Un soleil énorme attise la fournaise d’une canicule immobile. L’air alourdi cuit sous la chape du ciel où filent quelques rares nuages écorchés. Les rues semblent dans une aura floue sous l’effet de la chaleur qui broie la ville.
Rien ne bouge. Pas une âme qui vive un tant soit peu. Sur le marché, les quelques étals fournis exhalent. Le soleil fait bouillir les entrailles des poissons et la brise ramène partout la même odeur de pourriture. L’astre de lumière cogne et cogne encore, toujours plus fort, implacable et il lui semble que les silhouettes quasi fantomatiques qu’elle croise se déplacent avec une lenteur inhabituelle, comme sous le poids d’une gravité plus forte.
Même les tavernes n’offrent pas le réconfort recherché. Aussi, après réflexion, la Fourmi finit par se résoudre à affronter la fournaise de ce milieu d’après midi andégave. Sous la bure, les gouttes de sueur qui dévalent le long de son dos et sur son ventre font coller sa chemise à sa peau. Et ce contact en devient irritant presque insupportable. Les tissus qui bandent sa poitrine deviennent un carcan qui l’oppresse et gêne sa respiration et elle peine entre les façades, officiantes passives de cette étuve qui l’accable, pour trainer sa carcasse jusqu’aux berges les plus lointaines du lac.
Au moins, grâce à cette escapade loin de Saumur, elle espère profiter tranquillement du lac. D’autant que c’est la seule distraction que la ville semble avoir à offrir. Elle voudrait arracher ses vêtements tant elle n’en supporte plus l’infernale moiteur du contact. Mais ses gestes restent lents, alourdis par l’écrasante chaleur. Equipement, besace, couches de vêtements tout rejoint le sol. Le coin ressemble au désert d’un monde alangui.
La mousse à peine humide sous ses pieds démarre le processus alors qu’elle jette un ultime regard en arrière, habitude oblige. Puis, la démarche presque fébrile, son opulente chevelure couvrant une partie de son corps, elle se rapproche de l’eau. La pointe d’un orteil effleure avec satisfaction l’onde tiède puis elle pénètre enfin dans le lac. Un pas, puis un autre, jusqu’à ce que l’eau lui arrive à mi cuisses… Un léger frisson de bien être remonte le long de ses jambes et rejoint son ventre, lui arrachant un sourire presque gêné. Les paupières se ferment et la seconde qui suit la voit disparaitre dans un plongeon.
Elle ressurgit une dizaine de mètres plus loin, continuant de nager à la recherche d’un courant plus frais. Sa carcasse apprécie la caresse prodiguée par l’eau, cette sensation de plénitude qu’elle éprouve comme toujours en se baignant, débarrassée de sa coquille. Là, tout est d’une simplicité éclatante. Pure sensation d’un bien être naturel, elle se laisse porter par l’eau, les yeux clos pour ne pas subir la violence du soleil encore trop haut pour elle. Le corps et l’esprit réunis dans la même sereine dérive. Puis elle nage dans ce petit bout de Loire.
L’eau est douce et apaisante. Elle joue de l’eau sur sa peau encore un peu avant de rejoindre la berge, laissant ses pieds s’enfoncer dans la mousse fraiche.
Le soleil toujours haut frappe plus fort le petit corps pâle qui ruisselle et attire ses rayons ardents. La brunette le laisse faire et va s’allonger sur un rocher de calcaire plat pour le laisser sécher sa peau. Etendue, paupières closes, elle laisse pour une fois ses pensées s’envoler sans s’attarder dessus, se prélassant au soleil comme un lézard, comme cela fait bien longtemps qu’elle ne l’a fait. Elle reste là, allongée dans e plus simple appareil, profitant de la quiétude savoureuse de ce moment d’une simplicité rare et pourtant évidente.
Peu à peu, la caresse de l’astre se fait plus chaleureuse. Les gouttes de sueur perlent et glissent en suivant un certain vallon creux, presque étourdi de cette liberté, et vont rejoindre son ventre et inonder son nombril. Dans un geste alangui, presque innocent, elle en joue du bout des doigts, les étirant sur sa peau avant d’en retracer le parcours en sens inverse. Ses cheveux noirs étalés autour d’elle sur la roche sèchent lentement, continuant de lui procurer la fraicheur nécessaire pour supporter la chaleur, jusqu’à ce que par crainte de la brûlure intense elle ne se tourne à demi, s’endormant sur le côté, bercée par le doux clapotis de l’eau.
Une sorte de demi conscience l’a fait se mouvoir suffisamment au gré de la lumineuse chaleur. Elle ne s’éveillera donc pas dans un état proche du homard. Quelque peu assommée certes. Par manque d’habitude. La peau presque étrangement dorée. Elle s’assied en tailleur, toujours aussi innocemment impudique, passant ses doigts dans sa chevelure pour la lisser à peine. A nouveau la sueur dévale monts et creux, dessinant des sillons humides sur sa chair. Elle sourit, étrangement bien, songeant à un méditant, puis plisse du nez sous les pensées qui l’assaillent et font rosir légèrement ses pommettes. Elle s’en mordille la lèvre avant de se lever.
Le jour décline avec autant que langueur qu’elle n’en met dans ses mouvements pour retourner à l’eau pour se délecter encore un peu de cette pause hors du monde et du temps. Tout juste quelques brasses. Elle ne rejoint pas le rocher, préférant sécher tout doucement à l’ombre offerte par l’abandon du soleil devant un long crépuscule. Les ombres s’étirent, immenses et fragiles, comme si le tissu du monde s’était tendu, usé, jusqu’à en laisser apparaitre la trame, chaque fil, aussi immatériel que fumée dans le vent. Les couleurs des feuillages, des rares fleurs se font plus sombres, plus chaudes et les blancs deviennent rose poussière. La lumière du jour prend à son tour la couleur d’un vieux parchemin doré.
Le disque orange du soleil n’est désormais plus qu’à une paume de l’horizon. Et elle ne bouge toujours pas, perdue dans ses pensées et le spectacle silencieux qui s’offre à elle, alors qu’elle lève les yeux vers le firmament où commencent à brûler de vieilles étoiles et où l’or s’altère lentement en argent. Il faudrait qu’elle se lève, se rhabille, mais elle est si bien là. Les doigts de sa main gauche se posent sur son avant bras droit. Elle suit des yeux leur course lors qu’ils remontent sur sa peau jusqu’à l’épaule pour la longer avec une langueur affolante avant d’imiter la course d’une perle de sueur, dévalant le voluptueux vallon avant de s’arrêter sur son ventre. La main s’y pose, marque un arrêt, le presse, caressante, affamée tandis qu’elle cherche à reprendre pied. Une longue inspiration, les yeux clos, une suivante, puis encore une jusqu’à chasser cet appétit féroce, l’annihiler.
Une fois chose faite, elle s’empresse de se lever dans l’obscurité relative de la berge, fouillant dans ses affaires pour trouver chemise et braies propres. Les bandes reviennent comprimer sa poitrine, écraser ce symbole trop féminin pour une Fourmi, puis une à une chaque couche de vêtement reprend sa place, enrobant la frêle silhouette d’une illusion de tissus, et en tressant sa trop longue chevelure un soupir finit par lui échapper.
La pause est terminée.