Et l’enquête poursuivait son cours…
Après avoir erré et observé durant des jours les allées et venues de la donzelle, Gianluca avait fini par repérer des personnes extérieures à l’armée auxquelles il lui avait semblé judicieux de s’intéresser. Il avait donc suivi son flair et franchi la porte d’une taverne saumuroise dont les annotations sur le panneau à l’entrée sur la tenue du tavernier en certaines circonstances avaient attiré son attention toute particulière.
Ainsi, il était déjà en train d’en prendre note dans le dossier à charge au moment où il pénétra dans la taverne… Là, l’homme qu’il voulait interroger sirotait un verre et il interrompit son moment de quiétude sans la moindre gêne.
Bonjour Sieur…
Il marqua une courte pause, le temps de laisser à l’homme celui de lever le nez de sa chope et de lui adresser un signe de tête.
Gianluca Stronzi, garde épiscopal au service de Monseigneur Giordano, juge inquisiteur…
Au grincement de la porte, et à l'approche d'un homme en sa direction, alors que la voix s'adressait à lui, le jeune homme sortit alors de ses pensées.
Merlain, que puis-je pour vous ?
J’ai pu observer que vous fréquentiez souvent ladite Fourmi… Et j’ai des questions à vous poser à son sujet
Merlain haussa un sourcil, méfiant, sachant les distances de la jeune femme pour ce genre d'institution. Que pouvait bien lui vouloir cet homme ?
Ses mains pressèrent alors involontairement la choppe qu'il tenait.
Oui, et?
Vous semblez bien la connaître non ? Un peu comme le bon nombre d’hommes dans son entourage…
Le garde esquisse un premier sourire pernicieux…
Merlain était interloqué, cette phrase sonnait dans sa tête comme un écho. D'où sortaient ces fausses allégations?
Il tombait des nues.
Pardon???
Oui... Il ne fait aucun doute qu’elle semble préférer la compagnie des hommes… Alors, êtes vous proche d’elle ?
Gianluca continue de sourire froidement.
Un brin agacé, l'étonnement faisait place à l'impatience, voire à un brin de colère.
Alors d'abord je ne vois pas en quoi ça vous regarde en ce qui concerne sa compagnie ou ses préférences
Ensuite, je suis proche d'elle, sans l'être vraiment.
Il voulait semer le trouble chez son interlocuteur, visant à la protéger involontairement.
A ces premières réponses, il étire un sourire et commence à arborer un air satisfait avant de poursuivre.
Dans la mesure où elle est sous le coup d’une enquête, tout ce qui la concerne regarde l’inquisition…
Ainsi, vous n’êtes qu’un… occasionnel…
Le sous entendu est à peine voilé alors qu’il note chaque mot prononcé par Merlain, en scribe impartial… ou pas.
Bouche bée, ses lèvres ne purent seulement laisser échapper qu'une interrogation...
Un quoi?
Avant de préciser, sans oser croire à ce qu'il se cachait derrière cette phrase assassine.
Nan mais attendez, il y a méprise...
Un sourcil se hausse vaguement. Le garde dévisage Merlain, d’un regard presque pesant, inquisiteur, il traque et cherche le plus petit signe de mensonge.
Vous ne seriez donc pas l’apollon avec qui on la voit parfois ?
Notre Capitaine n'a pas d'apollon, c'est une femme sérieuse, qui a des principes moraux, je ne l'ai jamais vu en compagnie de qui que ce soit.
Elle est même plutôt distante
Le brun était satisfait de lui fermer des portes. Est-ce que c'était vrai? Bien sûr qu'elle était quelqu'un de fiable. Pour le reste, c'était son jardin secret, qu'il respectait.
Il observait l'homme avec défiance. Ce sourire narquois qu'il avait sans cesse l'agaçait outre mesure.
La plume griffonne et passe un air froid dans la salle commune de la taverne. Réponses, sentiments qu’il éprouve face aux réponses qui lui sont faites, tout est inscrit consciencieusement.
On nous en a pourtant parlé… Quant à ce que vous appelez ses principes moraux, c’est à nous d’en juger…
D’ailleurs, va-t-elle à l’église ?
"On" n'est que rumeur.
