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[RP] La vérité pure et simple....

Axelle
... est très rarement pure et jamais simple.
Oscar Wilde



Elle avait quitté le Lyonnais sans se retourner, vite, le plus vite possible, délaissant un nourrisson dont elle ne connaissait que la déchirure du premier cri. Enfant à qui elle avait tout refusé, son regard, sa voix, son sein. Abandon ignoble, planifié, volontaire, accepté, auquel elle s’était pliée, presque goguenarde, jugeant que le prix serait insignifiant, s’estimant capable de n’être qu’une matrice, qu’un ventre délesté de tout sentiment. Comme elle s’était fourvoyée. Et quand elle avait compris l’énormité de son erreur, il était bien trop tard. Et dévastée, elle avait laissé le couvent de Lyon dans son sillage, ce tout premier cri résonnant entre ses tempes avec une cruauté sans pareil. D’une missive laconique, Alphonse avait été prévenu qu’elle partait en voyage. Pourquoi lui avait-elle écrit ? Pour simplement le prévenir ? Non, les choses ne fonctionnaient pas ainsi entre les deux amants prenant un soin tout particulier à garder leur liberté sans jamais enfreindre celle de l’autre. Cette missive résonnait de par sa simple existence comme un appel à l’aide strident. N’aurait-elle que signé une feuille blanche qu’il aurait compris. Elle avait tendu une main désespérée, il l’avait saisi aussi vite, évidence tacite. Et si sa réponse avait été aussi brève que sa propre lettre, son contenu l’avait surprise et encouragée comme rien. « Je vous emmène en voyage à la mer ». Ses pas s’étaient alors hâtés vers le nord. Vers la Champagne.

Citation:
Varennes, le six du mois de juillet.

Bonjour carnet.

Voila bien longtemps que je n’ai pas noirci tes pages et lors de ma dernière visite à tes feuillets, je sais t’avoir éborgné de bien des rectos et versos. Tu n’étais déjà pas reluisant avec ta couverture de vieux cuir râpé, te voici à présent hirsute de déchirures. Mais l’important, c’est que tu ne sois pas chauve et que je puisse écrire encore. Et là, sous ce prunier, l’envie m’a prise de te griffonner à nouveau.

Il fait beau, c’est agréable de rêvasser quand une petite brise me caresse la joue. Tu vas rétorquer que j’use tes dernières feuilles pour n’écrire que des banalités. Non, c’est que même seulement écrire la vérité pure et simple m’est difficile. A toi, à toi puis-je poser cette question qui me taraude et me hante ? Ne réponds pas, je me moque de tes arguments.

Comment va-il ? Comment va-il ?

Je crois qu’il va bien, sinon, je le sentirais au plus profond de moi non ? Dis-moi que mon enfant va bien, s’il te plait carnet. Dis le moi. Parfois, la question brule tant mes lèvres que je les ouvre face à Alphonse, et elle lutte, féroce pour franchir le seuil de ma bouche. Mais je la retiens. Que pourrait-il donc me répondre ? Rien. Ni lui ni moi ne mentons l’essentiel, et de cet enfant il sait encore moins que moi. Alors je clos mes lèvres et ne les ouvre que pour le taquiner et babiner. Et je crois que c’est très bien comme ça. Je crois d’ailleurs ne pas avoir besoin de lui en parler pour qu’il comprenne et sa simple présence est déjà tant.

Tiens, d’ailleurs, le voici qui arrive.

A plus tard carnet.

