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[RP ] Le premier baiser à la tempe ...

Alphonse_tabouret
... le premier murmure à l'oreille n'ont jamais reçu équivalence de musique ou de parole.
Rina Lasnier, Les Miroirs




Paris laissait ses ombres s’agrandir dans un début de soirée où la clarté ne serait bientôt plus de mise, déclinant, dans la fin d’un rideau rougeoyant jeté sur les toits les plus à l’Ouest quand ses ruelles accueillaient paisibles malgré les derniers passants pressés d’enfin rentrer, deux jeunes hommes marchant, parfumés d’une flânerie qui n’aurait pas eu lieu d’être quelques heures plus tôt.
La nuit tombait, emportant avec elle une journée de travail laborieuse durant laquelle, tour à tour assis, debout, un verre à la main ou prenant les mesures des catins, les trois hommes réunis dans le bureau de la Maison Basse avaient lentement assemblé les pièces d’un puzzle qu’ils mettraient en place d’ici quelques jours.
Avait-il eu vraiment besoin de raccompagner leur client à la sortie de cette réunion ? Non, il le savait, Adryan aussi le savait, quant à Nathan, s’il l’avait su, il n’en avait fait aucun cas, laissant le jeune homme lui emboiter le pas. La raison de cette fuite effleurait à peine les pensées d’Alphonse, et argumentant à son homme de main que c’était son rôle de comptable de veiller personnellement sur l’argent de l’Aphrodite, l’avait planté sur le pas de la porte, sans rien ajouter de plus qu'un sourire amusé. A la vérité, il était doucement ivre, de ce moment d’abord où l’alcool vous enrobe juste de son moelleux et étire joliment vos lèvres d’un sourire satisfait, et de Nathan ensuite, dont l’étonnante fraicheur avait réussi à percer jusque dans le bureau feutré où il travaillait. Curieux, éternellement, le flamand avait choisi de laisser s’étioler dans le chemin menant à l’hôtel de son client, ses restes d’envies pour n’en garder aucune frustration.
La conversation avait trainé sur quelques remarques aussi anodines que badines le temps qu’ils sortent de la cour, étonnamment légères au vu du travail fourni durant l’après-midi, et une fois que la rue du bordel fut dépassée, le fauve, à l’aise, avec cette sensation de détachement souverain qu’il retrouvait avec un plaisir presqu’enfantin, nonchalant jusque dans sa gaité, tourna son regard sombre vers Nathan, et lui demanda, un sourire étirant la commissure de ses lèvres dans une moue malicieuse :


-Ne m’aviez-vous pas promis une histoire, Nathan ?


Le blond n’avait rien promis, mais l’alcool avait pour lui d’arranger les mots dans une complicité fraiche et fragile mais irrémédiablement réjouie, de les exagérer pour le plaisir de remplacer le factice de l’ivresse par la vérité des mots que l’on partage.
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Nathan
Les sales affaires. On eut cru Nathan pur, loyal, probe et juste. On pouvait lui donner les atours de l’angélisme éternel. On pouvait aussi lui attribuer la pourriture du démon. Le corps plein de malice débordant sur un sourire qui se voulût souvent mutin, si quintessencié qu’il ne gâcha pas l’équilibre de son chef. Nathan était euphorique. Un jeune Berrichon, dans Paris, légèrement alcoolisé, ce ne fut jamais bon. Il se crut en goguette, là, dans les rues Parisienne, au détour d’une venelle subséquente à une rue malfamée, au milieu de rue fangeuse, en somme, dans l’immensité labyrinthique de Paris.
Nathan, habitué aux beaux quartiers de Bourges, désenchanta, désillusionna, il n’aimait pas Paris. Il vouait à la capitale de la France un dégoût. Et pourtant, il se résigna à y passer de nombreux jours.
La peur de se faire dépouiller ne le quitta pas un seul moment. Certes bien accompagné par un bel Adam, l’Apollon de Berry ne put s’empêcher de penser le mal.
Malgré la frayeur reléguée au fond de son esprit, Nathan s’amusait tant bien que mal. Très actif à l’habituée, une fois sous les effets de l’alcool, Nathan s’amusait de tout et de rien. Rarement sirupeux, toujours espiègle il ne fut pas ladre en rire.
Quelques simagrées bien mal orchestrées, Nathan ne sut s’offrir l’austérité d’une gestuelle froide. Chaleureux, il montra un intérêt superfétatoire pour un moustique.
Claque. Nathan se gifla. Bref, Nathan est euphorique. Ivre, même.

C’est alors que la question d’Alphonse vint se nicher dans les oreilles du jeune duc. Elle se lova telle une vénus susurrant un intérêt bien mal avisé et Nathan ne put faire autrement que de céder, sans le moindre caprice.

- Je euh, voilà.

Un bon début. Il alla s’asseoir sur un muret.

-Venez Alphonse, allez venez! Je vais vous conter une histoire : Mon premier baiser.
Ça s’est passé il y a déjà cinq ans. Cinq années… Cinq. Un chiffre qui a la réputation de porter bonheur.
Ce baiser releva de la magie. J’eus douze ans. À l’époque je n’avais pas encore hérité de toutes mes terres. Je n’étais qu’un simple seigneur de pacotille. D’une terre bien lointaine. Mais je vivais principalement dans le duché d’Aigurande, chez mon oncle George le Poilu. La vie était plaisante. Je passais mes journées auprès de précepteurs qui me transmirent un savoir, un goût pour la culture, l’art, le langage entre autres. Ils ont fait de moi, un mécène, un littéraire, une sorte de lumière qui se doit d’éclairer le Berry. Je reçus de mes rhéteurs de très bonnes leçons.
Ainsi s’écoulait ma vie. C’était sympathique.
Puis, chaque été, ma cousine Johanara Bérénice d’Ambroise venait nous rendre visite. Elle avait quinze ans. Elle était déjà Baronne. C’était l’été de l’an de Pâques 1456. Elle connut la nubilité. Très tôt. Ses formes furent voluptueuses. Et j’eus la préséance d’admirer le balcon. J’eus aussi l’honneur d’être son premier baiser. Imaginez-vous, Alphonse, au centre des jardins d’Aigurande. La verdure à perte de vue, caché par des chênes d’un vert étincelant. Imaginez-vous, Alphonse, imaginez-vous les senteurs évanescents d’un jasmin d’été. La floraison estivale d’Aigurande. Imaginez, Imaginez deux cousins, elle et moi, mal habilement, on s’adonna à la découverte du goût. Pour la première fois, je vivais. Ses lèvres furent pulpeuses, bien dessinées. Elle sentait bon l’orange. Imaginez, sentez, sentez l’orange et le jasmin. Elle fut mon premier baiser, imaginez… Ce fut merveilleux. Ce fut le seul baiser venant d’une femme me procurant un plaisir si fort. Après, la gente féminine me brisa, à chaque fois, le cœur.


Il eut un soupire.

-Voilà mon premier baiser. Et le vôtre de baiser ?

Il posa son regard grisâtre sur le comptable du lupanar. Raconte-moi. Raconte-moi une histoire. J’aime les histoires.

edit pour une horrible faute
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Alphonse_tabouret
-Venez Alphonse, allez venez! Je vais vous conter une histoire : Mon premier baiser.

Le chat s’étira au creux des tempes brunes en rejoignant Nathan, et, assis sur le muret au côté du blond, joliment grisé, écoutait, un sourire aux lèvres, l’histoire qu’on lui cédait, joignant aux paroles, les couleurs et les parfums qu’on lui proposait, bercé par l’enthousiasme nostalgique de l’instant, cueillant la note finale d’un coup d’œil sur son voisin dont le soupir venait éclore aux lèvres quand il concluait :


-…Ce fut le seul baiser venant d’une femme me procurant un plaisir si fort. Après, la gente féminine me brisa, à chaque fois, le cœur.

La précision se nota, indélébile dans l'esprit du chat dont la curiosité s'étira, s'attardant un instant à la bouche du jeune homme.

Voilà mon premier baiser. Et le vôtre de baiser?

