ouvrir. Elle l'avait sentie. C'était elle, Yunette, mais une autre Yunette. Sa flamme s'était éteinte, elle semblait comme racornie, ainsi qu'un vieux parchemin. Racornie de l'intérieur, sans aucune trace du rayonnement et de la vitalité qu'elle dégageait la première fois. Marthe sut alors, avant même de l'entendre, que sa fille était à sa merci. Elle la laissa entrer sans mot dire, s'asseoir dans le fauteuil qui l'avait accueillie la première fois, et annoncer la nouvelle.

Quelle merveilleuse nouvelle ! Voila ce qui l'avait minée ces derniers jours, la savoir avec cet homme qui l'empêcherait, elle en était certaine, d'atteindre le but qu'elle s'était fixé.


Elle prit donc un air de circonstance, accueillant sa fille dans ses bras, lui chuchotant des mots tendres, lui délivrant des gestes d'apaisement, la serrant contre elle puis caressant doucement son visage.
Enlevant le châle que Yunette portait autour du cou, elle vit, horrifiée, l'immonde cicatrice et poussa un cri :


Ooooooooh non ! Mais qui t'a fait cette blessure ? Si c'est lui, il le paiera...

Au geste de dénégation de sa fille, Marthe comprit et son coeur se serra. Elle, n'aurait jamais eu la force de faire cela, malgré la douleur de voir Philippe la quitter. Elle avait préféré la facilité, se jeter dans la luxure et profiter des hommes, et Dieu seul sait qu'elle ne le regrettait pas.

Il allait falloir jouer fin, ne pas la brusquer et l'amener doucement aux fins qu'elle lui destinait. Pour le moment, il lui fallait se l'attacher de nouveau, faire montre d'amour, jouer à la mère compréhensive et aimante. Elle sentait que Yunette avait besoin de beaucoup d'amour, elle lui en donnerait.


Elle appela Lambda, lui demandant de préparer une chambre pour sa fille.

La chambre près de la mienne, et va chercher quelques fleurs pour l'égayer ! Fais en quelque chose de bien, pour une fois !

Faisant mine d'ignorer le regard noir de Lambda, elle se tourna vers Yunette, qui ressemblait à l'instant à une poupée de chiffon abandonnée là, lui dit :

Et toi, ma petite fille, reste donc là. Tu vas rester quelques jours avec moi, je vais te redonner goût à la vie, tu verras ! Nous rattraperons le temps perdu. Je vais te préparer une tisane qui te détendra un peu, je reviens dans un petit moment.

Elle partit dans la cuisine où elle put enfin laisser libre cours à sa joie, un grand sourire satisfait étirant sa bouche, lui faisant un masque de succube. Elle prit dans une petite boîte quelques pincées de pavot, pour la faire dormir le temps que la bonne dose de datura qu'elle y ajouta fisse son effet, et les fit infuser. Elle versa le breuvage dans une jolie tasse de porcelaine et l'apporta au salon.

Tiens, ma chérie, bois donc ceci, puis je t'emmènerai dans ta chambre. Je vais rester avec toi pour te veiller.

Yunette acquiesca sans mot dire, but la tisane d'un trait, se leva et la suivit, telle une somnambule, à l'étage.
La Mathi la dévêtit, ne lui laissant que sa chemise, l'aida à s'étendre sur le lit, puis la borda et l'embrassa. Elle s'assit sur un fauteuil, près de la fenêtre, et attendit

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Fleur épanouie
Yunette
Cajolée dans ses bras qui l’enlaçaient tendrement, elle osait se laisser aller de nouveau. Cela faisait quelques temps qu’elle s’était offert un masque de relative bonne humeur. Elle avait décidé de paraitre, de se montrer aussi bien qu’elle pouvait l’être, qu’elle aurait pu l’être si elle n’avait eu aussi mal. Une façade qu’elle s’imposait tout en sachant que ses amis n’étaient pas dupes mais le laissaient accroire pour ne pas l’enfoncer plus. Mais là, là dans ces bras maternels, elle se lâchait. Non, pas de larmes, mais ses nerfs se détendaient, elle se faisait molle, se laissait mener, ne pas penser et écouter.

Elle n’avait rien à penser d’ailleurs, son fils irait chez son amie Spada lors de son voyage… lorsqu’elle serait enfin assez en forme pour aller le chercher. La fille de Chrysopale était de nouveau avec son père, maintenant qu’il s’était trouvé femme. Elle s’était défaite de ses responsabilités… Son grand père ne voulait pas la laisser partir… pas seule en tous cas, mais ça, elle y repenserait le moment venu. C’est abandonnée aux bons soins de sa mère qu’elle se sentait le mieux pour le moment. La vieille catin semblait sincèrement désolée pour elle et vraiment inquiète de son bien être.