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Alphonse_tabouret


Varennes, six juillet 1461


Brienne était enfin derrière lui, derrière eux, et c’était en s’attachant à suivre la direction de la mer qu’ils avaient avancé le long des chemins, âmes en peine enfermées quasi tout du long de la journée dans un silence introspectif, dont ils sortaient, parfois au détour d’une halte, ou à la faveur de la nuit , lorsqu’ils rejoignaient une auberge au sortir de la journée. Axelle l’avait rejoint le ventre plat et il n’avait posé nulle question, comme il était de coutume au creux de leurs retrouvailles, monstres craintifs de leur propre noirceur quand ils s’attachaient à jeter aux yeux du monde, elle, la verve de sa beauté et de son franc-parler, lui, l’immuable stoïcisme dont les éléments s’acharnaient à vouloir le priver.
Il l’emmenait ailleurs et elle non plus n’avait posé aucune question sur ce départ aussi subit qu’inattendu de Brienne, de ce chez lui bâti à force d’efforts, loin de Paris et de la double vie que lui imposait son récent héritage. Elle savait la gitane, combien il était attaché à cette maigre chambre dans les dortoirs de la garde, elle savait pour l’avoir vu, l’attachement qu’il avait à suivre les ordres édictés lui qui s’amusait d’habitude à les appliquer en les contrariant aussi savamment que possible…
Un toutou auprès de sa maitresse…
L’image lui arracha une grimace et ses doigts se crispèrent brièvement quand un frisson désagréable lui courrait le long de l’échine. Une série d’images affleura à ses tempes, noyant tour à tour la gorge, les seins, les cuisses de la blonde duchesse dans un entrelacs diffus et délicieux de sensations auxquelles il ne s’attacha pas, brusquement nauséeux, sentant le courroux enfler à ses tempes.
Pour la première fois de sa vie, il s’était senti indigne… Quand, au petit matin il avait quitté l’alcôve où l’abandon avait été perpétré avec une démesure sanguine sans l’ombre d’un remords entre les deux amants, il avait rejoint ses quartiers, sans mesurer encore l’empreinte qu’avait laissée sur lui les cris d’extase de Sa Grace et ses râles jumeaux. Devant la porte de sa chambre, vêtu de ses habits de garde, s’apprêtant à toquer pour signaler sa présence, il s’était senti aiguillonné par la pointe d’une aigreur brulante, et à l’instant même où elle avait posé les yeux sur lui, ces yeux si joliment bleus dont l’azur s’éclaircissaient d’un sourire dès qu’elle le voyait, il l’avait haie, de toute la force de son âme, avec toute la violence de la déraison qu’il sentait désormais incrustée dans ses chairs. Ici, dans le cocon de Brienne, pour la première fois il s’était senti à l’étroit et un besoin de reconnaissance imbécile était venu lui bouffer les tripes avec l’avidité d’un molosse.
Maltea avait éveillé un penchant mâle mauvais et revanchard…

Et c’était Axelle, pourtant égarée elle aussi le long de pensées accablantes, qui retenait à son ventre cette humeur noire aiguisant si cruellement ses crocs au point de prendre la fuite pour ne point commettre le pire. C’était la gitane, qui pensant trouver en lui ce pont vers la vie, le sauvait de cet abime qui se profilait sous ses pas en goutant pour la première fois à l’envie du pouvoir le plus idiot. C’était la danseuse, malmenée par l’écho des souvenirs et les interrogations qu’elle portait jusque dans la prunelle, qui lui donnait assez de force pour panser ce qu’une autre avait écorné dans les confins d’un ailleurs…
C'était elle, encore, la chaleur tacite de sa présence, qui venait pirouetter, gracieuse, abimée, sous son nez et le distraire suffisamment pour énigmatiquement lui arracher un sursaut de volonté... Diable ou panacée miraculeuse, il ne se posait plus la question et avait accepté depuis les toits de Notre Dame, l'importance de ce coquelicot vaporeux dans sa vie.
Ses yeux se portèrent sur elle, courbes vêtues de rouge et boucles brunes languissant sur ses épaules fines, le nez tourné vers un ciel tacheté de lambeaux de couleurs d’un soleil couchant, lointaine, et tendant un bras vers elle, le passa à son cou pour l’attirer contre lui, la sortant de sa bulle d’un sourire sincère en sentant sa chaleur se diffuser à son flanc, s’extirpant de ce simulacre de paix dans lequel ils se plongeaient sans même s’en rendre compte et l’un et l’autre :


-« Si nous rentrions
? », proposa-t-il.