Alphonse ne mesurait pas son ivresse à des gestes délités, à l’extatique joie de confondre un rat parisien avec un petit chien, ou bien encore au débit plus ou moins compréhensible des mots, mais à sa spontanéité, et il prit la parole sans même réfléchir, adressant un sourire fuselé au jeune homme à ses côtés

-Je crains que mon histoire soit beaucoup moins romanesque que la vôtre. Je n’en ai aucun souvenir, mais il paraitrait, selon ma sœur, que j’ai dispensé mon premier baiser à un crapaud quand j'avais cinq ans. J’ignore si vous avez des sœurs mais la mienne m’avait apparemment convaincu qu’étant plus beau qu’elle, j’avais plus de chance de le transformer en prince charmant… Et il est fort probable que je l’ai cru, étant en effet bien mieux fait de ma personne… L’insolence pointa son museau, mutine, dans la rondeur de son sourire. Notez cela dit, que le peu de crédit que j’apporte à la majorité des femmes vient peut-être de là, fit-il en haussant les épaules, faussement misogyne, vraiment désinvolte. Mais permettez que je triche… Je vais vous raconter le premier qui a compté, celui dont je me souviens, lui proposa-t-il quand deux demoiselles passaient en piaillant devant eux, emportant le plus gros du tumulte de la rue avec elles. J’avais quatorze ans, et mon père m‘avait trainé dans l’un des bordels de la capitale pour y fêter un contrat assez juteux. Selon son rituel, il me laissait attendre dans le salon en compagnie des catins, mais sans un écu en poche, et si d’ordinaire, j’en prenais mon parti, ce soir-là… Un sourire heureux d’une nostalgie qui n‘avait plus rien de douloureuse parfuma ses traits. Ce soir-là Quentin était apparu pour délayer à sa bouche le gout des femmes dont il se croyait jusque-là le plus fervent partisan, déniaisé, l’année précédente entre les cuisses d’une petite camériste. Ce soir-là, on m’a abordé de la plus jolie des façons et je n’avais rien en poche, même pas de quoi m’offrir ses lèvres… Par tous les saints, Nathan, j’aurais vendu la terre entière pour les avoir à moi, lui confia-t-il… Mais nous en avions tant envie l’un et l’autre qu’il n’a suffi que de quelques mots chuchotés au creux de l'oreille, d'une porte close et de sa bouche pour que le monde entier n’existe plus... et qu'il ne soit plus jamais le même non plus… conclut il en tournant la tête vers le jeune homme. Voilà mon vrai premier baiser. Le validez-vous ? , lui demanda-t-il, mutin, la flamme de ses prunelles oscillant doucement dans l’attardement de cette improbable ballade.



(*Edit pour omission d'une phrase)
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Nathan
Mutin & espiègle. Nathan ne sut contenir le doux sourire qui voulut s’allonger sur ses lèvres. Une envie terrible. Un désir d’exalter l’euphorie contenue tant bien que mal. Une volonté de montrer qu’il ne fût pas insensible à ses histoires. Qu’il prît plaisir à les écouter tel un enfant s’étant chu dans un fauteuil de velours vermeil. Il se gaussa. Il réprima sa moquerie. Difficile. Il s’en voulut. Normal. Nathan connut les aléas de l’ivresse publique. Il pensa bon de noter dans son vade-mecum : Arrête de boire tu attireras l’ennui. Pas le spleen ni le malaise. Mais les soucis bien plus terre-à-terre qu'à l'habituée. Malheureusement, il n’y eut rien à écrire, l’esprit impétueux qui composa avec une fate infatuation. Le soumettant à l’obédience de la désinvolture et de l’insouciance. Il n’y eut ni joliesse ni allégresse, Nathan fut juste bon à mettre au lit.
Mais, il eut été bien connu de tous, que l’on ne disposait pas de l’héritier de Berry à sa guise, à son bon vouloir. Une confrontation s’en découlait perpétuellement.
Partant d’un sentiment de bonne volonté, Nathan voulut battre sa coulpe en s’excusant.


-Pfrrt… Oh Alphonse, je ne vous savais pas si… huhu… Si amusant. Moi j’approuve votre histoire de crapaud! J’approuve et je plussoie. Vous avez embrassé un crapaud.

Les excuses, en fait, ce ne fut jamais le domaine dans lequel Nathan excella le mieux, ni même celui où il s’y appliqua le plus, il ne sut pas se positionner en tant que Zélateur. Prenant un air solennel, le regard se voulant joueur à travers ses mèches blondes, Nathan se lança dans la conquête d’un pardon auto-recherché. Il se défia en lui et par lui-même. Courir après la chimère fut un de ses passe-temps, parmi tant d’autres. Mais à celui-ci il accordait un amour singulier. La chimère se transforma en hydre et Nathan ne sut éradiquer la douce folie qui frétillait souvent lors des soirées alcoolisées.
Opiniâtreté. Allons, hardiesse. À vaillant cœur, rien impossible. Nathan quitta à contrecœur les billevesées pour apporter l’attention qui se dût d’être apportée à son hôte des rues. Alphonse.
Le tout accompagné d’urbanités qui n’eurent pas l’augure de la bonne déférence.


-Oui. Alphonse je vous valide comme étant bien plus naïf que moi.

Raté, essaie encore.

-Alphonse, mon doux Alphonse acceptez mes sincères excuses pour mon comportement déplorable. Je suis emporté dans un cercle vertueux. Notez la jaculation dont je fais preuve pour votre homélie.

On y fut presque…

-Alphonse je vous valide! Votre premier baiser est bel et bien un premier baiser. Bon évidemment, le mien a plus de classe. Normal, je suis moi. Mais vous avez votre charme aussi.

Il ne put en tirer mieux. C’est alors que Nathan se lança dans l’entreprise d’assassiner la Femme. Femme qu’il aima. La Femme avec un « F » en lettre capitale. Nathan détourna son regard d’Alphonse pour voir si la petite place connut quelques âmes en perdition. Déserte.
Il quitta alors le muret. Et dit, le tout accompagné de simagrées.


-Je comprends pourquoi vous n’avez pas confiance en la femme. La Femme est par nature un être inutile juste bon à enfanter. Bon la Femme est jolie. La Femme est gracieuse, drôle, amusante, frivole, riante, passionnée, belle. Elle est belle la Femme. Et pourtant, je n’aime plus la Femme comme je l’ai aimé auparavant. Je comprends votre méfiance et votre méprise pour les Eve en puissance. Adam est là pour aliéner la femme, rien de plus. Mais dans des conditions décentes tout de même.

Il bailla. Nathan perdit la civilité et le vivre noblement. Premièrement, parce qu’il n’eût par le carcan de sa vie : Le Berry. Mais surtout parce qu’il ne sût jamais contrôler l’ébriété.

-Plus tard, peut-être je vous expliquerez des choses sur la femme. Allez, venez, allons boire un verre! Je suis certain que vous connaissez de bonnes tavernes, bien françaises, où le Berrichon doit être mangé tout cru.

C’est qu’il y crût. En plus, l’imbécile.
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Alphonse_tabouret
Le sourire du flamand s’étira, plissé d’un amusement qui ne demandait qu’à se détacher au creux du rire, mais pas assez ivre bien que si agréablement grisé et retenu par une espièglerie revancharde dont le caractère bon enfant ne faisait aucun doute, il observa Nathan présenter successivement ses excuses, gardant malgré sa lippe heureuse et lisible, une expression faussement affectée tout du long.

Alphonse je vous valide! Votre premier baiser est bel et bien un premier baiser. Bon évidemment, le mien a plus de classe. Normal, je suis moi. Mais vous avez votre charme aussi.

-Plus de classe sans aucun doute, rétorqua le flamand en aiguisant son sourire, mais en contrepartie, désormais, je sais différencier un prince charmant d’un crapaud au premier baiser, conclut-il avec une insolence malicieuse en redressant la tête avec une satisfaction toute jouée, accompagnant Nathan dans son mouvement tandis qu’il se levait.