Elle frissonna en voyant le regard que lui lança Lambda. Sans doute lui faudrait il rester sur ses gardes, cette jeune femme ne l’aimait guère. Elle, elle avait l’amour de sa mère, l’autre avait su lui complaire et n’avait obtenu que mépris et ordres la rabaissant plus encore. Petite pointe de satisfaction tandis qu’elle lisait dans ses yeux la haine qu’elle éprouvait pour son statu de fille de la maquerelle. Elle n’avait pas digéré que la jeune prostituée ait essayé de s’attirer les regards de son homme.

La poupée de chiffons but la tisane offerte, lui trouvant un goût étrange, parce qu’inconnu. Le pavot fit vite effet, la laissant dans un état second, conscient, mais cotonneux. Elle se laissa volontiers entrainer, c’était bien, ça, elle allait dormir, se reposer. Elle avait retrouvé la maman d’avant, la maman d’avant celle qui voulait la vendre pour une nuit. Docile, elle se fit déshabiller sans opposer de résistance, aucune. S’allongea dans le lit, et tendant faiblement la main vers sa mère qui la saisit, s’endormit. L’opiacée faisait vite son effet.


Quelques rêves erratiques envahirent sa conscience, elle dormait profondément mais se croyait éveillée. Elle voyait clairement sa mère, sa mère d’il y a dix ans tandis qu’elle offrait ses charmes, se faisant malmener par un homme en rut. Elle, cachée sous la table, ne devait se montrer sous aucun prétexte. A l’époque, il n’y avait pas de bordel, elle se faisait trousser dans les auberges, rapidement, sans aucun amour propre. La gamine voyait les yeux de sa mère qui la fixaient, semblant lui dire « Je fais ça pour toi, t’as vu ce que je fais par ta faute ? »

Elle remua la tête de droite et de gauche, prise de soudaines sueurs, autre lieu, autre moment. Les rires gras de l’homme qui avait payé le plus, le rire de cet homme qui avait gagné le droit de goûter de la pucelle le lendemain. Il résonnait à son oreille, mêlé à la voix de sa mère qui riait de concert avec lui. Une main sur son front la ramena à une semi conscience tandis que cette même voix prenait un ton tout autre que dans son rêve, la calmant quelque peu, devenant synonyme d’apaisement. Elle sombra à nouveau. Quelques heures.

Noir.

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--La_mathi


Sa fille s’était assoupie sous l’effet de l’infusion de pavot, elle s’agitait sous l’assaut des rêves qui faisaient passer sur son visage des ombres fantastiques, tantôt légères comme des fils tendus par une épeire diadème, tantôt sombres et inquiétantes, présageant le chaos qui allait bientôt s’installer en elle.

Marthe s’approcha tout près de Yunette, posant une main fraîche sur son front, et se penchant sur elle, entama une litanie.


Enlève chez eux toute velléité de penser autrement que par leur seul désir charnel,
ôte leur la parcelle d’humanité qui leur reste,
sois au-dessus d’eux, sombre prêtresse de la luxuriante bassesse,
prends plaisir à les dominer
et guide les vers des lieux d’où ils ne pourront revenir.
Engage toi dans une lutte dont tu sortiras victorieuse,
eux avilis, ne désirant plus rien d’autre que toi ;
toi enrichie, de leurs écus bien sûr, mais aussi, et surtout,
du plaisir de les vaincre,
du plaisir de savoir qu’ils n’ont pas de prise sur toi.
Amène-les à se vautrer dans leur noirceur,
de celle qu’ils n’osent montrer à leurs épouses, de peur de les effrayer.
Donne leur ce qu’ils désirent,
ils t’aduleront, se rouleront à tes pieds,
en demandant encore, et encore…
plus, toujours plus…
et tu les feras pénétrer à ta suite les arcanes de l’abjection.
Ces hommes, ces âmes, tu les auras tués.
Ils ne seront plus que des enveloppes vides de substance.
Tes esclaves.


Ainsi, elle psalmodia longtemps aux oreilles de sa fille, s’ingéniant à semer en elle le ferment de sa vengeance.