Non loin, Varennes, et ses hameaux et derrière, au loin, la suite de ce voyage.

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Axelle
Elle ronronnait, allongée sur le lit chamboulé. Un simple drap froissé jeté distraitement sur elle, se voulant défenseur de sa pudeur, ne révélait au contraire que davantage sa nudité par trop de lacunes sournoises. Sur ses lèvres flottait encore le dernier sourire qu’elle lui avait offert quand il avait refermé la porte de sa chambrée pour rejoindre la sienne, au creux du secret de la nuit redevenue paisible. Elle s’étira, paresseuse, sa peau brune encore vibrante de ses caresses, et sans même en avoir conscience, suça ses lèvres pour en extraire le gout de la langue qui y restait imprimée. Les cheveux étalés sur le traversin blanc, elle était sereine, apaisée comme elle ne l’avait pas été depuis bien longtemps. Le répit était délicieux et salvateur. Et assez bêtement, certainement, elle souriait au plafond qui jouait à se travestir des traits d’Alphonse. Elle avait voulu lui résister, quelle idée ridicule après s’être privée de lui tant de mois. Ses yeux étaient lourds d’épuisement, pourtant, sa main tâtonna la petite table de chevet à la recherche du carnet de vieux cuir noir et s’en saisit.

Citation:
Varennes, le sept du mois de juillet.

Bonjour carnet,

Quelques mots de la main d’une femme qui ce soir à tout oublié entre les bras d’un démon merveilleux. Demain nous partons vers l’Artois, mais ce n’est pas l’important.
Je voudrais te faire part de quelque chose qui m’a troublé. Alors qu’il ne savait pas mon regard posé sur lui, j’ai perçu quelque chose sur le visage d’Alphonse. Je ne sais pas ce que c’était. Je n’avais jamais vu cela dessiné sur ses traits. Mais j’en ai frissonné. Je n’ai pas aimé. Ca n’a duré qu’un instant, à peine saisissable, mais j’ai vu. J’ai vu et alors j’ai réalisé. Pourquoi part-il de Brienne ? J’étais tant engoncée dans mes propres pensées, dans mon égoïste tout puissant que la question ne m’avait pas même effleurée. Je n’en suis pas fière. Je me retranche trop et en oublie de le regarder lui. Je ne le ferrai plus.

Part-il car la Champagne est norme ? C’est vrai que c’est assez calme, trop calme comme province, mais il semblait se plaire au service de la Duchesse blonde. Je ne sais pas.
Il me le dira peut être, un jour. S’il en a besoin.

Enfin, la Champagne n’est pas si ennuyeuse, je suis injuste. J’ai fait la connaissance du maire de Varennes. J’ai beaucoup ri. Je repasserai peut-être.

J’espère avoir des nouvelles de Phelim. Je prie pour que ma lettre lui soit parvenue. Je ne pouvais pas partir sans lui demander de veiller sur l’enfant. Je n’arrive pas à croire que l’Ours puisse l’aimer et prendre soin de lui quand il est sorti de moi et que je suis tant maudite. Et si c’est une fille ? Et si elle me ressemble ? Moi qui lui ai craché à la figure que j’espérais qu’il en soit ainsi pour qu’il en crève à petit feu en la regardant chaque jour. Comme j’aurai aimé ne jamais avoir prononcé ces mots, me voici superstitieuse.

Mais ne veux pas y penser, pas ce soir. Ce soir je veux m’endormir dans mes draps froissés, pleins du parfum d’Alphonse et de son étreinte, pour m’en gorger et m’en nourrir. Pour pouvoir lui résister et mieux m’offrir à lui. Oui, lui résister demain, et après demain, et après après dem….