-Je comprends pourquoi vous n’avez pas confiance en la femme. La Femme est par nature un être inutile juste bon à enfanter. Bon la Femme est jolie. La Femme est gracieuse, drôle, amusante, frivole, riante, passionnée, belle. Elle est belle la Femme. Et pourtant, je n’aime plus la Femme comme je l’ai aimé auparavant. Je comprends votre méfiance et votre méprise pour les Eve en puissance. Adam est là pour aliéner la femme, rien de plus. Mais dans des conditions décentes tout de même.

Le discours sonna, empli d’une sorte de fatalité déçue et dans l’absolu, si les nuances n’étaient pas les mêmes, il dut s’avouer avoir tiré sensiblement les mêmes conclusions depuis quelques années. Avait-il été épargné des frimas du romanesque féminin par son libertinage le plus abrupt, par sa sincérité odieuse à ne considérer l’une pas plus chère que l’autre, attardant malgré lui depuis peu, quelques exceptions dans ce firmament ? Peut-être… et même s’il avait été rattrapé par le hasard au fil de cette année passée à voir sa vie chamboulée par trois volutes fraiches, il ne demeurait pas moins convaincu que dès que le souffle de Quentin s’était mêlé au sien, les femmes avaient perdu leur gout de toute puissance. Il songea brièvement à ses dix-sept ans, et se revit, écumant les draps les plus divers, mais se réfugiant systématiquement au creux des bras du Talleyrand ou du Lion selon où ses pas le menaient.
Il aimait les femmes, à n’en pas douter, et s’il ne pouvait nier les charmes de leurs cuisses parfumées, de leurs gorges fines dont les voyelles perlaient, aiguës, aux bouches rosées, il devait aussi leur reconnaitre un défaut contre lequel elles ne pouvaient rien, que ce soit sa sublime gitane, sa garce de duchesse, ou sa folle d’angevine : elles n’avaient pas le gout du sel.

-Plus tard, peut-être je vous expliquerai des choses sur la femme. Allez, venez, allons boire un verre! Je suis certain que vous connaissez de bonnes tavernes, bien françaises, où le Berrichon doit être mangé tout cru.

-Je ne tolèrerai pas de plus tard, annonça le flamand, joliment saoul, en passant un bras spontanément sur les épaules de Nathan, réduisant, désinvolte, amusé, la distance entre eux jusqu’à appuyer brièvement sa tempe à la sienne, mêlant quelques secondes la blondeur de la noblesse au mèches noires de la roture: Nous nous offrons ce soir une soirée sans femmes… Qu’importe que vous finissiez cru ou cuit, je ne connais pas le gout du berrichon, avoua-t-il dans un sourire aviné où affleuraient ses crocs , et, s’écartant, sans pour autant chasser le bras des épaules du blond, désigna de sa main valide une enseigne à quelques mètres d’eux. Il y a par ici une taverne qui pourrait vous plaire. La main acheva de glisser, scindant à nouveau les deux silhouettes. On y boit beaucoup, on y joue de temps en temps et elle est placée si près de l’église du quartier que la plus part des femmes ont honte d’en être vues à proximité de peur de se faire rabrouer par le diacre… Il se pourrait fort que nous le trouvions en train de jouer aux cartes d’ailleurs, fit il en remarquant que la nuit était définitivement tombée sur la capitale.Venez..., dit il en avançant, Ce soir, c’est moi qui rince, vous avez suffisamment dépensé entre nos murs sans que je ne vous gâte un peu… Vous me raconterez ce qui vous a fait perdre le gout du sucre, conclut-il , curieux, à la façon des chats remarquant l'éclat d'un mouvement plus subtil que les autres, en les menant jusqu’à la porte renfoncée de la petite auberge qu’il lui avait désigné plus tôt.
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Nathan
Il désira son attention. Ce fut patent. Nathan n’était plus dupe. Le jeune Berrichon eut toujours de l’audace, un certain panache. Il eut toujours l’envie de surprendre son partenaire. Il ne vécut pas. Il joua. Et il joua de toutes les manières possibles et inimaginables. Nathan Sidjéno d’Ambroise, eut été un flambeur qui ne se limita jamais dans la norme, dans l’académisme moral. Nathan alla toujours plus loin, davantage, toujours et encore plus. La devise officieuse de sa maison : Trop ce n’est jamais assez. À l’or puisse s’ajouter l’humain. Nathan ne s’adonna plus aux jeux financiers, trop banal, pas assez singulier, pas assez unique selon lui pour qu’il accorde une quelconque compassion à l’or, non, Nathan s’accorda les velléités de ce jeu démodé. Il préféra, se consacrer à l’ignominie du jeu humain. Le calcul humain.
Il suffisait de le regardait, un jeune homme aux allures angéliques, ne put jamais se prétendre blanc immaculé. Nathan eut été un monstre dévorant d’un appétit d’ogre, la venaison fraichement chassée. Le jeune Duc se piqua à la passion. Quittant le spleen. Quittant tout. L’alcool, un plaisir primaire. Les réels desseins du blondinet furent toujours de connaître davantage. Prorsum. Allons de l’avant.
Alphonse ne toléra pas. On tolérait toujours les tocades ou les envies vétilleuses de Nathan Sidjéno d’Ambroise.
Alphonse fit les avances. Nathan se déguisa en fanatique.
Alphonse proposa les cartes. Nathan sortit les urbanités. Paris, la ville par excellence de ces mondanités hypocrites. Mais ça, Nathan aima toujours. Monstrueux.
Alphonse se fit hôte. Nathan s’habilla de son plus bel atour. La simagrée.
Il désira son attention, mais désira-t-il l’affection. Zélateur de la passion. N’inaugure pas les zoïles, abjure la véracité, elle sonne creux. Ne pense pas à l’amour. Pense à la chair.
Qu’il eût envie de l’embrasser ne fit pas de lui l’amant. Il voulut la chair, juste elle. Il s’en fit le quémandeur.


-Alphonse vous me plaisez bien lorsque vous tenez la verve ainsi. Je vous suis. Allez-y éclairez moi.

Ils arrivèrent devant la petite porte renforcée double tour avec la chevillette et la bobinette, même, de la petite auberge parisienne. Il déglutit, il fallait dire, c’était spécial. Ils entrèrent sans difficulté.
Nathan, lui, entra dans le tripot à sa manière. De son auguste chef, même alcoolisé il restait beau, il était même plus avenant qu’à l’habituée, il jeta un regard condescendant. Norme et moyenne. Il ne repéra que cela. Les hommes typés. Lui il était stylé.
La taverne, eut l’aspect pittoresque selon Nathan car il n’y eut pas le lambris adéquat. Elle fut primaire car elle ne servit pas un verre de whisky ou un verre de vin de toscane. Rustique quand il ne proposa que du vin Bourguignon. Pathétique quand on lui présenta la carte des pitances. Il voulait du cygne et non pas du rat accompagné d’une sauce aux légumes avariés. Désolante quand il fit asseoir son gracieux séant sur une chaise qui ne l’inspirait pas. Il n’y eut pas des fauteuils de velours bleu. En toile rouge il eut été preneur. Il jaugea approximativement Alphonse, montrant que son état d’ébriété ne le fit pas fuir.
Nathan eut été une diva. Un pédantesque de renom, s’étouffant dans le luxe, Louvières fut un lupanar où les amants affluèrent durant l’été qui se voulut « Ambroisien » des estivants bien oisifs.
Il ne lésina pas sur les vilipendes, il se gaussa de tout et de rien. On ne pouvait pas aimer ce jeune homme. Ce ne fut pas humain.
Un commerçant gagnant sa vie durement aurait vu la taverne ainsi : « Une taverne, ma foi, fort sympathique et à l’abri des regards. Il est plaisant de voir des prix tout à fait raisonnable et le proprio’ n’est pas ladre sur la bouffe t’sais. Parfois, si on a de la chance on a les restes. La taverne est ma foi, fort bien décorée, on se croirait dans un vieil hôtel Parisien abandonné. Le sol n’est pas en terre battue, il est en pierre, vous avez vu luxe ? Quelle belle affaire! J’aime venir ici. Je m’y sens bien. Et parfois, je joue les économies de ma famille aux cartes. Misère, j’ai honte. »
Au moins Nathan subvenait à sa famille, lui. Il fallait positiver.