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Fleur épanouie
Yunette
[À mi chemin entre la conscience et le néant]

Noir, encore, toujours. Le pavot l’a calmée, anéantissant toute volonté, toute pensée. Elle a sombré dans un gouffre profond d’où ne filtrait plus rien. Quelques heures écoulées au bout desquelles ses sens sont toujours engourdis. Seule son ouïe se réveille peu à peu à la litanie de sa mère. La litanie du désir, de la débauche. Cette voix réveille en elle des sensations inconnues, ou trop connues… Dame frustration fait son retour. Elle ne perçoit pas tout, sa conscience refusant de s’ouvrir encore, la laissant apprécier partie de ce que lui conte sa mère.

Dès les premiers mots elle se laisse envahir, la datura l’envoie dans un monde où ses soucis n’existent pas, seule compte la voix de la maquerelle, qui se fait sorcière pour le coup. Elle scande sa litanie, une première fois, une autre, et encore, encore plus. La jeune femme est portée, emportée par cette faim qui la tient depuis le départ de Galuche, depuis bien avant en fait, vu qu’ils étaient respectueux de l’attente aristotélicienne.

Plus sa mère répétait, plus sa transe gagnait en intensité, elle prononçait certains termes en chœur avec elle, l’herbe faisait son œuvre, ce n’était plus Yunette qui était dans cette chambre, dans ce lit aux draps froissés par ses mouvements incontrôlés. Non, là il était une demoiselle pétrie de
désir charnel, sa main empoigna les draps, son corps, moite se tendit, se cambra en rythme, ôte, Son autre main se porta sur sa chemise, seule barrière à sa nudité, en un geste erratique, trop mal maîtrisé pour enlever quoique ce soit.

Nulle jeune femme petite fille d’évêque ne se trouvait plus dans ce lieu, à ce moment précis, une
sombre prêtresse de la luxuriante bassesse était en train de faire son apparition, prête à guider ses ouailles vers des lieux d’où ils ne pourront revenir. Une guerrière enragée, engagée, victorieuse, enrichie, insatiable.
Elle ouvrit les yeux sans rien voir alentours, ses pupilles dilatées prenant la place de ses iris. Un regard sombre, qui se révulsa un moment tandis qu’elle répétait, plus fort,
du plaisir… du plaisir ! Son ton se fit plus clair et elle attrapa sa mère par le col, la regardant sans la voir, criant presque, Amène-les !

Sa voix se calma tandis qu’elle continua, un soupir alors qu’elle prononça ce mot qui aurait dû être son qualificatif, épouses, soupir qui se fit murmure langoureux dans sa voix demandeuse, donne… ils… , un gémissement qui la prit toute entière, la laissant frémissante encore, et encore… plus, toujours plus…. Sa voix se fit rauque, on était bien loin de la jeune fille naïve là, oubliée le dogme, elle n’était qu’instrument de sa mère, l’herbe avait volé sa personnalité la faisant toute autre. L’abjection. Elle prend plaisir à prononcer ce mot, persuadée en quelques heures que là est sa nature, offrant son âme à celle qui l’a enfantée. Ils… seront… vides… esclaves. Soupir profond à la fin de la litanie, soupir las et quémandeur… plus, elle en voulait plus… Enfin, "elle"… Son corps et son esprit réclamaient ce que sa conscience refuserait si elle n’était endormie.

Une présence…

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--La_mathi


Une présence dans le néant

La voix de la Mathi allait decrescendo. L’air palpitait de goutelettes irisées qui semblaient s’échapper du corps de sa fille. Le masque blanc de la mère flottait au-dessus du visage de Yunette, ses yeux paraissaient regarder à l’intérieur de son propre corps, une mince barre rouge sang barrait sa face hallucinée.

Elle se sentait proche du but. Elle allait enfin se restaurer. Reprendre ce qui lui appartenait, à elle, et à elle seule. Que ces infâmes curetons s’en aillent sur leur soleil et qu’ils sy brûlent les ailes pour l’éternité ! Que tous ces hypocrites, qui pensaient droit, aillent se répandre dans le feu !
Elle la tenait, sa vengeance, elle la tenait fermement. Tout son corps, et tout ce qui lui restait d’âme, exigeait de consommer ce à quoi elle avait droit. Un partage. Elle ricana. Un partage de ce qu’elle avait dû subir, au début, avant d’apprécier la vie qu’elle menait.


Partageons, ma chérie…

Ignitio entra, sa lueur habituelle éclairant le visage dur, laissant sourdre de l’homme une violence innée, sans maîtrise ni limite, une violence issue du recoin le plus éloigné de l’âme humaine, celle que l’on ne laissait échapper que très rarement dans toute une vie, voire jamais.

La Mathi se leva sans un bruit, son regard plongé dans celui de la brute. Depuis longtemps elle avait des accords avec lui. Ils s’appréciaient mutuellement, car ils avaient la connaissance de ce qu’ils étaient. Ils se complétaient parfaitement pour la réalisation de leurs desseins.

