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[RP] Que l’Sans-Nom patafiole tous les Lebergier d’la terre

Minah
[Paris, quelque part, un jour, encore filé en douce pour éviter les corvées]

Les doigts courtauds se promenèrent une énième fois sur la missive, comme pour appréhender chacun des grains du mauvais papier.
Il était rare que la petite bête reçoive des lettres, et plus rare encore que celles-ci ne finissent pas en papier-du-p’tit-coin-derrière-les-buissons. Il fallait dire que Minah ne savait pas lire. La personne qui lui avait envoyé le pli ne le savait pas non plus. Elle avait probablement payé un écrivain public moins cher encore que celui qui l’avait lu pour l’estropiée destinataire.

La manchote avait fait répéter chaque mot tant de fois qu’elle savait par cœur ce qui était couché sur le parchemin bon marché. En substance, cela donnait quelque chose comme ça…



Chére Mina,

Jai plu d’argen que tu ma laissé en partan é tu men a pa envoyer dautre. Tu mavé pourtan di que tu seré bien payer au service d’une noble. Tu t’est pas fait couilloné pour la paye, dit-moi ? Ou tu veu laissé creuver ta vieille mémé adoré ?
Jai tous dépenser en gnole et pis pour la petite monnaie qu’il faut donné en sortant de la maison toute fermé avec des jeunes messires dedans. Maintenant je m’ennui.
J’oré mieu fé de resté au village, je suis sur que ta mère maurait caché dans la cave, le prêtre maurait pas trouver.
Puisque c’est comme sa, je vais te rejoindre ou tu travaille, sa te fera les pied. Et si je meure en cheumin, Dieu t’enverra chez le San-nom et les fées te mangerons les yeux.

Gros bisou

Mémé Glaviotte


Gros soupir. La famille, c’était vachement encombrant parfois.
Quand elle était entrée au service de la Rouge, la Châtaigne avait laissé mémé dans le Maine, se disant que la vieille l’était trop pour un long voyage de plus.
L’ancêtre Lebergier lui faisait payer sa jeune condescendance. Même de loin, elle savait être insupportable.

Et comment Minah allait-elle faire, si mémé Glaviotte mettait ses projets à exécution ? Comment expliquer à la patronne, rapiate comme elle l’était, qu’il y aurait une bouche de plus à nourrir et qu’en plus c’était une bouche utile à rien d’autre que chanter des chansons cochonnes ?
Peut-être pouvait-elle convaincre m’dame Scath que c’était une gardienne parfaite pour le futur moufflet ? Elle ne pouvait pas donner la tétée, voilà tout.

Horripilée, la manchote fourra la lettre dans sa besace.


Rah ! Que l’Sans-Nom patafiole tous les Lebergier d’la terre ! Grogna-t-elle en tapant du panard sur le pavé. Puis, se souvenant qu’elle était dans le tas, elle ajouta : surtout les vieilles biques libidineuses… !
_________________
Adalasie
[Paris, dans l'un des nombreux quartiers marchands]

    Après plusieurs jours de voyage, elle était enfin arrivée. Paris ! La capitale du royaume, lieu incontournable pour tout voyageur. Enfin elle allait pouvoir découvrir ses innombrables ruelles, croisez des visages une fraction de seconde avant qu'ils ne disparaissent à tout jamais, respirer les odeurs nauséabondes des fèces étalées sur le sol et fouiner dans tous les recoins à la recherche de trésors sur les étals. Une belle journée s'annonçait.

    Ce jour là, elle était venue chercher de quoi s'habiller convenablement. Avec la somme qu'elle avait obtenue de la vente de son champs de blé, elle espérait trouver des braies et une chemise indénichables sur le marché de son village. Se balader en haillons qui partaient en lambeaux, ce n'était plus possible.

    Son regard balayant d'un côté à l'autre les rues qu'elle empruntait, Adalasie avançait d'un pas nonchalant. Il y avait tant de choses à voir, elle n'était pas pressée. C'est là qu'elle l'aperçu : une magnifique houppelande brodée avec de petites perles tout le long de l'encolure. Fascinée, elle entra dans la boutique et passa sa main sur le tissu d'une incroyable douceur.


    Que c'est beau, si seulement je pouvais en avoir une...Se dit-elle à voix haute.

    Un rire gras se fit alors entendre derrière elle. Se retournant elle tomba nez à nez avec un gros bonhomme au regard lubrique.

    Alors ma jolie, on veut se vêtir comme une Dame ? Puis, lui attrapant le menton, il glissa sa seconde main sur la croupe de la brune. On peut peut-être s'arranger ? Hein, qu'est ce que tu en dis ?

    Pour une fois, elle avait parfaitement compris ce qu'il voulait, ce n'était pas la première fois qu'elle était dans ce genre de situation. Le considérant de son regard perçant, elle le détalla un instant avant de répondre :

    Non, tu es trop laid et tu risquerais de m’étouffer sous ton poids.

    Et hop ! Moins d'une seconde après l'expression du pourceau passa d'un sourire amusé à une vilaine grimace.
    Et paf ! Une main qui se lève, une jeune fille -déjà bien rodée à l'exercice- qui esquive, un imbécile qui beugle en s'éclatant la main sur le mur derrière.
    Et vlan ! Un très élégant lancé de pied dans les bourses.


    Attrapez-moi cette chienne ! Hurla le bougre, devenu rouge comme une écrevisse, qui commençait à trembler de colère.

    Ne voulant pas finir méchamment amochée, Adalasie ne réfléchit pas à deux fois avant de prendre la poudre d'escampette. Il fallait qu'elle sème les deux colosses lancés à sa poursuite alors elle se glissa dans la foule. Tout en slalomant entre les passants, elle jetait des coup d’œils derrière pour vérifier qu'ils ne l'avaient pas rattrapée.

    Plusieurs longues minutes après, elle bifurqua dans une ruelle moins peuplée et s'arrêta derrière une charrette pour reprendre son souffle.
    Soufflant comme un bœuf, complètement en nage, elle entendit une voix féminine s'exclamer :


    Citation:
    Rah ! Que l’Sans-Nom patafiole tous les Lebergier d’la terre !


    Interloquée, elle marqua un temps d'arrêt et stoppa sa respiration. Avait-elle bien entendu ? Lebergier ? Impossible, ils n'avaient jamais bougé leurs fesses de la foutue montagne où elle avait grandi ! Qui pourrait les connaître ici ? Les insulter, ça d'accord, mais fallait déjà les connaître pour ça.

    Citation:
    surtout les vieilles biques libidineuses… !


    Là, il n'y avait plus de doute, Lebergier plus une vieille bique, ça ne pouvait qu'être la mémé Gaviotte. S'approchant de la chose qui venait de prononcer ces mots, elle lui agrippa l'épaule et tira pour la faire pivoter tout en se plaçant devant elle :

    Qu'est-ce que tu viens de dire toi ? Répète !

    Regard dur, sourcils froncés, souvent il n'en fallait pas plus pour faire parler les plus jeunes qu'elle.

_________________










Minah
Quelque chose. Epaule. Je répète. Quelque chose. Epaule. Alerte. Alerte !



Une main.



Ça ne pouvait être que ça. Les crottes de pigeon n’étaient pas si lourdes et vous aviez une ombre au-dessus de la tête quand elles survenaient.
La hiboutée de la cervelle n’y était certes pas accoutumée, mais pendant que la paluche inconnue l’astreignait à se retourner, elle trouva le temps de réfléchir à toute vitesse.
De se poser tout plein de question. Et de crever de trouille par la même occasion.