-Alphonse, je ne veux pas remettre en cause vos goûts. Mais. Voilà. C’est quoi ici au juste ?

Il rapprocha son escarcelle vers lui. Il se protégea. Ivre mais pas con. Il sut qu’il risqua gros. Apeuré, il se désira tiercelet, passant outre son statut. Il voulut un rédempteur, là, maintenant. Il vit trouble.
Besogneux, il abandonna sa prétention, il regarda Alphonse le visage saccadé entre une envie de vomir débectante et une adjuration de faire quelque chose.


-Alors ?

Impatient. Victime. Nathan.
Pauvre Alphonse.

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Alphonse_tabouret
Paris avait pour elle d’avoir tous les charmes et toutes les laideurs, Alphonse en avait toujours été convaincu, et s’il n’avait pourtant jamais pris grand plaisir à jouer les guides à l’exception de celui de la gitane dans les ruelles tortueuses du quartier des peintres, il se serait mordu les doigts de ne pas avoir pu assister à l’avalanche d’expressions que reflétaient tour à tour le visage du Berrichon.
De l’incompréhension, à l’espoir qu’il y ait peut être quelques personnes cachées dans les recoins, prêtes à déployer le satin, le fil d’or et la fourrure en riant de leur bonne farce d’avoir fait croire à Nathan qu’il allait vraiment s’assoir là, sur un simple siège, D’Ambroise semblait s’accrocher aussi fort qu’il le pouvait à l’ivresse pour éviter que le spectacle ne soit pire, et les verres de vin s’enchainèrent sur le billot de chêne pour répondre à cet appel, quel que soit le gout qu’il laissa au palais. La moue d’un sourire étiré sur son visage, le brun détaillait son hôte, bercé par un amusement qui n’en finissait plus de gazouiller, faisant irrémédiablement ouvrir un œil, puis un autre, au chat ainsi chahuté.
Habitué aux frasques et aux flacons dans lesquelles la noblesse aimait à se consumer, tour à tour esclave docile apprenant à s’incliner bien bas, caprice et tocade dans les bras de bien mieux nantis que lui, désormais commerçant de leur lubies, Alphonse ne portait que peu de cas aux extravagances que l’on pouvait croiser chez certains, s’amusant irrémédiablement de cette impudeur à se sentir assez souverain pour laisser transparaitre de la moindre contrariété à la plus grande émotion, étonnamment sincères et légitimes dans leur comportement. Si ça ne l’avait jamais empêché de porter un quelconque jugement sur certaines de leurs habitudes, le jeune homme ne pouvait que s’amuser de cet élan aussi convaincu que ravageur qui l’avait saisi à l’aube de l’après-midi dès lors que le nobliau avait ouvert la bouche
La taverne il était vrai, ne faisait pas étal des broderies délicates de l’Aphrodite, de la myriade de sièges confortables et de meilleurs vins qui peuplaient les adresses luxueuses de la capitale, ni même de la finesse exemplaire des services de quelques lieux où l’on entrait qu’à la faveur d’invitations bien précises, mais le comptable la savait de qualité, propre, agréable, et conviviale dès lors que l’heure emportait les esprits et les bourses au fond des godets … S’il avait grandi dans le luxe de la haute bourgeoisie, l’opulence écrasante du bordel dans lequel il travaillait désormais portait parfois les humeurs du comptable à la nausée, et Paris, quoiqu’on en dise, pouvait trouver son charme à l’ombre de murs patinés par le temps.

-Alphonse, je ne veux pas remettre en cause vos goûts. Mais. Voilà. C’est quoi ici au juste ?

Le sourire du comptable s’élargit, tendrement tranchant, les yeux tourmentés d’un désir aviné et d’un rire latent devant l’expression brave, grise et vaguement défaite du blond. Affamé de la vie dans toute son exaltation la plus délicieuse, plus encore depuis qu’il avait été extirpé de ce sommeil lancinant qu’était le deuil, le brun ne voyait pas plus loin que l’assouvissement, égoïste forcené que le sentimentalisme laissait perplexe comme s’il avait pu contempler un tableau de Buren et que l‘attachement faisait frémir, frileux, furieux. Chat, jusque dans sa façon d’aimer, le flamand n’avait mêlé qu’une fois l’honnêteté à la chair et s’était juré, fataliste, peureux, en colère, qu’on ne l’y reprendrait plus, la douleur était trop dense.
Le mouvement de la main à la bourse qui ramena précieusement l’argent à son giron ne lui échappa pas s’il ne quitta pas de suite les yeux du jeune homme à ses côtés, mais il ne put s’empêcher de suivre la courbe des lèvres dans son abdication, laissant D’Ambroise presque fragile, presque irrésistible, presque lunaire:


-Alors ?


-Nathan, sachez déjà que je vous autorise me concernant, à tout remettre en cause, mes gouts y compris, répondit Alphonse, avec une servilité doucement impertinente en posant son verre vide sur la table, le sourire incapable de résister à l’envie de dévoiler une moue espiègle sur son museau, amusé et nullement vexé par l’attitude du blond. Vous vouliez un tripot parisien, je vous offre une légende… Le jeune homme se pencha vers son voisin, ne séparant leurs têtes que de quelques centimètres, désignant d’un index discret l’ensemble de la salle quand il laissait l’ombre de son regard glisser de silhouettes en silhouettes. Songez à quoi vous allez survivre ce soir, et comment vous le raconterez de retour sur vos terres… Les convives, affreux, terribles, tellement plus laids que vous… De vous à moi, ne vous approchez pas trop du grand roux, il parait qu’il mord, lui confia-t-il d’un air entendu dans un sourire retenu, en reprenant : Le mauvais gout qui, s’il vous a fait vaciller, vous a bousculé, presque mis à terre, j’en suis témoin, ne vous a point fait vomir… A ce sujet, félicitations, fit il, badin, en osant un de ces gestes d’affection légitimés par le cap d’une épreuve aussi difficile, posant brièvement une main sur l’épaule pour la presser doucement… Et puis, la carte désastreuse à laquelle on a failli vous soumettre, menaçant d’esquinter votre palais… reprit-il en finissant d’énumérer tout ce que son voisin avait pu souligner depuis qu’ils s’étaient installés. Il reporta son regard sur son hôte, repoussant ce moment insupportablement dangereux où l’on est ivre et séduit par l’idée de s’abandonner au luxe de l’éther, délaissant derrière la distance qu’il installa entre eux et le geste qu’il adressa au patron, le baiser qu’il eut envie d’appliquer aux lèvres nauséeuses du blond. Alors pour l’heure, je me sens d'humeur à l'épopée... Je vous sauve, proposa-t-il, laissant s’attarder à ses prunelles, le parfum de l’ivresse grandissante. Qu’est-ce qui vous ferait plaisir ? , lui demanda-t-il quand le patron posait, une bouteille de Rhum sur la table et repartait sans même compter les écus que le comptable avait glissés dans sa main.
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Nathan
Qu’est-ce qui vous ferait plaisir ?
Oh, pas grand-chose en somme.
La question fit l’effet d’un boulet de canon. Nathan eut tout ce qu’il voulait dans sa vie. Les cadeaux, c’était quotidien. À son grand désespoir, il en perdit la saveur. Les papilles trop habituées aux délices. Nathan aima les présents sucrés comme les pâtisseries hors de prix ou les vêtements. Le jeune blond voua un culte pour les atours et il associa facilement ceux-ci à cette saveur si particulière. Ce fut joliet de le penser ainsi. Mais il raffola de l’épice, il aima sans pareil. Il aima Adam. Il rejeta sur Eve l’amertume. C’était un fait. Nathan n’eut plus l’affection pour la femme. Il se fit même, parfois, l’imprécateur de la femme. Misogyne.
On ne posa jamais la question à Nathan. Cette question si simple, si basique, pour laquelle deux secondes suffisaient à donner un bonheur immense. Nathan n’eut jamais à ses oreilles ces mots si purs : Qu’est-ce qui vous ferait plaisir ?
Oh, bien des choses en somme.
Nathan aurait aimé être un démiurge, un grand démiurge, dans un égotisme complet : l’homme qui eût créé l’art. Cesser d’être un histrion, le dramaturge ne lui sied pas. Il se donnait le genre et le style. Il se fabriquait l’image de ce qu’il ne fût pas avec une pugnacité si forte, qu’il se résolut à jouer de ce fardeau. Il fut un comique séditieux.
Mais en réalité, il aurait aimé, il aurait désiré qu’une seule chose.