Le lendemain de la fuite de sa fille, elle était suffocante de haine et la visite de l'un de ses plus étranges clients lui avait donné l'idée. Ignitio n'avait pu qu'accepter ce que la Mathi lui offrait, et il s'était lancé avec ardeur sur la piste toute chaude, qu'il reniflait, excité.

Il l'avait traquée, cernée, étouffée, déchirée de son rut animal, l'avait souillée de sa semence. Bestial, répandant une odeur écoeurante, il l'avait laissée là, pour morte, empli du parfum de peur qu'avait laissé s'échapper Yunette. Mais elle avait survécu et vaincu. Un autre tour. Le bon, cette fois, celui dont elle ne pourra pas réchapper.

Elle laissa son regard plonger vers le néant.
Inutile de parler. Tout était dit.


Dans le fond de la chambre. Derrière le paravent. Assise.

Elle attend…

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Fleur épanouie
Yunette
La voix se tut, les voix se turent, laissant en l’air flotter la respiration de Yunette, son souffle emplissant la pièce, profond. Elle ondule dans le lit aux draps froissés, frémissante, insatisfaite. Son corps appelant à un contact charnel, charnu. Partageons… Un gémissement, plus une plainte plus qu’une parole, envoutée, envoutante, le corps en émoi.

Une présence…

Elle n’avait pas rêvé cela. Cette présence était bien réelle, ses yeux grands ouverts ne percevaient pas grand-chose, d’où elle était, elle s’imagina Galuche revenu, Galuche venu enfin lui offrir ce qu’elle attendait… Au sans nom le mariage ! Et qu’il fît enfin d’elle une femme satisfaite. Son souffle se fit court tandis qu’elle écoutait les mouvements se faisant alentours, sa mère s’éloigna… sa mère…Ce n’est pas lui. Pas lui qu’elle rêve depuis tant de temps, qui est là.

La litanie revint en son esprit, elle l’avait tant et tant répétée cette nuit qu’elle ne put que se laisser porter à nouveau. Son léger moment de doute fut vite passé, elle entrouvrit ses portes, se préparant à enfin, connaitre… L’acte autrement que ce qu’un rustre lui avait autrefois volé… Ne lui laissant aucun choix. Et lui laissant un marmot… Venu d’on ne sait où lui a-t-on dit dernièrement… Ça, non, elle ne le savait pas.

Il était proche, tout proche, elle retient son souffle, tendue malgré la drogue, un sursaut de conscience laissant poindre son appréhension. Son souffle reste bloqué dans sa gorge un moment tandis qu’une main se porta à son ventre, retroussant sa chemise et découvrant son ventre, jusqu’à sa poitrine tandis que l’autre se ruait sur la porte entrouverte. Frisson, le contact ne fut pas tendre, elle expira violemment, inspirant profondément voulant s’imprégner de l’odeur de celui à qui elle s’offrait ainsi.

Son inhalation se bloqua tandis quelle refermait vivement son entrejambe, un feulement rauque s’échappant de sa gorge. Elle se cabra alors, non dans un geste lascif de femme en demandant plus, mais dans l’espoir d’échapper à l’étreinte.
Non… Non ! NON ! Ce ne pouvait être possible, sa mère ne lui aurait pas fait ça, pas lui ! Pas… pas celui qui lui avait volé sa virginité, violé son intimité… Celui qui l’avait laissée ainsi, une fois, la seule…

Ses yeux se voilèrent, elle vit rouge, le repoussa de ses pieds, alors qu’il tentait de venir prendre ce pourquoi il était là. Il voulait entrer, se vider encore, comme il l’avait fait une fois en son corps juvénile. Elle ne criera pas, comme la première fois, elle restera silencieuse, mais… cette fois, elle ne se laissera pas faire. Elle griffa sans le voir le visage tant haït, elle cherchait les yeux, voulant le mutiler le faire souffrir, qu’il la relâcha ! Sa main en un mouvement incontrôlé atteignit la table de chevet, attrapant sa longue épingle à cheveux.

Il commençait à prendre le dessus, sa force brute étant supérieure à la sienne, il arrivait à son but. Elle empoigna l’épingle sans réfléchir. Il se recula brusquement, étouffant un juron en portant les mains à son visage. Elle venait de la lui enfoncer dans la joue. Elle sauta sur ses pieds, sa chemise, malmenée par les mains de son amant éconduit, ne la couvrant que peu. Elle avança vers lui, toujours dans cette rouge vision qui était sienne depuis qu’elle avait reconnu son odeur.