Le monstre. C’était le monstre, ses longs doigts noueux comme de vieilles branches tout enchiffonnés de lambeaux souillés. Le monstre et sa face rongée, ses grand yeux fous. Le monstre dont les lèvres s’ornaient de croûtes sombres. Le sang de Minah. Le monstre qui avait faim. Encore, toujours faim.
Ou, presque aussi terrible, un homme. Un gros costaud en mal d’action trompant son ennui en cognant une môme qui avait l’impudence de porter une arme au côté ? Le fils de chien de Bourgogne qui n’avait pas fini sa besogne ? Ou bien ce ruffian de Gouape que la Rouge avait envoyé mander son écuyère préférée, et qui profiterait de l’absence de leur maîtresse commune pour lui foutre une torgnole ?
L’esprit étriqué de la manchote faisait un tour d’horizon de toutes les possibilités, souvent plus improbables mais toujours plus terrifiantes les unes que les autres.

Enfin, la petite bête fit face à la personne qui l’avait abordée. Une jeune femme, à peine plus grand qu’elle et pas tellement plus grosse.
Gros, gros soulagement. Et la nature belliqueuse de l’animal reprit immédiatement le dessus, maintenant qu’elle ne voyait en l’importune qu’une menace mineure. D’un brusque geste, elle se dégagea de la poigne de la gueuse et la jaugea avec une méfiance bourrue.


Quoi, c’que j’viens d’dire ?! Ça t’regarde, p’têt ?

L’unique patte se porta machinalement à l’épée, plus pour appuyer son courroux qu’autre chose.
Mine de rien, elle détailla de nouveau la fille qui lui faisait face. Il y avait quelque chose chez elle de vaguement familier, mais l’estropiée n’arrivait pas à mettre le doigt dessus.
Les yeux, la ligne de la mâchoire, la tignasse ? La posture, la courbe des oreilles, peut-être ? Impossible à dire. Et de fait, légèrement agaçant.


C’pas poli d’écouter les gens comme ça dans la rue !
Et pis… Et pis qu’est-ce ça peut t’faire c’que j’dis sur les Lebergier ?! C’ma famille, j’les envoie patafioler ‘vec qui j’veux, d’abord…


Prononcée dans un grognement, lippe boudeuse, la dernière sentence semblait presque sortir d’une enfant prise en faute.
_________________
Adalasie
    Le visage toujours de marbre, la main agrippée à l'épaule de l'inconnue, elle recommença à respirer plus silencieusement. Son pouls avait enfin décéléré et le léger filet d'air frais qui s'engouffrait dans la ruelle la rafraîchissait.

    Elle pouvait maintenant se concentrer sur le minois de la gamine qu'elle avait en face d'elle :
    Une brune, yeux marrons. Pas plus grande qu'elle. Environ son âge, peut être un peu moins. Plus costaud qu'elle, m'enfin, ça ce n'était pas très dur.
    Ces traits, ce nez, ces yeux, elle les avait déjà vus. Il y avait quelque chose de familier chez cette petite.
    Cependant, l'exploration de sa mémoire passant en revue toutes les trombines croisées s'arrêta brusquement. Quelque chose venait d'attirer toute son attention. Et ce quelque chose qui provoqua un blocage de plusieurs secondes, ce fut l'espèce de truc momifié qu'elle portait sur la tête. Ses yeux restés fixés sur l'animal mort, elle ne prêta pas attention au geste brusque de la môme qui la déséquilibra.
    Faisant deux pas en arrière, elle se rattrapa à la charrette toute proche un peu sonnée.


    Citation:
    Quoi, c’que j’viens d’dire ?! Ça t’regarde, p’têt ?


    Revenant sur Terre, Adalasie se reconcentra sur la môme qui avait pris un air pas très sympathique. Et qui plus est, était armée !

    « C'est pas possible, je vais me faire découper avant la fin de la journée moi. Et puis, c'est de la faute de c'te gamine, elle patafiole n'importe qui et ça marche ! Foutu Sans Nom, v'la qu'il se met à écouter des mioches ! » Ses pensées ne la réjouissaient pas vraiment, elle aimait bien chacun de ses membres.
    Ses jambes qui la portaient sur les chemins, ses pieds avec leur odeur à assommer un ours après une journée de marche, ses bras qui la hissaient aux arbres pour la nuit, ses petites mains qui se glissaient si facilement dans les bourses quand elle avait besoin de manger, sa tête -bien que bizarrement foutue d'après les autres- et tout le reste qui allait avec !

    Nan ! Elle resterait entière, elle l'avait décidé. Si le plan A du regard-méchant-de-le-mort-qui-tue n'avait pas marché, il fallait passer au plan B !

    Plan B : Calmer la sauvageonne.

    Étape 1 : Sourire, ça donne un air gentil à ce qu'il paraît.
    Étape 2 : Dire pardon ou qu'on est désolé. Ils y croient tous.
    Étape 3 : Trouver une explication bidon. Si elle aime pas les Lebergier, ne pas dire qu'on est une Lebergier.
    Étape 4 : Si les précédentes étapes ont échoué : COURIR.


    Citation:
    C’pas poli d’écouter les gens comme ça dans la rue !


    Adoptant son sourire en cours de perfectionnement, elle répondit :

    Désolée, je ne voulais pas te faire peur. Je... Euh... Jackpot, panne d'inspiration. Euh...

    Citation:
    Et pis… Et pis qu’est-ce ça peut t’faire c’que j’dis sur les Lebergier ?! C’ma famille, j’les envoie patafioler ‘vec qui j’veux, d’abord…


    Plan B : Annulé.

    La gueuse marqua un temps d'arrêt et tenta d'analyser la situation. Reprenons calmement depuis le début.
    Une brune, plus jeune, visage familier, famille Lebergier, qui parle d'une vieille libidineuse... Contact entre deux neurones...


    Nan !

    Silence. Observation de la môme à nouveau. Sourcil qui se lève.

    Minah ?! C'est toi ?!

    Alors là, elle en restait bouche bée. Si c'était bien sa frangine, c'était un sacré coup du destin.

_________________



































Minah
Mam’zelle hibou crevé s’était remise à dévisager l’autre brune, sans plus prendre la peine de s’en cacher.
Bouche légèrement béante, un peu de salive qui lui sourdait au coin de la lèvre. La réflexion, visiblement, lui demandait des efforts plutôt ardus.
Derrière l’air fruste, la gueule cassée et la crasse se dissimulait encore une môme haute comme trois pommes et une noisette, excessivement curieuse et pas très futée qui oubliait trop vite les airs féroces qu’elle se donnait quelques instants auparavant.
Parce que n’empêche, c’était vachement intriguant tout ça… Presque, elle y était presque. Elle avait la bouille de cette fille au coin de la cervelle ! Plus qu’un effort et ça y était.
Quelqu’un qu’elle avait croisé lors d’un de ses voyages ? En Touraine, dans le Maine ? A Toulouse, peut-être ? Quand elle trainait avec la p’tite Marine ? Pendant les guerres… ?

L’inconnue s’était mise à sourire.
La petite bête s’efforça aussitôt de reprendre contenance, fermant le bec et fronçant les sourcils.
Vexée. C’est qu’on se fichait de sa fiole, en plus de l’espionner !


« Nan ! »

Nan quoi ? Nan, elle pouvait pas patafioler qui elle voulait ? Pff ! Et pis quoi encore ! Comme si elle allait se gêner ! C’était pas comme si ça avait déjà marché un jour.
Silence, durant lequel la cervelle minahesque cogita de nouveau sur l’énigme du brin de gueuse face à elle puis se lassa et alla vagabonder dans des sphères connues d’elle seule, peuplées de bestioles mortes et de baston.
Et…


« Minah ?! »

Plop ! Font les rêveries qui se brisent.

Minah ? Elle avait bien dit Minah ! Cela voulait bien dire qu’elles se connaissaient ! Ou alors…
La connexion entre deux neurones était encore plus chaotique et douteuse chez la cadette que chez l’ainée. L’esprit de N’a-qu’une-patte analysa les différentes hypothèses possibles, en prenant bien soin d’éliminer les plus sensées.
- L’étrangère l’espionnait depuis longtemps déjà et se renseignait sur sa personne afin de prendre machiavéliquement sa place
- C’était une sorcière maléfique qui voulait lui jeter un sort et il fallait la brûler
- C’était Sainte Boulasse et dans ce cas, il fallait lui témoigner le plus grand des respects (et lui demander un peu de rab de cette viande dans l’espèce de machin blanc)
- C’était quelqu’un qui venait de son village natal et qui… Pardon ?!