Et de s'engouffrer dans la brèche.
Vous ne vous arrêtez pas à ce genre de ragot j'espère bien...
Quant à l'église, elle y va comme nous tous...
Il n'en savait foutre rien, mais il commençait à sentir la patience s'amenuiser avec le temps.
C’est curieux… nous sommes là depuis plusieurs semaines et je n’ai vu donner aucun office… D’autant que votre église, ici à Saumur, n’est pas ce qu’il convient d’appeler une bonne église aristotélicienne romaine… Vous comprendrez donc que je ne n’accorde aucun crédit à votre réponse.
Perfide, autant que son maître lui a appris à l’être, Gianluca note et annote ses pensées en marge.
Un sourire se dessine. Le combat est de bonne guerre. Il marque un point. Mais c'est mal connaître Merlain, qui ne s'avouait pas vaincu pour autant. Le regard se se fait dur, il ne tolère pas qu'on s'en prenne à ses proches. Il faut bien avouer qu'avec le temps, elle en faisait désormais partie..
Précisez votre question alors. Vous me demandiez "aller à l'église" et non "se rendre à la messe". Or, tout croyant et pratiquant que nous sommes, pouvons aller prier à l'église sans qu'office soit rendue.
Et paf prends ça !
Il cherche à comprendre pourquoi une telle enquête est lancée contre Fourmi. Ses pensées sont nombreuses, voire brouillons. Il tente d'anticiper ses questions, tout en la protégeant. Ses yeux ne le quittent pas, et finissent par le dévisager.
Je peux vous offrir un verre ou une tisane?
Hum…
Le garde hausse un sourcil et son regard se fait plus glacial encore. L’homme veut jouer avec les mots et semble sur la réserve tout en tenant de détourner son attention en cherchant à le faire boire.
Non merci…
La voix claque sèchement en réponse.
Merlain boit une gorgée, insensible au ton froid de son interlocuteur. Botter en touche était un échec. Mais il n'avait pas dit son dernier mot.
Comme vous voudrez
Selon vous, pourquoi votre Capitaine porte-t-elle la bure ?
Il déglutit. Sujet sensible. Il savait bien que cela lui attirerait des problèmes. D'autant qu'il se sentait responsable de l'habit qu'elle portait, puisqu'il lui avait lui-même fourni ses nouvelles bures, à sa demande. Raclement de gorge discret. Se ressourcer. Vite.
Et bien...La question adéquate serait davantage : "N'est-ce pas une large toge?"
Oui, c'était culotté. Mais son interlocuteur avait le don de le pousser dans ses retranchements rhétoriques.
Et la réponse a tendance à exaspérer le garde…
Ne tentez pas de prendre un représentant de l'inquisition investi, missionné, pour un lapin de six semaines ! Vous risqueriez de le regretter…
Tentative vaine de rattraper la situation.
Ah mais ne vous méprenez pas...ce n'est nullement mon intention.
Alors répondez à la question…
Les sourcils se froncent, menaçants, au dessus du regard de l’ascétique garde qui devient de plus en plus froid.
D'abord, je ne prenais pas ce vêtement comme tel.
Après, si l'on s'accorde à admettre que c'en est bien une, peut-être n'était-ce que pour décourager justement la gente masculine?
Par croyance aussi?
Des raisons, il en existe plein...lui avez-vous seulement demandé?
Il imagine Fourmi à sa place. Elle serait plus douée que lui à ce niveau, sans aucun doute.
Pour décourager la gente masculine... Il serait plus efficace de ne pas s'y frotter et il semble que ses choix de carrières la portent vers la compagnie assidue des hommes... C'est assez contradictoire il me semble...
Et pour l’instant c'est vous que j'interroge... Monseigneur s'occupe de votre amie proche, pas proche... quand l'occasion vous rend proche ou pas...
Il se fait volontairement provocateur, relançant l'idée d'une proximité entre les deux... Pour pousser l'homme dans ses retranchements.
Il se passe la main dans les cheveux, pour se laisser le temps de la réflexion. Les murs que le garde bâtissait dans son discours, il s'avérait que les fendre ne suffisait plus, il se devait de les détruire. Plus de demi-mesure désormais.
Petite précision, elle ne s'y frotte pas.