Un trait hésitant barra le reste de la page quand la main endormie retomba mollement sur le drap blanc, entrainant avec elle le carnet noir qui baillait sur l’écriture ronde.
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Axelle
L’idée avait semblé de prime abord des plus anodines et simples. Une envie, une lubie de boire du lait. Rien de bien compliqué quand les amants passaient leurs journées à musarder dans les champs où pacageaient placidement vaches et moutons, ne retrouvant l’agitation de la ville qu’au soir où chacun reprenait le secret de sa vie. Tout avait parfaitement bien commencé. Un vieux seau abandonné déniché dans les herbages bruissant des pâturages.
Le choix s’était porté sur le museau rosé d’une belle rousse au regard paisible, mais les oreilles assez vives pour chasser les mouches avec vivacité, ce qui pour les deux ignares en la matière semblait gage de qualité. Un rapide coup d’œil alentours leur avait assuré la tranquillité de la fourche d’un paysan mécontent de voir son bien dérobé, et bien que peu coutumier de ce genre de pratique, Alphonse s’était laissé entrainer dans un des travers de la Bestiole. Le chapardage. Passant la barrière de bois branlante, ce fut donc l’un amusé l’autre appliquée à montrer son art qu’ils s’étaient avancés vers la bête dont le masticage s’était étrangement arrêté à leur approche, le regard attentif fixé sur les intrus.

C’est à cet instant précis qu’ils apprirent que la première chose qu’il convient d’observer avant de vouloir traitre une vache, ne sont pas ses oreilles, mais que soient bien des pis qui pendent entre ses pattes. Et ce n’est pas cela que le jeune taureau avait entre ses cuisses. Vexé certainement de voir sa virilité malmenée au point d’être confondu avec une vulgaire génisse, son sabot ne frappa qu’un seul coup de semonce avant de foncer droit sur les aventuriers.

D’un geste brusque et vif, Alphonse avait saisi la main de sa comparse pour l’entrainer dans une course folle, et la Bestiole qui se targuait pourtant d’être rapide, se trouva stupéfaite de ne presque plus sentir le sol sous la plante de ses pieds, et ce fut en volant qu’elle passa la barrière. Ils coururent encore avant de s’affaler sous l’ombre d’un charme, essoufflés. Et sous le regard amusé du brun, la danseuse avait eu un mal fou à calmer le fou rire qui roulait dans sa gorge. Fourbus par la course effrénée, l’herbe avait été délicieuse sur leurs dos, quand déjà, chacun se replongeait dans le silence de ses pensées au gré du bruissement du feuillage et du clapotis de la rivière serpentant tranquillement en contrebas.


Citation:
Péronne, le douze du mois de juillet.

Bonjour carnet.

Je n’ai pas de nouvelles de l’enfant. Je prie pour lui, souvent. C’est peu, mais je ne peux faire que cela.

L’Ours n’a pas pris la peine de répondre à ma lettre. C’est peu étonnant. Surtout quand la diatribe appelait si peu à la réplique. Alors je ne dois pas être injuste ni surprise. Et puis, qui sait où je suis hormis Mephisto ? C’est finalement très bien ainsi. J’écrirai peut-être, plus tard. Même si l’angoisse me ronge, il me faut résister, ce serait tellement idiot de succomber après les efforts déjà fournis.

Je veux jouer.

A plus tard carnet.



Lentement son regard se posa sur le profil d’Alphonse plongé dans ses mystères depuis un temps qu’elle ne cherchait même plus à mesurer, les mèches brunes retombant, paresseuses, sur le fil de sa mâchoire si bien découpé. D’humeur taquine, elle l’arracha de sa retraite d’un baiser mutin au coin des lèvres et se releva d’un bon joyeux.


Apprenez-moi à nager !