La face de la petite écuyère s’éclaira. Enfin. Il était temps, me direz-vous.


A… Ada ?!

Adalasie, la grande sœur toujours en vadrouille, qui disparaissait des jours entiers et qui un jour avait fini par ne pas revenir.
L’estropiée s’en souvenait parfaitement, à présent. Après son départ, m’man lui avait interdit de s’éloigner du village, ne voulant pas perdre une autre fille.
Minah avait trompé son ennui et sa frustration en jouant les terreurs avec les garçons du coin. Et puis après, une autre frangine, Marie, était revenue toute rondie à la maison et avait déclaré avoir été engrossée par les fées. P’pa lui avait donné la ceinture jusqu’à ce que Marie avoue avoir joué dans les meules avec l’apprenti du rempailleur*. Du coup, Minah avait été interdite de sortie parce que m’man ne voulait pas d’une deuxième fille avec un polichinelle dans le tiroir.
Depuis, la benjamine se méfiait vachement des grandes sœurs. Quand elles faisaient quelque chose, c’était toujours sur elle que ça retombait.

Retrouver la frangine aux pieds voyageurs, c’était à la fois étrange, inquiétant et plutôt marrant.


Ben ça alors ! On t’croyait bouffée par un ours !


De typiques retrouvailles entre Lebergier. Tant d’émotion.




* Minah la comprenait d’avoir menti. L’apprenti du rempailleur était vraiment vilain, tout maigre avec une pomme d’Adam qui lui faisait un cou de cigogne, un nez énorme et assez de boutons pour en faire un élevage. La honte de s’être fait tripoter par un type pareil.
_________________
Adalasie
    Pour un observateur extérieur, la scène devait être un régal ou tout du moins bien cocasse.
    Deux gamines qui se regardent dans le blanc des yeux, l'air hagard. Ne sachant pas trop si elles doivent se méfier l'une de l'autre ou écouter la petite voix dans leur tête qui leur répète : « Réfléchis, tu l'as déjà vue. », « Ce visage ne t'est pas inconnu, cherche ! ».
    Des frangines qui, malgré une longue séparation, ne se reconnaissent pas dès le premier regard, il y a de quoi casser le mythe des liens du sang...

    Adalasie, jusque là avachie sur la roue de la charrette s'était redressée comme animée d'une énergie nouvelle. Si elle ne s'était pas trompée, elle venait de tomber nez à nez avec l'une des seules personnes qu'elle n'aurait jamais pensé revoir en dehors de ses montagnes natales.

    Plus elle contemplait son visage, plus elle avait l'intime conviction que c'était bien la petite Minah, la dernière de la -trop- grande famille Lebergier. Sa cadette.
    D'ailleurs, celle-ci était soit en intense réflexion, soit complètement shootée au vu de la bave présente à la commissure de ses lèvres. Connaissant les antécédents familiaux, la deuxième option l'aurait à peine étonnée.

    Et paf, une étincelle passa dans ses yeux, un déclic. Le prénom la faisait réagir.
    Par contre, ça ne semblait pas dans le bon sens. Pendant quelques secondes, la gamine semblait passer en revue un nombre incroyable de possibilités tout sauf réjouissantes.
    Puis tadaa ! La petite ampoule qui s'allume au dessus de la tête !


    Citation:
    A… Ada ?!


    Ce diminutif tant répugné... Mais que ses sœurs aînées s'amusaient à lui répéter en joignant le geste à la parole : « Ada, Adada sur mon cheval ! » Et voilà comment elle se retrouvait une fois sur deux le nez collé sur le plancher écrabouillée par une dinde morte de rire.
    Ça faisait un p'tit bout de temps qu'elle ne l'avait pas entendu, et ce pour son plus grand plaisir.

    Plus de doutes, c'était bien sa frangine.

    Minah, la sœur cadette, dernière des sept enfants Lebergier encore en vie. L'une de ses principales sources de réprimande.
    Fallait dire qu'elle ne tenait pas en place et possédait toujours une imagination débordante quand il s'agissait de se mettre en danger. Et comme lui répétait si souvent sa mère : « C'est ta p'tite sœur, tu dois la surveiller, j'pas l'temps d'm'occuper d'vous tous. ».
    Mais, comme à son habitude Adalasie préférait rêvasser dans l'herbe fraîche. Sa mission de surveillance se limitant surtout à jeter un œil en direction se sa frangine de temps en temps. Ce qui n'était bien évidemment pas suffisant.
    A force de cogner sur les gamins des voisins, elle rentrait à la maison parfois bien amochée. Et qui se faisait houspiller par la même occasion ? C'est Bibi !
    M'enfin, si on mettait de côté ce détail, Adalasie gardait plutôt un bon souvenir de sa cadette. Ce n'était pas la plus insupportable.

    Ces quelques instants peuplés de souvenirs d'enfance emprunts d'une touche de nostalgie furent magnifiquement interrompus par la cadette. « Elle a pas changé celle-là » pensa-t-elle.


    Citation:
    Ben ça alors ! On t’croyait bouffée par un ours !


    Raté, je suis encore là. Après ces quelques mots, elle se demanda un instant si la situation ne méritait pas une accolade ou quelque chose du genre. C'est bien ce que font les membres d'une même famille non ? Mais l'odeur qui se dégageait de sa benjamine coupa court à son idée.

    Alors, profitant de son statut de grande sœur et des quelques privilèges qui vont avec, elle décida de s'amuser un peu.
    Lui choppant l'oreille, elle lui lança :


    Nan mais ! On se souvient pas de sa grande sœur préférée ?

    La regardant de haut en bas à nouveau elle ajouta avec un ton de reproche :

    Et en plus, on la menace avec une épée.

    Une épée ? Le cerveau qui fait tilt.

    Bombardement de questions dans : 3, 2, 1...


    Mais d'où tu la sort ton épée ? T'es encore qu'une gamine ! Tu l'as volée, c'est ça ?
    Et qu'est-ce que tu fais ici ? Pourquoi t'es pas avec p'pa et m'man ?
    Et qu'est-ce qui te prend de dire des vilenies sur ta famille ? Elle est où la mémé ? C'est bien elle que tu patafiolais hein ?
    Et qu'est-ce que t'as sur la tête ? C'est quoi ce machin mort ?


    Pauvre gamine, en moins de dix secondes elle était déjà noyée sous un flot de questions. Et la suite n'allait pas s'arranger.
    Car elle l'avait enfin aperçu ! Le morceau manquant. Le bras auquel elle n'avait jusque là pas prêté attention trop occupée à surveiller l'autre qui menaçait de dégainer à tout moment.

    Ehhh ? Mais il te manque un bout de bras !?

    Vous avez dit du tact ? Ah bah non, connaît pas.

_________________










































Minah
Maintenant que les retrouvailles étaient effectives, Minah ne savait trop comment réagir. Elle dansait doucement d’une patte à l’autre, indécise.
La serrer dans son bras et demi ? Une accolade, une p’tite bise ? Un « salut, t’as bonne mine » et puis s’en va ? Une belle engueulade ?
On ne savait jamais comment réagir face à un Lebergier et l’estropiée était bien placée pour le savoir, étant la quintessence même de la dégénération familiale. Une bestiole de ce lignage-là pouvait tout aussi bien se rouler à vos pieds et vous lécher les mains que vous sauter à la gorge et tenter de vous arracher des morceaux de nez.
Métaphoriquement parlant, j’entends. Ou pas.