Les braies baissées sur les chevilles, les mains sur son visage sanguinolent, la brute était bien moins impressionnante. Brisant la tasse qui était sienne après en avoir bu le reste, sans réfléchir, il faut dire qu’elle ne réfléchissait plus beaucoup depuis quelques heures, la jeune femme s’avança vers lui. Il vit ses yeux pour la première fois, ses yeux à la pupille dilatée, ses yeux noirs. L’homme recula encore, on lui offrait une proie, une proie connue qui plus est, il savait qu’elle ne se défendrait pas, on lui avait assuré qu’elle serait même consentante cette fois ! Et il se retrouvait avec une furie. Ses pieds s’emmêlèrent dans ses braies qu’il n’avait pas remontées, sa vigueur encore dressée perdait bien vite en substance. Il chût. Il chût sur le dos, l’épingle encore dans la joue, ne songeant pas même à se rattraper. Il la vit avancer sur lui.

Elle s’accroupit sur lui, le fixant sans le voir, en une pose qui aurait semblé à tout un chacun plus qu’érotique, une pose qui lui aurait plu, à l’homme, si ce n’était la main de la jeune femme qui se leva, la main armée du tesson de la tasse. Elle l’abaissa vivement, sur le visage, toujours. Lui restait tétanisé par la peur. Une brute de son espèce avait peur de celle qu’on avait dite inoffensive. Pris d’un sursaut de courage ? D’envie ? Il la bascula sous lui, son visage lacéré se collant au sien, voulant lui violer un baiser. Au moins ça. Elle le mordit si fort qu’elle lui arracha un cri et qu’il se recula à nouveau.

Assis, prostré, il connaissait un rien de la détresse qu’elle avait connu à l’époque, lorsqu’il l’avait malmenée. Elle se releva, lui attrapa la chevelure d’un geste vif et lui pencha la tête en arrière, un geste qui appelait à ce qu’il n’oppose aucune résistance, ce pourquoi il ne se fit pas prier. Sa voix, rauque émana de sa bouche maculée par le sang masculin, vestiges de la morsure.
J’ai dit, "Non" !

L’ignorant alors totalement, elle se tourna vers le paravent derrière lequel elle devinait sa mère. Sa maquerelle de mère. Elle s’avança vers elle, le tesson à la main, main poisseuse du sang de l’homme et du sien propre, son arme de fortune lui ayant entamé les doigts. Elle s’arrêta devant, sa chemise maculée du liquide pourpre et déposa le morceau de porcelaine au pied de la cloison, fit demi tour et s’éloigna vers la porte, sans un mot.

Elle n’avait plus de mère, elle le savait depuis longtemps, mais elle avait voulu y croire encore.

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--Lambda.


Sa fille… Une bouffée de rage envahit la jeune catin. Celle qu’en secret elle rêvait d’appeler maman retrouvait sa fille et l’ignorait totalement. Elle lui réservait sa meilleure chambre et l’envoyait elle, elle, le fruit de son établissement, sa fine fleur comme elle l’appelait souvent, jouer le rôle de la servante. Apprêter une chambre… Et elle le fit ! Bien en plus…

Ignitio… Celui là avait été son amant parfois. Brutal, violent, il prenait sans donner. Un sourire sadique apparut à ses lèvres, la si parfaite fille de la Mathi subirait. Et tant mieux ! D’ailleurs il paraissait en forme. Les cris de sa rivale lui réjouiraient les esgourdes. Elle se fit une tisane, prenant dans les mêmes pots que la maquerelle, quelques herbes. Sa tasse infusée à la main, elle s’en alla en la chambre voisine de celle apprêtée, au spectacle la catin ! Elle ne verrait rien, mais son imagination ferait le reste.

Sa boisson ne l’emporta pas aussi loin dans les abîmes de l’inconscience que sa voisine, mais elle ressentit la litanie. La paroi fine qui séparait les deux pièces n’occultait que peu les sons. Cette litanie la transporta comme elle l’avait faite à l’époque, lors de sa première nuit. La Mathi l’avait préparée ainsi, instillant en elle le désir, tout en faisant en sorte d’effacer toute crainte en la gamine qu’elle était. Elle allait avoir une rivale !

Où donc était son amant des derniers jours ? Elle aurait aimé l’avoir là, près d’elle, frémissante également, dans l’état même où était Yunette, elle n’attendait rien, sachant que nul amant ne l’allait rejoindre. Elle laissa l’envie retomber, vaincue par cette absence de client… désespérant, le quartier de la mésange… restait vide, désespérément vide. Les hommes craignaient tant et tant leurs épouses qu’ils ne désertaient plus les couches, craignaient ils de n’être pas acceptés encapuchonnés ?

