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[RP] La monnaie de sa pièce

Uterpendragon
Il était nuit. D'une nuit noire, celle contre laquelle même les reflets de la Lune ne peuvent rien. Celle qui vous prend au ventre, et vous dévore de l'intérieur. Celle qui vous fait vomir toute la peur que vous avez en vous. Celle qui détruit une vie, aussi. C'était ce qui venait de se dérouler, alors que le sommeil s'était emparé d'Aymé. Une fumée âcre, symbole de la fin d'un calme provençal, vint s'infiltrer par les fenêtres de la demeure de l'évêque, suant par les dalles de grès. En un instant, il fut sur pied, car son sommeil n'était pas des plus assurés, et ce, depuis déjà quelques semaines.

Noire était cette fumée qui émanait de la mairie. Noire comme le sang qui avait coulé du cou de Yunette. Noir de haine, noir de tristesse, noir de désespoir. Tout s'était assombri, et même les flammes dansantes sur les cendres ne parvenaient à éclairer la ville, morte. Le visage du vieil homme n'avait jamais pris ce teint soucieux et désolé. Jamais nul n'avait pu observer avec tant de précision ces cicatrices qui avaient gonflées, en cet instant, boursouflant un visage ravagé. Ses yeux n'étaient plus que deux perles, brillant dans une infinité de désolation. Tout venait de s'effondrer, en même temps que les charpentes de l'échoppe, et de la mairie.

Ces deux bâtiments qui avaient eu tant de sens pour lui, qui représentaient l'investissement politique de sa petite fille, et la promesse d'un futur hyménée. Tout cela dansait devant les miroirs ternes du vieillard, qui s'affaissait peu à peu. Pourtant, elle lui apparut. Jamais elle n'avait été aussi noire, elle aussi. Cette vue qui aurait dû l'effrayer le rassura, car il n'avait pas encore tout perdu. Il savait ce qui l'attendait. Ses épaules se redressèrent, son regard s'assura. Ne pas flancher était sa devise, il la respecterait jusqu'au bout.

Sa main, sombre dans l'obscurité, se déposa sur l'épaule de Yunette, tandis qu'il murmurait :


Il est temps...

Le chemin sans fin face à eux se dressait,
Ultime chance d'Aymé, un ultime essai.

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Yunette
Il est temps...

Les yeux perdus dans les flammes elle n’entendit la voix de son grand père que longtemps après qu’elle se fut posée à son oreille. Il était temps oui, temps de quoi ? De se lever ? De tenir cette main qui s’était logée sur son épaule ? Il était temps d’agir, de réagir. Hochant la tête, elle se leva alors, prenant la dextre de son grand père dans sa senestre et se laissa entrainer loin des flammes. Enfin loin, fort près en vérité, vu qu’il la dirigea vers l’Antre des Dieux, la demeure de Galuche. Ses mains blessées et couvertes de suie laissèrent leur emprunte sur la massive porte de bois tandis qu’ils l’ouvraient. Elle était totalement dénuée d’émotions à ce moment, retrouvant son état de poupée de chiffon du début de soirée.

Elle se laissa faire lorsqu’il la mena à sa chambre et lui ôta sa chemise souillée, la nettoyant grossièrement à l’eau froide. Il lava les plaies de ses mains et de ses pieds, elle ne réagit pas même lorsqu’il y versa de l’alcool. Le vêtement fut abandonné à même le sol, il lui enfila alors sa tenue de voyage, lui banda grossièrement ses pieds blessés avant de lui mettre ses bottes. Ces gestes paternels la laissèrent calme, ce n’était pas là un contact masculin tel que celui qui avait réveillé la bête. La jeune femme était vidée, ses gestes ressemblaient à ceux d’une mécanique mal réglée, lents, erratiques. Son sac était prêt depuis bien longtemps, elle avait passé le temps de sa convalescence à l’apprêter, occupant ainsi ses journées.

Avisant une vieille cape à capuchon, il la lui passa sur les épaules. Elle se sentait étrangement sereine, la terreur de la nuit passée la laissait d’un calme olympien. Elle était vide, vide d’énergie, vide d’émotion, vide de pensée. Elle prit docilement sa besace qu’elle passa à son épaule galonnée de l’armée. Elle avait oublié d’ôter ces galons et ce n’était pas à ce moment qu’elle risquait d’y songer. Mathilde, la gouvernante, entendant du bruit arriva sur ces entrefaites. Son regard parcourut rapidement le lieu, remarquant immédiatement la chemise tâchée de sang au sol ainsi que l’air absent de celle qui était sa patronne. Elle allait ouvrir la bouche, mais un regard du vieil évêque lui intima le silence, laissant mourir en sa gorge les questions qui affleuraient.