D’ailleurs, l’aînée commençait à faire une drôle de tronche. Etait-ce à cause de son vieux surnom ?
La cadette n’avait jamais trop compris pourquoi elle le détestait tant. C’était court, facile à prononcer pour une morveuse qui peinait à baragouiner des mots trop compliqués, et qui en plus mettait de bonne humeur toute la maisonnée. On avait même inventé un jeu idiot à propos.
Non, franchement, un tel dégoût au sujet de cet innocent sobriquet… Incompréhensible.

Toujours est-il que la hiboutée de la cervelle se promit de rester méfiante. Rien n’était plus vicieux qu’une grande sœur offensée. Pas même mémé Glaviotte lâchée dans une caserne.


Ben j’vois ça, répondit-elle prudemment au « raté ! ». ‘Fin j’veux dire… T’as pas d’ours tout autour alors j’m’en s’rais doutée...

Manchote, pas bigleuse.

C’m’man qui va êt’… Ah ! Aïeuh ! Pas l’oreille, pas l’oreille ! Phiiiiiilémon ! Aide-moiiiii !

Voilà la bête qui, de son moignon, aplatit sur sa caboche Philémon (hibou mort et couvre-chef de son état) pour se protéger de ses ailes. Avec un succès plus que mitigé.
De l’autre patte, elle tentait tant bien que mal de repousser les attaques esgourdières de la frangine en furie.


J’pas fait essprès d’oublier ta tête ! Aïe ! Aïe ! D’abord, toi aussi t’m’as pas r’connue d’suite !

On lui avait toujours dit qu’il fallait pas taper ses sœurs, à la môme, sans quoi elle recevrait une volée de bois vert par les bons soins d’p’pa. Mais quand la sœur en question avait commencé, ça ne comptait pas, hein ?
Et puis, comme Adalasie l’avait fait remarquer, N’a-qu’une-patte avait une épée. L’épée, c’était le pouvoir. Ça voulait dire qu’elle était l’écuyère d’une capitaine sanguinaire, qu’elle avait fait la guerre, qu’elle avait même dirigé une armée sans le faire exprès ! Ca voulait dire qu’elle s’était battue contre un tas de gros costauds et pis qu’elle avait pas peur d’une gueuse maigriotte, serait-ce sa sœur ainée ! Si ?
*

Une botte à la semelle cloutée décrivit un arc de cercle quasi-parfait pour s’écraser dans un tibia. Minah se dégagea, frottant son oreille endolorie.

Pas la peine de m’torturer pour m’faire avouer, j’t’aurais tout raconté d’façon !

Philémon fut remis en place d’un tapotage expert. Quelques plumes poussiéreuses voletèrent sur le pavé.

L’épée, j’l’ai ach’tée, l’est à moi, fit la Châtaigne sans préciser que l’argent de la transaction avait été emprunté à (très) long terme à sa patronne. Chuis écuyère pour l’capitaine d’Bouillon, ma’t’nant !

L’animal se rengorgea avec fierté. Un jour, elle serait chevalier, et elle allait défoncer sa race.

On est parties du village ‘vec mémé l’hiver dernier. Y’a la veuve Mouchard – t’souviens, la voisine toute desséchée ? – qu’a traité mémé d’sorcière. Soit-disant paskeuh mémé avait fait tourner l’lait d’ses vaches et lui avait filé un rhume des pieds. Du coup l’prêtre est v’nu pour faire l’bûcher. J’l’ai aidée à s’enfuir. Mémé, pas l’prêtre. J’l’avais laissée dans l’Maine p’dant que j’tais à la guerre, mais elle veut v’nir m’rejoindre… A moins qu’elle vienne ‘vec toi ?

Lueur d’espoir. La famille, ça servait à se débarrasser des vieux après tout, non ?
La môme s’adossa contre un mur crasseux derrière elle. Elle caressa son chapeau avec une étrange tendresse.


Lui, c’Philémon-le-grand-duc-avec-un-trou-dedans. C’mon chapeau pis mon ami. J’en ai tout plein d’aut’, r’garde !

Ouverture de la besace aux trésors. Lesquels frappaient plus pour leur caractère hautement odorifiques que par la beauté. S’étalaient sous le ciel parisien Rodolphe-le-pigeon-mort, Eulalie-la-tête-de-chat, Herbert-le-rat-tout-plat, Mariette-la-blatte-écrasée et tant d’autres machins-avec-des-tirets.

Mes amis. C’tous mes amis. J’les protège, t’vois. Y z’ont plus qu’moi.


Plus qu’elle. Même pas la vie.
Silence. Elle aussi n’avait qu’eux. Qu’eux pour se rassurer, comme autant de poupées, contre le monstre qui grattait sous son lit. Machinalement, ses doigts vinrent se crisper sur son moignon. Sa respiration se fit plus saccadée.

T’es vach’ment observatrice, tenta-t-elle d’ironiser.

L’estropiée souriait, mais c’était un sourire auquel elle ne croyait pas. Sans cesse, elle jetait de vifs coup d’œil tout autour d’elle.
Envolée, la petite écuyère qui se donnait de grands airs. Il n’y avait plus là qu’une mioche terrifiée et à demi-folle qui se cachait comme elle pouvait derrière un hibou mort et une grosse épée.
Minah déglutit.


Mais c’pas très important ! J’cause, j’cause ! Dis-moi plutôt c’que t’es dev’nue d’puis tout c’temps ? T’dois avoir vécu un tas d’trucs !



* Il fallait avouer qu’il était toujours difficile de jouer à la fière guerrière face à quelqu’un qui vous a vu courir à poil dans les montagnes quand vous étiez encore trop jeunotte pour avoir compris le concept de cache-cul.
_________________
Adalasie
    Adalasie avait désormais le regard fixé sur le bras amputé de sa jeune sœur. Elle ressentait une sorte de fascination malsaine pour ce morceau de membre manquant. Des millions de questions fusaient dans son esprit, des théories abracadabrantes sur la raison de la perte de cet avant-bras défilaient. Comment l'avait-elle perdu ? Qui lui avait coupé ? Elle même peut-être ? Depuis quand ? Est-ce que c'était douloureux ?
    Le cerveau en ébullition, elle remuait nerveusement les doigts de sa main libre comme pour vérifier qu'ils étaient toujours là. Comment se sentait-on sans un bout de soit même ? Alors qu'elle s'enfonçait dans les profondeurs de son esprit pour tenter d'imaginer ce qu'elle ressentirait si son bras se finissait par un moignon, sa cadette se chargea de la ramener sur Terre.

    La miss je-porte-un-truc-mort-sur-la-tête commençait à s'agiter et à appeler un certain Philémon. « Philémon ? C'est qui lui ? »


    Citation:
    J’pas fait essprès d’oublier ta tête ! Aïe ! Aïe ! D’abord, toi aussi t’m’as pas r’connue d’suite !


    C'est normal ! On ne te reconnait pas avec ton machin sur la tête.

    Excuse bidon ? Tout à fait. Mais c'est elle la plus grande. Les grands ont toujours raison. Un point c'est tout. Nan mais !

    Profitant du spectacle qu'offrait Mimi (Bein oui, y'a pas de raison qu'elle soit la seule à avoir un p'tit nom ridicule) en se débattant, elle ne fit pas attention au coup de pied lancé par cette dernière.


    Arrrrggg s'pèce de p'tite peste ! Mordiable de Malpeste ! Aïe aiïeuuuuh et ouilleeuuuh !

    Et c'était parti pour une interprétation originale de la "danse de la douleur" accompagnée du grand orchestre insultharmonique qui jouait en exclusivité la sonate AilleOuilleOuille.
    Sautillant à cloche-pied, Adalasie frottait vigoureusement son tibia endolori tout en imaginant toutes les possibilités d'éliminer la petite effrontée sans finir au Purgatoire. Vous comprenez, rester enfermée avec des bourreaux, c'est pas un programme réjouissant.


    Un pincement d'oreille ? De la torture ? Et ça ose faire mumuse avec une épée dis donc...