Ordonna-t-elle gentiment dans un sourire suavement équivoque alors que sa main brune délaçait le cordon de sa robe. Doucement, lentement, le jeu reprenait sa place où chacun des deux duellistes excellait dans l’art de résister.

La Bestiole n’en savait qu’une chose, c’est que le soir venu, elle regagnait sa chambre pleine d’une frustration enivrante, si mordante que la pulpe de ses doigts, une nuit, avait du l’assagir. Un peu.

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Alphonse_tabouret
« Apprenez-moi à nager » avait-elle dit en portant ses doigts au cordon qu’il savait défaire d’un simple geste si l’envie lui prenait, le dénouant pour faire tomber au sol, la vaporeuse robe rouge qui cachait aux yeux du monde le corps gracile de la danseuse.
Il avait suivi, dans un sourire, le tissu choir, révélant dans un premier temps les seins joliment potelés de la gitane, se souvenant de leur gout sur le bout de sa langue et du gémissement d’Axelle quand il y aventurait les dents, refusant, fauve stoïque dont les sens devinaient une attaque en règle, de s’y attarder quand le vêtement poursuivait, implacable sa descente. Les courbes de ses hanches attirèrent son regard avant qu’il ne le laisse vagabonder du nombril à ses cuisses, passant à sa bouche étirée la pointe d’une langue volontairement provocatrice, sans se lasser de s’abimer quelques instants supplémentaires sur les jambes parfaites de la brune.
Il s’était levé sans mot dire, avait fait trainer les choses dans un sourire amusé, feignant la paresse en s’étirant longuement, d’un air hésitant que contredisait son sourire, faisant durer la scène pour le plaisir de la voir si adorablement nue encore un peu plus longtemps dans un écrin de verdure jusqu’à ce que trépignante, elle ne s’accroche à lui en faisant une de ces moues suppliantes auquel on résiste encore moins quand on sait depuis le début que l’on va céder à la demande. La chemise avait été ôtée, les bottes retirées, les braies délaissées, et le fauve, sachant pertinemment que le jeu pouvait lui échapper bien rapidement sans la distance et les vêtements pour priver l’autre des réactions les plus épidermiques, avait étiré le temps en chamailleries amusées, en badineries maitrisées jusqu’à ce qu’ils rejoignent l’eau.
De la leçon, il retenait la peau d’Axelle sur laquelle les gouttes d’eau scintillaient par intermittence à l’ombre des feuillus que le vent faisaient doucement tanguer d’une brise parfumée. Les mèches serpentines, d’Axelle, noires comme le charbon, alourdies par l’eau, lézardant sur sa peau, ses seins, ses cotes, encadrant son visage, lui conférant un air de naïade sauvage qui avait l’art de rendre faune. L’odeur de la rivière à cou délicat et coloré d’Axelle, quand elle s’accrochait à lui en jurant qu’un poisson énorme venait de lui mordre le pied. La bouche fraiche d’Axelle, quand la leçon s’était interrompue, dérapage faussement contrôlé mêlé au son clair du clapotis de l’eau. Les bras d’Axelle, brulants, venant à son cou quand ses cuisses lui scindaient la taille et que ses mains à lui s’appropriaient la courbe de ses reins après avoir couru sur chaque rondeur. Le corps fluet d’Axelle se collant au sien quand il l’avait adossée à la berge haute, l’odeur unique de la terre fraiche venant se mêler aux senteurs vertes et au bruit de l’eau qui ne cessait d’enfler autour d’eux. La respiration feutrée d’Axelle se suspendant une extatique seconde quand il s’était avancé entre ses cuisses pour s’y ficher pleinement, avide, raide d’un désir qu’il n’avait plus aucune envie de contrôler. Les mains fines d’Axelle l’empoignant quand la danse endiablée de leurs corps avaient commencé à les perdre dans le chaos de leurs désirs, occultant le monde autour d’eux. La gorge effilée d’Axelle tendue, brulante, déversant à son oreille la cascade de son souffle et sa délivrance quand il s’abandonnait définitivement d’une plainte subjuguée à l’osmose de leur étreinte…