-L’amour.

Tel le jeune blond primesautier qu’il eût été, Nathan répondit rapidement juste après le départ du maître de céans. Il fallait dire que les progrès furent tangibles. Il n’avait plus l’innocence dans son giron. Il devint maître. Nathan ne se fit pas de fausses idées sur Alphonse, le comptable du lupanar, fut repéré dès que ses regards se firent de plus en plus fréquents avec un autre courtisan de l’Aphrodite. Après tout, c’était tout à fait normal. Mais en rien Nathan n’était dupe. En rien il n’eut son comportement désultoire habituel. Il fut sérieux. Il n’allait pas disconvenir que cela le frustrait, il n’était pas libre de sa pensée, ni de ses actes. Euphorie enivrante. Nathan eut été un penseur inné. Mais les maux venaient très vite lors de sa réflexion. Le résultat s’en découla d’un amour propre décomplexé, assumé, préférant le titre de tyran plutôt que de faire florès. Et pourtant… Nathan plut. Dans le vif du sujet à chaque fois. Il était juste un homme de scène, aspirant à recevoir l’approbation du peuple. Mais il se pensait en réalité, doté d’une imagination anorexique reposant sur une quiétude relative d’un concept masculin de la licorne. Palpitant.
Nathan ne se prenait plus au sérieux. Il secoua la tête, quittant sa sirupeuse pensée. En rien la voix de velours d’Alphonse ne put le résoudre à répondre un simple : amour. Il aurait aimé se faire recouvrir de suaires plutôt que de ne pas saisir sa chance.


-Si je n’ai pas encore rejeté l’alcool ingurgité cet après-midi, c’est très simple. Alphonse vous ne m’êtes pas indifférent. C’est patenté. Pour d’autres, rien ne se voit, mais moi, oui. Nous avons les mêmes frasques. Alors cet endroit est certes immonde, mais si je reste c’est pour vous.

Il retroussa le nez. À vrai dire il n’eut jamais conversé de la sorte. Il rosit légèrement et décida d’entamer la bouteille, là, comme ça. Et il but. Il fuit. Il courut loin, loin dans les sombres recoins de son esprit. Se réfugiant dans et par l’alcool. Altération de la sensibilité. Il fut désemparé, désabusé. Il s’était vendu, si, facilement. Il songea qu’il puisse, dans la pire des situations toujours stipendier pour le faire taire. Émaciation de son esprit, il a peur. Il s’évoque une haine interne. Il ne s’aime plus et perd tout amour propre. La pâle figure. Diaphane avéré. Il se sent fantomatique. Existe-t-il ? Sa couardise lui faisait plaisir.
Relevant la tête, l’air fat, pédant, hautain comme un futur duc de Berry qui se respecte. Aliénation à l’étiquette. Il se fit positionna dans la chimère inaccessible.

-On me dit que les belles choses doivent circuler. Pensez-vous que l’amour est une belle chose ? Pensez-vous que la disparition permet tous les stupres ? Pensez-vous pouvoir oublier mes dires ? Pensez-vous pouvoir m’épater ?
Je m’ennuie Alphonse, ma vie se résume à un quotidien déplaisant. J’ai tout et pourtant j’ai tout perdu.
Seriez-vous prêt à accepter de ne pas me penser comme tous les autres. Comme tous ces parvenus qui m’entourent ?
Je reviens sur mes dires. Je ne désire pas l’amour. Je désire une nuit. Seriez-vous capable de me l’offrir ?


Raté, il le voulait. Comme si il eut pu disposer d’Alphonse telle une friandise épicée à la malice.
C’était cette liberté qu’il affectionnait à Paris. Ici, il était libre. La force lui était de le constater, qu’à Paris il était libre. Il n’était pas prisonnier comme en Berry. Paradoxe. Il eut pu crier : liberté. Il quitta son envie euphorique, son imagination sur les licornes.
Alphonse était l’homme de sa soirée.
Nathan tomba sous le charme.

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Alphonse_tabouret
L’amour.

La simplicité première de la réponse tomba, si légère qu’elle en éclaboussa les lèvres D’Ambroise de lumière, si lourde qu’elle occulta un instant l’étincelle vive qui dansait dans son regard avec une désarmante facilité. Le mot sonnait aux oreilles du comptable comme une folie douce, une hérésie joyeuse, un culte dont on ne ressortait jamais le même, transfiguré jusqu’à la moelle d’un autre et de soi-même voué à l’autre… un échec fatal, éblouissant, addictif…
Le sourire d’Alphonse prit une teinte plus affectueuse sans s’en apercevoir, l’alcool ralentissant depuis quelques instants déjà, l’agilité du jeune homme à alterner les masques sur ses ressentis pour n’en laisser paraitre que ce qu’il voulait


-Si je n’ai pas encore rejeté l’alcool ingurgité cet après-midi, c’est très simple. Alphonse vous ne m’êtes pas indifférent. C’est patenté. Pour d’autres, rien ne se voit, mais moi, oui. Nous avons les mêmes frasques. Alors cet endroit est certes immonde, mais si je reste c’est pour vous.

Le culot avait autant de charme que les grands sentiments aux yeux du comptable dont chaque mot se frayait un passage à sa perception savamment biaisée par les volutes rubicondes du vin. Le chat, suivit en silence le mouvement de Nathan à se jeter dans le flacon qu’on leur avait amené pour délayer le rose de ses joues aux teintes chaleureuses de l’alcool, et se fit la réflexion que le blond était encore plus touchant quand il avait l’air perdu plutôt qu’habillé de sa couronne de lauriers. Empereur en son domaine, César dont le talon claquait sur un pavé de marbre, à cet instant ci, Nathan fut beau d’être juste Nathan, et cela acheva le brun à empoigner ses propres démons à bras le corps quand déjà, la morgue revenait au visage du berrichon et le remontait vers lui avec une détermination farouche qui amusa tendrement le jeune homme

On me dit que les belles choses doivent circuler. Pensez-vous que l’amour est une belle chose ? Pensez-vous que la disparition permet tous les stupres ? Pensez-vous pouvoir oublier mes dires ? Pensez-vous pouvoir m’épater ?
Je m’ennuie Alphonse, ma vie se résume à un quotidien déplaisant. J’ai tout et pourtant j’ai tout perdu.
Seriez-vous prêt à accepter de ne pas me penser comme tous les autres. Comme tous ces parvenus qui m’entourent ?
Je reviens sur mes dires. Je ne désire pas l’amour. Je désire une nuit. Seriez-vous capable de me l’offrir ?