    Reposant le pied sur la pavé, elle pensa au bleu monumental qu'elle allait avoir. Oh, ça lui fera un souvenir de leurs retrouvailles.

    Citation:
    Chuis écuyère pour l’capitaine d’Bouillon, ma’t’nant


    Écuyère de bouillon ? Hein ? Tu fais la cuisine quoi...

    Se grattant la tête, elle semblait perplexe. Les écuyers, ce n'étaient pas les larbins qui couraient après le type en armure à cheval ? Mais alors pourquoi elle parlait de bouillon ? Et en plus, elle en semblait très fière... Elle était chargée de préparer du bouillon à un capitaine ? Hein ? Mais non, c'est pas possible. A moins que ce soit dans le but de l'empoisonner ? C'était pas très clair cette histoire...
    N'y connaissant rien en armée et encore moins en cuisine, elle laissa rapidement tomber. Mais maintenant elle avait faim.


    La veuve Mouchard ? L'autre vieille là, je m'en souviens oui.

    Cette vieille grincheuse toute ridée qui se plaignait tout le temps, elle n'était pas près de l'oublier. Surtout après la magnifique bosse au coin du crâne qu'elle avait gardé des semaines entières suite à l'incident de l'écuelle volante. C'est qu'elle visait bien la rombière !
    Et tout ça pour un sceau de lait. Un malheureux petit sceau de lait vol...emprunté.
    Alors comme ça elle était tombée malade ? Comme quoi il rendait parfois justice le type là-haut.


    Quoi ? Non. Je veux pas de mémé dans les pattes. Tu l'as aidée à s'enfuir, tu t'en charges.

    Se traîner la grand-mère, quel cadeau ! Ça voudrait dire arrêter les voyages pour s'en occuper, devoir trouver de l'argent pour la nourrir et surtout : la supporter.
    C'est vrai que la mémé lui avait bien rendu service en lui apprenant à reconnaître les plantes lors de ses quelques moments de lucidité. Lui permettant de ne pas mourir de faim sur les routes à de nombreuses reprises. Mais non. Elle n'en voulait pas. C'était bien trop compliqué.

    Le sujet était clos.


    Citation:
    Lui, c’Philémon-le-grand-duc-avec-un-trou-dedans. C’mon chapeau pis mon ami. J’en ai tout plein d’aut’, r’garde !
     

    Haussement de sourcils. Un hibou mort comme chapeau, ok.... Mais un hibou mort comme ami, euh...
    C'est pas censé être vivant un ami ? De toute façon, elle n'en avait jamais eu alors pourquoi pas ? Surtout que sa cadette semblait y attacher beaucoup d'importance.
    Se penchant au dessus de la précieuse collection de bestioles mortes ou plutôt de morceaux de bestioles mortes- de sa sœur, elle arrêta de respirer pour éviter de finir asphyxiée.


    T'en as vraiment beaucoup là-dedans... Et tu te balades toujours avec tes cadav... Amis ?

    C'était bien la première fois qu'elle voyait une collection pareille et quelque chose lui disait que ce n'était pas tout à fait normal... Mais rien n'a jamais été normal chez les Lebergier. Sont tous complètement zinzins et gravement atteints de la caboche, faut pas s'étonner que les enfants développent des passe-temps glauques. Pour quelqu'un qui voulait se fondre dans la masse, naître chez les Lebergier était partir avec un gros handicap.

    Le moment qu'elle attendait tant allait arriver, sa curiosité allait enfin être assouvie. On arrivait on moment fatidique où elle allait enfin savoir ce qui était arrivé au bras de sa sœur. Ou pas.
    La mine de sa sœur s'assombrit soudain et un malaise s'installa entre les deux jeunes femmes. C'était un sujet qui fâche.
    Déçue, elle ne préféra pas insister, son tibia lui faisait déjà assez mal. Pas besoin de l'énerver pour s'en prendre encore une.


    Ouais, j'ai des trucs à raconter mais on va pas rester là hein. Viens boire un... Un cri grave au bout de la rue, les deux chiens de garde l'avaient retrouvée ! Les ennuis n'allaient pas tarder. Et vu leur taille, elle n'était pas sûre que sa cadette puisse faire le poids ou même lui servir de bouclier (Comment ça c'est horrible ?). Viens boire un verre avec ta frangine en taverne. Mais maintenant tout de suite et on y va en courant. Allez zou !

    Qu'elle la suive ou non, dans deux secondes elle allait détaller.

_________________





















































Minah
Quand on vit loin de sa famille, on oublie vite tout un tas de petites choses sur sa parentèle.
Comme le fait, par exemple, que votre frangine était capable de bombarder quinze questions à la minute. Et d’en reposer une nouvelle fournée immédiatement après vos réponses.
Minah avait l’impression de se noyer.

Laissant le temps à sa sœur de la lapider verbalement, la manchote referma soigneusement sa besace. Hors de question de laisser tomber un de ses précieux cadavres en tomber, en proie aux affres du monde extérieur !


D’la cuisine ? Nan, j’fais pas la…


Hésitation. Sourire barbare, auquel les dents faisaient admirablement absence.


Chais pas si on fait d’la cuisine, mais on joue beaucoup ‘vec les tripes. Celles des aut’. Jamais su l’rapport ‘vec le bouillon, par cont’… P’têt paskeuh y’a plein d’flotte autour d’où c’qu’on vit.


Haussement d’épaule. Après tout, tout l’monde s’en foutait d’où venait un nom. Il était là, épicétou.

T’vois, pour ça que j’te d’mandais s’tu voulais ben héberger mémé…

La cadette se grattouilla le hibou avec une gêne feinte, espérant tout en sachant que son entreprise de faire changer son aînée d’avis était vain et sans espoir.
Rien ne coûtait d’essayer, et tout était bon à prendre pour ne pas se retrouver avec l’aïeule dans les pattes. Elle l’aimait bien, la Glaviotte… Tout le monde l’aimait bien…
Mais l’humanité entière semblait s’être mise d’accord sur un point. On l’aimait encore mieux quand elle était loin.


T’imagines… t’imagines mémé dans un repaire d’chevaliers ? ‘Vec tout plein d’hommes autour ? Et les armes ?! Ce s’rait super dang’reux ! Et si elle voyait une fée qui lui disait d’faire un truc bizarre, comme la fois où elle nous a dit qu’un lutin lui avait conseillé de couper les coilles de son septième mari pour faire des bouc’ d’oreille ?! On lui a couru après p’dant des heures ! Et…


Pas l’temps d’finir. Pas l’temps d’répondre à une autre question.
Adalasie, visiblement très enthousiaste, était partie chercher mémé. A moins que les deux gardes beuglants y soient pour quelque chose…


Heeeeeeeeeeeey ! Attends ! Où c’que tu vas ?! T’les connais, eux ?!

Geste du moignon vers les deux costauds, qui le prirent visiblement mal.

Meuh nan j’vous fais pas un moignon d’honneur ! Quoique… (elle adjoint le geste à la parole). Va t’faire peler l’manche, pauv’ gueux !

Les Lebergier ? Toute une poésie, vous n’aviez pas compris ?
Sans tarder, N’à-qu’une-patte emboita le pas à sa frangine. En beaucoup moins véloce. Vous avez déjà essayé de courir avec une grosse épée sur le côté, qui vous cogne contre la guibole ?
En peu de temps, la petite écuyère se mit à souffler comme un bœuf.


Bordel… Mais tu leur… as fait quoi… à ceux-là ? ...

Silence.


C'toi... qui paye...?

M'dame Scath n'avait pas encore fini de lui apprendre le métier des armes, mais la radinerie, oui.
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Adalasie
    Sur le visage de sa jeune sœur, ce qui devait être un sourire carnassier se dessina. Alors comme ça, elle et son capitaine mangeaient du bouillon de tripes de leurs ennemis ? C'est pas un peu interdit par l'église toussa ?
    Ah non ! Le bouillon c'est pas le bouillon qu'on mange mais le Bouillon parce qu’il y a plein d'eau autour de Bouillon comme dans un bouillon. Tout était clair maintenant ! Enfin presque.
    Rassurée que sa cadette ne se soit pas faite embarquer par un groupe de cannibales raffolant de soupe, elle était tout de même déçue d'apprendre qu'elle ne pourrait pas lui demander de lui cuisiner des bons petits plats...