Désormais sur la berge, séchés par la brise, toujours nus, les pieds trainant encore dans l’eau, le flamand brisa le silence nouvellement installé d’une remarque taquine et d’une moue faussement insatisfaite :

-A ce rythme-là, vous n’apprendrez jamais…

Dans quelques heures, ils quitteraient la rivière, les champs, sans lait, sans qu’elle ait appris nager, momentanément repus, plus forts pour relancer le jeu sur plusieurs jours avant de céder sans pour autant s’y attendre.
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Axelle
Leurs pas désinvoltes les avaient conduits dans un lieu des plus incongrus. Un de ces lieux où les hommes se devaient d’être tonsurés et les femmes empesées de voiles cachant le moindre de leurs cheveux certainement courts sous les coiffes. La journée avait trainé de silences lourds, rythmée par les seuls carillonnements des bourdons ponctuant le temps avec une méticulosité toute religieuse.

Tastevin.

Si la visite avait été une découverte pour les deux amants, ceux-ci, loin de se plier au respect qu’imposait les lieux, avaient farouchement opposé à l’austérité du cloitre prières sacrilèges et chapelets outrageux de caresses. Ils s’étaient menacés de prononcer leurs vœux ou de se tonsurer, échangeant les rôles dans de grands éclats de rires ricochant sur les épais murs de pierre. Définitivement, les grâces divines leur semblaient bien fades comparées aux délices de l’enfer, adorateurs impies des sens qu’ils étaient. La sagesse céleste n’était pas au menu du réfectoire.

Pourtant dans un élan surprenant de déférence, aux cellules ternes et sombres ils avaient préféré passer la nuit sous la lumière lunaire, bien plus libertine.

La lueur du feu volontairement modeste n’avait pas été longue à chasser d’un revers les dernières hésitations d’Axelle. Et elle qui étrangement, depuis qu’elle avait été surprise par un regard nuageux au travers du carreau sale de sa masure s’interdisait de danser, s’était levée.

Son sourire doucement s’était étiré, dessinant le croissant d’une seconde lune et ses yeux ardents de flammes orangées s’étaient fermés quand les voix de ses pairs avaient enflé entre ses tempes, rythmées du battement de son talon sur l’humus encore brulante du soleil de l’après midi. Ses bras fins lentement s’étaient élevés, hommage à la nuit, et la danse avait commencé, dure et envoutante. Ses mains s’enroulaient tels deux serpents amoureux, couronne improvisée aux boucles brunes virevoltant sous les ondulations de son corps qui se cambrait et s’étirait, souple et sévère. Ses yeux, plus noirs que la nuit s’étaient rouverts, vifs, grands, emprisonnant Alphonse nonchalamment accoudé pour agacer les flammes d’une branche sèche, ne daignant le libérer que pour tourner sur elle-même, revenant l’emprisonner encore davantage à chacun de ses pas. Ses bras, dans des arabesques endiablées, tranchaient l’ombre de rouge, trahissant sans pudeur ses jambes nues entrainées dans la danse cadencée de ses hanches. Elle renouait avec ce qu’elle était, elle, sous le seul regard d’Alphonse.

Et même si quelques jours plus tard ils passeraient les frontières normandes, les cris devenant pleurs lointaines perdues sous des flots de pensées disparates, dans les pages du carnet noir, plus rien n’était inscrit, son regard moins soucieux de lorgner derrière elle.