Et cessez votre dialogue ambigu et vos sous-entendus. Vous avez donc une vie si triste pour ne pas vouloir comprendre ce qu'est l'amitié?
Il sort de ses gonds.
Restez calme je vous prie… Et répondez aux questions posées.
Comment pouvez-vous dire qu'elle ne s'y frotte pas ? Elle qui passe son temps dans un campement militaire ou encore en taverne..
Merlain lève un regard dur sur lui.
Le fait qu'elle côtoie pour son travail des hommes ne signifie en rien qu'elle s'"y frotte" pour reprendre vos termes.
Elle aurait pu faire un autre choix de carrière…
Bon, puisque vous prétendez qu'elle ne fréquente personne… passons à la question suivante...
L'avez-vous déjà entendu parler d'enfants, de projeter d'en avoir... ou peut-être l'auriez vu vous grosse ?
Elle se dévoue à son duché, prête à donner sa vie en tant que capitaine, c'est tout a son honneur je trouve.
Pour ce qui est des enfants, jamais je ne l'ai entendu en parler.
Et quand bien même ce serait le cas, il se garderait de lui en parler.
Je le note…
J'ai cru voir qu'un nain roux était souvent à sa suite il y a quelques temps... son serviteur peut-être ?
Comme nombre de personnes, il a toujours imaginé les nains comme les serviteurs noirs des esprits malins.
Merlain .: c'est un ami...a-mi !
Il se fait insistant sur la prononciation.
Cette… chose curieuse… un ami…
Il en hausse une fois de plus un sourcil, presque amusé… Si ce n’était cette grimace de mépris qu’il ne peut réprimer.
Qu'une vie doit être triste sans cette chose que vous considérez comme "curieuse".
Quant à la petitesse de la taille, elle ne fait pas celle du cœur.
Revenons-en à la bure…
Vous n’êtes pas sans savoir que seuls les clercs de l’église aristotélicienne romaine sont en droit de la porter. Et elle n’est pas clerc… Pas même diacre… Rien que cela est un outrage manifeste à notre très sainte église.
Il acquiesce sans un mot, mais réplique aussitôt.
Pourquoi ne serait-ce pas un hommage a contrario ?
Parce que tout en elle est une offense à notre seigneur !
Le timbre toujours sec se fait plus emporté.
Non...cela est de votre interprétation
Elle respecte bien plus notre seigneur que beaucoup.
Et vous, vous semblez aveuglé par cette infecte affection que vous lui portez…
Ouvre la bouche avant de se résigner.
Une chose est sure, tout ce que vous me décrivez d'elle n'est pas elle...elle respecte la religion et ne blasphème pas.
C’est ce qu’elle veut faire croire !
Il a sourire cruel dessiné sur le visage le garde à cet instant précis.
J’en ai terminé avec vous je pense… J’ai tout ce dont j’ai besoin.
Il ne se démonte pas, et insiste.
Non vous la condamnez a priori, et ça c'est pas une impression.
La main de Gianluca tapote le livre qu’il vient de refermer, là où sont inscrites les réponses données, son ressenti…
Le juge inquisiteur le fera… Soyez sans crainte l’ami..
Le brun, impassible.
De la condamner?
Le sourire perdure sur les lèvres sèches du garde inquisitorial, d’une cruauté affichée haut.
Bien…
Votre enquete n'en est pas une dans ce cas...
A lui de s'aventurer sur son terrain, il ne se démonte pas.
Si jamais vous désirez revenir sur l’une ou l’autre de vos déclarations… Nous sommes au campement de l’armée… Nous la tenons à l’œil.
Merlain secoue la tête, et ajoute...
Je ne changerai rien. La vérité est bien loin d'une impression.
Il sourit a son tour.
Et elle ne diffère pas avec le temps.
La vérité… est une notion malléable selon la perception aigue que l’on a des choses…
Non...ça c'est une opinion...
La Vérité est, et restera. Elle est immuable, bien au contraire.
Nous verrons bien…
Le garde se lève, salue à peine d’un geste de la main, lourd de mépris et sort pour s’en retourner auprès de son maître.
Merlain le salue, le suivant d'un regard noir jusqu'à sa sortie, méfiant.