Galaad irait chez Spada, chose établie depuis un moment. Yunette avait prévu son voyage, même s’il ne devait commencer que plus tard. Ses yeux en pleine mydriase ne montraient plus ses iris. La pupille en occupait la quasi-totalité. La domestique eut un mouvement de recul lorsque le regarde de Yunette se porta sur elle. Son grand père l’entraina au dehors sans même qu’elle songe à aller embrasser son fils. Un bref passage chez l’évêque le temps qu’il prenne ses affaires aussi, et ils prirent la route. Elle marchait d’un pas égal, silencieuse, perdue dans un monde imaginaire où se mêlaient diverses choses. Un moment, prise de faim, elle se mit à manger tout en marchant. Ou plutôt, elle mima le fait de manger un quignon de pain, sans pain.

Noir

«.·´*`·.(¸.·´(¸.·* *·.¸)`·.¸).·´*`·.»

Elle reprit ses esprits. Enfin. Une taverne, elle était dans une taverne. Observant au dehors, elle reconnu la ville de Brignoles. Elle se gratta la tête. Comment était elle arrivée là ? Ce mouvement des doigts sur ses cheveux lui arracha une grimace, portant ses mains devant ses yeux, elle se rendit compte qu’ils étaient couverts de coupures et de brûlures superficielles qui avaient visiblement été nettoyées, et que la paume de la main droite était, elle, entaillée plus profondément. Elle ouvrit sa besace, voulant y chercher son baume préféré, celui à l’essence de lavande qui titillait tant les narines de Galuche. L’ours de son fils en tomba. Elle le ramassa, se demandant où était l’enfant, s’il l’avait accompagnée ou s’il était sur Toulon. Il avait tendance, sentant le départ proche de sa mère, à cacher son ours de laine dans la besace de celle-ci, au cas où, pour être prêt pour le départ, ne pas l’oublier lorsqu’ils partiraient ensemble. Il refusait totalement l’idée que sa mère puisse partir sans lui.

Sur ces entrefaites, son grand père entra dans le bâtiment. A ses questions il ne put que lui répondre qu’elle avait tiré un trait sur son passé dans la nuit. Chose qu’elle ne comprenait ni ne lui expliquait ses coupures, ses brûlures, ses ecchymoses sur les bras, ainsi que ses douleurs aux cuisses et aux pieds. Sans doute, pour ces dernières, sans doute qu’elle avait trop marché dans la nuit. Elle ne s’expliquait pas ce manque dans ses souvenirs. Elle se rappelait avoir fait une ronde dans la matinée avec les maréchaux. Qu’ils avaient recommencé en début d’après midi et qu’ils devaient se rejoindre en début de soirée pour faire la garde de nuit. Elle se souvenait aussi avoir mangé avec son fils, l’avoir couché, bordé et embrassé puis d’être partie pour… Pour où déjà ?

C’était là que ses souvenirs s’arrêtaient. Ensuite, elle s’était retrouvée dans la taverne. La tisane à moitié bue devant elle montrait qu’elle en avait absorbé une partie. Cela même, elle ne s’en souvenait pas. Sa vue était assez trouble et le soleil filtrant dans la taverne rendait sa tête douloureuse. Elle voulut se réfugier dans la prière et, comme à son habitude, tendit la main vers son cou, y effleurant la boursouflure cicatrisée, et chercha sa médaille de baptême. Son geste se fit plus précipité, elle vérifia dans les plis de ses vêtements, renversa sa besace sur la table, cherchant frénétiquement sa médaille de baptême. Elle dût se rendre à l’évidence, elle n’était pas là. Elle adressa une courte mais intense prière à Aristote, cherchant un réconfort qui ne vint pas dans sa foi.



Dans les ruines d’une taverne, au milieu de cendres éparses, de débris de bouteilles et d'autres choses plus ou moins calcinées, une médaille de baptême, tachée de sang et noircie par la suie, trône.