Il aurait voulu lui dire que l’amour était une belle chose, terrible, empirique, cruelle, qui tuait autant qu’elle nourrissait, que son cœur à lui était sec d’avoir aimé, d’avoir perdu, d’avoir envie… Mais le comptable n’était pas amateur de mots, taiseux pudique autant que craintif jusqu’au bout des griffes dès lors qu’il s’agissait de donner une coquille au sens diffus des ressentis et sa réponse vint, chatoyante d’une envie spontanée vrillant ses tempes d’une nouvelle ivresse, dans la dextre qui se tendit pour cueillir le haut de la nuque, s’enfouissant en étoile habile dans les cheveux du jeune homme, quand ses lèvres venaient se plaquer à celles de son voisin de table, brulantes, mais encore chastes, trahissant l’épidermique sensation de cette faim mâle par le resserrement quasi imperceptible de ses doigts mêlés de blondeur.
Paris était libre, et Alphonse assez prudent pour ne choisir à commettre ses frasques que dans la plus totale impunité, à la faveur de l’opacité ou au chaud de ce qu’il savait être un ilot de paix dans le tumulte cacophonique des chemins empruntés. Et ici, à cet instant là, dans l’indifférence totale des convives et du patron qui avait vu bien pire au cours de sept années égrenées follement par le flamand dans l’espoir enfantin de remplir la coupe jusqu’à la lie, Paris avait déjà l’odeur à la fois délicate et dangereuse de tous les possibles. Sa main relâcha la nuque quand il s’écartait à peine de Nathan pour répondre, distillant à ses lèvres proches, son souffle tiédi d'une langueur fervente dont la braise picorait la pulpe de ces doigts d’un feu salé jusque dans un sourire aiguisé des délices à venir, entraperçus un instant :


-Accordé…


Du chemin jusqu’à la chambre, le comptable ne garda que le souvenir d’une brulure, une bourse laissée sur la table jusqu’alors occupée, et sage, tout en retenue, les crocs pointant doucement derrière son sourire quand il referma la porte derrière eux, D’Ambroise irrémédiablement à propos et décalé aussi merveilleusement apprêté dans la coquetterie sommaire du lieu, le brun s’approcha de sa proie. Plus de témoins, plus de limites, plus de barrières.


-Ce soir, vous n’êtes plus un étranger… Désormais devant lui, les yeux sombres du comptable s’ancrèrent, sélénites concupiscents, aux nuages du jeune homme… ni client de l’Aphrodite… Sa main cueillit la hanche quand l’autre glissait à ses reins et que son ventre apposait sa chaleur au sien au travers des tissus… ni même Duc… Sa bouche vint chercher la sienne, entêtante, brève, mordante, avant qu’il n’enchaine, cabot quand le chat ronronnait, doucement carnassier: Cette nuit, vous êtes à moi…

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Nathan
Il eut été évident que la passion pointa son nez sublime à cet instant. Et avec simplicité, Nathan aima. Il aima le déchainement, il aima les chutes d’émotions, il aima le frisson qui parcourut sa peau. Un frisson partant du bas de son dos qui, empirique, se propagea à travers son corps. Une torpeur physique de quelques instants et le jeune blond tomba. Il aima se choir dans les bras de l’apollon, il ne s’adonna pas au simulacre de ses premiers ébats. Non, le jeune Ambroise éprouva le désir physique, quittant l’ingénu romantique, de cette soirée. Après tout, rien ne fut plus insignifiant dans l’amour que le romantisme. Il ne se méprit plus. Nathan s’accorda la frasque délicieuse, juste une soirée, juste une nuit, juste un lit. Rien d’abstrait, du concret, il toisa, il toucha, il sentit, il huma et il savoura. Tout chez Alphonse venait à accorder son envie séditieuse à une place de premier choix. Une volonté de se révolter contre le fondement du bien-pensé, de ce qu’était l’amour aux yeux d’autrui. Il ne se décrivit pas comme l’intermédiaire d’un changement déjà engagé. Nathan voulut quitter la vox populi, se démarquer de l’académisme de la vie. Après tout, il eut été suffisamment soutenu. Malheureusement, les belles pensées cessèrent à l’état embryonnaire. Nathan fit l’exhaustion de son amour déviant. Le secret eut été la plus judicieuse, la délivrance la plus hasardeuse. La réponse ne fut pas aisée.
Cependant, avec lui, avec cet homme, avec Alphonse, la question ne se posa pas, il embrassa, publiquement. Il empoigna le destin, Nathan se laissa faire. Docile. Il n’allait pas défroquer. Aliénation. Il n’y eut pas le besoin de converser. Juste, peut-être, le besoin de regarder. L’opiniâtreté que Nathan pouvait montrer dans le besoin du regard fut besogneuse. Il s’aimait à regarder. Il s’appréciait à être regardé. Sous les regards il vivait. À l’écart il se risquait à l’immolation dans un mausolée. Tout en un.

En cette nuitée il fut tout à lui. Ses paroles devinrent des apophtegmes concis, précis, brefs et plaisants. De quoi infatuer Nathan pour des années. Loin du sirupeux, loin de la chimère affective. Nathan pensa bestialement. Plan cul. Son front s’emperla délicatement, ses baisers s’osèrent à quitter les urbanités. Ses mains s’aventurèrent sur un corps inconnu. Il sourit. Il évita de lancer une parole maladroite. Ç’aurait été ubuesque. Et c’est avec zèle que Nathan Sidjéno d’Ambroise quitta l’étiquette, c’est avec plaisir qu’il s’adonna à cette vilénie qu’est l’amour. Il fut le médiat entre la bienveillance et la malveillance. Il ne pâma pas. Il aima son corps, qui tout entier, exhala son désir peccamineux. Il agit avec une outrecuidance remarquable, battit sa coulpe, il fut mauvais plus tôt dans la soirée. Né de la culpabilité, l’excuse chez Nathan, fit de lui un Séide qui dans bien des cas l’amena à recevoir un satisfecit quintessencié. Il aima et quitta le drôle de personnage fat qu’il fût. Il purifia son cœur. Il fut fin prêt.
C’est alors, avec une exquise habileté, qu'il s’éloignât de l’enlacement d’Alphonse. Il fit l’amende honorable. Il se donna comme il sut si bien se donner. Un objet fantastique. Nathan fut le désir de tous. On ne lui résista que trop rarement.
C’est ainsi, qu’il quitta ses atours. Il quitta sa fortune. Il quitta son rang. Il quitta la ville et prit une voiture pour s’enfoncer sur le chemin carrossable du septième ciel.
Alphonse fut l’artisan qui répara le sentier.
Alphonse… Le regard se fit intense, plus rien. Nu. Parfait Adam. Il se délecta de la situation. Troublant. Il s’avança dans le stupre et lui donna un baiser si intense qu’il eût pu certainement faire jouir la nonne la plus frigide de cette terre.
Bienvenue dans le monde de Nathan Alphonse, bienvenue dans la frivolité, la vélocité et dans le piédestal du désultoire en ce bas-monde. Il murmura malicieusement.

-Vos lèvres sont bonnes. J’exige à voir la prise de possession. Attention, je juge.

Il se mordilla les lèvres, esquissa un léger sourire et s’en alla l’embrasser une seconde fois tout en passant sa main dans ses cheveux bruns. Il n’était pas dans un simulacre. La passion eut été là.
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Alphonse_tabouret
Une nuit avait demandé Nathan, juste une nuit, quelques heures jetées à la surface ondulante du hasard, au creux d’une brulure fraiche qui annihilait de son odeur salée le passé immuable, le présent fuyant et le futur inexistant. Aux lèvres blondes, le temps choisit d’incliner sa courbe et jura sur la tête même des anges qu’il ne reprendrait son cours que lorsque les deux hommes se rendraient compte de son existence. Nié, aboli par l’instant précaire, par une soif inextinguible que toute l’ivresse du monde n’aurait su conduire à la satiété, le Titan stoppa sa course à la fenêtre de l’auberge, les yeux rivés sur les corps enlacés dont les bouches fiévreuses débordaient du souffle pour conquérir la peau.

Rouvrant les yeux quand Nathan quitta la chaleur de ses bras, ancré un bref instant dans cette nouvelle réalité où les dieux n’avaient plus le droit d’épingler leurs dogmes sur les cranes insouciants de leurs enfants, le brun pencha la tête, la langue passant sur sa lippe, quand, une à une, les pièces d’armure D’Ambroise chutaient au sol dans le fracas léger du tissu, jusqu’aux armoiries, lauriers dorés ceignant son front. Le sourire du chat s’étira à ses lèvres quand il se débarrassait de sa chemise en la passant par-dessus sa tête, la laissant choir à ses pieds, doucement sauvage jusque dans la lueur de l’œil sombre, velours tendancieux qui épousait chaque forme qui se soumettaient à sa gourmandise.
Ce soir, il bravait le Soleil, s’entichait de la Lune, et découvrait devant lui, un jeune homme blond, glabre, fait de lignes sinueuses dont chaque affleurement soulignait une pureté condamnable, une statue dont la peau roulait délicatement sur les muscles fluides, et le fauve, esthète, au travers des mèches brunes qui balayaient son regard lascif, affina son sourire quand ses doigts rejoignaient le cordon de ses braies pour le dénouer, dévasté par le parfum unique de la simplicité, épris de l’instant qui s’offrait à lui.