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Alphonse_tabouret
La danse d’Axelle avait brulé son cerveau, tyrannisant son imagination dans les flammes endiablées du feu de camp allumé sur les terres artésiennes, et il avait emporté dans ses rêves, les lambeaux rouges des braises se mêlant au tissu écarlate de la danseuse, le rythme sourd et vibrant de ses pas pourtant si légers tonnant jusque dans la terre…
Longtemps auparavant, une vie parfois lui semblait il lorsqu’il jetait le regard vers les mois écoulés, au son d’une calèche jetée à vive allure vers Paris, la gitane, lovée à son flanc, lui avait promis une danse, un jour, et il l’avait attendue, pensant égoïste imbécile, gonflé de cette arrogance de ceux que la vie n’avait jusqu’alors égratigné qu’en douceur, sournoisement, grignotant la résistance sans jamais oser se fracasser dessus, que la façon dont son corps se fichait au sien au rythme de leur folie était la danse promise. Il avait compris, ce soir-là, non loin des murs de Tastevin, qu’Axelle n’avait jamais dansé, vraiment, comme elle l‘avait fait à cet instant ci. Abandonnée, fiévreuse sous son regard mais plus encore sous celui du ciel piqué des scintillements clairs des étoiles, elle avait respiré de tout son être, de tout son corps, et le flamand, saisi par l’apparition, s’était retranché, méfiant de cette magie qu’il n’avait encore jamais observé, derrière le masque du spectateur à repaitre, choisissant de ne pas se cacher, juste de se préserver.

La Normandie était enfin apparue, et avec elle, la promesse de l’arrivée future, et le jeune homme avait retrouvé non sans une certaine appréhension, le gout salé du vent longeant les cotes jusqu’à ce que l’amertume ne la remplace violemment au détour d’une halte et d’un message le trouvant à l’auberge où ils s’étaient arrêtés.

Il avait noyé tant que possible durant ce voyage , la colère que Brienne avait allumé dans son ventre et l’écriture élégante de la petite déesse à cheval trouva à la cingler à peine son équilibre repris. Il avait imaginé mille fois son visage à la lecture de ce mot d’adieux, abandonné, impersonnel à une main étrangère pour qu’elle la lui délivre, et avait parfois cru pouvoir discerner la lueur du regret dans les expressions dont il la parait, peu téméraire lorsqu’il s’agissait de croire en l’autre, mais il n’aurait pas cru avoir une réponse… Et quand elle fut sous son nez, il crut une seconde, dans un espoir naïf qu’il maudit avec toute la foudre dont il était capable par la suite, que ce courrier pourrait lui arracher un sourire… mais ce fut la bile amère de l’exaspération la plus incompréhensible qui fourmilla à ses veines , encaissant les mots durs lancés par la blonde duchesse, et la chair gorgée d’une noirceur brulante, il avait répondu au courrier avec la cruauté de ce sarcasme horripilant qui nait de la vérité.

Le lendemain, il s’était présenté à la porte d’Axelle pour venir la chercher, les yeux encore cernés d’une nuit envolée au creux de plaisirs alcoolisés, les cheveux désordonnés, vaguement apprivoisés d’une main, l’odeur du calva flottant encore, imbibée à ses lèvres, sachant ce qu’elle lisait dans le froissé de ses vêtements, dans l’œil momentanément assagi du fauve, et il ne doutait pas une seconde, confiant, sans se l’expliquer, qu’il n’y aurait nulle trace de reproches dans ces yeux d’amandes noires, qu’elle savait que ces pulsions-là ne s’abandonnaient pas au creux de bras auxquels on tient, mais qu’on les réservait à ces autres, dont le chemins effleuraient à peine le vôtre.
La route avait reprise, et le flamand s’était surpris à faire les frais d’une bonne humeur dont il ne songea pas à en chercher la source, bien incapable de s’avouer satisfait de la colère partagée de Maltea, de cette hargne que la frustration avait faite exploser au lendemain des vœux silencieux que leurs corps avaient porté jusqu’à l’épuisement et qu’il savait désormais jumelée à celle de Sa Grace. La noirceur que l’italienne avait fait naitre avait trouvé à se repaitre, satisfaction malsaine et pleine dont il ignorait encore l’emprise future qu’elle aurait, et , satisfaite, avait laissé sa place sans aucune difficulté à la légèreté dont Alphonse se repaissait au côté de la gitane.
Venant cueillir les épaules de la brune d’un bras, ils avaient avancé, le cheval au pas à côté d’eux, sur les chemins normands, enfants portés par l’absolue nécessité de ne plus penser à rien d’autre que ce qui n’existait pas encore, écumant leurs envies pour mieux les déverser. Deux jours plus tard, le vent de Fougères retentirait de leurs palabres nocturnes, de leurs jeux épicés, et d’un oubli salvateur à tout ce qui avait composé ce passé triste et gelé, au travers de leurs gorges fiévreuses et de leurs corps avides, accolés au mur d’une petite taverne bretonne.