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--Lepouilleux
Le Pouilleux retournait à au marché, quand son attention fut captée par la lueur rougeoyante qui survenait de la mairie. Cette lumière baignait les murs de la ville comme l’aurait fait le clair de lune, à la différence près que l’éclat était vermeil ; point d’argent dans ce brasier funeste.

Le vieil homme s’appuya contre une bâtisse proche, admirant la danse des flammes. Des gerbes d’étincelles s’élevaient vers le ciel noir, des planches de bois crépitaient, la fumée ondoyait, assombrissant la place et prenant à la gorge. Il ne voyait pas Yunette et Aymé, situés de l’autre côté de la flambée. Cependant, il sentait que l’heure était grave. Cet incendie n’avait rien d’accidentel : la nuit la mairie était vide, et le soleil ne pouvait produire la moindre flammèche sur un quelconque morceau de verre qui aurait pu traîner là. Ce feu avait été déclenché
intentionnellement.

Il s’épongea le front, un curieux sourire illuminant son visage encrassé. Il était resté à Toulon car il pressentait que, dans cette ville, se tramaient des affaires intéressantes… Il avait appris qu’un réseau de prostituées était établi au quartier de la Mésange, avait eu vent de tensions entre divers villageois… De sa place au marché, on en entend beaucoup. Cet incendie, c’était le clou du spectacle. Non ! C’était bien mieux que cela : le spectacle n’était pas fini. Il faudrait voir la réaction des gens à la vue du désastre : à ce moment-là aussi, il y aurait de quoi se régaler.

Quand les flammes eurent achevé leur forfait, le Pouilleux repris sa route. Quelle ne fut pas sa surprise de constater que la mairie n’avait pas été la seule victime des flammes… En effet, la taverne de la « donzelle avec le môme qui fait la charité », comme il se l’appelait, était elle aussi réduite à un gros tas de cendre. Beh ! Cette taverne, il l’aimait bien, le Pouilleux. Il s’y passait pas mal de choses. Des disputes, des amitiés, des amours… C’était un endroit palpitant, presque autant que le marché.

Qui avait bien pu vouloir incendier ce lieu ?

Un éclat attira son regard, entre les décombres. Il s’approcha. C’était un petit objet circulaire, terni par la suie et même du sang sur certains endroits. Le Pouilleux tendit la main pour l’attraper, la retira aussitôt. L’objet était brûlant, ce qui n’avait rien d’étonnant : le métal garde longtemps la chaleur, et il y avait eu un incendie… Il s’en voulut d’avoir été si stupide. Le vieil homme tira sur sa manche pour se protéger la peau et saisit ce qui avait tout l’air d’un médaillon. Il l’observa plus attentivement.

C’était une médaille de baptême, il en était certain. Ce n’était pas parce qu’il avait renié Aristote qu’il ignorait ce genre de choses. Ca, c’était ce que donnait le curé après chaque baptême. Ici , c’était l’évêque, le grand père de…

Soudain, tout fut limpide. Qui aurait pu vouloir brûler la mairie ? Quelqu’un qui détestait le maire. Et qui voudrait détruire cette taverne ? Quelqu’un qui en voulait à son propriétaire, ou alors… Quelqu’un qui voulait quitter cette ville, et se détacher de ce qui la retenait… Oui, la retenait. Car c’était une femme. Tout concordait.

La personne qui avait incendié la mairie et la taverne était la jeune femme qu’il avait croisée quelques temps auparavant. Celle avec le marmot. Yunette.

Le Pouilleux resta un instant debout à contempler la médaille, hébété. Eh ben, dis donc… Il fut pris d’une série de gloussements incontrôlables. Tout ceci était vraiment plus qu’il ne l’avait espéré… Il reposa l'objet là où il l'avait trouvé, sous les décombres, puis repartit vers son mur, curieuse silhouette parcourant la ville de sa démarche claudicante et, étrangement, joyeuse.
Spadachocolat
Le lendemain, vers onze heures le matin :


Spada courrait vers l’Antre, un morceau de parchemin froissé fermement serré entre ses doigts. Le pigeon lui avait apporté ce message, qui l’avait plongé dans la plus grande confusion…

Citation:
Bonjour dame Spada,
Dame Yunette m’a dit une fois que, quand elle partirait, elle vous laisserait la garde de son fils Galaad. Je ne l’ai pas revue depuis l’incendie, il n’y a donc plus que Mathilde et moi-même pour nous occuper du petit… Auriez-vous la bonté de passer prendre Galaad ? Ce serait formidable.
Je vous préviens cependant que le petit est très perturbé par le départ de sa mère. Il la cherche partout ainsi que son ours en peluche. J’espère que vous saurez comment vous y prendre avec lui, c’est un bon petit vous savez.
Nous vous attendons,
Bien à vous,
Marguerite


Oui, Spada avait promis à Yunette de s’occuper de Galaad quand elle serait en voyage. Mais c’était beaucoup trop tôt ! Tout tombait au pire moment possible : les incendies, la formation de lieutenant… Yunette, ou étais-tu ?