Le havre du souffle blond embrasa sa peau quand ils renouèrent l’étreinte, brulée des quelques mots confiés à la faveur d’une voix basse, d’un ton où la malice n’avait rien de mauvaise mais tout de beau, de désirable, langage propre aux errants. Alphonse se laissa emporter, définitivement ému par le baiser de droit divin reçu juste à l’instant et dont la lame incandescente menaçait son ventre dans la récidive du blond, le jetant sans ménagement dans la déraison carnivore de son esprit et de son corps. Les mains se firent outrageusement câlines, propriétaires, s’adonnant à une découverte possessive du marbre délicat réchauffé au creux de ses bras quand ses lèvres embrassaient, happaient, et découvraient ses crocs qui croquèrent, tour à tour tendres ou acérés, la ligne délicate de l’épaule jusqu’au nacre de l’oreille. La valse des corps se poursuivit, délicieusement étroite, entrecoupée d’un souffle qui prenait la couleur d’une source au fur et à mesure de la brulure qui grignotait la chair quand les tempes pulsaient, éthérées, du bouillonnement vif de l’alcool.
La main du flamand empoigna la nuque de Nathan, quittant ses lèvres d’un baiser furieux où l’animal ne se dissociait plus de l’homme, et d’un geste sûr, définitif y fit pression jusqu’à ce que le blond soit assis sur le bord du lit. Le surplombant, retrouvant dans cette séparation une once de son flegme, une tendre insolence peinte jusque dans le sourire qu’il lui adressait, dans le désir raide qu’il affichait sans pudeur, la lueur de ses yeux sombres vacilla d’un appétit entier, et écartant d’un geste lent, les jambes du jeune homme, il s’agenouilla entre, murmurant aux lèvres parfaites, avant de les embrasser quand il glissait le long du corps jumeau :


-Jugez de la vue… Les baisers s’égarèrent, denses, le long du cou, du ventre pour se perdre aux cuisses… je me ferai bourreau…, acheva-t-il à la manière d'une promesse, relevant le nez, coulant aux yeux clairs, l’opacité de sa sentence dans un sourire faune.
Sous l’œil rond de la lune, le flamand s’avança, avec l’habileté la plus dévastatrice, la fièvre la plus saine, vers le premier délit menant à sa condamnation, accordant de sa langue, victime tortionnaire, les attentions les plus entêtantes à la magistrature qu’il tenait en bouche

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Nathan
Le plaisir, une vielle tocade. Nathan eut toujours la folie de se l’accaparer pour l’éternité. Il sut toujours mener la brigue pour l’avaler, l’engloutir, le gruger tel un ogre. Il se cacha bon nombre de fois sous la maussaderie de l’altruisme, et pourtant, il fut positionné comme le zélateur de la générosité. Comme le garçon idoine à ce genre de « pratiques ». Il voulut se comporter comme un ladre. Il ne put le faire. Non pas qu’il fut un être pusillanime. Mais plutôt soumis, déférent au plaisir unique. Il n’eut pas l’ingénuité de croire en le seul et véritable amour. Il n’y croyait plus. La méprise s’empara, dans un premier temps, de son âme, puis, dans un second de son cœur. Nathan eut le cœur de pierre. Cœur allant aux antipodes de la maison des Ambroise. Le cœur d’artichaut, trop peu pour lui. S’il eut la naïveté, de croire encore en la romance, il se serait passé du partage. Il aurait cru au coup de foudre et à l’amour. Malheureusement, l’individu fut rare, l’homme éternel et le plaisir corrompu. Nathan se donnait à l’autre connaissant la finalité. Le néant. Joliette tristesse qu’on eût pu éprouver à le penser de la sorte. Jeune et désillusionné. Jeune et sérieux. Jeune et vieux.
Il eut le regard hagard dans l’enchainement de l’action. Puis, la malice s’empara de son corps, le frissonnant, le gonflant, l’exaltant. Pour marquer le premier acmé, un râle enroué sortit de sa bouche entrouverte, Nathan subit de plein fouet l’expérience de l’ainé. La jouvence, mise à mal, par un simple jeu ouvrant le début des festivités. Le regard devint libidineux, dardant quelques frémissements, donnant le rythme de l’affaire. Le souffle s’accélérant, la lèvre inférieure fut mordillée.
Il s’accorda une constance pugnace, pousser le bonheur le plus longtemps possible. Faire d’Alphonse, plus qu’un amant d’un soir qui lui causera, à un moment donné une affliction dévorante, qui sera la base d’un spleen. La pensée le traversa, la pensée lui plut tout autant que le stupre, le jeu qui menait à la bataille. Il fut pris au dépourvu, il en fut dépouillé de toute gêne. Le corps galbé et diaphane, il s’allongea sur le lit et poussa un gémissement de plaisir séditieux, tellement qu’il fût contrôlé face au travail accompli. Il ne se pâma pas. Et lança les premiers mots sous le ton primesautier.


-Je ne puis me faire juge que de votre expérience et non pas de votre présence. Et pourtant, je me plais à vous croire bon bourreau. Laissez-moi vous défaire de ces faix.

Il s’écarta, patentant son envie de le mettre à nu, de le défaire de ses étoffes. Il se mit debout avec une douce vélocité, faisant de son action un inversement périssable et tacite. Il lui imposa sa manière de voir le jeu s’exécuter en jouant sur les bords d’un marasme interne, se jouant de l’assentiment comme un enfant put jouer de son épée de bois. Le jeune garçon de Louvières, sous la fière tenue d’Adam, se positionna tel un conquérant, à cheval, à l’envers. Il se pencha et vola, tel un impudent, quelques douces sucreries, il pensa le goût, à ce moment, ainsi : sucré. Alphonse lui était encore inconnu et pourtant, il le pensait accompli. Le mésestima-t-il ? Il en haussa les épaules. L’air mignard, il jeta un rire légèrement mutin, s’amusant de la situation peccamineuse. L’envie de connaître, de découvrir davantage envahit alors son esprit, l’émaciant de ses valeurs. Il délassa la pudeur pour amener à lui le corps grivois, licencieux, nu, Adam, amant. Il s’afféra à la tâche en accordant quelques baisers, se faisant le juste déférent de cette nuit-là. S’abandonnant dans une sensualité éthérée. Poursuivant la chimère encore bien trop précoce. Il abjura les défauts. Il se consacra à être le démiurge d’un plaisir de chair parfaite. Et c’est alors, une fois nus, tous deux, que Nathan se colla à lui et fit les louanges de sa bouche. Il passa sa dextre dans les cheveux de l’ébène et l’entraîna dans l’abdication des positions. Une révolution, une nouvelle, encore. Nathan se remit sous les atours glabres et dénudés de la sirupeuse victime, se plaisant à son statut. Se permettant de lâcher prise et de donner à Alphonse, la préséance sur son corps sans s’accoutumé à une urbanité déplacée. Il fit le vide dans son esprit, et c’est alors que le comptable du lupanar, devint l’être le plus important à ses yeux.
Alphonse devint Atlas. Une torpeur s’en dégagea, subjugué, il le regarda fasciné.