    Nan, j'ai dis nan pour la mémé.

    C'est qu'elle insistait la bougresse.

    Justement, elle aurait de quoi s'occuper avec tous ces chevaliers. Tu l'aurais pas dans les pattes. Et pis, si elle se blesse avec une arme qui traîne... Bah elle pourra plus bouger, obligée de rester alitée. Parfait pour pourvoir la surveiller.

    Nan franchement, c'était bien mieux qu'elle reste avec la benjamine.
    Puis vu son âge, elle allait pas tarder à passer l'arme à gauche, suffisait d'attendre un peu c'est tout.

    Cette brève négociation qui n'en était pas une puisque la réponse était non depuis le début s'était déroulée en quelques minutes avant l'irruption des deux molosses dans la ruelle.


    Désormais, elle faisait carburer son cerveau à 200 km/h pour trouver le moyen le plus rapide pour se soustraire à leur vue. Il fallait trouver au choix :
    - Un passage étroit pour les coincer.
    - Une pile de quelque chose qui lui permettrait de disparaître sur les toits.
    - Un preux chevalier qui pourrait lui venir en aide. Sa frangine étant déjà rayée de la liste.
    - Quelque chose pour se cacher.
    - Une foule pour se fondre dans la masse.
    - Un bâtiment quelconque où se réfugier.


    Heeeeeeeeeeeey ! Attends ! Où c’que tu vas ?! T’les connais, eux ?!

    Un simple geste de la main qui disait « Ferme là et ramène tes fesses au plus vite si tu ne veux pas finir en charpie » fut la seule réponse qu'elle lui donna. Pas le temps de faire un beau discours, les bougres se rapprochaient dangereusement. Il suffisait simplement de se mettre à courir. Mais non, rien ne se passe jamais comme prévu avec les Lebergier !
    Et pour preuve, voilà que l'autre coquefredouille se mettait à les insulter. Se retournant brusquement elle hésita un instant : devait-elle en rire ou lui mettre un coup de boule ?


    La réponse dans le prochain épisode, là c'est l'heure de détaler. Enfin, de tenter de détaler avec un tibia en compote et une frangine chargée comme une mule qui traîne la patte...

    Bordel… Mais tu leur… as fait quoi… à ceux-là ? ... 

    Oh... J'ai un peu fâché un gros bonhomme... Un noble j'imagine...

    Bifurquant au coin de la rue, elle cherchait toujours une échappatoire quand un écriteau grinçant attira son attention. Une taverne ! Mais c'était parfait tout ça. En plus de pouvoir s'y planquer, elles pourraient s'enfiler quelques bonnes choppes.
    Adalasie jeta un œil par dessus par son épaule pour vérifier si la môme suivait toujours, elle ne l'entendait plus depuis qu'elle avait tourné dans la ruelle.


    C'toi... qui paye...? 

    Bon bein, elle était encore là. Et en plus elle ne perdait pas le nord...

    La brune poussa la porte de la taverne et pénétra dans une pièce plutôt quelconque. Quelques vieilles tables entourées de tabourets qui menaçaient de s'écrouler au prochain séant qui oserait se poser sur eux, une grosse cheminée couverte de suie, des petites fenêtres crasseuses, une odeur de bière mêlée à celle de la transpiration. Le coin parfait quoi !


    Adalasie repéra une table vide dans le fond qui leur permettrait d'avoir une vue sur toute la salle au cas où les deux rigolos auraient la mauvaise idée de venir jeter un œil à l'intérieur. Elle s'y dirigea tranquillement tout en prenant le temps de glisser délicatement sa main dans la poche d'un ivrogne qui ronflait la tête écrasée sur la table pour lui emprunter sa bourse. Sa bourse d'écus hein.

    Je paye.

    Enfin, le gentil monsieur paye pour nous. Mais chuuut.

    Hélant le tavernier, elle lui commanda deux choppes pour commencer tout en jetant un œil à sa nouvelle bourse. Par chance, l'autre poivrot en avait laissé suffisamment pour toutes les deux.


    Bon alors, tu voulais que je te raconte mes voyages c'est ça ? Elle resta songeuse quelques instants. Par où commencer ? Que lui raconter ? Elles n'avaient pas vraiment les mêmes centres d’intérêt... Je me suis installée dans l'Artois, j'ai une maison et j'avais un champs même. C'est plutôt bizarre de rester au même endroit longtemps, je pense reprendre la route d'ici peu.

    Très intéressant tout ça. Dans dix minutes, sa frangine dormait la tête sur la table. Les paris étaient lancés.

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Minah
La Bête avait fermé sa gueule, parce que pour courir, c’était tout de même beaucoup plus pratique. On s’essoufflait moins vite.
Ce qui n’empêchait pas l’animal de grogner et maugréant entre ses dents. Celles qui lui restaient, du moins. Elle avait beau savoir que c’était sans espoir pour se débarrasser de mémé, ça restait frustrant.
Aussi, tout en courant aux basques de sa sœur, Minah la maudissait du mieux qu’elle pouvait.

Elles finirent par trouver refuge dans une taverne. Sombre, moche. Un établissement comme la hiboutée de la cervelle les aimait, surtout quand il s’agit d’échapper à quelqu’un.
Elle fut heureuse de souffler un grand coup, pliée en deux, la main sur le genou pour ne pas se laisser choir.


Foutre… Chais pas qui c’est ton gros bonhomme mais si toutes tes connaissances sont comme ça, tu m’les présentes pas !

En un sens, elle était rassurée. La frangine avait l’air de vivre à toute allure. C’était certainement la meilleure vie possible après le morne ennui des montagnes natales de la smala Lebergier.
Du coin de l’œil, N’a-qu’une-patte observa son aînée emprunter à long terme la menue monnaie d’un soiffard ronflant. Elle hocha la tête. Approbatrice. Elle-même s’était déjà souvent servie de la sorte.
Et puis si l’homme était assez sot pour s’endormir en laissant sa bourse en évidence, c’était qu’il n’en avait pas tant besoin que ça.

Mam’zelle hibou crevé se vautra à la table du fond, dos contre le mur et panards crasseux sur le bois de la table. Mine de rien, elle se mit à surveiller la porte.


S’tu craches dans ma chope, j’te fais cracher tes dents, fit-elle aimablement remarquer au tavernier.

On était jamais sûr, dans ces gargotes sinistres. Une fois qu’il se fut éloigné, la manchote se tourna vers Ada(da).

Très galant d’sa part, au m’ssire qui bave sur sa table. On aurait pas dit, comme ça.

Elle se tut, le temps de tourner dans son unique paluche la chope qu’on lui tendait et ainsi vérifier que rien de suspect ne flottait à la surface.
Minah avait déjà goûté la bière au rat, et ça ne lui plaisait pas.


Et t’as gagné ta vie comme ça p’dant tout c’temps ? ‘Vec les m’ssires qui bavent ?

A son tour de jouer à la bombarde aux questions. Et elle allait pas s’en priver.


Un champ et une maison ? P’tain, comme une grande dame ! Rassure-moi, t’avais pas l’mari ‘vec, hein ? Et… les morveux ?


Un moqueur sourire en tranche de courge se dessina lentement mais sûrement sur la face fracassée de l’écuyère.
Elle se préparait déjà à railler sa frangine, comme ces mômes agaçants qui poursuivent les adultes bras dessus bras dessous en gueulant « Houuuuuu les z’amouuuureuh ! ».

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Adalasie
    Son postérieur confortablement installé sur un tabouret, Adalasie s'étira dans tous les sens pour se soulager les membres. Courir ne la dérangeait pas vraiment mais deux fois de suite, sous la menace d'épées bien aiguisées, l'activité perdait un peu de son charme.