Elle arriva devant la bâtisse, inspira un grand coup. A ce moment-là, elle était juste Spada, la jeune fille joyeuse et insouciante, avec pour seules responsabilités son chien et la police. Quand elle aurait franchi le seuil de l’Antre, elle deviendrait beaucoup plus. Elle deviendrait tutrice d’un enfant. Elle deviendrait une fille qui n’avait pas encore dix-huit ans, mais avec un enfant à charge. Elle deviendrait la tutrice de Galaad, le fils de Yunette.

Elle frappa trop coups sur la porte en bois. Trois coups qui résonnèrent comme la fatalité dans son cœur. Elle essaya d’adopter un visage serein, quand son regard fut capté par un reflet vermeil sur la poignée de la porte. Elle fixa la tache de sang, comprenant peu à peu ce que cela signifiait.

La porte s’ouvrit sur Mathilde. La servante la dévisagea, sans sourire pour lui souhaiter la bienvenue.

Euh… Bonjour, je suis Spada… Je viens prendre Galaad. Marguerite m’a écrit…

Elle balbutia ces mots les yeux plantés là où se trouvait la trace deux secondes plus tôt.

Ah. Je vous avez pas reconnue. Entrez mad’moiselle, le p’tiot est dans sa chambre.

Mathilde s’écarta pour laisser entrer une Spada toute intimidée. Celle-ci embrassa la pièce du regard, à la recherche de quelque chose, n’importe quoi, qui pourrait avoir l’air familier, rassurant. Elle ne trouva pas.

Elle découvrit Galaad assis à même le sol, dans sa chambre. Il ne jouait pas, ne parlait pas, ne faisait rien. Son visage était soucieux, expression inattendue pour un enfant de deux ans à peine.

Galaad ?

Le petit releva la tête, et lui fit un sourire qui lui réchauffa le cœur.

Pada !!!

Il courut vers elle, aussi vite que le permettaient ses petites jambes. Il lui prit une main.

Tu vas chercher Maman ‘vec moi ? Elle est pa’tie… Nounous ‘vec elle, mais sais pas où i sont…

Spada regarda l’enfant, surprise par cette longue phrase. Elle était profondément touchée par ses paroles, et hésita avant de répondre.

Non Galaad. Nous ne suivons pas ta maman. Ta maman, tu comprends, elle est… en voyage. Elle va revenir, mais pas tout de suite. Pendant ce temps, tu vas venir vivre chez moi. Tu verras, on va bien s’amuser ! Tu aimes jouer avec Voyou ? Il sera là, lui aussi.

Il marqua un temps, comme pour accuser le coup. Quand il reprit la parole, sa voix tremblait un peu.

Pas Maman ?

Galaad… Tu es un grand garçon, hein ? Ca va aller, tu verras. Maman n’est pas loin, elle va revenir. Je ne sais pas quand, mais je te promets qu’elle et toi, vous vous retrouverez bientôt. Tout sera comme avant, mais pour le moment, je vais être ta tata. Ca te va ?

Spada s’en voulait considérablement pour tous ces mensonges. Cependant, elle ne voyait pas comment réconforter le petit autrement qu’en lui dissimulant la vérité. Et puis, peut-être tout n’était-il pas complètement faux…

Tata Pada ? Vrai ? Voyou aussi ?

Elle acquiesça, la gorge nouée mais le sourire aux lèvres, pour Galaad. Cet enfant avait besoin d’amour, de réconfort. Il ne fallait qu’il comprenne à quel point la situation était grave. Très grave, même. Ces taches de sang… Le doute n’était plus permis, dorénavant. Yunette était partie, parce que quelque chose était arrivé, quelque chose qui l’avait meurtrie, une fois de plus. Et que s’était-il passé, cette nuit-là ? La mairie et le « Modeste et sa Tyrante » avaient été ravagés par le feu. Un incendie survenu en pleine nuit, donc de toute évidence volontairement. Et maintenant, Yunette n’était plus là. Même si cette pensée l’horrifiait, il lui fallait admettre que tous les éléments s’accordaient pour établir cette conclusion : Yunette avait mis le feu à la mairie et la taverne, puis avait fui.