Son lit était défait, elle ne s’y était pas glissée pourtant, s’y étant simplement étendue, encore vêtue. Sa moite intimité témoignait de son état, le prochain client ne serait pas déçu, elle serait… insatiable. Elle prêta l’oreille en entendant un mouvement à côté. La brute entrait. Elle allait prendre un plaisir tout autre, celui de l’entendre couiner sous ses assauts, bestiaux. Quoique là, dans l’état où la tisane et les paroles de la maquerelle l’avaient mise, elle l’aurait accueilli, et avec plaisir même !

Elle se força à se calmer, écoutant, calmant sa respiration. La faible dose ingérée commençait à perdre son effet. Les sons se firent clairs, mais… ne furent guère sons de plaisir mêlé ou volé. Ignitio n’y allait pas de son râle habituel, celui du moment où il prenait possession de la chair offerte. Le "Non" de la jeune femme apeurée lui arracha un rire silencieux. "Pleure ma belle". A mieux y entendre, elle perçut des sons de lutte. Fronçant les sourcils, elle se leva pour intervenir, la Mathi pouvait avoir besoin d’elle.

La main sur la poignée de la porte, elle s’arrêta. Un rictus lui déforma le visage un instant. "Qu’elle se débrouille ! Elle a voulu sa fille… Elle l’a, qu’elle se dépatouille de ses lubies, seule." Elle se déshabilla alors, Déposant soigneusement ses effets aux côtés du lit et s’y étendit, lissant les draps soigneusement autour d’elle. Elle écouta encore, ne cherchant pas à savoir ce qui se déroulait à côté et s’endormit, un sourire satisfait aux lèvres. La Mathi saurait qu’il n’y avait qu’elle pour la satisfaire et agir comme elle le voulait. Elle seule était parfaite.


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Fleur en bouton
--La_mathi


Lambeaux…

La sensation d’avancer sur un fil ténu, tendu entre les deux rives de la compréhension humaine, habitait Marthe. Elle s’était désagrégée entre deux mondes, les lambeaux de son âme résiduelle flottaient dans l’espace que laissaient les deux êtres face à face, derrière le paravent.

La Mathi n’était plus. Ne restait d’elle qu’une coquille. Vide, vidée de sa substance vitale. La vengeance s’en était allée, avalée par la volonté tenace dont faisait preuve sa fille. Elle avait pourtant approché le moment victorieux où Yunette se serait engouffrée dans la blessure béante. Elle savait les blessures que laissent les êtres monstrueux dans un corps fait pour aimer. C’était raté, loupé, enterré. Jamais elle ne posséderait la jeune femme.

La Mathi se recroquevillait, tuée par l’étincelle que faisait jaillir Yunette. Elle se sentait flouée, abattue.

Pourtant, Dieu seul sait comme elle aurait aimé la voir se complaire dans le même charnier que le sien. Un charnier de cœurs brisés, de rêves envolés, d’espoirs refusés. Là où n’importait que le plaisir douloureux, là où s’avilir était la fonction la plus merveilleuse. C’était raté, loupé !

Elle entendit un faible bruit venant de la chambre d’à côté. La Mathi réussit à sourire, elle sentait Lambda, tout près. Il n’aurait pu en être autrement. Elles étaient liées, elles aussi, même si Marthe ne voulait guère se l’avouer. Elle éprouvait même, à sa manière, une certaine affection pour elle, qu’elle avait façonnée, faite à l’image de ce qu’elle aurait voulu pour sa propre fille.

Soudain, elle s’intéressa de nouveau à ce qui se passait dans la chambre. Les bruits de lutte avaient cessé, et elle devina la silhouette de sa fille derrière le paravent. Marthe se tassa sur son siège, le souffle coupé, sentant une onde frissonnante l’envahir. Une telle odeur de haine se dégageait dans la pièce !
Elle blêmit sous son masque blafard, retenant juste à temps les doucereuses paroles d’une mère à sa fille. Yunette était partie bien loin de tout cela.

Marthe se rendit compte, tout à coup, qu’elle avait réussi. Et bien au-delà de ses espérances. Derrière le paravent, ce n’était plus la même. Non, ça non !

Elle n’était plus que lambeaux, qui se rassembleraient en ordre disparate et feraient apparaître… qui sait ? une brume autour d’un matériau brut ? une lueur au plus profond de la terre ?

En attendant, La Mathi se dissolvait dans le temps.

