Anaon
Gorgée avide d'oxygène. Les doigts ont lâché l'étau après l'avoir entrainé dans sa chute. Les pieds se sont rattrapés de justesse pour ne pas finir étalée sur le baladin et voilà la mercenaire presque accroupis au-dessus de lui. Il ne lui faut que quelques secondes pour recouvrer pleinement ses esprits. Il est à terre. La balafrée se redresse d'un geste, avise l'homme un bref instant avant de lui matraquer brutalement la tempe d'un coup de botte. A terre. Et pour longtemps. Les azurites se relèvent devant elle. L'Anaon se jette sur la porte, verrouille le loquet, y place la première caisse qui lui vient sous la main avant de se retourner, pour la voir, enfin.
Frêle Ève recroquevillée, à la peau déchirée par son Adam. Pauvre petite chose plus semblable à un animal traqué qu'à une adolescente. Il n'est pas temps pourtant de s'émerveiller ou de s'apitoyer sur cette vision, car de temps justement, il en manque. L'Anaon permute et l'esprit pragmatique étend à nouveau sa tyrannie sur le moindre de ses gestes. Et puisque le doute n'est désormais plus permis quant à son identité, il faut faire vite.
La mercenaire se précipite vers le corps dont elle prend pleinement conscience de la nudité et tombe à genoux devant lui.
_ Vite, ma c'halonig, dépêche-toi ! Il faut partir !
Les mains empoignent sans douceur les frêles épaules pour les secouer et tirer la jeune fille de sa catalepsie. L'oiseau qu'elle reconnaît piaille à son encontre et l'Anaon a l'heureuse intelligence de ne pas le chasser comme un vulgaire parasite. Elle ne prend pas le temps de prendre la mesure des grands yeux bleus affolés et paumés, déjà elle se relève pour trouver de quoi l'habiller, boudant sa robe de spectacle échouée sur le sol, éventrant une malle qui passe sous ses mains. Une robe en est extraite et elle la lance plus qu'elle ne la donne à la poupée dénudée.
_ Vite habille-toi ! Et presse t...
Quelques pas pour contourner la fille et les yeux qui s'arrêtent sur les maillons d'une chaine. Escalade le long de la ligne... jusqu'à la cheville enserrée. Le visage se fait pâle. Le cur se compresse.
_ Merde c'est quoi çà !
Les deux genoux percutent à nouveau le plancher de la roulotte. Oh non... non... Ma pauvre chérie, pourquoi t'ont-ils fais ça ? Les doigts se referment contre le fer, saisissent la cheville condamnée. Si l'Anaon avait des talents en bien des domaines, l'effraction n'avait jamais été son fort, et si elle pouvait être capable de faire sauter le mécanisme d'une serrure à force de persévérance, elle serait bien incapable de le faire en quelques secondes. Par réflexe désespéré, elle tâte son gilet dans l'espoir d'y trouver quoique ce soit d'utile. Il y a bien ses stylets oui, mais elle risquerait de blesser la petite dans un mauvais geste.
La tête pivote brusquement. Elle tire sur la chaine pour en voir l'accroche. Fixée à la roulotte même. La femme bondit. Une petite plaque de fer clouée dans le bois du mur. Nouveau coup sec. Solidement clouée même. Sans perdre de temps, la mercenaire déloge sa courte dague pour tenter de la glisser entre le minuscule interstice qui sépare le bois du fer. Trop serré. Et de creuser le bois de coups bien placés.
Un regard au corps du baladin. Un regard derrière elle.
_ Nyam ! Bouge-toi !
Ma c'halonig : breton, "mon petit coeur "
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