Toujours en masquant son tourment derrière un visage jovial, Spada prit Galaad dans ses bras.

Tu veux prendre des affaires ? Ah, je vois que Marguerite a tout préparé. Tu viens, Galaad ?

Le fils de son amie la suivit en trottinant, pendu à sa main. Il lui parlait de Voyou, de son nounours qui devait sûrement s’occuper de sa maman, des bonbons au miel qu’elle lui avait offert une fois et qu’il aimerait bien manger à nouveau… Comme s’il n’avait plus de soucis. Les enfants ont cette capacité merveilleuse qui est de pouvoir ranger dans un coin de leur tête tous leurs tracas, quitte à les ressortir plusieurs jours, plusieurs années plus tard.

Ils dirent au revoir à Marguerite, qui les embrassa tous les deux, visiblement émue, puis saluèrent Mathilde, qui, malgré son air bourru, semblait touchée elle-aussi.

Quand elle passa la porte, Spada évita soigneusement de poser son regard sur les macabres traces vermeilles. Sans s’en rendre comptes, elle pressa son pas, suivi du petit Galaad qui avait un peu de mal à suivre.

Peut-être était-ce Yunette. Peut-être avait-elle fait ces choses atroces. Mais, même si elle était lieutenant (en formation, certes), elle ne pourrait pas trahir son amie. Non, elle ne pourrait pas…

Spada serra plus fort la petite main cramponnée à la sienne.
Eavan
[Quelques jours plus tard - Aix - Retrouvailles]

La Provence, Aix. Des rues connues, quelques visages aussi. Des sourires polies échangés, des interpellations amicales ou bien plutot protocolaires ...

Eavan était à cheval. Uniforme impeccable, Castor à ses cotés. La jeune femme ne cachait en rien son appartenance à la Garde Episcopale. Se montrer était un moyen de susciter des vocations. Une mine réjouit imprimée sur son visage masquait la réalité de ses inquiétudes.
Nombres de rumeurs circulaient à propos de Toulon ... Mais aussi à propos de sa filleule. Déjà à l'Archevéché qu'elle quittait, on avait émis l'idée qu'elle soit possédée. Eavan en avait été choquée et avait répliqué, tout en ne sachant que dire ... Sa filleule était elle dans un si triste état, la marraine qu'elle était avait elle faillit à sa promesse et au soutient que sous tendait toute amitié. La présence de Castor l'apaisait grandement. L'ami au fil des chemins était devenu bien plus. Et cela remplissait la jeune toulonnaise d'une douce sérénité.

Tandis que les trois chevaux et leurs cavaliers, n'oublions pas Alexiane, déambulaient dans les rues d'Aix, Eavan aperçut une silhouette qu'elle crut reconnaitre. Comment décrire cette sensation d'abandon total, sensation d'être vidée de toute substance ... D'une voix un peu hésitante elle lança à ses compagnons qu'elle les rejoindrait plus tard, accompagnant l'annonce d'un sourire forcé à Castor.
Léger coup de poignet pour imprimer une nouvelle direction à son cher Calabrun, le cheval qui la portait depuis presque un mois sans trop broncher. La monture suivit l'ordre et Eavan mit pied à terre non loin d'un jeune palefrenier qu'elle héla.


Une pièce maintenant, une autre à mon retour et ta main si mon cheval n'est plus là.

Le jeune garçon, peu impressionné de la menace mais conscient du risque, entre l'uniforme et les couleurs nobles du bouclier, il opina et prit les rènes que la main gantée d'Eavan lui tendait.

Vot' cana... cheval s'ra bien traité Nob'Dame.

Eavan reparti quelques pas plus haut, là où elle avait aperçut la silhouette. Son coeur battait à tout rompre. Ses yeux se posèrent sur la silhouette, assise, dos au mur et le regard oscillant entre l'entrée du Tribunal et le sol. Le mot qui pouvait décrire cette âme était perdition. Mais au delà des apparences Eavan sut qu'elle avait bien reconnu cette personne.
La gorge nouée, son regard s'attardant sur les mains malmenées, le visage émacié, la paleur de sa filleule, la jeune Baronne prononca, en un murmure étranglé :


Yunette ...