-Le bourreau me plait, je le pense avec la volonté de s’appliquer à la tâche en toute quiétude. Vous me plaisez Alphonse. Vraiment.
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Alphonse_tabouret
Assailli par les gestes brulants, l’exquise audace dont chaque attention se déployait à sa peau, Alphonse se fit un instant Egoïsme Lascif, reconnaissant la griffe lancinante du désir le plus intact, et se laissa porter, avide de cet empressement à semer à sa chair, l’usufruit. Le souffle se hacha de plus en plus distinctement, s’entrecoupant de retenue quand le ventre dardait de trop son impatience sous la justesse d’une caresse attardée, l’équivoque d’un baiser gourmand, la perdition d’une langue têtue ou bien tout simplement la chaleur de ce corps blanc dont chaque ligne semblait avoir été lissée pour s’accorder au venin de ses envies. Il offrit sa nuque rétive au fil du plaisir, se perdit à honorer ce corps qui le choyait avec une volonté sainte, si merveilleusement impudique et dévouée. Asservi à un présent éphémère dans le grognement rauque et suppliant de sa gorge quand l’extase le frôla, rappelant à ses tempes des promesses plus terribles, il dut sa délivrance à la voix de Nathan qui troubla l’onde feutrée et musquée de la pièce.

Le bourreau me plait, je le pense avec la volonté de s’appliquer à la tâche en toute quiétude. Le sourire fauve se sertit, en guise de réponse, d’un rire silencieux dont la simple expression résidait dans la prunelle brune, espiègle. Vous me plaisez Alphonse. Vraiment.

Exaspérant de simplicité, fatal jusque dans la spontanéité du mot et de son expression, naïf ou bien d’une pureté vile pour son âme fractale, fait pour vous porter l’estocade, vous poignarder au creux du muscle, sans la moindre difficulté… tel était le pouvoir qui auréola d’Ambroise dans l’infime silence qui suivit son jugement. Transfiguré de ce que le flamand imagina lubie, le visage éclairé de Nathan saisit Alphonse d’une seule aiguille mais la lui enfonça jusqu’à lui transpercer le cerveau. Une seconde, le comptable éprouva la montée fulgurante d’une amertume noire, sitôt balayée par la clarté des yeux levés sur lui et se rendit compte que ses lèvres s’étiraient sans qu’il ne les commande vers un sourire gracieux, étrangement satisfait, enorgueilli d’une particule neuve que l’aube s’empresserait de couvrir du voile de la raison, savante ou pas, mais fière protectrice de la nonchalance féline.
Pendant une seconde, Alphonse fut romantique, abattu en plein vol sur les ailes sanguines d’Éros (*), avalé tout cru par les mâchoires béantes de son enfer. "L’acidité de la croyance valait mieux que le gout vaporeux du rêve, la chute n’en éclabousserait que moins", tel était le parangon sous lequel marchait le jeune homme depuis ce qui lui sembla une éternité à cet instant ci.
Alphonse en était convaincu, Nathan était un de ces êtres entiers, merveilleux, indécis, que la marque du destin avait auréolé en lui baisant le front à peine né, dédié à s’assouvir dans tout avec la passion futile de ceux qui ont tout. Lui, était né pour la servilité, pour répondre aux aspirations des autres, incapable d’imaginer pouvoir en faire partie, brisé mille fois avant d’être mille et une fois rafistolé pour avancer, et en gardait, incrusté jusque dans les os, un réflexe docile incontrôlable, rongé par une impertinence revancharde qu’il avait choisi d’exprimer dans l’absolution de la chair... A mille lieux de deviner le blond asservi à sa propre carapace, écorché lui aussi par le vide insidieux d’une existence désassemblée, ému autant qu’amusé sans se l’expliquer, Alphonse fit étonnamment la même réponse qu’il aurait eu en lisant Nathan avec plus d’attention:


-Tu me plais aussi. L’abolition du vouvoiement se fit dans ce que la confidence avait de plus simple, exercice périlleux pour le taiseux qu’était le chat, réflexe que n’abolissait que la sincérité, induction ténue d’un battement d’âme. Vraiment, répéta-t-il en le saisissant pour le ramener à ses lèvres, et s’y abandonner, ses mains enferrant le visage à sa bouche et l’y gardant, longtemps, ardent autant que méticuleux à disperser au souffle jumeau la douce ivresse du sien.

Je serai jouet, si tu en as envie, lubie, curiosité, passade… Ton prétexte à venir te perdre ici où tout est plus facile parce que tellement grand et assourdissant… Je serai l’oxygène qui sitôt respiré se dissout sans plus laisser de trace, et disparait au profit du parfum des autres… mais en échange, tu me regarderas toujours comme ça…


-Tu as le gout de l’air, chuchota-t-il, souriant, aux lèvres mâles, bercé par ses pensées, par le besoin de dire les choses dans cet encart stérile, condamné, si bruyant de secrets, laissant à sa voix assez de concupiscence pour masquer l’essence délicate de la confession, enfouissant son nez dans le cou avant de mordre sa proie, réflexe animal du fauve dont le désir s’alarmait. Écho aux froissements des draps, les corps se lovèrent, s’étirèrent au hasard d’une dernière folie jusqu’à ce que le bras d’Alphonse ne plaque le dos de Nathan à son ventre et que sa tempe ne vienne s’appuyer à la sienne par-dessus son épaule, agenouillé l’un contre l’autre, ondulant à l’orée des reins. A moi, rappela-t-il, tendrement carnassier, voluptueusement intransigeant quand les corps se gorgeaient de nouvelles sensations, la voix enrouée du plaisir éclatant à son ventre dans sa lente conquête. La dextre à la hanche blonde s’amarra, propriétaire, la senestre au cou bascula la tête de Nathan en arrière pour en offrir le fil à sa bouche et rejoindre le creux de l’oreille , y répétant sa sentence dans la couleur fauve de l’étreinte avant de consentir à laisser le poids de l’amant basculer en avant pour qu'il trouve l’équilibre de ses mains et lui offrir, dès lors, fiévreux, sa plus entière dévotion et ses plus alarmantes attentions.


(*) Extrait des « Anagrammes renversantes » : les liaisons dangereuses : les ailes sanguines d’Eros

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Nathan
Ce fut un sisyphe pour Nathan que de penser pouvoir abolir les impédimentas du vouvoiement. À l’évidence il eut la joliette surprise, que de voir l’effacement de ces barrières se faire avec une aisance remarquable, délaissant sans désire le frimas d’un « vous », et ce, nonobstant un fourvoiement qu’il se tançât d’admettre. Le plaisir se décrocha par le vol de quelques baisers fugaces, qu’il eût pu prodiguer afin de partager son approbation naturelle à ce rapprochement soudain. Il trouva la situation cocasse, pensé de la sorte, alors que leurs deux corps furent proches et ardents, tous deux bouillirent dans le plaisir vespéral. Il aima le moment, le stupre, cette affaire. Il n’agit alors plus avec l’outrecuidance innée, il marcha sur les œufs, fraîcheur. Ses yeux pétillèrent, la malice envahit telle une fière conquérante son visage, de façon empirique. Il se complut, laissant le soin à Alphonse d’envahir sa sensation. Le plaisir fut tacite, Nathan lâchait le commandement, il ne s’en déplut pas et trouva dans le laisser aller, la prise de possession de la chair, un plaisir qu’il sût inavouable au grand public. Il s’aventura dans une thébaïde interne, jouant avec & par lui-même à un jeu anodin : la justification.
Tout dans la vie de l’Ambroise est un jeu, la mort, pour lui est un jeu. Il les classe selon le plaisir qu’il en tire. La mort eut été un peu moins drolatique que l’amour, mais sa philosophie de classification de le tarauda jamais. Il voulut même en faire un parangon, car selon lui, par cela, la vie humaine ne serait plus une triste affaire, mais une entreprise plaisante. Le tout bien évidemment grimé par des urbanités et déférences légendaires, qui firent la réputation du garçon de Louvières.
Une accélération s’opéra, Nathan eut le regard hagard, il s’en mordit les lèvres avec une passion qui ne fût pas tancée. Il trouva la prise congrue et se laissa choir sous les attaques. Il quitta les oripeaux de l’ennui pour les atours de l’impétueuse ardeur. Il se glissa à son oreille, le souffle chaud et doux et lui glissa quelques mots.

-Tu as le goût d’une noblesse perdue…

Il le regarda déterrant un soupçon dans une contemplation ingénue. Il ne sut discerner correctement les limites de ce trésor et le relégua dans les abysses de son esprit. Le désir eut un satisfecit impromptu. Il conclut.

- À toi.
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