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Axelle
Les embruns de Vannes narguaient leurs narines et pourtant, malgré tous ces jours dont elle garderait le souvenir cajoleur du parfum de l’herbe et de sa peau, Alphonse n’était parvenu ni à lui apprendre à nager, et encore moins à chevaucher.

Il s’était montré d’une sournoiserie désarmante tant elle était amène, allant jusqu’à mentir en affirmant sans honte qu’il préférait marcher, galéjade démentie d’une lueur taquine ondoyant dans ses prunelles. Pourtant, régulièrement, malgré les efforts fournis, il leur fallait bien grimper sur la terrible bête hennissante. La Bestiole alors ancrait ses bras à la taille du brun avec une force surprenante pour une si frêle chose, enfouissant son visage dans les mèches brunes de sa nuque, les yeux fermés si fort qu’elle en voyait des tâches colorées danser. Et perchée sur le canasson, si elle en profitait honteusement pour s’enivrer de son odeur légèrement musquée, elle se tenait si rigide, si tendue, que ses courbes postérieures hurlaient rapidement à l’assassinat. Et souvent, le soir, trop orgueilleuse pour admettre l’infamie portée à ses augustes rondeurs, elle se contentait d’arguer ne pas être une mauviette pour éviter de s’asseoir quand ses paupières lourdes de sommeil la trahissait pourtant. Bien naïve qu’elle était de se croire assez finaude pour tromper le Flamand. Et c’est à l’ombre d’un pommier, bras tendus et sourire irrésistible d’une moquerie attentionnée qu’il avait présenté son cadeau. Un petit coussin rouge. Moquerie s’il en était, encore pimentée de pompons burlesques et dorés aux quatre angles. Présent reçu dans des grognements faussement révoltés qui, avant de rendre les chevauchées moins douloureuses, avait accueilli leurs têtes encore grisées des remerciements revanchards pour finir endiablés et fiévreux qu’elle lui avait présentés.

Les jours s’égrainaient ainsi dans une bonne humeur contagieuse, néanmoins, certains matins quand il venait la tirer de sa chambrée, froissé et désordonné, ses sourcils se fronçaient doucement d’inquiétude, connaissant parfaitement le pourquoi profond de sa mine tirée. Pourtant, ses lèvres restaient immanquablement clauses de toutes questions, et c’était finalement sur le manque impardonnable d’œufs au petit déjeuner qu’elle le houspillait gentiment. Ses heures glissaient dans un oubli cotonneux dont elle continuait pourtant à se demander s’il était définitif ou si la distance entre Embrun et les sabots de l’abominable équidé n’était qu’un simple leurre. Mais réfractaire tenace, durant leurs pauses, quand Alphonse rejoignait ses pensées, elle dessinait des heures durant tout ce qu’elle voyait, dérivatif parfait pour ne plus rechuter dans une mélancolie qu’elle abhorrait.

Les embruns de Vannes narguaient leurs narines, et Axelle, consciente que ce voyage insouciant et frais comme rien resterait ancré dans son souvenir, se prenait parfois à espérer que la ville recule en cadence avec l’avancée de leurs pas…

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