Ce n'était pas une question. C'était bien sa filleule. Eavan n'arrivait simplement pas à dire autre chose. Puis la jeune femme s'accroupit à sa hauteur et posa une main douce sur son épaule, un geste léger presque de peur de la casser tant la jeune femme semblait fragile.
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Yunette
Errance, en Provence.

Une arrivée sur Aix, après avoir tourné dans diverses villes. Elle n'osait retourner à Toulon, les regards réprobateurs la terrifiaient et elle les comprenait. Il fallait, il fallait qu’elle entre dans ce tribunal, qu’elle montre qu’elle ne se défilait pas. Mais, rien. Rien n’y faisait, elle restait là sans oser entrer. Depuis peu, elle arrivait de nouveau à lire, sa vue était redevenue normale. Mais elle n’avait gère osé écrire à Galuche. Lui apprendre quoi ? Qu’elle allait de mal en pis ? Que sa taverne avait brûlé et que c’était sans doute de sa faute ?

Parce que oui, elle en était convaincue, c’était elle qui avait fait ça. Mais pourquoi la mairie ? Ses mains brûlée et coupée attestaient de sa culpabilité. Le seul souci, c’est qu’elle n’en avait nul souvenir. Rien, le vide complet depuis qu’elle avait quitté sa demeure le fameux soir de l’incendie. Rien le lendemain. Elle s’était éveillée le surlendemain matin, dans une taverne, à Brignoles.

Et ces bleus sur ses bras et ses cuisses ? Venaient-ils de l’incendie ? Elle ne savait que penser. Et pourquoi même aurait elle brûlé la taverne ? Son havre de paix, son univers, l’endroit où elle pouvait songer à lui sans craindre le regard de Mathilde, la domestique. Elle observait la porte du tribunal, cette porte qu’elle avait si souvent empruntée lorsqu’elle était procureur. Là où elle avait passé tant d’heures. Y serait-elle aujourd’hui sur le banc des accusés ? Des coupables, même ? Cruelle ironie.

Les épaules voutées, honteuse, honteuse d’être là, d’être mise ainsi, ne prenant guère soin d’elle depuis quelques jours. Honteuse d’être coupable d’un tel forfait. La mairie ?! Par Aristote, la jeune fille ne comprenait guère. Et Rethy qui était venu lui dire que sa mère voulait porter plainte contre elle !

Par le Très Haut, que s’était il donc passé ce soir là ?

Une voix… Un chuchotement difficile à émettre, prononça son nom. Voix qu’elle reconnaitrait entre mille.

Non… Pas elle, pas sa marraine, son amie… Elle n’aurait pas dû la voir ainsi, elle l’allait décevoir, encore… Pas Eavan…


Va t en ! Laisse-moi…

Un ton qui voulait dire reste, mais des mots qui disaient l’inverse. Elle avait besoin de la force de son amie pour entrer. Elle ne pourrait le faire seule. Elle la regarda, levant vers elle ses yeux cernés, fatigués de tant de veille à n’oser s’endormir et finir par sombrer. Qu’il n’y ait pas de pitié dans son regard… par pitié !
Pas de question, pas de mots échangés, le regard suffisait.


Tu m’accompagnes ?


Léger mouvement de tête vers le tribunal…
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Eavan
Va t en ! Laisse-moi…

Voilà des mots qui tirèrent un sourire à la jeune Baronne. Le souvenir n'était pas si lointain où c'était elle qui prononcait ces mots et sa filleule qui les recevait ...
Mais le doute n'était pas permis quant au véritable message des mots. Et quand bien même il y aurait eut doute, la laisser aurait été la dernière chose qui serait venu à l'esprit d'Eavan.

Yunette finit par planter son regard dans le sien. Que les mots semblaient futiles à cet instant. Ces yeux étaient comme un roman, un appel, un aveu aussi. Mais nulle possession ne se lisait non. Que de méchanceté pouvait naitre chez les hommes. L'accuser d'être possédée par la créature Sans Nom, il fallait être fou.
Eavan la regardait, posée, présente, chaleureuse. Prenant un peu de cette attitude qu'elle avait lorsqu'à la fin d'un entrainement éprouvant, elle soutenait sa filleule épuisée. Mais la jeune femme ne s'y trompait pas. Ce n'était pas une simple fatigue qu'il y avait là. Le malaise était bien plus profond, un peu comme si on avait arraché à sa filleule son coeur et sa force.
La seule chose que son regard clamait haut et fort était : je suis là et je reste là. Nulle intention de la laisser, de l'abandonner, de la prendre en pitié, de la traiter comme une malpropre ou une ...criminelle. Non, cette femme était sa filleule et elle avait promis d'être là auprès d'elle.


