--Ayena_de_t.
[Languedoc. Vers le 10 Aout.]
Une marche, une autre. Ayena entre dans la voiture et ferme elle même la porte. Voilà. Elle vient de poser son pied pour la dernière fois sur ses terres. Elle part. Elle fuit. Enfin bref, elle quitte son Comté d'adoption, celui où elle a connu l'amour, la mort, le veuvage. Elle ne pourra que voir un meilleur avenir. Car pour elle, le séjour languedocien a été si terrible qu'elle en sort blessée, estropiée. Moralement s'entend. Car estropiée physiquement, elle l'était déjà avant. Suffirait pas de mettre sur le dos du Languedoc toutes les peines du monde non plus.
Un dernier regard à la porte de la forteresse, l'esprit vide, le cur gros. C'est ici qu'elle a vécu pendant près de deux années. Deux années très riches en bouleversements. Très ? Trop. Si elle reviendra ? Peut être. Peut être pas.
La voiture s'ébranle. Le top départ a été donné. La Baronne se refuse à regarder le paysage défiler. Aussi darde t-elle plutôt ses yeux bleus sur le visage de son fils qui gazouille dans un couffin posé sur la banquette opposée. Il ne se souviendra pas de Crussol, de sa falaise, des gorges ardéchoises, du vent, de la chaleur... De l'accent des autochtones... De son père. Ha ! Le père. Adrien Desage. L'Hibou du Vivarais, qu'on lappelait, de son vivant. Et, égoïstement, en se retirant, Ayena espère que les souvenirs de son tendre et cher époux s'évaporeront. Car il est temps pour elle de revivre. De s'ouvrir à nouveau au monde. Parce qu'elle est jeune encore, parce que son fils doit avoir pour père autre chose qu'un fantôme. Parce qu'elle a envie d'avancer. De cesser de râbacher. Se complaire dans le désespoir, elle en a marre.
Et quoi de mieux pour oublier que de renouer les anciens liens d'amitié ? Ceux qui ont été laissé de côté le temps d'une idylle matrimoniale et d'un veuvage catastrophique ? Ayena a été invitée à bouger. Elle ira chez Elisel d'Andéol. Parce que c'est très loin, qu'elle ne connait pas... Et qu'il y a peut être là bas des célibataires compréhensifs (car il faut l'être sacrément pour convoler avec une boiteuse veuve et mère !).
Malgré elle, le dehors l'attire. Alors elle admire, pour une dernière fois, les hauts et les bas qui soulèvent les terres, qui lui donne sa vie, son caractère. Elle grave dans son esprit les routes qui tournent, les chemins cahoteux, les fleuves rebelles qui descendent au fond de la vallée. Elle dit au revoir aux châteaux, aux chèvres, aux bergers, aux vins. Et elle pleure le fenouil, les rillettes, l'huile d'olive.
C'est une tristesse sereine. Comme voulue, comme aidant à la cicatrisation. Même superficielle, qu'importe. C'est mieux que rien.
On roule jusqu'à ce qu'Ayena ait les hanches fourbues, la jambe qui palpite d'une douleur continue. Et puis on décide de s'arrêter pour la nuit.
La jeune femme est montée seule dans sa carriole, mais ce soir, elle a besoin d'aide pour en sortir. Car la Boiteuse est vaillante au repos, mais dépendante des autres rapidement. Elle prend sa cane et se laisse porter hors de la voiture par un valet qui n'a d'autres responsabilités que celle de maintenir debout la Talleyrand.
L'auberge est vide, ils sont les seuls voyageurs de passage. Tant mieux. Tant pis. Car cela impose une face à face entre Ayena et son vassal. Et cela a parfois des conséquences étranges.
- J'ai faim, pas vous ?
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- Héraldique > Ayena est habillée par DECO