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Fleur épanouie
Uterpendragon
Droit et fier. Ainsi se dressait l'hôtel de l'auguste Von Frayner, face à la mairie. Bâti à l'image du doyen, ses pièces étaient vastes, mais décorées simplement. L'aménagement permettait au félin qui hantait la demeure de venir frotter sa délicate fourrure contre les meubles de la cave à la tour. Le vieil homme gardait encore une profonde passion pour cet animal si mystérieux, et s'offusquait encore de savoir que le vil Odoacre portait une mitre pour laquelle on avait dépecé un corps. Cela lui semblait toujours s'opposer avec le dogme... Mais c'était une question bien trop complexe pour être ici traitée.

Car au-delà de ses réflexions quant à la fourrure des félins, le vieil homme était tourmenté par bien d'autres maux. Des maux sanglants. Des maux sur lesquels il était impossible de mettre des mots. L'une de ces premières souffrances était celle d'un cœur paternel, et que les descendants semblaient prendre un malin plaisir à serrer, à étouffer. Les images défilaient avec une régularité singulière, dans l'esprit d'Aymé. Il ne cesserait jamais de se maudire d'avoir offert une dague à sa petite fille. Cette dague, qui ne pouvait la protéger que des autres, mais pas d'elle-même.

Une nouvelle fois, le prélat toulonnais se maudissait, alors qu'il se tenait au muret de sa tour. Observant l'infinité maritime, et se laissant porter par la brise marine, il s'efforçait d'oublier. Oublier ce qu'il avait vécu ces dernières semaines. Oublier ce que le destin avait amené sur le pas de sa porte. Oublier que demain, il ne serait plus. La contemplation n'apportait plus la solution idéale, celle qu'il croyait avoir trouvée, des années auparavant. Car même en cet instant, il se sentait encore, en lui, un profond vide. Il ne pouvait non plus ne pas sentir le nœud qui oppressait son abdomen, l'empêchant par moments de respirer.

En cet instant précis, il ne savait pas ce qui se déroulait. Non, il ne savait rien. Il le pressentait. Son instinct paternel et guerrier lui indiquait l'est de façon pressante. Les dalles résonnèrent sous ses pas, tandis qu'il rejoignait le petit hall, revêtant une cape foncée, dont il rabattit la capuche sur son visage. Dans sa main, ce bâton de combat qu'il avait cru ne jamais plus se servir, excepté pour l'aider à marcher. Il passa les portes de la ville, et prit la direction du quartier de la mésange.

L'une des premières maisons qui s'offrit à lui le fit frémir. Il s'arrêta face à elle, et la regarda. Brusquement, il se sentit nu. Comme si la cape qu'il avait sur ses épaules ne le protégeait plus du froid. Comme si ses os s'était glacés, sans crier gare. Un goût de sang lui vint à la bouche. Tout lui sembla tourner, il reprit le chemin de sa demeure, qu'il rejoignit d'un pas vif, après l'avoir quittée quelques minutes plus tôt. Le moine s'agenouilla dans son bureau, face à une statuette de Saint Grégoire, et il pria. Les heures ne se comptaient plus.

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Yunette
Feu de joie

Sa démarche était mal assurée. Elle marcha doucement, tentant de garder un air digne. Pieds nus, les cheveux défaits, la chemise aux motifs pourpres laissant apparaitre plus de peau que la bienséance l’aurait voulu, elle s’avança dans les rues toulonnaises. Ses pas la menèrent dans la taverne que Galuche avait fait construire pour eux, pour qu’ils aient leur havre de paix en sus de sa demeure. Elle s’alla réfugier dans le bâtiment. Attisant le feu elle récupéra un brandon et en alluma quelques bougies. Ses gestes faisaient l’effet d’être ceux d’une poupée de chiffon. Elle ne maitrisait rien, ne songeait pas, se laissait mener par son instinct. Soif. La soif était forte, elle prit la première chose qui lui tomba sous la main, de l’alcool de maïs, celui même qu’ils se plaisaient à appeler Chrysophernal, du nom de la créatrice de la recette. L’effet de l’alcool s’ajoutant à celui de l’herbe ingérée plus tôt, et par deux fois, rendit ses gestes encore plus malhabiles et désordonnés.