    Foutre… Chais pas qui c’est ton gros bonhomme mais si toutes tes connaissances sont comme ça, tu m’les présentes pas !

    Heureusement que non. Mais je croise pas mal de personnages désagréables tout de même, ils ont une fâcheuse tendance à se trouver aux quatre coins du pays.

    Elle haussa les épaules d'un signe d'impuissance. A ce qu'il paraît, la brune disait souvent des ânneries mais elle ne s'en rendait compte qu'après. C'était bien là le soucis.
    La plupart du temps, elle ne faisait que dire ce qui lui passait par la tête. Maman lui répétait sans cesse qu'il fallait dire la vérité, que mentir c'était pas bien et patati patata... Alors pourquoi les gens réagissaient-ils aussi mal ? Le mystère restait entier.
    Mais bon, les lancés de caillasses, les courses poursuite avec une fourche, les insultes, les menaces de mort et cie ne résumaient pas totalement son quotidien. Il lui arrivait parfois de tomber sur des hommes ou femmes agréables qui acceptaient de lui expliquer comment mieux se tenir par exemple.

    Une fois les boissons posées sur la table, Adalasie imita sa sœur et vérifia qu'il n'y avait pas de machins non identifiés dans sa choppe. On était jamais trop prudents.


    Très galant d’sa part, au m’ssire qui bave sur sa table. On aurait pas dit, comme ça.

    C'est bien vrai. Sont toujours conciliants quand ils sont inconscients. C'est comme ça que je les préfère.

    Les hommes, toujours une idée pas nette derrière la tête. Fallait se méfier de ses bêtes là.

    Et t’as gagné ta vie comme ça p’dant tout c’temps ? ‘Vec les m’ssires qui bavent ?

    Réfléchissant un instant, elle répondit :

    Non, pas seulement. Mais c'est vrai que c'est bien pratique. Sinon, quand j'arrive en ville, je fais des petits boulots contre quelques écus ou alors j'emprunte quelques babioles sur le marché. Notons qu'emprunter et voler avaient exactement la même définition d'après elle. Mais "emprunter" attirait moins d'ennuis. Testé et approuvé. Par contre, sur les routes, je ramasse des herbes que mémé Gaviotte m'a appris à reconnaître, tu te rappelles ? Et je les revend. Ou alors, faut attendre de tomber sur des victimes de bandits et récupérer ce qu'ils ont laissé ou oublié.

    Ça y est, le moulin à paroles était lancé. Prête à affronter une vague de questions ! Surtout quand il y a de la bière dans le coin.

    Un champ et une maison ? P’tain, comme une grande dame ! Rassure-moi, t’avais pas l’mari ‘vec, hein ? Et… les morveux ?

    Tu as vu ça ? Et en plus ils me les ont donnés pour une misère, sont étranges dans le ch'nord. Mais j'ai revendu le champs, c'est trop de travail et c'est pas pratique pour voyager.

    Prenant une bonne gorgée de mousseuse, elle manqua de tout recracher par le nez.

    Un mari ? Nan ! Mais quelle horreur... Et des p'tits... Eurk. Adalasie ne termina même pas sa phrase tant l'idée était repoussante.

    Des enfants ? Elle ? Impossible. Ces choses bruyantes, pleurnichardes, collantes, faibles qu'il faut nourrir et entretenir. Et en plus leur donner un peu d'amour, concept encore totalement inconnu pour la brune.

    Oh que non. Conclu-t-elle, un frisson lui remontant le long de l'échine.

    Et toi alors ? Tu me disais qu'il y a pleins d'hommes là dans le Bouillon. T'as pas un chevalier qui voudrait te mettre un polichinelle dans le tiroir ?

    Elle aussi pouvait bien enfanter maintenant non ? Quel âge avait-elle déjà ? 13-14 ans non ? Alors ça devait être bon...

    Tout d'un coup, la porte de l'établissement s'ouvrit brusquement. D'un geste vif, la gueuse fixa l’embrasure de la porte : Faîtes que ce ne soient pas eux.
    Fausse alerte, ce n'était rien d'autre qu'une grande bonne femme bien costaud et en furie. Quelqu'un allait passer un sale quart d'heure.
    Et deveniez qui ? Personne d'autre que leur adorable donateur. La tête du pauvre homme décolla de la table avant de s'y fracasser bruyamment, le tout accompagné de flopée d'insultes. La salle désormais silencieuse, tous les regards étaient tournés vers le bourreau qui traînait sa victime vers la sortie tout en lui bottant régulièrement les fesses.


    Mamou *hips* Mamour n'soit pas *hips* fâchée, je *hips* t'aime t'sais...

    Ferme là ! S'pèce de bours'molle ! T'vas voir !

    Ah les tavernes, lieux de vie si passionnants. Comment ne pas les aimer ?

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Minah
A défaut d’être bonne, la bière n’était pas mauvaise. Et puis elle avait cet arrière-goût très plaisant de gratuit.
Après quelques avides gorgées, l’écuyère fit claquer sa langue d’un air satisfait. Elle approuva du chef les dires d’Adalasie. Oui, les gens désagréables étaient légion, oui les hommes étaient bien meilleurs trop ivres morts pour bouger.

Pas très bavarde pour le coup, l’estropiée, mais il n’était pas question de laisser éventer la bibine, et puis c’était au tour de sa sœur de se dessécher le gosier à causer.
Elle écouta, toute ouïe, le récit de son aînée, sans manquer de caler ci et là quelque commentaire.


Oui, j’me souviens ! T’étais t’jours fourrée dans les pattes de mémé – ou l’contraire – et elle arrêtait pas d’t’agiter des herbes sous l’pif. Chais pas comment t’as fait pour tout ret’nir… Moi j’ai essayé mais y’en avait trop. Surtout celles qui donnent la colique.

Ou :

Y sont vach’ment plus étourdis par chez toi qu’chez moi, les brigands ! Quitte à brigander, ils piquent tout, jusqu’à la chaisne ! J’te conseille de tester les champs d’bataille. C’t’un peu périlleux, paskeuh même après l’passage des armées y’a des rôdeurs d’partout, mais t’imagines même pas tout c’que ça trimballe dans les poches un soldat !

La chope était bel et bien vide à présent. Même la mousse avait été soigneusement léchée sur le rebord de bois du récipient.
Mam’zelle hibou crevé laissa échapper un rire qui se transforma bien vite en gloussement à grande teneur en alcool. Il fallait voir la tête de la frangine quand on lui parlait gamins !
« Un Lebergier, ça pond vite et souvent », qu’on disait dans le voisinage. Dans une famille où on avait généralement trois ou quatre marmots pendus aux basques et aux mamelles avant l’âge de vingt ans, la brunette voyageuse détonnait. C’était bien Ada, ça.
Minah se dit qu’elle l’aimait bien, cette sœur retrouvée. Elles avaient des points en commun.

Mais très vite, la conservation prit un ton qui ne lui plaisait pas. « Et toi alors ? »
La petite Bête se revit, impuissante, alors que l’homme la maintenait face contre la boue. La douleur. L’humiliation. Les menstrues qui avaient tardé, trop tardé. Et puis le sang. Tellement de sang.
L’animal serra les dents. Dans ses yeux, une haine, une honte qu’on n’y lisait que rarement. Pour cacher son malaise, elle renifla avec mépris et lança, plus fort qu’elle n’aurait dû :


Les mâles ! Plus merdaillons les uns qu’les aut’ ! Pour l’heure, pas rencontré un qui valait mieux qu’les aut’ ! Et pis m’dame Scath, mon chevalier, permettrait pas que j’papillonne.