Tu m’accompagnes ?

La demande suivante la surpris.
L'accompagner où ? Au tribunal ?
Les bribes d'informations qu'elle avait se mirent en place. Incendie, disparition, accusation de possession ... Yunette.
Comment se pouvait il ... ? Un regard à sa filleule lui confirma qu'elle n'en savait certainement pas plus sur ce point.


J'ai un appartement en ville. Viens avec moi. Il s'agirait de te rendre présentable pour te présenter au tribunal, non ?

Un sourire. De ceux que l'on ferait à un enfant pour le convaincre que cette fois ci l'on tient le fil de la logique. Si telle était sa demande alors oui, Eavan l'aiderait à franchir cette porte, celle du tribunal. Mais elle voulait pouvoir sonder cette faille qui était apparue chez sa filleule, chez son amie. Pouvoir l'aider elle, avant de l'accompagner dans la gueule du lion provençal, au milieu de tant de gens capablent chacun d'entre eux de tant de cruauté.
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Yunette
Présentable...

Elle baissa les yeux sur ses vêtements qui faisaient triste mine, sa marraine n'avait pas tort. Enfin. Peut être arriverait elle à avaler quelque chose en sa compagnie. Une esquisse de sourire en réponse au sien vint orner ses lèvres, léger, très léger, elle n'en avait guère le goût. Elle se leva alors et la suivit vers cet appartement dont elle lui parlait. Elle se rafraichit, se donnant autant que faire se pouvait une apparence plus à son avantage. Difficile au vu de sa mise, mais bon.

Il était temps qu'elle explique à sa marraine, qu'elle lui dise ce qu'elle avait vécu, ce qu'elle en savait. Elle s'assit et enjoignit son amie à en faire autant.


Eavy...
Après le départ de Galuche, je n'étais plus que moitié de moi même, j'ai trouvé du réconfort auprès de mes amis, de mon Papé... et de ma mère. Elle s'est trouvée être particulièrement compréhensive, aimante, je... je n'y croyais pas !
Son regard s'éclaira quelque peu lorsqu'elle parla de sa mère, pus s'assombrit lorsqu'elle continua. Rethy m'a confié qu'elle m'accuse de choses horribles, je ne comprends guère.

A propos d'accusations... La mairie de Toulon et la taverne de Galuche ont brûlé il y a peu. Et certains m'accusent... de ce que je sais on aurait retrouvé quelques objets prouvant ma culpabilité.

Je n'ai aucun souvenir de cette nuit là... ni de la journée et la nuit suivante d'ailleurs. J'étais de garde et il semble que je ne m'y sois pas présentée.

En fait Eavy, ce qui me fait peur, ce qui me terrifie, m'angoisse au plus au point...


Elle inspira difficilement, déglutit et montra ses mains.


C'est qu'au vu de ces brûlures et de ses coupures...

Je crains qu'ils n'aient raison.

C'est pour ça que je veux y aller...

Que je dois y aller...

Mais je n'ose...

J'ai peur.

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Eavan
Eavan écouta sa filleule. Elle ne l'avait guère laissé seule plus d'une ou deux minutes depuis leurs retrouvailles et désormais la marraine écoutait attentivement Yunette tout en lui présentant quelques abricots et un verre de lait.

Le récit renforca les craintes les plus enfouies d'Eavan quant aux évènements de Toulon. L'Antre des Dieux et la Mairie ... Comment ? ... Pourquoi ? ... Le retour de la mère aimante et attentionné semblait bien curieux à Eavan surtout s'il était suivi d'accusations. La Mathi aurait sans doute une visite. Il était temps que quelqu'un protège Yunette. On avait trop tendance à la voir comme une personne assurée, sur un socle bien ferme et à la cuirasse renforcée mais il fallait se rendre à l'évidence, quelquechose s'était produit, le socle s'était effrité, la fine cuirasse gisait désormais béante sur le sol et l'assurance s'en était allée comme le grain de sable transporté par le vent. Que la vie était mouvante.

