Le port était animé en cette journée. L'inauguration qui marquait la fin des travaux avait attiré du monde, et après des mois et des mois où les quais avaient été martelés par les pas lourds des ouvriers, mouillés par la sueur des travailleurs, c'était désormais l'évanescence légère des pieds invités qui effleurait le lieu flambant neuf, nettoyé de frais. La responsable de ce grand ménage, qui avait transformé un chantier poussiéreux, où l'on respirait sciure de bois et remugles de transpiration, en un endroit festif à ciel ouvert, était sans nul doute Hulrika.
Elle qui n'aimait rien tant que maintenir des locaux en bon ordre, organiser bureaux, salles, et autres tours de vigie, avait trouvé avec le port son premier vecteur d'investissement dans la vie publique. Arthur savait qu'elle y avait mis beaucoup d'elle-même, qu'elle avait fait preuve de ses talents et de son énergie singulière. Elle avait donné un second souffle à une institution qui semblait péricliter, et surtout, elle avait réalisé le tour de force d'y associer la municipalité de Moulins, qui en avait été soigneusement mis à l'écart jusque là, volontairement ou non.
Plusieurs conseillers ducaux étaient déjà présents, ainsi que la duchesse, Mathilde. A grand seigneur, grand honneur, c'est elle qu'il alla saluer en premier. Jouant la carte du sujet respectueux, il s'inclina bien bas, sourire en coin malgré tout.
Votre Grâce, quel grand honneur de voir vos pieds bénis fouler notre sol moulinois.
Puis bon, parce que les mondanités, ça va bien quelque temps, il posa une bise sur la joue de porcelaine de la duchesse.
Ravi de te voir ici, Mathilde. Je vois que ces quatre mois de Grâce te vont plutôt bien au teint.
Aux côtés de la Duchesse se trouvait lautre maîtresse des lieux, la nouvelle Maîtresse Incontestée, même, la compagne dun de ses vieux amis, et surtout, surtout, la maman de sa filleule. Elienore. Nouvelle bise sur nouvelle joue.
Bonjour Elie. Tu es magnifique, tu sais. Si ma filleule sépanouit de manière aussi jolie que toi, son vieux parrain a du souci à se faire. A dire vrai, si les fleurs se mettaient à marcher le long des routes, on les appellerait Elienore et Adelys.
Et oui, on avait beau être un sage respecté, on aimait encore à complimenter les jolies femmes. Et pour le coup, Arthur nen avait pas fini, sil devait en juger par le petit tour dhorizon quil fit. La gent féminine présente sétait parée de ses plus fastueux atours, et ses membres rivalisaient délégance. Et puis il y avait Hulrika. Non pas que la jeune femme manquât délégance ou de beauté, au contraire, elle avait cette beauté farouche et un peu sauvage, cette féminité faussement rustre et pourtant dune délicatesse bien cachée, quArthur avait souvent croisées. Mais elle dénotait clairement au milieu de la beauté apprêtée des autres femmes présentes.
Elle saffairait pour lheure à accueillir le Voitloin, et surtout lun de ses passagers, son bien aimé Pator. Quoi que, comme elle en parlait parfois, on eût pu le surnommer le mal aimé. Mais mal ou bien, lessentiel était dêtre aimé, non ?
Et alors que laccostage se terminait, la petite foule se rassemblait. Et, sûrement, lheure du discours se rapprochait. Parce que oui, il avait beau ne plus être maire de sa ville dadoption, lorsquon associait « discours » et « Moulins », immanquablement, on pensait à lui. Jetant un coup dil à Albine, la CaMGT en exercice, et donc certainement celle qui était maîtresse de cérémonie, il attendit le signal du début des hostilités. Des festivités.
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"Je vivais à l'écart de la place publique
Serein, contemplatif, ténébreux, bucolique."