Elle se tut, s’apercevant qu’elle donnait de petits coups rageurs dans sa pauvre chope qui n’avait rien demandé. Comprenez cette injustice ; les chopes sont les être les plus serviables qui soient, toujours prêtes à se remplir ou à se laisser jeter à la face d’autrui.
Bien vite pourtant, son humeur se fit plus légère. Un dîner-pestacle, y’a rien de mieux pour remonter le moral.


Ha ! Jubila-t-elle en voyant le pauvre bougre se faire traîner par la peau du derche. V’là comme j’les aime, les hommes !

Paluche en porte-voix :

Allez-y m’dame ! Coupez-lui les coilles ! C’pas comme s’il en avait b’soin !

Et, pour appuyer son propos, fit appel à la serviabilité seconde de sa chope. Insortable, la môme.
Le tavernier se dressa dans son champ de vision, poings sur les hanches, la face rougeaude, l’air de moyennement apprécier. On a beau diriger un bouge minable, faut pas exagérer et lapider les clients, surtout aussi assidus que celui-ci.

Minah prit la mine la plus innocente possible et désigna discrètement sa sœur du menton.C’pas moi, c’est elle !
L’amour fraternel se mesure surtout en vacheries.

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Adalasie
    Tout en se balançant sur son tabouret, Adalasie finissait de siroter sa bière parisienne.
    Finalement, la journée avait été plutôt bonne malgré les quelques petits incidents.


    Oui, j’me souviens ! T’étais t’jours fourrée dans les pattes de mémé – ou l’contraire – et elle arrêtait pas d’t’agiter des herbes sous l’pif. Chais pas comment t’as fait pour tout ret’nir… Moi j’ai essayé mais y’en avait trop. Surtout celles qui donnent la colique.

    Discuter avec sa frangine faisait resurgir par mal de souvenirs, qu'ils soient bons ou mauvais. Et, à son grand étonnement, ça lui faisait plaisir. Elle découvrait son côté Adalasie nostalgique, était-ce bon signe ?

    J'ai pas tout retenu, seulement celles qui me paraissaient utiles.

    Puis elle se remémora un triste épisode de son enfance. La mémé qui avait abusé de champignons, lui avait gentiment montré une plante censée soigner les maux de pieds. Le résultat ?* Une semaine entière, agenouillée dans un fossé, derrière les buissons, la culotte baissée à éjecter par la voie rapide les repas des jours précédents. La pauvre môme maigrichonne qu'elle était avait perdu beaucoup de poids en un temps record, ce qui lui avait valu le doux surnom de squelette sur pattes. Une fois la maladie passée, elle était restée allongée sur sa paillasse des journées entières, incapable de faire trois mètres tant ça la fatiguait.
    Depuis ce jour, elle s'était bien méfié de la grand-mère et avait retenu les plantes interdites. Plus jamais elle ne voudrait revivre cet épisode. Jamais.


    Et surtout celles qu'il ne faut pas manger.

    Y sont vach’ment plus étourdis par chez toi qu’chez moi, les brigands ! Quitte à brigander, ils piquent tout, jusqu’à la chaisne ! J’te conseille de tester les champs d’bataille. C’t’un peu périlleux, paskeuh même après l’passage des armées y’a des rôdeurs d’partout, mais t’imagines même pas tout c’que ça trimballe dans les poches un soldat !

    La gueuse haussa les épaules.

    Je ne dis pas que je fais fortune. Les brigands piquent surtout ce qui a de la valeur, moi je récupère le reste, quand il y en a... Une paire de chausses en meilleur état que les miennes, une vieille cape pour le froid. Ce genre de choses quoi...

    Puis elle écouta plus attentivement sa frangine quand elle lui parla des champs de bataille. Elle n'y avait jamais mis les pieds et ça l'intriguait un peu.

    J'essaierai un jour, si je trouve un champ de bataille.

    Quoique, le sang et les boyaux qui jonchent le sol avec les odeurs de corps en décomposition, c'est pas vraiment le genre de paysage qu'elle recherche quand elle voyage...

    Reposant sa choppe déjà vide depuis un petit bout de temps, elle se tourna vers sa sœur qui venait de passer d'un fou rire à un grognement de rage.


    Les mâles ! Plus merdaillons les uns qu’les aut’ ! Pour l’heure, pas rencontré un qui valait mieux qu’les aut’ ! Et pis m’dame Scath, mon chevalier, permettrait pas que j’papillonne.

    Pas besoin de crier, je suis pas sourde.

    Vu la tête de sa cadette, elle avait encore abordé un sujet tabou. C'est qu'elle était compliquée la frangine ou alors bégueule.
    Peut-être une mauvaise expérience aussi ? C'est fort possible, avec tous les moches et les pas doués du machin, il y avait de quoi être déçue. 'Fin bref.
    Levant les yeux au ciel, elle préféra changer de sujet. Évitons de gâcher ces retrouvailles.


    Comme par signe du destin, c'est à ce moment là qu'entra en jeu le charmant couple détendant ainsi rapidement l'atmosphère.

    La brune qui était désormais assise en tailleur sur le tabouret, riait de bon cœur. Sa cadette, pleine d’enthousiasme, donnait encore plus de cachet à la scène. Elle était même prête à se joindre à elle quand elle vit la choppe traverser la salle puis le regard peu aimable du tavernier.


    Minah...

    Trahison ! Voilà que la fana de bestioles crevées la dénonçait.

    Espèce de sale môme ! Pour la peine, je vais garder ça pour moi. Dit-elle en agitant une nouvelle bourse dérobée à leur voisine de tablée trop accaparée par la scène pour se rendre compte qu'on la dépouillait.

    Puis en direction de tavernier, elle montra sa choppe et tendit un doigt vers la frangine. Chacun pour sa pomme, sa devise préférée.

    Je te laisse te débrouiller avec le monsieur. Je t'attends dehors, dépêche toi.

    La brune se leva et contourna le tavernier toujours aussi souriant. Elle ouvrit doucement et passa la tête dehors pour vérifier que la voie était libre. Nickel.
    Une fois dehors, elle leva les yeux vers le ciel pour contempler un coucher de soleil. Il commençait à se faire tard, il faudrait qu'elle se trouve un coin où dormir cette nuit. Peut être que la frangine aurait une idée. Enfin, si elle sortait vivante de la taverne.


* Très classe n'est-ce pas ?

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Minah
DE KOUAAA ? Hey, hey ! C’pas moi !

Le parangon de la dignité offensée.
Le tavernier, elle le voyait dans ses yeux, ne savait plus à quel sain se vouer : était-ce la maigrichonne ou bien la manchote ? Il valait mieux s’enfuir avant qu’il ne se décide ou qu’il choisisse de châtier les deux.
Adalasie avait déjà choisi sa stratégie.


M’enfin, v’la laissez filer comme ça ?! C’t’elle qu’à fait l’coup ! Comment vous v’lez que j’vise avec une seule patte ? Une pauv’ estropiée comme moi !

Toutes les misères du monde se lisaient dans les mirettes noisette. Pauvre, pauvre petite infirme que l’on soupçonne des pires crimes imaginables ! Elle qui peut à peine se débrouiller dans la vie !
Comment, elle a une épée au côté ? Juste pour le décorum, voyez.


Mais n’craignez rin ! En guise d’ma bonne foi, j’va la chercher, vot’ fauteuse de troubles !

D’un pas décidé, la bestiole se leva, traversa la pièce en prenant tout de même soin de contourner du plus loin possible le tavernier.
Puis, avec conviction, elle prit ses jambes à son coup, gueulant du mieux qu’elle le pouvait. Pour plus de réalisme, elle fit tourner un poing rageux au-dessus de sa tête.


Maraude ! Mécréante ! Attends don’ que j’t’attrape et t’livre aux gardes !


En un rien de temps, voilà la hiboutée de la cervelle qui file sur le pavé à distance respectable de la taverne.
Elle se faufila au milieu de la foule, cherchant du regard sa frangine échappée.


Hé, pssst…! Ada ! Ousque t’es ? Tu boudes ? C’tait pour rigoler, t’sais.
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