Eavan se forca à ne pas interrompre sa filleule. Son amie avait surement besoin de dire les mots, de prononcer ces idées pour les accepter plus facilement.
Elle s'agenouilla face à Yunette et la prit dans ses bras, avec douceur.


La peur est bien naturelle mon amie ...

La Baronne planta son regard dans celui de Yunette.

La justice des hommes tranchera cette affaire, les hommes te jugeront avec toute la clémence et toute la cruauté dont ils savent faire preuve. Mais sache que je te connais Yunette Von Frayner, et tu n'es pas femme à commettre tel crime.

Eavan se releva et bu un peu d'eau. Sa filleule en incendiaire ... Non ... Et puis un incendie c'est une chose que l'on ne peut maitriser après lui avoir donné vie. Non, cela aurait été trop dangereux, trop aléatoire.
Et pourtant les marques sur les mains, les preuves retrouvées désignaient Yunette. Eavan avait elle écarté la possession trop vite de son esprit ? Non ... La possession non ... Puis soudain elle repensa à la médecine, aux substances que l'on donnait aux blessés pour les mettre dans un état second ... Et il en existait énormément des substances capables de transformer des hommes en bêtes sauvages. Certains mercenaires disait on, usaient de telles substances pour combattre de manière plus efficace ... Plus sauvage était plus approprié. Oui sans doute ... Qui ?
Ulynaie, non ... Ses paroles pouvaient être un véritable venin lorsqu'elle le souhaitait mais ... non ... Jamais. Elle aussi elle la connaissait et jamais Uly n'aurait pu s'abaisser à une telle chose. Qui ?
La Mathi ? Cette piste là était à creuser. Eavan sentait poindre en son coeur un sentiment qu'elle combattait régulièrement, la colère. Ravalant cette bouffée malsaine, la jeune femme regarda à nouveau sa filleule.


Je ne connais qu'un remède contre la peur. La foi. Prier.

Mon amie, que dirais tu de te confesser auprès du Très Haut. Sois en paix avec Lui et tente de l'être avec toi. Tu ignore ce qui s'est passé, tu es sincère, je le sais ... Prier peut t'apaiser.


Eavan sourit.

Je t'accompagnerais si tu suis mon conseil et je t'accompagnerais au Tribunal où je resterais à tes cotés si tu le souhaite.

Sourire apaisant elle l'espérait.
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Yunette
Yunette mangea machinalement les abricots présentés, pas par faim non, ni par envie, ça faisait un moment que les seules choses qu’elle ingurgitait était en grande majorité liquides et n’étaient ni lait ni soupe. Comme souvent dernièrement lors des effusions, elle resta amorphe, sans trop réagir. Comme pour la nourriture, elle se força un peu, pas tant que ça d’ailleurs, et répondit à l’étreinte de son amie, légèrement, faiblement, mais y répondit.

Eavan semblait songeuse, il faut dire que tout ce qu’elle venait de lui apprendre avait de quoi laisser pensive la plus active et réactive des personnes. Et sa marraine apporta une réponse qui l’étonna sans l’étonner, comment avait elle pu ne pas y penser elle-même ? Pas une prière n’avait échappé de ses lèvres depuis le matin où elle s’était réveillée, à Brignoles. Pass par manque de foi… mais par manque de volonté, d’envie, de force…

Se confesser… Ça elle ne s’en sentait pas prête, ou plutôt, elle ne voyait pas quoi confesser, ne se rappelant de rien. Par contre… prier, prier était une bonne idée. Elle glissa du siège où elle se trouvait, tombant à genoux en une pieuse posture. Sa main se porta machinalement dans son col, là où aurait dû se trouver sa médaille de baptême.

Elle priait… Priait que le Très Haut lui donne la force d’accepter la vérité et de l’affronter. Cette vérité que certains lui crachaient au visage alors que d’autres tels sa marraine, refusaient de l’en voir capable. Alors elle priait. Que la vérité quelle qu’elle soit, douloureuse ou délivrance, se fasse. Enfin. Elle n’aspirait qu’à une fin de cette attente. Faim de vérité, sans doute. La prière dura un moment, elle resta silencieuse ensuite, recueillie.

Elle sourit légèrement à sa marraine puis se leva, empoigna sa besace et se dirigea vers la porte, la suppliant du regard de l’accompagner vite, tant que sa volonté la portait encore vers cette salle des plaintes qui deviendrait sans doute arène sous peu.

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