Elle se sentait vide, nulle émotion ne l’habitait, le face à face à travers le paravent l’avait épuisée. Elle ne s’en souvenait d’ailleurs déjà plus, elle ne pensait pas. Yunette parcourait du regard la pièce, son regard croisa son reflet dans la fenêtre close. S’en approchant, elle caressa la vitre, passant un doigt léger, en un geste tendre, sur le contour de sa joue, de son image. Ses yeux s’attardèrent sur les tâches ornant sa chemise, les baissant, elle les vit alors nettement, le pourpre commençait à tendre vers le marron, le liquide séchait. Elle reprit le dessus, hurlant de terreur. Que lui était il arrivé ? Avait-elle tué ? Sa mise lui amenait une autre question, avait elle été abusée à nouveau ? Les souvenirs inexistants la laissèrent hébétée. Elle s’accroupit, dos au mur. La fraicheur de la nuit pénétrait sa chair trop peu couverte par son habit déchiré. Elle n’en ressentait rien.

Elle se balança d’avant en arrière durant un long moment, prostrée. Elle marmonnait des paroles incompréhensibles, cherchant au fond d’elle des bribes de sa soirée. Son esprit resta désespérément vide. La nuit était fort avancée lorsque le reste de tisane ingérée fit effet à son tour. Froid. Finalement, elle avait froid, très froid d’ailleurs, il lui fallait se réchauffer, et vite. S’approchant de la cheminée elle ne trouva pas de bois à y mettre, elle s’empara alors d’une chaise qu’elle y mit sans attendre. Une autre, ensuite, mais le foyer ne permettant pas de l’ajouter, elle la déposé fort proche. Froid. Elle attrapa une bouteille d’alcool qu’elle brisa dans les flammes, attisant le feu bien plus rapidement. Froid toujours. Elle s’en alla tirer les rideaux, tirer sur les rideaux plutôt et les arracha de leur tringle. Ce geste la fit choir et dans sa chute elle éclata d’autres bouteilles au sol, s’entaillant généreusement pieds et mains lorsqu’elle se releva. Le feu prenait bien.

Elle sourit alors, tendant ses membres couverts de coupures vers les flammes, se réchauffant enfin. Elle eut un sursaut de conscience lorsque le feu gagna ses pieds, les léchant en s’étant frayé un chemin dans l’alcool répandu. Elle sortit calmement, mesurant chacun de ses gestes. Elle attrapa quelques bouteilles survivantes et un brandon épais qui lui tiendrait lieu de torche. Les rues étaient sombres. Elle sortit, ainsi équipée et se retourna pour contempler ce lieu où elle avait connu tant de bonheur, tant de malheur aussi… Son sang y avait été versé, salissant cet endroit à jamais. Elle eut un léger rire, celle qui ressemblait à sa mère n’y viendrait plus, ça non. D’ailleurs… à ce propos... Le regard fixe, le regard fou, son brandon à la main, elle se dirigea vers la mairie de Toulon.

Elle avançait à pas mesurés, calmes, sûre de ses actes. L’autre avait voulu la ville, elle voulait la mairie, et bien, elle ne lui laisserait rien. Un rictus déformait son visage. La jeune femme était complètement possédée par la drogue, incapable de maitriser ces actes qui n’étaient pas siens. Elle déposa ses bouteilles au sol, devant la fenêtre du bureau. Attrapant une pierre, elle brisa la vitre, sans se soucier du bruit. Elle entendait quelques badauds s’activer au loin, près de la taverne. Elle n’y prêtait nulle attention. La vitre brisée, elle ouvrit la fenêtre et entra, non sans avoir déposé deux bouteilles à l’intérieur, marchant dans les débris de verre sans y prendre garde, ses pieds n’étaient plus à cela près. Elle fit comme dans la taverne, déversant l’alcool sur le bureau, les tapis. Son tison commençait à faiblir, elle le nourrit de feuillets épars, soufflant légèrement dessus et l’apposa sur les rideaux et le sol imbibé d’alcool.

L’esprit de Chrysopale serait apaisé, elle était persuadée que son amie apprécierait l’ironie de la chose. Les flammes ne se firent pas prier pour s’étendre rapidement, elle ressortit du bâtiment en prenant son temps, n’ayant aucune conscience du danger qui l’entourait. Au dehors, elle récupéra sa dernière bouteille et s’assit à quelques pas de là. Soif, encore. Il faut dire que la chaleur avait de quoi dessécher les gorges. Elle la déboucha et prit une bonne rasade d’alcool, contemplant le spectacle, satisfaite. Yunette n’était pas là à ce moment, l’herbe lui avait fait faire ce que jamais elle n’aurait osé entreprendre, jamais elle n’aurait même songé faire.

Personne n’avait encore remarqué ce deuxième incendie.

Personne ?

Une main sur son épaule.

Son grand père.

Elle le regarda sans le voir, le fixant de son regard vide aux pupilles dilatées. Elle but une rasade encore, puis tourna la tête et lui désigna d’un geste du menton, le brasier municipal.

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